
Après « Iris » et « Solo », Philippe Decouflé revient à ses obsessions majeures : le cinéma, les illusions d'optiques et l'artifice. « Sombrero », créé en 2006, est une plongée dans les fantasmagories du XIX ème siècle avec apparitions de « monstres » et de « merveilles ». Puisé dans une mythologie américano-mexicaine et rassemblant tous les fantômes du western spaghetti, « Sombrero » est l'histoire d'un sombre héros, de la quête de Françoise par François à la recherchent de leurs ombres.
Sur des textes de Claude Ponti, auteur pour enfant, les mots attirent les images et inversement. Ce savoureux jeux de va et vient entre la forme et le fond alerte le spectateur et le plonge dans des abîmes de subtilité. Avant toute chose, « Sombrero » revisite l'art ancestral de l'ombromanie, des chinoiseries du music-hall. Il dynamite leur représentation en proposant plusieurs surfaces de captations et de sources lumineuses. Différents plans se succèdent dans l'espace pour interférer avec le réel, ainsi qu'avec les corps des danseurs. Un savant jeu d'échelle se met en place. L'interaction entre les ombres et les corps réserve des moments de pure poésie. Philippe Decouflé a le secret pour créer des images vertigineuses et marquantes comme au temps du cinéma muet. D'ailleurs, cette incorporation des ombres évoque le cinéma expressionniste allemand, dont le fantôme de Nosferatu plane sur quelques séquences clés. Au cours de ce voyage dans la mythologie même du cinéma, nous croisons certains de ses archétypes comme dans ce final décalé, un hommage au film Il était une fois dans l'ouest de Sergio Leone
Cependant le système mis en œuvre est limité. En effet, pour mettre un peu plus le spectateur «à l'ombre », le chorégraphe utilise la vidéo pour capter des gestes et des expressions retransmises et trafiquées en direct sur des écrans visibles par le public. Ces images générées en live ont pour vocation de créer un vertige, mais elles sont loin d'être aussi fortes que les effets d'optiques du pré cinéma. Pour la première fois le système Decouflé atteint ses limites. A force d'accumuler les effets et de mélanger les « techniques manuelles » et les nouvelles technologies, « Sombrero » dévie et perd de son esthétisme originel. Les effets s'apparentent parfois à un mauvais clip vidéo rempli d'images saturées aux couleurs criardes. Au niveau de la technique, le spectacle n'est pas parfaitement rodé. Un trop plein de machines et de projecteurs, et une accumulation de prouesses techniques demandent une précision d'horloger dans le timing. Du coup, le synchronisme est difficile à gérer pour les danseurs qui sont souvent en décalage avec leur double virtuel.
Malgré quelques fautes de goût presque inévitables, cette fantasmagorie regorge d'idées lumineuses à l'image du prologue qui voit évoluer des danseurs accompagnés de leurs ombres en chair et en os. Toute la magie des spectacles de cet artiste tient en un mélange savant de danse, de cirque, de mime, de théâtre pour un résultat toujours hybride où l'humour côtoie l'absurdité.
Philippe Découflé est un illusionniste du spectacle vivant et un formidable créateur de formes. Il ne se considère pas simplement comme un chorégraphe, mais comme un assembleur d'images. Il convoque toutes les formes d'arts comme le ferait un artiste moderne. Poursuivant le même but que son prestigieux prédécesseur Méliès : « se battre pour enchanter le monde ».
A voir : le site de la compagnie DCA
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