
Richard Peduzzi, 70 ans, est avant tout scénographe de théâtre, d'opéra et de cinéma. Il a signé la plupart des décors de Patrice Chéreau rencontré un soir d'hiver au théâtre municipal de Sartrouville, pas loin de la maison de Céline, et juste au-dessus d'un marché couvert (bonjour le bruit des machines-balayeuses, le dimanche après-midi !). Cela ne nous avait pas empêché d'y découvrir les spectacles du jeune metteur en scène et Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki, réalisé par Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil… C'était en 1967, Chéreau, jeune metteur en scène, auréolé du succès des Soldats de Lenz avait 22 ans et s'était vu confier la direction de ce petit théâtre de la banlieue parisienne.
Commencement d'une amitié indéfectible entre ces deux jeunes gens du même âge, déjà initiés aux arts plastiques par leur père : celui de Patrice était peintre et dessinateur de tissus, et celui de Richard lui parlait souvent de peinture, de sculpture et d'architecture, des artistes baroques aux surréalistes. Vous avez dit hasard ?
Mais Richard Peduzzi est aussi peintre, sa vocation première, et designer. Il a aussi remarquablement dirigé l'Ecole Nationale des Art Décoratifs de 1990 à 2002, puis la Villa Médicis pendant six ans (2002-2006). Il a encore trouvé le temps dans cette vie bien remplie, de travailler à la scénographie de multiples expositions, de créer des meubles comme son très beau et fameux banc en bois tropical en lamellé collé qu'on voit dans de nombreux musées et à l'architecture des façades et du cuvier de Mouton Rothschild…
Ce livre commence par un étonnant parcours, celui d'un gamin dont le père et la mère s'étaient séparés après sa naissance, et qu'il n'a connus qu'à cinq ans. Cette mère qui avait été injustement mise en prison où il allait la voir et qui lui a dit un jour une phrase reprise dans le titre : « Là-bas, c'est dehors ». Richard Peduzzi vivait, dans une ville de Normandie chez ses grands-parents paternels et au Havre, qui avait été bombardé et était presque entièrement en ruine, chez ses grands-parents maternels qui tenaient un café-restaurant ouvert jour et nuit, lieu privilégié d'observation pour des créateurs de théâtre comme avant lui, Pina Bausch et Roger Planchon.
Richard Peduzzi raconte - et formidablement bien - les souvenirs de son enfance, sa rencontre avec son père, ancien résistant qui vivait à Paris ; la dernière rencontre avec sa mère avant qu'elle ne se remarie. Le petit Richard trop difficile àélever pour des gens déjàâgés, fut mis en pension mais à quinze ans, s'enfuit habiter chez sa tante à Paris ; elle lui fera visiter le Louvre, le Musée des Arts et Métiers, de la Marine, et il est facile de voir l'influence que ces découvertes eurent sur ses scénographies. Elle l'emmena aussi au théâtre de l'Odéon.
Richard Peduzzi raconte (et c'est fascinant) ce Paris d'autrefois, si proche encore et si lointain, celui du Saint-Germain-des-Prés, où il croise le grand pianiste de jazz Bud Powell et Charlie Parker qui habitaient le fameux hôtel Louisiane fondé il y a deux siècles, et bien connu de tous les artistes et écrivains, en particulier américains, dont John Coltrane, Archie Shepp, Ernest Hemingway, Henri Miller, Salvador Dali…
Après des bouts de scolarité en pension, ces années de libertéà Paris furent donc, on le devine, fondatrices dans la formation de Richard Peduzzi ; il en arrive à s'inscrire à l'atelier du sculpteur Charles Aufret qui l'influença beaucoup. On n'a jamais sans doute assez dit combien les volumes étaient en effet importants dans ses scénographies et bien entendu aussi dans ses travaux de design. Avec des murs impressionnants comme dans Massacres à Paris de Marlowe, La Tour d'écrou de Benjamin Britten, L'Or du Rhin, Le Conte d'hiver, Peer Gynt…
Décor pour L'Or du Rhin de Patrice Chéreau (1977-80, Bayreuth).
Il dit dans un très beau texte : « J'ai choisi les décors de théâtre comme moyen de peindre, de mêler la peinture et l'architecture, ou plutôt de construire ma peinture ». (…) J'aime les grandes villes, marcher dans les rues, découvrir les architectures, regarder les gens ; me souvenir de détails, rassembler des images en recomposant des morceaux pris çà et là, et fixer tout cela en faisant une peinture ou un décor ».
Il y a aussi dans ce livre quelques pages sur l'Ecole des Arts Déco que Richard Peduzzi dirigea pendant douze ans, réformant notamment la section Scénographie dirigée par le remarquable Guy-Claude François, disparu il y a deux ans, et qui a conçu, on le sait, la majorité des décors du Théâtre du Soleil. On aurait aimé que Richard Peduzzi s'étende davantage sur cette expérience pédagogique aussi discrète qu'exceptionnelle. Mais curieusement là-dessus, il n'est guère bavard, et c'est dommage, alors qu'il y avait visiblement retrouvé l'école qu'adolescent, il aurait sûrement bien aimé connaître…
Décor pour Lucio Silla de Patrice Chéreau (1984).
On retiendra aussi les pages où Richard Peduzzi parle de ses créations de mobilier, en particulier à la bibliothèque de l'Opéra de Paris. Et ce gros livre comporte, véritable plaisir pour l'œil, une importante iconographie : à la fois dessins, esquisses, photos, tous très bien mis en page.
Source : Le Théâtre du Blog.
A lire :Là-bas, c'est dehors aux Editions Acte-Sud (304 pages, 250 iconographies, 2014).
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