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REUNION DES MAGICIENS ANONYMES

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La scène se passe dans une salle de réunion délabrée située dans un vieux quartier de la ville. Les chaises sont disposées face à une estrade de fortune. Elles sont occupées par un échantillon d'humanité : certains semblent riches, d'autres paraissent appartenir à la classe moyenne et certains sont franchement pauvres. On les sent réunis par un intérêt mutuel. Un petit homme avec un léger tremblement des mains, visiblement gêné par son col et ses poignets élimés, s'approche nerveusement du podium. Il commence à parler :

« Salut. Mon nom est Harry, et je suis ... je suis ... magicien. »

(Applaudissements du groupe avec un chœur de « Bonjour, Harry » et « Bienvenue ! » de la part de la foule car c'est une réunion de Magiciens Anonymes. Harry continue.)

« Je ne pensais pas que j'aurais jamais eu assez de courage pour m'inscrire, mais maintenant que c'est fait, je ne comprends pas de quoi j'avais peur. Après tout, vous êtes tous des magiciens aussi. Nous sommes tous passés par là, j'en suis sûr.

Je sais que j'ai commencé comme la plupart d'entre vous. Un ou deux tours de cartes pour m'aider à me relaxer à la fin de la journée, puis des week-ends entiers avec les bouteilles à bascule, la casseroles aux tourterelles et la cage à oiseaux pliable, suivis d'un réveil avec les accessoires magiques éparpillés dans toute la pièce, sans souvenir de ce que j'avais fait la veille ... mais je ne laissais jamais cela affecter mon travail. Au début, j'étais toujours là le lundi matin, les yeux un peu larmoyants, peut-être, mais toujours capable de fonctionner à mon travail.

Puis j'ai commencéà faire une petite assemblée de pièces rapide au déjeuner, et avant même d'en arriver aux pièces à travers la table, l'après-midi était déjà passée et je n'étais pas retourné au travail - ou si je l'avais fait, je harcelais le reste du personnel de mon bureau avec mes « Prenez une carte – n'importe laquelle », jusqu'à ce que ma simple vue les rendent malades. J'ai commencéà me coucher tard pour pratiquer les Anneaux Chinois, puis j'ai du faire des éventails de cartes et quelques fioritures, juste pour être en mesure d'affronter la journée. Oh, vous vous doutez où tout cela m'a mené : le jeu des gobelets à la pause café, les bouteilles passe-passe juste avant de quitter le travail et les mélanges d'une seule main tout en conduisant pour rentrer chez moi.- et enfin j'en suis arrivé au lourd : l'épée traversant le cou, le Temple de Bénarès, la femme sciée en deux et même, MÊME la lévitation de la Princesse Karnak !

Oui, j'ai été faible ! Oui, j'ai tout fait, tout ! Et vous pouvez voir où cela m'a conduit. J'ai atteint le point où je ne pouvais même plus aller aux toilettes sans un jeu de cartes à la main ! Vers la fin, j'arrêtais les petits garçons dans la rue pour leur montrer mes trucs. J'avais touché le fond.

Et puis, j'ai entendu parler de votre merveilleuse organisation, et je suis si reconnaissant pour votre aide et votre soutien. Jamais je n'aurais pu le faire sans vous, et je suis fier de pouvoir dire que je n'ai pas touché une carte, un manicolor ou un bouquet de plumes depuis six mois ! »

(Applaudissements général.)

« Et je me rends maintenant compte que votre méthode est la seule qui fonctionne pour une personne aussi addicte que moi. Chacun doit faire face à lui-même et admettre, comme je l'ai fait, que je suis un magicien et que j'ai besoin d'aide. Je sais qu'il s'agit d'une lutte sans fin, que c'est un combat de chaque jour, et je suis convaincu que si, dans l'avenir, je devais ressentir de nouveau cette horrible contrainte - ce besoin insistant - d'effectuer un tour de magie, je peux compter sur vous, sur chacun d'entre vous, à toute heure du jour ou de la nuit, pour me soutenir en venant chez moi où nous boirons ensemble ! »

(Harry s'écroule, les épaules secouées par les sanglots, au milieu d'une standing ovation accompagnée d'acclamations prolongées de la part des spectateurs aux yeux humides.)

- Texte, The Meeting by Marcom, extrait de la revue Genii vol.53, n°5 de novembre 1989. Copyright © by The Genii Corporation. All Rights Reserved.


LE DECAPITE PARLANT

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De nombreux magiciens ont présentés depuis des dizaines d'années le décapité parlant. Ayant découvert ce document dans un ouvrage autre que magique, je n'ai pas résistéà la tentation de vous en faire part.

Talrich, Adrien Delille, Duchesne.

Le décapité parlant de Charles Virmaitre

Extraits

Paris qui s'efface. Nouvelle librairie parisienne, Albert Savine éditeur. 18 rue Drouot, Paris 1887. Tous droits réservés.

En novembre 1866, la presse parisienne enregistrait comme une curiosité extraordinaire, exhibition dans la salle des conférences du boulevard des Capucines, par M. Talrich, d'une tête qui parlait après avoir été décapitée.

La scène se passait dans un caveau étroit situé dans le sous-sol. Ce caveau était éclairé par une lampe qui répandait une clarté douteuse. Dans un des angles du caveau on remarquait une gigantesque épée qui avait servi, disait le bonisseur, à couper la tête exhibée. Cette tête paraissait avoir appartenu à un homme d'une soixantaine d'années et reposait sur un guéridon à trois pieds, une serviette maculée de sang le couvrait. De chaque côté de la tête du décapitéétaient placés deux crânes. La tête répondait à toutes les questions qu'on voulait bien lui adresser à condition toutefois que ce fût en anglais.

Le mouvement des muscles de la face, des yeux, de la langue, était très naturel ; et pour cause. La tête prétendait être parfaitement à son aise. Une foule innombrable alla voir cette curiosité. Des paris très élevés s'engagèrent. Les uns prétendaient connaître le truc, des croyants affirmaient que c'était vraiment la tête d'un décapité. Ce truc que personne ne dévoila était la simplicité même, c'était M. Adrien Delille, le célèbre prestidigitateur qui l'avait inventé et le docteur Lynn ne faisait que de l'exploiter.

Affiche pour Adrien Deville (1833-1915). Il présentait une décapitation intitulée l'homme mutilé, ayant achetéà Jules Talrich le droit d'utiliser son Décapité parlant. (Coll. Hjalmar)

Le personnage qui jouait le rôle de la tête du décapitéétait confortablement assis dans un excellent fauteuil, car les glaces formant triangle, encadrées dans les pieds de la table, étaient assez écartées pour qu'il fut à l'aise. Malgré cela les séances étaient très courtes ; la tête sifflait et articulait un good nighténergique pour faire comprendre aux visiteurs qu'ils devaient se retirer.

Le truc fut découvert par M. Wilfrid de Fonvielle. Il jeta sur une des glaces une pièce de cinq francs qui naturellement ne franchit pas l'obstacle. L'inventeur du décapité parlant connaissait certainement le passage suivant de Don Quichotte, intitulé :

LA TETE ENCHANTÉE

... Le repas achevé, don Antonio prit notre héros par la main, et le conduisit dans une pièce où, pour tout meuble, se trouvait une table de jaspe soutenue par un pied de même matière. Sur cette table était un buste qui paraissait de bronze et représentait un empereur romain. Ils se promenèrent pendant quelque temps, de long en large, firent le tour de la table puis don Antonio s'arrêtant et dit à don Quichotte : Maintenant que je suis certain de n'être écouté par personne, je vais apprendre à votre grâce une des plus étonnantes aventures dont on ait jamais entendu parler, à condition toutefois que ce secret restera entre elle et moi.

Je le jure, seigneur, répondit notre héros ; celui à qui vous parlez a des yeux et des oreilles, mais point de langue ; votre grâce peut en toute assurance verser dans mon cœur ce qu'elle a dans le sien et rester persuadée qu'elle le jette dans les abîmes du silence.

Sur la foi de cette promesse, repartit don Antonio, je vais vous confier des choses qui vous raviront d'admiration, et je me soulagerai moi-même d'un fardeau qui me pèse, car je n'ai encore révéléà personne le secret que je vais vous dire. Cette tête que vous voyez, seigneur don Quichotte. Ajouta-t-il en la faisant tourner avec la main, a été fabriquée par un des plus grands enchanteurs qui aient jamais existé. C'était, je crois, un polonais, disciple du fameux Kot, dont on raconte tant de merveilles. Je reçus chez moi cet enchanteur, et pour la somme de mille écus il me fabriqua cette tête, qui a la propriété de répondre à toutes les questions qu'on lui adresse. Après avoir tracé des cercles, observé les astres, écrit des caractères cabalistiques, épié les conjonctions voulues, l'auteur mit la dernière main à son ouvrage, dont vous aurez la preuve demain, car le vendredi cette tête est muette et il serait inutile de lui rien demander aujourd'hui. D'ici là votre grâce peut songer aux questions qu'il vous conviendra de lui faire et l'expérience vous prouvera si je dis vrai.

Charles-Antoine Coypel (1694-1752). Histoire de Don Quichotte : Don Quichotte consulte la tête enchantée chez Don Antonio Doréno (détail).

Etonné de ce qu'il entendait, don Quichotte avait peine à croire que cette tête fût douée d'une telle vertu mais comme il devait bientôt savoir à quoi s'en tenir, il se contenta de faire de grands remerciements à son hôte pour lui avoir confié un secret de cette importance. Ils sortirent de la chambre, que don Antonio ferma à clé, et ils retournèrent dans le salon, où Sancho avait eu le temps de conter à la compagnie une partie des aventures de son maître.

Le lendemain don Antonio jugea à propos de faire l'expérience de la tête enchantée. Suivi de don Quichotte et de Sancho, il entra dans la chambre où se trouvait le phénomène. Là, ces messieurs lui adressèrent diverses questions, auxquelles la tête répondit d'une manière peu satisfaisante. Cid Hamed ben Angeli, afin de ne pas laisser soupçonner de la magie dans une chose aussi surprenante, expliqua le fait de la manière suivante :

Don Antonio, dit-il, afin de se divertir aux dépens des niais, fit faire cette tête à l'imitation d'une autre qu'il avait vue à Madrid. La table avec son pied d'où sortaient quatre griffes d'aigle, était de bois peint en jaspe. La tête, semblable à un buste d'empereur romain et couleur de bronze, était creuse comme la table sur laquelle on l'avait si bien enchâssée que tout paraissait d'une seule pièce. Le pied de la table était creux et communiquait par deux tuyaux à la bouche et à l'oreille de la tête. Ces tuyaux descendaient dans une chambre au-dessous où se tenait cachée la personne qui faisait les réponses. La voix partie de haut en bas et de bas en haut, passait si bien par ces tuyaux qu'on ne perdait pas une seule parole, de sorte qu'à moins de le savoir, il était impossible de pénétrer l'artifice.

Il existait jadis une société qui avait l'habitude de soumettre les néophytes à des épreuves qui devaient justifier de leur courage ; pour cela, on tapissait une chambre avec des draps noirs parsemés de grandes larmes blanches. Au milieu de cette chambre, il y avait un guéridon percé d'un trou au centre, trou dissimulé par une serviette. Le néophyte devait couper la tête d'un homme ; la chambre était faiblement éclairée ; on lui mettait une lourde épée en main et on lui désignait un individu assis près du guéridon. Tremblant, mais excité par la galerie, il déchargeait un furieux coup sur la nuque du patient. La tête tombait d'un côté et l'homme de l'autre. La tête était en carton et allait rouler par un truc sous le guéridon ; on faisait mine de la ramasser et de la mettre sur le guéridon préparé ; alors, Ô horreur ! la tête apparaissait sanglante sur la serviette, les cheveux hérissés, les yeux hagards, les dents serrées et, malgré cela, elle parlait. C'était aussi simple que le truc du décapité parlant il fut dévoilé de la manière suivante :

Un jour le personnage qui faisait la tête, ayant un peu trop remué, renversa une petite lampe à esprit de vin posée près de lui ; l'esprit de vin s'enflamma et lui brûla la barbe ; il se leva affolé le guéridon autour du cou et se sauva dans la rue, en criant : Au feu !

Le premier qui fit le truc de la décapitation sur la place publique, ce fut le dentiste Duchesne. Duchesne jouait aux Funambules, boulevard du Temple, vers 1838. Habitué au grand air, il était à l'étroit sur cette modeste scène. Un soir il fit la connaissance de Genisson, machiniste à la Gaîté. Ce dernier lui monta une baraque en bois, place de la Bastille, et sur un immense calicot il annonça la Décapitation. Tout Paris envahit la baraque et, comme toujours aux spectacles sanglants, les femmes étaient les plus acharnées.

Voici le truc imaginé par Genisson et pratiqué par Duchesne :

Pour cet effrayant tour d'escamotage, il se servait d'un cou de mouton qui, pendant que la tête disparaissait sous une trappe, devait appliqué au tronc, présenter l'aspect d'un cou fraîchement coupé. L'illusion était complète et la scène véritablement effrayante. Un jour, il arriva à Duchesne un accident bizarre : au moment où la tête allait tomber sous la lame du sabre et disparaître dans la trappe, il cherchait son cou de rechange et l'aperçut dans la gueule d'un énorme chien de Terre-Neuve qui bondissait au milieu des spectateurs pour gagner la rue. Les spectateurs partirent d'un immense éclat de rire ; mais aussitôt, furieux de voir que le truc était aussi simple, ils se mirent à injurier le malheureux artiste et voulurent lui faire un mauvais parti. Duchesne déserta la baraque et s'en alla en province. Nous le retrouverons plus loin. L'exhibition du Décapité parlant dura environ quatre mois.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

L'EXPRESSION CORPORELLE

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Temps de lecture : 20 min

Réflexions d'après le livre Du mime sacré au mime de théâtre par Yves Lorelle (La renaissance du livre, 1974).

Je vous propose de faire une brève excursion dans l'histoire du geste. Les annotations que vous découvrirez en italiques sont des réflexions personnelles nées de la lecture du livre de Yves Lorelle. Mon but est de les partager avec vous sous forme d'un échange d'opinion sans aucune prétention. Si elles vous font réfléchir je serai satisfait mais si elles vous font réagir je serai pleinement heureux.

Le théâtre consiste précisément à rendre visible l'invisible (les morts, les ancêtres, les dieux). Il use du travesti et des métamorphoses. Il crée l'illusion par le masque ou le rôle (persona, en latin). Il stupéfie par des phantasmes, des apparitions, des forces de la nature personnifiées.

L'illusion est-elle une forme dérivée du théâtre ? Peut-être, mais ce qui est certain c'est qu'elle est plus proche de l'art de l'interprétation que celui de l'acteur car le créateur d'illusions se représente lui-même sans pour autant devenir quelqu'un d'autre.

Nous invitons nos spectateurs à rentrer dans une autre réalité où, contrairement à la définition ci-dessus, nous rendons invisible ce qui est (ou pourrait être) visible.

L'auteur suppose que l'observation des différentes formes de mimétisme et de travestis animaux aurait pu fournir aux sorciers des temps archaïches, les bases concrètes d'une théâtralité magique, voire l'idée même de théâtre.

Il est intéressant de noter que l'auteur parle de théâtralité magique. La source de la représentation théâtrale a donc un caractère sacré qui me fait dire que l'illusion n'est pas une forme dérivée du théâtre mais bien le contraire : le théâtre étant une forme dérivée de l'illusion.

L'auteur propose :

a. La transe : le fidèle "est chevauché" par la divinité (le terme de cheval est commun à de nombreuses cultures). C'est la phrase rythmique.

b. L'incarnation : l'esprit ou la divinité se manifeste, à travers les gestes et paroles du danseur. C'est la phrase mimique.

Le problème du rythme :

L'importance du rythme dans les différentes phases possessionnelles est considérable. Pour les Oubis de Côte d'Ivoire, c'est aussi le rythme qui "permet d'entrer en communication avec les puissances occultes ".

Cette phase d'initiation à la transe est dans la grande majorité des cas accompagnée de percussions. C'est le rythme des tambours qui invite l'initiéà pénétrer dans une autre réalité.

Le rythme des percussions n'est pas la seule clef à ouvrir les portes de l'autre réalité. L'initié peut parfois être aidé de psychotrope (substance qui agit sur le psychisme). Ces techniques font parties intégrantes de l'héritage des chamanes.

Théâtralité de la possession :

Comme au théâtre, "la notion du temps s'abolit ", note Métraux. L'état ou l'aliénation éphémère du possédé est un état que l'on peut comparer en partie à l'aliénation du comédien. Mais cette comparaison n'est valable qu'en relativant la notion de rôle, en lui donnant un contenu différentiel, et en précisant que chez l'acteur le défoulement n'est que partiel.

Dans l'illusion, l'artisan peut prétendre dominer le temps en l'arrêtant (arrêt des aiguilles d'une montre), en se projetant dans le futur (effets de prémonition, de prédiction), en voyageant dans le passé (découverte d'une carte pensée mentalement), en le transformant, en le contrôlant, etc.

Du côté du spectateur, celui-ci est invitéà pénétrer dans un monde où la notion de temps.

Comptabilisé n'existe plus (à condition que le spectacle soit bon, naturellement). Si le spectateur rentre volontairement dans le spectacle, une heure lui paraîtra un laps de temps très court. Si au contraire, il ne rentre pas dans le spectacle, une heure deviendra, pour lui, une éternité.

Porteurs du masque et techniques du corps :

Depuis l'hypothèse de Maspero, une partie de l'art de la sculpture dite primitive et de la peinture des civilisations disparues est interprétée comme un "reportage " sur des cérémonies du Théâtre Magico-religieux. Ceux qu'on croyait des personnages hybrides - corps d'hommes et têtes d'animaux - se révèlent des mimes porteurs de masques.

Une fois encore nous abordons le thème du Théâtre Magique et religieux. La magie qui offre la possibilité de contrôler les forces positives et obscures du monde me fait dire que la représentation du sacré par l'illusion n'était prétexte qu'à contrôler et manipuler les autres. Mais l'illusion par le divertissement est-elle venue avant, pendant ou bien après cette époque ?

En vertu de son caractère sacré, de ses liens avec une épopée surhumaine, surnaturelle, littéralement prise au "tragique", le masque crée ses propres besoins. Mime, acrobate, porteur inspiré ou danseur virtuose, son animateur est avant tout un servant. Il se soumet à une technique du mouvement qui est fixée avant lui. Son individualité d'artiste reste cachée sous l'anonymat. Il ne se démasque pas en public. Ses talents ne seront donc jamais l'objet de compliments personnels. Il s'efface totalement derrière l'objet auquel il prête vie.

J'aime ce côté où l'art est au premier plan avant l'artisan. Où le talent est au service de l'art et non à la valorisation personnelle. Pourtant, et c'est paradoxal, mes convictions sont opposées à cet état d'esprit puisque je suis convaincu que ce qui prime (même si on ne peut pas dissocier l'artisan de ses techniques) n'est pas ce que l'on fait mais qui on est.

Le secret fait partie des obligations du porteur. Il ne faut pas oublier que les connaissances dont il est dépositaire servent àévoquer des événements mythiques tels que la Création du Monde, l'arrivée de l'Homme sur la Terre, la fondation de la Tribu. Cette évocation est plus qu'une simple "représentation" : elle resserre les liens entre l'homme et le divin par la présence des ancêtres (qui ont leurs masques et leurs "acteurs"), elle réactualise les Actes des Temps Légendaires, elle recharge ainsi les institutions qui maintiennent une société en équilibre, elle élimine la frontière entre le Naturel et le Surnaturel - ce faisant elle exorcise les tensions individuelles engendrées par l'antagonisme de la Réalité et de l'Imaginaire.

Dans l'art de l'illusion, il y a un côté"tradition" qui se perd. Les jeunes ont un accès de plus en plus facile aux "secrets". Et la tendance veut qu'on essaye de trouver de nouvelles méthodes pour présenter un effet classique. On en vient, me semble-t-il, à dénaturer l'effet original et à lui enlever tout son sens originel. L'exemple de la carte dans la cigarette est un exemple parmi tant d'autre : aujourd'hui le magicien fait choisir une carte, demande une cigarette à un spectateur, l'allume et retrouve la carte dans la cigarette (l'effet est rapide, intéressant, mais où est la logique dans l'action magique ? ). A l'origine, le magicien faisait choisir une carte, il la plaçait dans une enveloppe qu'il scellait afin de la remettre à un spectateur pour qu'il la place dans sa poche. Ensuite, il demandait une cigarette à un autre spectateur, l'allumait, lui trouvait un goût bizarre, l'ouvrait et trouvait la carte du spectateur dedans. Intrigué, il demandait au spectateur qui avait l'enveloppe de l'ouvrir et celui-ci découvrait du tabac à la place de la carte. Le magicien prenait l'enveloppe et demandait au spectateur qui lui avait donner la cigarette de sentir le tabac pour confirmer par l'odeur qu'il s'agissait bien du tabac de sa cigarette. Tout n'était-il pas logique ? Trouvez-vous un défaut dans la construction de cette routine ? Ne manque-t-il pas quelque chose dans la routine de la carte dans la cigarette telle qu'elle est faite aujourd'hui ? Le respect des traditions est, me semble-t-il, une valeur sûre. Ne l'oublions pas.

Les quatre types de masques coïncident avec les quatre éléments du Cosmos, en même temps qu'ils évoquent des animaux précis. L'hyène est chargée d'établir un lien entre les appétits terrestres et l'Univers par sa mort qui est une transfiguration. Elle se contente des choses de ce monde et s'en repaît. Les singes concrétisent les états transitoires : l'enfance, par exemple. Ils sont dans une agitation constante. Les vautours ont la "connaissance joyeuse" ou bouffonnerie. Ils essaient de convertir l'hyène par des méthodes grotesques ? Les lions seuls possèdent la connaissance divine. Très sereins, ils accueillent avec dédain les provocations de l'hyène qui voudrait que les lions vivent comme elle.

Dans le théâtre du geste, il y a :
- Le mime (matériau moteur)
- le masque (matériau optique)

A ceux-ci s'ajoutent :
- la vibration ou la musique (matériau sonore)
- la structure de participation (offrandes, oraisons, etc.)

Le masque peut être considéré comme un accessoire de la dépersonnalisation. Et c'est à ce titre qu'il intéresse le plus l'homme de théâtre, comme le sociologue.

On ne peut pas mettre certains masques africains ou océaniens sur sa tête et avoir la prétention de rester soi-même. Les masques-cagoules sur ce plan jouent un rôle évident dans leur simplicité.

Le processus de la transformation ne peut s'expliquer rationnellement. Ainsi faut-il le cerner par une autre forme de discours :

Pénétrer dans le secret d'une Autre-réalité en perdant la sienne. Dépasser les apparences.

Déjouer pour connaître et s'ignorer soi-même pour jouer l'Autre. Tel pourrait être le yin et le yang du système des masques.

Ayant fait quelques ateliers de masques et de clown, je voudrais confirmer que dès les premières minutes du port du masque ou du nez rouge, quelque chose d'étrange se passe à l'intérieur de nous-même. Dans un premier temps, la sensation de dédoublement de personnage nous envahit comme si nous étions à la fois acteur et spectateur. Une autre sensation que j'ai ressentie est celle d'avoir l'impression, par moment, d'être observateur et de ne plus être vu par les spectateurs. C'est à dire que mon véritable moi se cachant derrière le port du masque, je me sentais moins vulnérable aux yeux des autres. De plus, très vite on découvre une nouvelle aire de jeu qu'on ne se connaissait pas. Tout devient plus enfantin, plus facile, plus caricatural. Bref, le jeu devient plaisir. Essayez et vous verrez !

Le mime romain a selon les auteurs une naissance contradictoire : pour les uns, la mimétique est savante et poussée à un degré de virtuosité qui arrache l'admiration des plus grands poètes ; pour les autres, elle n'est que représentation grossière et obscène et abaisse les spectateurs au niveau le plus bas. On se demande parfois si ces gens parlent de la même chose...

La naissance :

Pour séduisante qu'elle soit, la tradition qui fait de Livius Andronicus acteur parlant frappé de mutisme, "l'inventeur du Mime ", n'explique pas l'essentiel : à savoir qu'il y eut une continuité méditerranéenne de l'art d'exprimer avec les diverses parties de son corps. Ecoutons la version de Tite Live :

" Andronicus, comme tous les poètes de son temps, représentait lui-même ses ouvrages. Souvent redemandé par le peuple, il fatigua sa voix. Il sollicita donc et obtint, dit-on, la grâce de placer devant le joueur de flûte un jeune esclave qui chantait pour lui. Il pouvait ainsi jouer le canticum avec plus de vigueur et d'expression, n'ayant plus à s'occuper de ménager sa voix ".

L'historien ajoute que ce fut l'origine de "l'habitude que prirent les histrions d'avoir pour les airs un chanteur qui suivait leurs gestes... "

En fait, cet Andronicus est d'abord un acteur grec, introducteur du théâtre hellène dans le Latium. Ensuite, une vedette qui inventa le "one man show " son talent ayant heureusement compensé une infirmité soudaine.

Pour voir qu'il s'agit là d'une transformation des techniques d'acteur, et non de la naissance du mime, il suffit au reste d'aligner deux dates :

- l'accident d'Andronicus Livius se situe en 240 avant J-C (selon Raymond Bloch, "Eturie, Rome et Monde romain, cat. Le Masque).
- l'arrivée des mimes étrusques à Rome, où ils sont appelés en raison de leur réputation, a lieu au IVème siècle avant J-C, soit à peu près cent cinquante ans auparavant.

Il y a donc très probablement à Rome plusieurs courants qui facilitent l'éclosion du théâtre du geste et le poussent peu à peu à devenir autonome, mais non totalement muet, puisqu'il y a une répartition du texte et du mime sur deux acteurs.

L'apogée :

La technique du pantomime s'articule en trois points : les pas, le travail de l'attitude, le travail des mains (chironomie). Sur la chironomie une description de Quintillien guide notre imagination : " Le nombre des mouvements dont les mains sont capables est incalculable et égal presque celui des mots... Elles demandent et promettent, elles appellent et congédient, elles menacent et supplient. Elles expriment horreur, crainte, joie, tristesse, hésitation, aveu, repentir, mesure, abondance, nombre, temps. N'ont-elles pas le pouvoir d'exciter et de calmer, d'implorer, d'approuver, d'admirer, de témoigner la pudeur ? Ne tiennent-elles pas lieu d'adverbes et de pronoms, pour désigner les lieux et les personnes ? Il y a encore d'autres gestes où la main fait entendre les choses en les imitant. Ainsi pour exprimer que telle personne est malade, elle contrefait le médecin qui tâte le pouls ; ou pour signifier que telle autre sait la musique, elle compose ses doigts à la façon d'un joueur de lyre ".

Outre le pouvoir visuel des mains que nous connaissons tous, n'oublions pas le pouvoir du toucher qui rapproche l'artisan de son spectateur et qui peut être amical, doux, brutal, sensuel, etc. Il peut même être une source précieuse d'informations pour celui qui s'essaye à la lecture de pensée par contact musculaire.

La disparition :

Le fait que la pantomime Balymachia ait été interdite lors du troisième concile de Tolède, en 589, démontre pourtant que cette technique était encore assez vivace pour être censurée. Elle n'a donc pas tout à fait "disparu d'elle-même "... A cette époque un vrai voleur était crucifié sur scène à la fin d'un mime, le Laureolus de Catulle, pour accentuer le réalisme.

Le mime funéraire à Rome :

Le culte des morts est commun à des civilisations différentes et subsiste encore de nos jours. En Nouvelle-Guinée, des simulacres rituels sont exécutés par la communautéà l'occasion des enterrements. Parallèlement, le maquillage blanc, livide, dont tous les assistants de la cérémonie se couvrent le visage, est une des premières manifestations du maquillage des Pierrots. Le blanc est la couleur de l'Autre monde.

Les avatars du mime :

Les mimes sont bel et bien visés par ceux qui furent les premiers maîtres à penser de la Chrétienté. Un exemple : " Par les gestes et les mouvements dissolus du corps, infamie particulière à la scène comique, de misérables histrions sacrifient leur honneur à Vénus et Bacchus, ceux-ci en dégradant leur sexe, ceux-là par d'impudiques pantomimes (...).

Encore un point commun avec notre art (et celui de la jonglerie et du chant) : la persécution de l'Église !

Les masques et la société italienne :

Le masque incite à une animation d'autant plus largement corporelle que le visage personnel de l'acteur est aboli. Il tend donc à développer les moyens physiques, à faire jouer les membres, les articulations du corps et même le tronc. Ce qui se vérifie sur certaines gravures de la première époque et principalement dans les poses des Arlequins et de quelques Pantalons. Les dons et la souplesse des interprètes ont joué ici un rôle évident.

Une autre réponse touche à l'aspect juridique. Si les obsessions collectives se libèrent publiquement, même à travers une image transposée de l'absurde social, les autorités peuvent reconnaître l'objet de la satire. La distance qui existe entre le masque et l'homme met ce théâtre hors de portée de la censure et également de l'autocensure.

Mimes malgré eux :

Il y a aussi Joe Grimaldi, promoteur de l'école anglaise de pantomime. Sauteur, acrobate italien, Grimaldi importe cette pantomime de fortune à Londres, après un passage dans les foires parisiennes. Elle y devient en un siècle l'affaire des clowns, successeurs démocratisés des bouffons de la Cour.

Ainsi s'achève, pour les mimétiques européennes et leurs avatars, un cycle de près de trente siècles qui mène le spécialiste du geste du temple au théâtre, puis du théâtre au boulevard du Temple... Profanation, spécialisation, autonomie, persécution, appauvrissement sont les étapes de ce voyage d'une technique dans le temps.

On peut penser que l'art de l'illusion a subi le même parcours, allant de la découverte de techniques en passant par l'interdiction d'exercer qui découlait obligatoirement d'un appauvrissement de l'art pour revivre à nouveau et devenir ce qu'il est aujourd'hui.

Deux phénomènes se produisent au début du XXème siècle : le cinématographe récupère les morceaux épars d'une tradition ; des hommes de théâtre repensent leur métier et veulent réintroduire le Corps, puis les techniques du geste parmi les moyens d'expression de la scène.

Là aussi le cinématographe a apportéà l'illusion une nouvelle source de créativité (donc de forme de pensée) qui a sensibilisé, entre autres, Méliès et les partisans de la Lanterna Magica. Malheureusement, à cause du succès du cinématographe, les salles de music-hall ont petit à petit disparues pour laisser leur place aux salles de cinéma telles que nous les connaissons aujourd'hui.

Le corps retrouvé :

Puisque le théâtre est de toute façon un mensonge, et un "mensonge prémédité", qu'il soit un mensonge qui transporte l'imagination. Voilà de quoi se réclament ces derniers.

Le corps et le mouvement :

Edward Gordon Graig se dresse d'abord contre les mœurs des "monstres sacrés ". Le théâtre est gangrené par l'intérêt personnel. Les acteurs doivent devenir ou redevenir des sportifs et des artisans. La servile imitation sera remplacée par le pouvoir créateur, le réalisme par la beauté. En même temps qu'à la poussée réaliste-naturaliste dans le jeu de l'acteur, il déclare la guerre au naturalisme du décor. Il réinvente la scène. Il veut ouvrir le rideau avant le début de la représentation, fait le projet d'une salle nouvelle en pente douce vers la scène (maquette de 1897), invente les changements "au noir ", supprime la rampe (1899), se fait le champion de la matière, de la lumière et des paravents ou surfaces mobiles, les "screens" (Hamlet à Moscou, 1911). Il ira même jusqu'au décors projetés après la guerre 14-18.

Le mot et le geste :

" Dans le langage d'action fait de gestes et de mimiques, se trouve l'origine de toute manifestation artistique ". A. Comte (traité de sociologie)

" Le langage vocal n'est qu'un secteur du système entier des mouvements expressifs... un fragment de la musique d'ensemble ". Wundt

" L'activité motrice pénètre la psychologie tout entière ". Ribot (la vie inconsciente et les mouvements)

" Le langage articulé et le "langage cinétique " ont la même localisation dans le cerveau ". Vendryes

Le père Jousse affirme que le mot n'est qu'une émanation d'un geste parmi d'autres : le geste "laryngo-bucal" (cf. la notion de "gestique vocale ", à propos des masques italiens). N'est-ce pas alors une querelle digne des docteurs de Molière que celle qui oppose les partisans du geste à ceux du mot au théâtre ? Pas tout à fait. André Veinstein constate qu'il y a une hiérarchie des arts dans notre culture, d'où prédominance du langage articulé - en tant que valeur de "civilisation" - sur le geste. Si cela n'était pas, Antonin Artaud n'aurait peut-être pas écrit une ligne de tout son œuvre.

Je voudrais ajouter que le geste me semble indispensable au mot, il l'accompagne toujours même inconsciemment, il ajoute une "plus-value " au mot et il me semble plus vrai que lui. Ne dit-on pas qu'il y a parfois une différence notable entre ce que l'on nous dit et ce que transmet le geste du parleur ? Si tel est le cas, méfions-nous de notre interlocuteur, il se pourrait qu'il nous mente !

La quête de l'unité :

Pour Antonin Artaud aussi, parole et geste sont les deux faces d'une même réalité et il n'isole ni le mime ni les mots. Il nous apporte une des méditations les plus riches.

Les mots nous offrent trois types de discours (comme expliqué par Duraty dans son livre "magie pour rire " - Tome 1 aux Éditions Duraty, 1981) :

- le discours supplémentaire qui décrit ce que l'artisan est en train de faire et qui n'apporte rien à l'action ;
- le discours complémentaire qui est donc, un complément de l'image et qui ajoute une dimension poétique, humoristique, dramatique, etc., à l'action ;
- le discours en contre-pied qui est complètement surréaliste, puisque ce qui est dit ne correspond en rien à ce qui est montré.

En utilisant le deuxième et le troisième type de discours, on peut créer un univers qui demandera une certaine interprétation de la part des spectateurs, ce qui permettra une lecture du spectacle à plusieurs niveaux.

J'ajouterai à cette théorie un précepte simple et pratique : plus le visuel est faible, plus il faut un texte fort, et plus le visuel est fort, plus le texte doit être faible ou même inexistant.

Qu'est-ce qu'Antonin Artaud entend par pantomime ? : " Par pantomime non pervertie, j'entends la Pantomime directe où les gestes au lieu de représenter des mots, des corps de phrases, comme dans notre Pantomime européenne vielle de cinquante ans seulement, et qui n'est qu'une déformation des parties muettes de la comédie italienne, représentent des idées, des attitudes de l'esprit, des aspects de la nature, et cela d'une manière effective, concrète, c'est-à-dire, en évoquant toujours des objets ou détails naturels, comme ce langage oriental qui représente la nuit par un arbre sur lequel un oiseau qui a déjà fermé un œil commence à fermer l'autre... ".

Vers la représentation par le mouvement :

Voici quelques règles sur l'expression corporelle transmises par le maître du geste, Etienne Decroux :

1- La règle du raccourci :

Le raccourci est l'équivalant de l'ellipse cinématographique. C'est la faculté pour le geste mimé de contracter ou de condenser le temps et l'espace d'une action, de traduire cette action en image musculaire.

2- La règle du contrepoids :

Le contrepoids est une compensation musculaire qui permet au corps de retrouver son équilibre lorsque les membres se déplacent. Exécuté volontairement, il donne au geste qui se meut dans le champ imaginaire une forte puissance évocatrice.

3- La hiérarchie des organes :

Decroux découvre la primauté du tronc et lui demande de participer en priorité, à ce nouvel art de représentation par mouvement du corps : " Dans notre mime corporel, la hiérarchie des organes d'expression est la suivante : le corps d'abord, bras et mains ensuite, enfin, visage ". Pourquoi repousser au dernier plan le visage et les mains ? Ce sont les instruments du mensonge et les séides du bavardage.

4- L'indépendance musculaire et articulaire :

L'indépendance des segments du corps, acquise par la gymnastique dramatique, permet de "ne mobiliser que ce qu'on veut mobiliser ". Pourquoi lutter contre la tendance qu'ont toutes les parties du corps à bouger lorsqu'une seule partie bouge ? (Cette tendance que Decroux appelle "les besoins musculaires " s'explique pour lui par trois mobiles : se mouvoir, s'équilibrer ou se dégager. Yves Lorelle ajoute : " Il oublie une quatrième raison qui me paraît tout aussi déterminante : la culture gestuelle apprise par imitation et par pression sociale dès l'enfance). Parce que l'esprit veut savoir quel organe se pose, répond le grammairien du mime.

5- La mécanique du corps ou géométrie mobile :

Un des principes qu'il va adopter est de "pouvoir se mouvoir comme une mécanique ". Pouvoir et non devoir, précise-t-il. " La beauté que nous avons en vue étant l'expression corporelle, il faut pour y accéder lutter contre notre nature ".

6- Le fondu, le "toc ", le ralenti...

Sont les caractéristiques rythmiques du mouvement. Decroux donne peu de détails sur ce point dans son livre, mais on sait combien les mouvements en fondu ont d'abord surpris ses premiers spectateurs. Leur pouvoir d'incantation est indéniable.

7- L'attitude est la ponctuation du mime :

L'opposition que Decroux établit entre "geste " et "attitude " n'est qu'une question de définition et l'autopsie de ces mots demanderait quelques pages.

Virtuose du silence : Marcel Marceau

Aux yeux de Marcel Marceau, pour faire un bon mime, trois qualités sont essentielles :

La souplesse, la sensibilité et le sens du temps. Il insiste beaucoup sur la troisième car, dit-il, le geste s'inscrit dans le temps comme la phrase s'écrit sur la surface d'une page.

Marceau définit deux mimes :
- Le mime objectif
- Le mime subjectif

" Nous distinguons les mouvements mécaniques purs naissant des objets : mime objectif. Et ceux qui touchent aux caractères et aux passions de l'être humain, ceux qui relèvent également de l'identification de soi-même avec tous les éléments, autrement dit le " mime subjectif ". M. Marceau (1956).

Son vocabulaire (manière d'ouvrir une porte, d'écarter un rideau, de marcher contre le vent, etc.) procède d'un triptyque expressif qui, en général, s'articule ainsi :

1- le geste donne une image "objective".

2- le masque renvoie l'image au public en lui donnant un contenu émotif.

3- le corps opère une compensation musculaire ou contrepoids (contrepoids = compensation dans un sens opposéà l'effort ou au déplacement du corps et qui, en général, sert à rétablir l'équilibre).

Marceau a aussi bien le sens des ruptures que celui des enchaînements, ce qui lui vient, d'une part, de son admiration pour Chaplin, dont il connaît à fond les classiques, d'autres part de son intuition du rythme. Ce sont, dit-il, les ruptures et les pertes d'équilibre qui provoquent le rire.

" Le rire a des mouvements lents et fondus dans le tragique, saccadés et mécaniques dans le comique ".

Ici se termine notre voyage au pays du geste, ce ne fut qu'une courte escale mais j'espère qu'elle vous aura plu. A très bientôt !

Eric ANTOINE / MAGIC DELIRIUM

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Avec : Eric Antoine et Calista Sinclair. Mise en scène : Etienne de Balasy. Lumières : Dimitri Vassiliu. Mise en magie : Sébastien Clergue. Musique : Toma Feterman et Jacques Gandard. Décors : Artefact. Costumes : Catherine Rigault & Atelier MBV

Introduction

Sur scène un grand écran blanc descend des cintres sur une excellente musique manouche du groupe La Caravane Passe. Est projeté un court-métrage comique de l'homme qui se croyait invisible : Bernard Black, le(a) partenaire de scène d'Eric Antoine. Bernard maîtrise son corps grâce à des exercices acharnés pour passer inaperçu aux yeux de tous !

Apparaît alors sur scène, Eric Antoine « nu » dans une baignoire remplie de mousse, une coupe de champagne à la main. L'entrée de l'artiste est incongrue et du plus bel effet. « Il me fallais une entrée spéciale. C'était soit la baignoire ou les toilette ! » dixit E. Antoine. Il s'étire et ses pieds s'allongent magiquement en dehors de la baignoire, puis réalisent un 360°. Apparaît ensuite un plongeur tenant une bouteille de champagne, un poulpe en plastique, puis une sirène. Eric demande ensuite au garçon de lui servir du caviar, mais celui-ci fait tomber un grille-pain dans l'eau ! Noir dans la salle (hommage à Claude François). Eric apparait sur scène habillé en costume hors de la baignoire.

Illusions d'optique

Le spectacle a pour thématique la croyance au sens large du terme.

Eric Antoine évolue dans une pièce composée de diverses illusions d'optiques plus ou moins connues, de reproductions picturales et autres curiosités visuelles. Il présente au public l'illusion du tabouret, l'illusion des deux plateaux de tables, la double image de la tête de canard/lapin. Pendant ce temps, une commode devient humaine comme un objet à la Magritte.

Vient ensuite le célèbre tour du bonneteau, où il faut trouver la carte noire parmi deux rouges. Le magicien donne ensuite une fausse explication du tour qui devient de plus en plus compliquée à suivre. Pour conclure ce premier « tableau », la porte du fond (ou Bernard est passé plusieurs fois) disparaît et est roulé comme un vulgaire papier peint.

Sur des illusions d'optiques vues et revues mille fois, Eric Antoine arrive à développer quelques idées surréalistes bienvenues. Dommage que le bonneteau arrive comme un cheveu sur la soupe.

Intermède vidéo avec Eric en coulisse, en magicien ringard, qui fait léviter une louche de face avant que le truc ne soit révélé de profil.

Premier tour de magie de Bernard

Bernard en chauffeur de salle brandit des panneaux avec écrit dessus : « Applaudissez, Hurlez, Foule en délire, A poil ! ». Sur ce, un gars arrive sur scène nu comme un ver en courant dans les coulisses.

Apparition d'Eric Antoine dans une boîte et Bernard lui présente un tour de carte merdique.

La page du livre

« Je vais vous parler de la croyance et de la notion de foi. Est-ce que la religion et l'humour sont compatibles ? Je crois en la tolérance, l'extrême tolérance. »

Eric sort le Coran et la Bible : « Jésus en terme de magie c'est un killer ; il est même arrivéà ressusciter et à inventé le concept de zombie ! »

Le magicien feuillette la bible qui est constituée de papier blanc, de texte puis de tâches de sang : « Tu peux lire un livre mais commettre des mauvaises actions avec en l'interprétant mal ! »

Sans transition, le magicien sort alors un tout autre livre : La rééducation du périnée. (« Je me suis rééduqué le périnée après l'accouchement de ma femme »).

Une poupée à l'effigie d'Eric Antoine (son « mini moi », référence àAustin Power) est lancée dans la salle pour choisir au hasard un spectateur. Bernard effeuille le livre et s'arrête au stop du spectateur sur une page au hasard (page retransmise sur grand écran grâce à une caméra GoPro). La page disparaît instantanément du livre pour réapparaitre dans les mains d'Eric Antoine.

IKEA

« Savez-vous quel est le livre le plus imprimé au monde en ce moment ? Non, ce n'est pas la Bible, c'est… le catalogue IKEA tiréà 100 millions d'exemplaires ! »

« Des milliers de références…» Le magicien feuillette le catalogue.

« Faites entrer la prédiction. » Un chariot plat recouvert d'un drap.

Un spectateur est choisi au hasard dans la salle grâce à« mini moi » et est invitéà glisser un doigt dans le catalogue ou il veut et de penser à un meuble sur les deux pages sélectionnées.

Le magicien invoque alors le Dieu IKEA et des vikings suédois en révélant la prédiction : le même meuble mais en paquets plats, pas encore monté ! Le chariot est retourné et l'on voit une enveloppe avec une feuille A4 à l'intérieur : la photo du meuble choisi par le spectateur.

Un numéro bien construit qui perd en puissance à cause d'un climax qui n'est pas à la hauteur du scénario (on aurait aimé une « transformation » des colis plats en meuble, par exemple, à la place d'une simple photo…)

Deuxième tour de magie de Bernard

Bernard demande à Eric de penser à une carte et de la nommer. Il révèle un jeu tout blanc et écrit au feutre le nom de la carte avant de la montrer. No comment…

La chambre d'enfant

« Le lieu où la croyance est la plus forte se situe dans une chambre d'enfant. »

« Les enfants, on vous trompent et je vais vous le prouver…» Eric prend l'exemple du kilo de plumes et du kilo de plomb.

« Y a-t-il des enfants qui voudraient devenir magicien ? » Eric choisit « son enfant » avec une canne munie d'une sucette à l'extrémité ! « Un enfant avec si possible une jolie maman, célibataire ou infidèle. »

Eric cite Charles Baudelaire et raconte l'histoire de la petite souris en s'asseyant sur un lit avec l'enfant. Le lit, l'oreiller et la dent. Une dent géante est posée sous l'oreiller et sur la tête de l'enfant. Bernard arrive en volant dans les airs et subtilise la dent en secret.

Eric Antoine réalise le tour du ballon avec le fil coupé et raccommodé grâce à l'enfant (Gypsy Balloon de Tony Clark).

Un semblant de poésie avec un tour utilisé par tous les magiciens pour les fêtes d'anniversaires, pour un résultat mitigé. Eric Antoine intégrera rapidement la lévitation d'une mini voiture avec l'enfant à l'intérieur (un effet beaucoup plus convainquant).

Intermède vidéo avec Bernard en coulisse faisant du kayak en bois sur le sol ! ? avec comme commentaire audio : « Un premier bilan de ce spectacle… un excellent spectacle avec quelques accidents…» Une mise en abyme un peu maladroite que la majorité du public n'a pas compris.

Bonneteau évolutif

« On ne peut pas croire en rien, mais peut-on croire en soi ? »

Le magicien choisit un couple d'amoureux au hasard et isole l'homme en coulisse avec un casque sur les oreilles. La femme confie son téléphone portable à Eric Antoine qui le cache sous une des trois boites disposées sur scène. Il fait alors choisir une carte, parmi trois, face en bas et la femme tombe sur un numéro. « Nous allons voir où votre intuition vous a guidé…». Eric donne des coups de marteaux sur les deux premières boîtes et détruit le portable de la spectatrice (gag).

Trois énormes boîtes en papier kraft sur roulettes entrent sur scène. Le magicien présente trois cartes jumbo et demande à la femme d'en toucher une face en bas et de la garder sur elle. Son amoureux se trouve sous une de ces boîtes, pourvu qu'elle ait tiré la bonne carte ! Eric détruit la première boîte à l'aide d'une batte de baseball, la deuxième boîte à l'aide d'une tronçonneuse. Heureusement la dernière boîte, correspondant à la carte choisie par la femme, contient son amoureux… et Bernard.

Ce bonneteau ne convainc pas vraiment avec ce changement d'échelle faussement spectaculaire qui ne parvient pas à faire frissonner le public…

Intermède vidéo dans les coulisses avec Bernard construisant une tour Eiffel en carton style IKEA.

Entracte

Pendant l'entracte, l'écran vidéo diffuse un message à l'intention des spectateurs pour participer à une expérience interactive dans la deuxième partie du spectacle :

« Connectez-vous à la page Facebook d'Eric Antoine pour une expérience magique de malaaaade…»

Assistante de magicien

« Je vais vous raconter comment je suis devenue magicien. »

Eric Antoine passe en revue différentes influences dont Merlin, Copperfield ou Siegfried and Roy et parle ensuite des assistantes de magiciens qui ne sont pas bien représentées : « Regardez Bernadette avec Chirac ou Carla avec Sarkozy, par exemple ! »

Puis une vidéo comique est diffusée sur une tranche de vie du métier d'assistante magicien avec Lindsay (Calista Sinclair dans le rôle titre) et le magicien Laurent Beretta. Un slogan en ressort : « Assistante mais pas soumise ». La vidéo est très drôle et introduit l'illusion qui va suivre.

La grande illusion

Le magicien Eric Antoine dit avoir toujours voulu réaliser une grande illusion dans le pur style des américains avec costume à paillettes, assistante sexy et matériel adhoc.

Eric arrive sur scène en « habit de lumière » d'un kitsch somptueux : « Prends du swag » lance t-il au public. « J'ai créé une grande illusion extraordinaire : la swag box. »

Une grande cabine est montrée vide de tous les côtés et l'assistante Lindsay apparaît magiquement : « C'est l'assistante qui fait tout dans ce tour. Vous voulez voir le truc ? Alors applaudissez. »

Le duo refait le tour mais vue de derrière, présenté de dos, des coulisses.

Pendant que le magicien Eric Antoine exécute le tour, sa partenaire commente en voix off « ses exploits » : « Sa création, comme il dit, il l'a achetée sur EBay. »« Regardez moi ça, à quoi il ressemble dans son pantalon de PD. »

Le public est complice du truc et voit l'assistante « disparaître » mais ne voit pas venir la surprise finale !

Noir dans la salle suite à une grève surprise de la régie (« maltraitée » pendant le numéro).

Cette illusion présentée par Eric Antoine et sa partenaire est fortement inspirée du numéro Back Stage de Lance Burton, reprit également par Dani Lary dans son premier show à Mogador en 2005 et créé, à l'origine, par Dante en 1936. Eric a aussi repris d'Otto Wessely l'idée de l'assistante qui dénigre, en direct, son mari magicien. Le tout est habillement réinterprété et divertissant grâce à l'introduction vidéo de l'assistante Lindsay. Un des meilleurs moments du spectacle.

Expérience connectée

« Allumez vos portables et connectez-vous à mon Facebook ou mon Twitter. Vous verrez que j'ai posté un selfie sur mes toilettes…»

Eric Antoine énumère en photos les comptes Facebook qui ont le plus de followers comme ceux de Katy Perry, Justin Bieber, Barack Obama, Lady Gaga, David Guetta, David Copperfield (1er magicien de la liste) et Eric Antoine (avec 8998).

« Mini moi » est lancé dans la salle et un spectateur vient sur scène. Il mélange les photos des célébrités, faces en bas sur une table et pique au hasard une carte grâce à un pic à glace ?!

Ensuite, une carte du monde est présentée avec différentes pastilles misent dans un sac plastique. Sur chacune de ces pastilles est noté le nom d'une ville. Le spectateur en tire une au hasard. Le public découvre alors le selfie du magicien qui attire l'attention dans un coin de l'image ou l'on voit clairement La célébrité et la ville sélectionnées. La prédiction numérique correspond.

Troisième tour de magie de Bernard

Bernard arrive avec non pas un jeu de cartes mais un ballon. Il le fait léviter face au public mais en révèle le truc en se positionnant de profil. C'est alors que le ballon se met vraiment à léviter magiquement dans les airs en suivant les mouvements de Bernard. Cette saynète dure une éternité et le public s'ennuie ferme, dommage.

Machine de Goldberg

« Finissons dans la simplicité, dans la poésie. Un maximum d'effort pour un minimum d'effet ! »

Sur scène est disposée une énorme machine faite de bric et de broc, d'objets hétéroclites : une machine à escapologie de type Goldberg. Eric Antoine parle de la notion de Hotline, lorsqu'un opérateur vous entraîne dans une chaîne d'événements qui n'en finissent plus, pour au final vous dire qu'il faut passer en boutique pour régler le problème ! « Là, on a envie de s'évader, de décoller sur une autre planète. »

« Qui va être le héro de cette épreuve ?... Moi ! » Eric est alors attaché sur une chaise alors que deux énormes marteaux menacent de lui fracasser le crâne lorsque la machine aura terminé sa course.

« Pour démarrer la machine, il faut appeler la Hotline. »

La machine se met en marche et Eric essaie de se libérer tant bien que mal sous un drap. Les marteaux s'entrechoquent et le magicien disparait de sa chaine pour réapparaître dans la salle.

Au final, on peut se demander si ce dispositif qui « en jette » est le bon choix pour terminer un spectacle, et même un bon choix tout court. La futilité même de la machine enlève toute notion d'étrangeté et de magie. Agrandie à une échelle qui fait penser aux installations-machine du plasticien Jean Tinguely, la machine d'Eric Antoine manque de sens et est un peu déconnectée du reste du spectacle comme un acte gratuit.

Conclusion

Premièrement, on aime ou on n'aime pas le personnage surmédiatisé d'Eric Antoine. Volontairement excentrique et braque avec son public, il ne laisse pas indifférent. Le public qui vient le voir aime être secoué et traité de tous les noms ; c'est dans le contrat.

Florilège de ses phrases favorites pour les aficionados : « Tu te calmes », « J'aime pas trop les enfants », « Tu sais que si je m'assoie sur toi, tu décèdes dans 5 secondes », « Les grands, vous prenez les petits et vous les lancez en l'air. », « Vous êtes des malades », « Ambiance de merde »…

Début de tournée et 6ème représentation pour ce nouveau spectacle (3ème création après Réalité ou illusion ? et Mystéric) qui est en rodage et cherche sont rythme (ce qui est logique et pardonnable pour des débuts). Ce qui interroge le plus ce sont les choix du répertoire et leur imbrication, ainsi que la direction artistique.

Magic Délirium c'est un peu un délire qui part dans tous les sens, que l'équipe d'Eric Antoine a du mal à maîtriser. Pas de tour marquant, des idées « technologiques »à la traine (caméra sur scène, retransmission des coulisses, utilisation des réseaux sociaux, etc. Les américains n'ont pas attendus Eric Antoine pour explorer tout cela bien avant lui et de façon plus virtuose).

Un spectacle loin d'être emballant qui sous ses airs d'aborder de nouvelles voies recycle méchamment les précédentes créations de son auteur et « pille » les idées d'autres illusionnistes. Un spectacle « monstrueux »à l'image de l'affiche qui reconstitue le portrait d'Eric Antoine constitué d'objets hétéroclites, inspiré des anamorphoses plasticiennes de Bernard Pras. Mais c'est peut-être le but recherché ? Expérimenter une certaine forme d'hystérie spectaculaire qui colle assez bien au personnage du « plus grand magicien de France » quitte à laisser de côté l'unité et la cohérence et de perdre certains spectateurs dans la nébuleuse de l'esprit tortueux de l'illusionniste. On n'est pas loin d'un ratage artistique en règle, mais un ratage assez fascinant au vue de l'ambition démesurée de son auteur qui reste un comédien de stand up avant tout.

A lire :
-Son interview.
-son spectacle "Satisfait ou remboursé".
-son DVD "Réalité ou illusion ?".
-son spectacle avec Otto Wessely.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

ELASTIC / ARTISTO

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Clown liégeois autodidacte, Stéphane Delvaux alias Elastic est un phénomène. Touche à tout, il manie aussi bien le mime, la magie, le jonglage que la performance. Son univers se situe entre le music-hall et le cirque, entre la comédie et l'absurde, entre le burlesque et la prestidigitation. Cet artiste multicarte est connu pour son fameux saut à l'élastique horizontal. Une entrée irrésistible unique au monde !

Le saut à l'élastique

Sur une musique d'entrée des athlètes, Elastic tire un élastique de « jardin à cour » et disparaît derrière le rideau. D'un coup, il traverse la scène dans l'autre sens comme une balle. Un peu chamboulé, après avoir tiré un peu trop sur la corde, Elastic revient sur scène en rigolant bêtement pendant une bonne minute. Il mime son saut improbable à l'horizontal et termine par «…Voilà, merci ! » Le public est déjà dans le bain !

Echauffements

Elastic commence par échauffer ses doigts en les faisant craquer, puis les étirent à la façon des magiciens (phalanges pliées et pouce sauteur). Muni d'un cerceau jaune, le comique va poser les règles et les bases du spectacle « spectaculo », du public « publico » et de l'artiste « artisto ». A chaque passage dans le cerceau, le public applaudit, ce qui donne tout de suite l'ambiance de la soirée. L'artiste se permettant, au passage, quelques petites blagues pour taquiner la salle.

Le fakir troué

Sur une musique de mambo, Elastic arrive avec un panier de ballons longilignes gonflés. Pendant sa chorégraphie, les ballons se dégonflent tout seul. Il revient alors avec un second panier et confectionne, dans la traditionnelle sculpture sur ballon, un chapeau d'indien, un arc et une flèche ; qu'il lance.

Coup de gong et changement de personnage en la figure d'un karatéka, ou plutôt d'un « Karaté-Kata-Kiri » (le chapeau d'indien étant mis à l'envers). La flèche devient une épée qui est coupée en deux, sans que le ballon ne se dégonfle. Elastic se fait ensuite hara-kiri avec les deux morceaux qu'il place de part et d'autre de son buste.

Coup de gong et apparition d'« el fakir » et de la « magia ». Elastic explique qu'il va avaler un ballon gonflé, comme un sabre. Il s'exécute et sa posture est un poil raide, ce qui lui permet quelques facéties. Il essaye de redresser sa tête mais n'y arrive pas. Quand tout à coup la pointe de l'épée apparaît par un autre orifice situé plus bas !

Cette séquence de « ballonneur » détourne le coté spectaculaire du transformisme en utilisant des objets minimalistes et rudimentaires. L'artiste mise tout sur sa capacitéà camper un personnage en utilisant des gestes et des mimiques précises tel un mime.

L'élastique n°2

La musique du début revient et Elastic tire une nouvelle fois son élastique de gauche à droite. Arrivé en coulisse, l'élastique casse. On entend un brouhaha monstre et on voit réapparaître l'artiste « emmêlé» puis repartir à jardin.

Le saut de la mort…qui tue

Sur scène sont disposés deux tréteaux, une planche et dessus, une malle placée à la verticale. Elastic pose ensuite une veste en cuir sur l'installation improbable et finit par ajuster une rampe. Sur une musique du générique de Magnum, il annonce son prochain numéro : « El salto de la muerte », un frisson monte dans la salle…

Il chausse sa veste de cuir et des lunettes à un verre, ferme ses 8 fermetures éclair de son blouson une à une (irrésistible), enfile des gants troués, un casque et finit par attacher sa ceinture de sécurité… Il a le « look coco » !

Il part en coulisse. On entend alors un bruit de moto ; arrive sur scène un monocycle avec dessus, notre cascadeur du dimanche. Une image surréaliste et drôle. Elastic mime le motocycle en tenant un guidon imaginaire et en produisant des bruits de sa bouche. Il s'arrête, regarde le public, lance trois clins d'œil et repart. Tout à coup, il se casse la figure en avant, dans un beau gadin, et fait semblant d'avoir mal à la cheville. Un technicien vient lui porter secours, c'est Fabricio. L'assistant raccompagne Elastic en coulisse ainsi que la vespa (le monocycle).

2ème tentative du « saut de la mort », mais au naturel (sans accessoires) «à ne pas confondre avec le naturisme » dixit Elastic. Le public tape dans ses mains pour encourager l'artiste qui danse au rythme des applaudissements et fait tomber un des tréteaux ! Il se remet en place, franchit la rampe et monte en équilibre sur la malle, la tête en bas. Il se remet alors debout mais glisse et tombe à cheval sur la malle : « Il n'y a pas de problemo… Artisto ». On a quand même mal pour lui…

Flypo, le raton laveur

Elastic amène une boîte avec écrit dessus « FLYPO ». Il l'ouvre et en sort un gobelet en plastique rouge qu'il clipse à sa ceinture. Il sort ensuite le fameux Flypo qui s'avère être un raccoon. Celui-ci dit bonsoir au public en soulevant un sourcil. S'inspirant sans le copier du numéro déjanté de David Williamson, Flypo le raccoon va divertir formidablement le public grâce à sa vivacité.

Elastic demande à une « señorita » du public de venir donner un sucre à Flypo. Comme son nom l'indique, Flypo est complètement flippé. Il a le trac et essaye de se cacher à la moindre occasion. L'artiste l'amadoue avec du sucre, puis décide de l'hypnotiser pour le calmer. Ne parvenant pas à l'endormir, il emploie la méthode forte en le frappant contre la boîte ! Elastic panique car l'animal ne se réveille plus malgré différentes tentatives : sucre passé sous son nez et klaxon au raz des tympans ! Finalement, il le réanime, en lui pratiquant le bouche-à-bouche. Flypo se réfugie le nez dans le gobelet, puis son maître le range dans la mallette en se coinçant le pouce (gag du gros pouce).

L'élastique n°3

La musique du début revient ainsi qu'Elastic qui tire une nouvelle fois son élastique de gauche à droite. Arrivé en coulisse, l'élastique casse et par avec un bras à jardin. L'artiste revient sur scène et replace son bras à l'envers en le « revissant ». Il réalise alors un truc de magicien qui consiste à montrer un bras plus long que l'autre en position horizontale.

Le cerceau

Elastic joue de nouveau avec le public en utilisant le cerceau du début. Il passe son index dedans et le public applaudit. Il lance ensuite le cerceau sur le sol et il revient deux fois à lui. Au troisième lancé, le cercle part en coulisse et revient sur scène 5 seconde après, dans un effet de décalage. Quatre autres cerceaux défilent alors derrière lui ! Pour finir, Elastic lance le cerceau sur le pied de micro et finit par dire « Artisto ! ».

Le jongleur coincé

Elastic arrive avec une valise sur laquelle est écrit « JONGLAGE ». La valise reste sur place et l'artiste en fait le tour façon mime. Il lâche ensuite les deux mains et elle tient toute seule en lévitation, jusqu'à ce qu'un petit tabouret vienne se placer dessous magiquement.

Il sort de la valise une balle de volley et la fait tourner sur son doigt. Il jongle ensuite avec trois ballons sur une musique kitschissime des années 1980, au son d'un synthétiseur New wave. Elastic range ses trois ballons et sort une valise encore plus petite de la précédente dans laquelle se trouvent trois balles blanches de jonglage, avec lesquelles il jongle. Pour finir, il range ses trois balles et sort une minuscule valise des deux autres avec à l'intérieur, trois balles de ping-pong. Il place les trois balles dans sa bouche et jongle en les éjectant à la verticale.

Face au public, Elastic, la gueule de hamster, essaye de recracher les balles mais n'y arrive pas ! Il reste planté devant le public avec la tronche déformée et un sourire forcé ridicule. Il a un léger « piti problemo ! ». Il demande alors à un spectateur de venir sur scène l'aider et lui montre une affiche de lui-même en baragouinant quelques mots qui s'avèrent être des onomatopées incompréhensibles.

C'est alors qu'un téléphone sonne dans la salle. Elastic descend de la scène et se précipite sur un spectateur en lui arrachant son portable. Il parle à la personne au bout du fil et tape le téléphone sur sa valise, car il ne comprend rien au dialogue qui s'instaure. « Y challait cuper ! » dit-il.

Deux autres personnes sont invitées sur scène, un homme et une femme. Le dialogue est surréaliste. L'homme ne comprend rien et la femme, lorsqu'elle parvient à l'aider, est montrée en exemple à celui qui n'a rien compris. Celle-ci tient la valise du début à l'horizontale sur ses avant bras, tandis qu'Elastic prend un gourdin à l'intérieur et scotch sur le revers du couvercle deux yeux. L'image est plaisante car on voit les pieds de la femme avec un tronc et un visage fabriqué. L'homme, quand a lui, saisit le gourdin et tape sur la tête de l'artiste qui crache enfin ses balles de ping-pong ! Pour les remercier, Elastic fait applaudir les deux spectateurs en leur passant le cerceau autour de leur tête (running gag). Le cerceau est ensuite lancé autour du pied de micro.

L'haltérophile nain

Sur une musique de flamenco, Elastic disparaît derrière un petit paravent et laisse place à un petit homme bizarre. Fesses au public, une figure est dessinée sur son short représentant un haltérophile nain ! Le petit homme veut soulever une barre de poids mais n'y arrive pas. Il a alors l'idée de boire une célèbre boisson énergisante « qui donne des ailes » et soulève sans problème la barre en exécutant des équilibres impossibles avec. Le nain entame alors une danse endiablée devant le public et disparaît derrière le paravent. La séquence est un peu surréaliste, entre le kitsch assumé du personnage et le mauvais goût de la posture.

Le ballon

C'est la touche « Poesia » du spectacle comme l'annonce Elastic. Arrive sur scène un aspirateur. Imaginez de la poésie moderne avec un objet ménager ! Un ballon entre à cour avec lequel Elastic chorégraphie un ballet improbable ; dirigé et aspiré par le manche de l'aspirateur. Le petit ballon part en coulisse et revient sous la forme d'un gros ballon de baudruche. Suit une séquence muette très influencée par la scène du Dictateur de Charlie Chaplin. Le ballon éclate, ne reste plus que des lambeaux dans les mains de l'artiste ; qui place tous les bouts dans l'aspirateur. Le couvercle de la machine s'ouvre et réapparaît le ballon, qui se regonfle tout seul. La dernière image montre Elastic repartant avec la baudruche luminescente en coulisse.

L'élastique n°4

La musique du début revient ainsi qu'Elastic qui tire une dernière fois son élastique de gauche à droite. Arrivé en coulisse, l'élastique reste à l'horizontal et l'on voit défiler, à contre sens, les vêtements de l'artiste un à un : chemise, pantalon, bretelles, chaussette et slip ! Elastic revient sur scène nu comme un ver, puis se pare d'une serviette sur laquelle est écrit le mot « FIN ».

Conclusion

Pendant une petite heure, Stéphane Delvaux nous divertit avec intelligence grâce à son sens du gag millimétré. Avec du matériel réduit au minimum, il en fait des tonnes ! Ses mimiques touchent à coup sûr le plus réfractaire des spectateurs. Comment résister à son univers décalé, à son personnage sympathique et foutraque ? Artisto est ponctué d'un vrai « fil rouge », ou plutôt d'un élastique, qui revient comme un boomerang rappeler la facilité de l'artiste à passer d'un registre à un autre.

Toutes les saynètes sont à mourir de rire, même si, à la fin, le spectacle se dirige vers une poésie un peu convenue. Artisto est bel et bien un vrai spectacle populaire, unique, qui précipite les grands comme les petits dans une euphorie de rigolade. Un bon antidépresseur par les temps qui courrent…

A lire :
- Le passage d'Elastic lors du Congrés de la FFAP 2007 à Angers.

A visiter :
-le site de l'artiste.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Petit Recueil des CITATIONS MAGIQUES 5

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1. Seul l'effet compte.

2. Tout dans un numéro de magie doit être pensé en terme d'efficacité, de divertissement et de spectacle. (Henning Nelms)

3. La structure fondamentale d'une illusion est : attirer l'attention / introduire l'illusion / formuler le thème / démarrer / préliminaires / instructions / action / effet / dénouement. (Henning Nelms)

4. L'important n'est pas la surprise mais le mystère qui accompagne le tour (en récapitulant tout ce qui s'est passé). (Robert Houdin)

5. Faire ce qu'on ne dit pas. Dire ce qu'on ne fait pas. (Dr Jules Dhotel)

6. Traiter sans conséquence les objets préparés. (Dai Vernon)

7. Si vous empruntez vos accessoires, ceux ci ne seront pas soupçonnés. Si vous ne pouvez le faire, utiliser des objets ordinaires et courants s'en attirer l'attention dessus. (Henning Nelms)

8. Si on utilise des éléments truqués, il faut qu'à la fin du tour, le spectateur est quelque chose d'autre à se mettre sous la dent, pour décentraliser son esprit, de « l'objet du délit ». (Jarle Leirpoll)

9. Toujours induire les choses et non les imposer au spectateur.

10. Il ne faut pas montrer vos mains vides, il faut donner aux spectateurs l'occasion de voir vos mains vides. (Salvano)

11. Amener les gens à demander eux même l'objet qui n'est pas truqué au lieu de leur donner, car cela renforce l'effet d'innocence du magicien. (Jarle Leirpoll)

12. Dans un tour tout doit être justifier !. Donner une raison et du sens aux passes et techniques : pourquoi la carte voyage ?, pourquoi elle se transforme ?, pourquoi telle manipulation au lieu d'une autre ?, pourquoi « jouer » avec 52, 20, 10 ou 4 cartes ?...) (Duvivier)

13. Motiver chaque action. Une motivation est une raison plausible justifiant une action exécutée par un individu donné, et non une excuse. Un geste non motivééveille la curiosité des spectateurs. Convaincre les spectateurs que la motivation existe. (Henning Nelms)

14. Dans le monde réel chaque effet doit avoir sa cause, et toute cause suffisante doit produire son effet naturel. Ne rien laisser se produire sans qu'apparemment une cause substantielle ne produise apparemment un effet conséquent. La moindre cause doit être justifiable. (Nevil Maskelyne)

15. Il faut donner un sens à sa magie. Les grands classiques de la magie n'ont pas de sens, c'est pour cette raison que beaucoup de gens trouvent les tours ennuyeux. Ils ont le sentiment qu'un divertissement quel qu'il soit, devrait avoir un sens. Lorsqu'ils n'en trouvent pas dans un tour, ils baillent. (Henning Nelms)

16. Chaque détail, accessoire et fortuit doit être tenu dans le cadre que l'on s'est fixer et en harmonie avec l'impression générale que l'on veut donner. (Nevil Maskelyne)

17. Le plus dur dans un numéro n'est pas de rajouter ou de trouver des choses ; mais de les enlever et d'épurer le numéro au maximum. (Lance Burton)

18. Tout ce qui n'ajoute rien à un sujet quelconque le diminue. (Aristote)

19. Bien souvent, trop souvent, les magiciens veulent en faire trop ; pour rajouter des effets extraordinaires à leurs routines par des techniques de haut niveau. Il faut chercher la cohérence dans les effets sinon le spectateur ne se souvient plus du début, s'emmêle, ne comprend pas ce qu'on attend de lui ; c'est un spectateur en moins et le fils se casse entre lui et le magicien.

20. Une technique sans gestes inutiles est le premier facteur de l'effet optimal. (Ascanio)

21. Si quelque chose n'est pas important pour l'effet, il faut le rendre invisible. Simplifier au maximum, éliminer les mouvements superflux. (Gary Kurtz)

22. Ce n'est jamais la rapidité d'une manipulation qui dissimule une passe mais leur coordination parfaite. L'illusionniste doit acquérir l'indépendance parfaite entre les diverses manipulations qu'il peut avoir à accomplir simultanément, afin de tromper son public. L'œil doit être capable d'ignorer ce que fait la main qui travaille à l'aveuglette. La puissance du regard est essentielle ; mais ce doit être tous les organes qui deviennent indépendants. (Jean Hladik)

23. La technique doit sembler être absente, l'absence de lourdeur dans les mouvements est essentielle ; rendre l'ensemble agréable à l'oeil (par l'amplitude par exemple).

24. Ce sont les tours les plus simples qui marquent le public.

25. Ce sont les choses les plus simples qui touchent le public. Les tours dont l'effet est compliqué n'amène que la confusion. La chose la plus difficile c'est d'avoir l'idée la plus simple. (David Copperfield)

26. Un bon effet magique fait généralement rire les spectateurs. (Earl Nelson)

27. Il n'y a pas de bons ou de mauvais tours, il n'y a que des tours bien ou mal présentés.

28. Ce n'est pas la durée du spectacle qui importe mais son rythme. Varier les rythmes c'est surprendre, c'est amener le spectateur dans une direction inattendue, ne pas lui permettre de rentrer dans un cycle d'ennui. Le silence n'est pas neutre, le repos n'est pas de la non action, il est comme le silence, une invitation à mieux vivre son monde intérieur sans se préoccuper du monde extérieur. Ils permettent tous les deux de créer des bouffées d'air frais qui cassent un rythme et font vivre de manière plus intense une action. Le travail des contraires est toujours très enrichissant. Je suis pour les changements d'états d'âmes. (Carlos Vaquera)

29. l'art de la mise en scène peut se définir comme la capacité de transformer un tour que l'on pourrait trouver quelconque, en miracle. (Edward Maurice)

30. Le meilleur magasin de magie pour moi, c'est Bricorama. (Gaétan Bloom)

31. Un truc aura beau être aussi étonnant que possible, il partira toujours d'une tare majeure : l'absence de signification. (Henning Nelms)

32. La seule raison d'être d'un truc, c'est de proposer un problème au spectateur et de les mettre au défi d'en trouver la solution. Il est probable que les casse-tête magiques ne passionnent vraiment que les véritables amateurs férus de ce genre de problème. Le but principal d'un faiseur de tours c'est de mystifier le public pour qu'il n'en saisisse pas le « modus opérandi ». (Henning Nelms)

33. Un artifice n'est qu'un moyen et non une fin en soi. Sa seule fonction consiste à permettre la réalisation de l'effet, et n'a pas de valeur intrinsèque. La première des qualités c'est l'efficacité. L'artifice qui ne réussit pas à réaliser l'effet de façon convaincant est absolument dénué d'intérêt. Si une méthode n'est pas raisonnablement indécelable, mieux vaut en chercher une autre. (Henning Nelms)

34. Les expériences sont plus divertissantes que les démonstrations. Elles donnent aux spectateurs un sentiment de participation. Elles introduisent un élément d'incertitude qui possède un potentiel dramatique inhérent. Une expérience qui échoue peut quand même être intéressante ; une démonstration qui échoue tombe simplement à plat. Les expériences sont également plus convaincantes. Elles permettent une plus grande utilisation de la suggestion et réduisent l'impression que celui qui les présente est simplement en train de faire des tours. (Henning Nelms)

35. Pourquoi tant de tours dans votre sac alors que vous n'en montrez que quinze. Alors que ces quinze tours fassent partie de vous et que l'on vous reconnaisse par ces tours et vous serez des magiciens.

36. Seul la conviction, la mise en scène, l'histoire que l'on raconte font qu'un tour est bon ou mauvais ; et bien des effets dévastateurs dans l'esprit du public sont construits à partir de techniques très simples, parfois connues de tous. C'est l'aplomb du magicien et le scénario proposé au public qui permettent de transformer un tour connu de tous en un petit miracle.

37. Vous donnez la meilleure impression possible lorsque vous présenter un numéro qui se tient, qui est construit autour d'un thème défini et traité de manière harmonieuse et cohérente d'un bout à l'autre. Plus les spectateurs sont captivés par une représentation, et plus ils sont susceptibles d'être brusquement ramenés à la réalité par un détail qui ne cadre pas avec l'illusion. Il ne faut négliger aucuns détails et éviter les digressions. (Henning Nelms)

38. La présentation fait ressortir le sens d'un numéro et lui donne une valeur qu'il n'aurait pas autrement. C'est du sens que naît le drame. Si nous voulons ajouter à la magie la puissante magie du sens, il faut que nous apprenions à dramatiser nos présentations en leur donnant un sens. (Henning Nelms)

39. Le terme « magie » ne s'applique qu'à des phénomènes en rapport avec la sorcellerie, l'alchimie, l'envoûtement, les fées, les superstitions et autres fantasmagories. Bien que la prestidigitation ne soit nullement limité aux thèmes relatif à« la magie noire », ce sont néanmoins ces derniers qui sont de loin les plus communs. Dans une histoire la magie remplie toujours un but précis. Il faut donc tenir compte de cette « véritable magie » en étudiant son folklore par exemple. (Henning Nelms)

40. Produire un effet magique d'une conception originale est un Art noble ; Il imite la puissance de la vraie magie par des moyens et des méthodes conçus par l'artiste qui le produit. Reproduire un effet magique, exactement comme l'a déjà conçu et exécuté un artiste magicien, est de l'Art faux ; On imite simplement l'imitation initiale. La caractéristique principale qui distingue l'Art normal et l'Art faux, est que le premier concerne des capacités personnelles alors que le second concerne l'utilisation des capacités des autres. (Nevil Maskelyne)

41. Des gens copient. Ils voient quelqu'un faire un tour et ils copient. Moi je fais ma propre version. Ce n'est pas bon de copier, car quand quelqu'un crée quelque chose, c'est sa propre création. Celui qui cherche à le copier ne connaît pas son raisonnement, ce qu'il y a derrière l'effet. Il ne connaît pas le sentiment du créateur. (Dai Vernon)

42. Les magiciens se satisfont souvent de peu. L'engagement à créer une nouvelle magie, à faire progresser cette forme d'art, constitue la chance de la magie pour devenir meilleure. (David Copperfield)

43. Le secret est de considérer que rien n'est impossible, alors tu commences à traiter les possibilités comme des probabilités. Il n'y a pas de limites, on peut toujours aller plus loin. (David Copperfield)

44. Quand on innove, on a le droit de se tromper et on mérite la plus grande indulgence. En revanche ceux qui copient ne méritent que sévérité et ne sont supportables que dans la perfection. (Duraty)

45. Si l'œil est entièrement conquis ne rien ou presque rien donner à l'oreille ; On ne peut être à la fois tout œil et tout oreille. Ce qui est pour l'œil ne doit pas faire double emploi avec ce qui est pour l'oreille. (Robert Bresson)

46. Si le visuel est fort le texte doit être minimal (et inversement).

47. L'image a la faculté de laisser les spectateurs voyager dans leur imaginaire. Les mots eux renferment la représentation sur un sens. Par contre le son importe beaucoup plus que le contenu. Les sons sont aussi une sorte de matière première, au même titre que les images. (Philippe Genty)

48. Toujours travailler en dessous de ses capacités.

49. Un bon tour est plus fort que dix tours bâclés. (Dai Vernon)

50. Effectuer des effets par groupe de deux ou de trois pas plus. (Michael Ammar)

51. Fabriquer des tours qui s'adaptent aux lieux, à différents espaces (debout, assis, allongé, voiture, train, salle d'attente...). (Duvivier)

52. Il est primordial que le tour d'entrée s'accorde avec votre personnage, et donne le ton général de celui-ci. Il n'est rien de tel que l'inattendu pour capter l'attention, et si le tour d'entrée accomplit cela, il remplit parfaitement sont rôle. Le deuxième effet doit suivre le premier de très près (maintenir l'illusion dramatique). Ce deuxième effet doit permettre au magicien de mettre en valeur toutes les facettes de sa personnalité. Il sert à confirmer la première impression que les spectateurs se sont fait du magicien, à les renforcer dans leur opinion qu'il est bon. (Edward Maurice)

53. Faire apparaître des cartes, faire voyager des foulards et des lapins à l'époque de l'ordinateur et des voyages intersidéraux, ça étonne de moins en moins de gens sauf si on y ajoute une dimension humaine ; et cela peut être le charme, le suspense, le danger, la comédie ou l'humour. (Duraty)

54. Pour éviter les stéréotypes et essayé de surprendre le public, il ne faut plus penser un numéro en fonction des tours mais d'inverser la démarche et de penser les tours en fonction des numéros. Faire abstraction de toutes vos connaissances, faire table rase. Ainsi, on peut créer dans des conditions favorables, un numéro personnel qui sort des sentiers battus. (Duraty)

55. Pour « le table en table » ou la magie de rue il faut travailler au maximum en « stand-up » (debout) sans support, en « angle proof » (pas d'angles dangereux) et enchaîner environ 3 tours (qui constituent une routine). Le tour d'ouverture doit être rapide et attirer l'attention des spectateurs, l'épilogue doit, lui, laisser une marque indélébile et le « scotcher » (en lui laissant si possible un souvenir matériel : une carte signée ou en lui rendant sa pièce qui a servie pour le tour, puisqu'elle est maintenant magique).

56. L'effet flash est toujours un effet visuel, où lorsque l'on regarde, la situation semble normale, puis en un instant un non sens se présente avec l'impossibilité de l'analyser. (Jean Gabirot)

57. La magie pour enfant doit être ludique, féerique et visuelle. Elle doit tendre vers la théâtralité. Dans leur monde la magie va de soi ! Il est très difficile de tromper un enfant qui a une observation directe et remarque plus de choses. Il n'a pas ou peu accès aux raisonnements abstraits d'un adulte.

58. Réaliser des tours très simples pour les magiciens ; il faut détruire leurs couloires mentaux, leurs connaissances, et déstructurer leurs attentes (ainsi le magicien est aussi perdu que le profane).

59. La magie impromptue est celle qui revêt le plus d'intensité magique ; de la magie pure non préparée (qui semble telle) , de la vraie magie pour les spectateurs. Il faut que cette magie utilise un objet de tous les jours appartenant à monsieur tout le monde. Ainsi les « accessoires » ne semblant pas vous appartenir renforce l'effet magique par 2. Un vrai magicien doit pouvoir faire de la magie partout, n'importe quand et avec n'importe quoi.

60. Pour introduire une illusion impromptue, il faut amener la conversation sur un sujet ayant rapport à l'illusion. Encourager les spectateurs à participer à la conversation de façon à augmenter leur intérêt dans le sujet. Essayez de faire naître une discussion entre eux, et amenez là sur le point particulier que vous voulez démontrer. Si possible, essayez d'amener quelqu'un à vous mettre au défi de faire la preuve du pouvoir dont vous parlez. (Henning Nelms)

61. Travailler l'axe ; s'ouvrir et n'on pas se refermer. (Vallarino)

62. Le seul critère pour mettre au point un tour d'entrée : il doit créer un problème, poser une question. Il s'agit bien de se révéler suffisamment intriguant avant même que le premier effet ne se soit produit.

63. Les tours doivent être visuels et rapides (la magie est avant tout un art du visuel). Eviter d'ennuyer les gens avec des histoires trop longues (réservé ce genre en cas de demande).

64. Avec un bon contrôle, un bon empalmage et une bonne levée double, on fait des miracles. (Harry Lorayne)

65. Si le magicien maîtrise une douzaine de passes, il sera en mesure d'exécuter 9 tours de carte sur 10. Il vaut mieux en maîtriser peu à la perfection que d'en connaître une centaine approximativement. (Henning Nelms)

66. Ne jamais présenter deux fois de suite le même tour. En effet si les spectateurs savent exactement en quoi va constituer le tour, ils seront cette fois ci beaucoup plus attentifs en essayant de « démonter » le tour. L'effet de surprise sera nul. Quand on connaît une histoire à quoi bon la raconter une deuxième fois ? (comme une blague).

67. L'avenir du close-up sera les tours debout et le mentalisme. (Pierre Guedin)

68. Ne jamais présenter une chose dont-on n'est pas sûr à 100%.

69. Je pense que certains amateurs qui n'ont pas assez répété et qui veulent se produire à tout prix, ternissent l'image de la magie. Ils vont faire un numéro qui va rater, le public sera pathétique et l'organisateur dira : « Un magicien ! Ah non, plus jamais ! ». Dans cette mesure là, ce ne sont pas les amateurs qui font du mal à la magie, ce sont les mauvais magiciens. (Jean Merlin)

70. C'est une erreur de penser qu'on peut essayer les trucs dans les spectacles de moindre notoriété. Pour éviter la formation d'une mauvaise habitude, il est mieux de ne rien faire que de faire mal. Alors il faut acquérir les habitudes d'une parfaite présentation avant de se présenter en public. Si nous voulons tout faire sans préparation, nous risquons de créer des vices d'exécution qui tendent à se révéler quand nous sommes face au public. (Serip)

71. Un tour n'est jamais acquit totalement, il est en perpétuel devenir.

72. On s'arrête toujours de penser trop tôt. (Dai Vernon)

73. Faîtes en sorte que les plus vieux tours de magie paraissent neufs aux yeux du public. (Jacques Delord)

74. Etablir un contact direct avec le public comme s'il ne s'agissait que d'une seule personne, par l'oeil, le regard, la direction du geste, les sonorités de la voix. Chaque spectateur doit se sentir directement concerné, je dirais isolément. (Jacques Delord)

75. De tout ce qu'on fait, ce qui est le plus séduisant, c'est de réveiller les archétypes qui sont dans l'inconscient collectif. Vous avez, par exemple, la corde. C'est un archétype que vous retrouvez dans toutes les traditions. La corde est magique et symbolise plein de choses différentes. Et chacun d'entre nous a, dans son fonds archaïque, la conscience de cet archétype. Et quand les individus sont réunis dans une salle, face à la corde, l'archétype, lui, triomphe. Et c'est ça la magie. (Jacques Delord)

76. Bien sûr que la technique ne suffit pas à créer l'illusion. Elle lui est cependant indispensable dans la mesure où elle sait être invisible. Ayant éliminé la marque de l'effort, la technique a atteint la sublimation. C'est alors le bonheur de l'illusion. (Jacques Delord)

77. Choisir ses objets de manipulation et y entraîner ses doigts, inlassablement. Et avec amour. Amour de sa main. Amour de l'objet. Amour du plaisir de toucher l'objet. Union et fusion entre l'objet et la main. Echange et unification. Le prestidigitateur de talent est celui qui a su réunifier sa main à l'objet, l'objet étant l'élément mâle, la main, l'élément femelle. De cette union parfaite naît la magie, suprême récompense. (Jacques Delord)

78. Manipulez inlassablement jusqu'à ce que le miracle se produise entre vos doigts. (Jacques Delord)

79. Il n'y a pas de technique valable si elle n'éduque pas les doigts au toucher sensible et ne s'empresse aussitôt de disparaître au profit du rayonnement de l'art. Qu'est-ce-qu'un miracle, en effet, sinon un tour de magie sans artifice et sans truc. (Jacques Delord)

80. Imprégnez-vous du phénomène magique à créer et oubliez progressivement technique et fake. Plus tard, lorsque vous exécuterez le tour, vos gestes auront été tellement répétés que vous n'aurez plus à surveiller vos mains, elles agiront toutes seules ; vous vous concentrerez alors tout entier sur votre relation complice avec le public et l'histoire à raconter dont les mots, aussi, viendront naturellement dans l'ordre choisi comme s'ils naissaient au rythme de vos doigts. (Jacques Delord)

- Première Partie : QU'EST CE QUE LA MAGIE ?

HOMMAGES AUX ESCAMOTEURS 5

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Extrait des Aventures comiques par J.H.M (Marseille, imprimerie de Baudillon, 39 rue Coutellerie).

Ça ne tient plus un fil au bout de quatre jours. Qu'il soit comme il voudra, travaillez-le toujours. En effet, le fripier me prit soudain mesure. Vous me le promettez ? Pour demain je vous jure. Je sors, mais en jurant comme un vrai-possédé contre les scélérats qui m'avaient attrapé. Réfléchissant tout seul à mon cruel malheur.

J'arrive en promenant près d'un escamoteur. Il avait rassemblé, avec un vieux tambour, quantité de bourgeois placés à son entour. Afin de mieux voir, j'approche dans la foule. Je vis escamoter une petite boule.

Je m'étais approché, j'étais placé très-bien. Je me crevais les yeux et je ne voyais rien. Je m'écrie à l'instant : oh c'est inconcevable ! Je crois que ce faquin fait pacte avec le diable ! C'est un maudit sorcier qui s'amuse en ces lieux et qui nous jette à tous de poudre-dans les yeux.

Mais quoi ? Ce n'est pas ça. Grand Dieu ! Quelle épouvante. Je tâte mon gousset, ma montré, elle est absente ! Satre coquin de sort ! Vit-on chose pareille ! Il n'est donc plus permis de rester dans Marseille ? On vient de me souffler une montre de cuivre qui valait pour le moins plus de vingt-une livre.

Oui, c'était un bijou. Rien ne là dérangeait. Elle semblait de l'or quand on la fourbissait. Même le sacristain, qui près de chez moi loge, venait me l'emprunter pour régler son horloge. Un chacun me vantait ce bijou sans pareil. Qui, par un cas fortuit eût réglé le soleil. Et dans Marseille il faut qu'un fripon me l'enlève !

Ah ! S'il ne me la rend, de désespoir je crève. Té, té, té, suis-je sot d'avoir tant de chagrin. Voilà comment on est quand on est pas plus fin. A présent je vois bien que notre escamoteur m'a joué ce tour-là pour faire son farceur. Allons, que je lui dis : finissons de jouer parce que vous pourriez la faire déranger.

Ce n'est pas un objet qu'on trouve de rencontre. Ainsi dépêchez-vous à me rendre ma montre. Savez-vous le coquin ce qu'il me répondit ? Que j'étais un vieux fou, que je perdais l'esprit. Qu'il n'avait point touché ni montre ni pendule et de me retirer vu que je le canule.

Je soutenais toujours, vu que j'avais raison. Mais tous les assistants me soutenait que non. Je m'éloigne aussitôt de cette forêt noire car ils s'entendaient tous comme larrons en foire. Pour passer mon humeur et guérir mon envie, Je décidais de voir un peu la comédie…

LE TABLEAU LANCÉ DANS L'ESPACE

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Prendre en compte l'héritage de la tradition pyrotechnique dans les arts d'avant-garde revient à tracer une généalogie occulte. Dès sa diffusion en Occident, au XIVe siècle, l'art de la lumière a naturellement pris place parmi les arts mécaniques. Les premiers manuels d'artificiers mentionnant un ars ludens distinct de l'usage militaire des explosifs paraissent dans la première moitié du XVIe siècle en Toscane (1). Depuis l'irruption des machines pyrotechniques dans le théâtre de la Commedia dell'Arte au XVIe siècle, jusqu'aux somptueuses fêtes de lumière qui triomphent dans les grandes villes européennes au XVIIIe, on assiste à la progressive codification d'un langage visuel. Les traités consacrés à l'usage festif de l'art pyrotechnique attribuent alors aux feux d'artifice le rôle de signifier, ou du moins de s'inscrire dans un contexte représentatif qui leur confère un sens, et canalise leur action au sein d'une situation narrative et symbolique dont ils offrent le climax (2). L'emploi d'architectures éphémères, de décors peints en trompe-l'œil, de machines et de personnages en papier mâché, l'ajout de dispositifs lumineux aux feux d'artifices eux-mêmes, constituent à cet égard des points essentiels. Ils parviennent à doter le spectacle de pyrotechnie de deux qualités déterminantes. Tout d'abord, ces éléments lui apportent une polychromie qui, jusqu'au XIXe siècle, lui fait défaut. Ensuite, ils lui offrent une profondeur optique et des effets d'atmosphère susceptibles de créer un espace perspectif complet, représentation symbolique de l'espace social et politique de la cité. Si les pyrotechnies parviennent ainsi, dès la Renaissance et plus encore à l'âge baroque, à une totalisation festive des arts, l'art de l'artificier en lui-même, demeure de fait une tekné incomplète, l'un des ingrédients seulement du spectacle de lumière.

Feu d'artifices vers 1739.

Les pyrotechnies se sont pourtant révélées un terrain d'inspiration fécond dans l'histoire des arts de l'image. Vision fugitive produite par l'explosion et la dispersion des corps chimiques, le feu d'artifice s'apparente à une forme de pré-cinéma, entendu comme un langage articulé sur l'apparition et la disparition alternées de la lumière. Dès les XVIIIe et XIXe siècles, cet artifice spectaculaire se voit en quelque sorte concurrencer par une utopie qui se fait jour en 1725, formulée par le Père jésuite Louis Bertrand Castel : celle d'un instrument exact, spécifiquement vouéà une « musique pour les yeux » - alliance de la couleur et du mouvement -, le Clavecin Oculaire. Dans le principe de cet instrument, alors resté inachevé, se joue l'idée d'une image en mouvement, produite dans l'éphémère d'une interprétation manuelle comparable au jeu d'un musicien. À l'évidence, le projet du Père Castel se positionne d'emblée dans le champ des arts libéraux, en cherchant à rapprocher la peinture de cet art lié par excellence aux mathématiques qu'est la musique. La tradition des instruments conçus pour la « musique chromatique », qui procède de l'invention de Castel, restera très attachée à cet enjeu essentiel : hisser l'art pictural au niveau de la musique, en écartant toute référence aux arts mécaniques - les feux d'artifice de même que les arts d'ornementation -, où les potentialités de la forme pure se sont révélées de manière anticipée. Un tel positionnement théorique est encore sensible dans certains aspects de la première abstraction qui font de la musique l'objet idéal du paragone. Il se trouve en revanche profondément remis en cause dans les courants artistiques qui prônent une fusion directe de l'art et de la vie, ou s'engagent vers une nouvelle acception, populaire, de la culture d'avant-garde.

Les corps lumineux et la musique oculaire

L'un des aspects les plus significatifs du Clavecin Oculaire est sa vocation à surpasser toute forme de divertissement populaire. Dans les écrits que le Père Castel consacre à cet instrument utopique il n'est pas fait mention des spectacles de pyrotechnie pratiqués à la Cour. Dans un passage de son texte fondateur, la lettre ouverte publiée au Mercure de France en 1725, le père jésuite laisse clairement entendre, en revanche, l'esprit profondément baroque de sa « musique oculaire », appelée à toucher l'esprit par l'agrément des sens. « On aime à voir les couleurs jetées au hasard sur un marbre, sur une tapisserie, & jusque sur un papier marbré, affirme-t-il : laissons ce plaisir au peuple ignorant ; je vous parle ici d'un plaisir qui ne laissera pas d'être fort sensible pour l'ignorant, mais qui sera plein d'intelligence et d'instruction pour l'esprit le plus savant et le plus profond. »(3) Issu d'une esthétique des « passions »éprise de lois d'harmonie universelle, le Clavecin Oculaire doit, selon les termes mêmes de son inventeur, permettre aux «affections de la lumière » d'être en tout point comparables à celles du son (4). Si l'on en comprend la portée dans le cadre du système des arts développé par Castel dans son traité de Mathématique Universelle, il s'agit d'unir un « art de justesse » qui « imite les substances » (la peinture) à un « art de caractère » qui « imite les choses spirituelles » (la musique) (5). Plus significative encore est l'envergure sociale que le jésuite imagine donner à ce nouvel art. « Le peuple aime le spectacle : le clavecin est un spectacle ; et tout l'univers est peuple à cet égard »(6), affirme-t-il dans un texte ultérieur consacréà son invention inachevée. S'avançant encore davantage sur le terrain utopique, il réclame un peu plus loin : « Que tout Paris ait des clavecins de couleurs, au nombre de huit cent mille, on peut, sans se mettre beaucoup en frais d'invention et d'imagination, faire qu'il n'y en ait pas deux qui se ressemblent [...]. Les sourds pourront voir la musique auriculaire, les aveugles pourront entendre la musique oculaire et ceux qui auront yeux et oreilles, jouiront mieux de chacune en jouissant des deux. »(7)

Le projet de clavecin oculaire du père Castel vers 1725.

À l'évidence, Castel brigue pour l'instrument idéal de la « musique oculaire » une propriété qui est alors l'apanage des corps lumineux mis en œuvre dans les feux d'artifice. Il aspire à une dispersion spatiale, opérant une communion généralisée : la communion du ciel et de la terre, par des étoiles faites de la main de l'homme, la communion universaliste du corps social, absorbé dans la contemplation du merveilleux. Toute sa vie, Castel restera hanté par un écueil apparu dans sa comparaison entre la couleur et le son, qui est sans doute l'un des motifs essentiels de l'inachèvement du Clavecin Oculaire. Il s'agit de cet écart irréductible entre la matérialité de la couleur et l'évanescence du son, qu'il expose dans son Optique des Couleurs en 1740, ultime démarche vouée à légitimer sa quête d'une application spectaculaire des correspondances : « La couleur assujettie au lieu, est fixe et permanente comme lui. Elle brille dans le repos, sur une toile, sur une fleur, sur un corps en un mot. Toutes les propriétés, quelques parallèles qu'elles soient aux sons, le sont dans le repos, lors même qu'on les assujettit au mouvement. Car on peut rendre une couleur mobile ; mais mobile avec le corps qui l'assujettit, et toujours en repos dans ce corps ou sur ce corps. »(8)

C'est au XIXe siècle, au moment où l'art pyrotechnique entreprend d'étendre sa palette, ajoutant les rouges et les verts aux dorés et argentés auxquels il était limité jusqu'alors, que l'on commence à le voir définir comme « musique oculaire ». Parmi les nombreux témoignages de l'impact des théories de Castel dans l'Europe entière, figure un traité du peintre italien Pietro di Gonzaga. Peintre de vedute et scénographe forméà Venise, ce dernier avait pris les fonctions de Directeur des Théâtres Impériaux à la Cour de Catherine II de Russie en 1792, après avoir dirigé les scénographies du Théâtre de la Scala à Milan. En 1800, il publie en langue française l'un de ses principaux ouvrages consacrés à la décoration théâtrale : La Musique pour les yeux et l'optique théâtrale, véritable plaidoyer pour une approche visuelle et ornementale des arts de la scène. Ce texte s'achève par une identification directe de la « musique oculaire » aux feux d'artifice : « Il vaut donc mieux revenir aux effets gais, amusants et de finir ce chapitre par un feu de joie ; car ce serait une bévue bien grossière, que de terminer un discours de musique visible, sans toucher à un artifice qui a la plus grande ressemblance avec la musique proprement dite. Les feux de joie unissent aux autres propriétés musicales, que nous avons observées, le grand avantage que rien n'est permanent, et que les combinaisons de leurs formes et de leurs couleurs s'écoulent dans le temps, changent et passent rapidement, comme les sons, les modulations et le rythme musical. Ici la progression successive et le mouvement sont essentiels à la chose, et coopèrent au plaisir instantané des variations. C'est enfin, le clavecin oculaire et la musique des yeux par excellence. »(9)

Ce processus de perméabilité entre les arts majeurs et les arts mineurs, caractéristique de l'époque romantique, s'observe quelques années plus tard jusque dans les manuels d'artificiers, tel le traité pratique Istituzioni di Pirotecnia publié en 1819 par Marcello Calà Ossorio, l'artificier de la Cour de Naples. Parmi les planches de son ouvrage décrivant les techniques du feu d'artifice en Italie, Ossorio insère une figure qui pose l'hypothèse d'un art pyrotechnique parvenu à la précision de la musique : une portée où des fusées prêtes à l'emploi se rangent en suivant le rythme et les intervalles des notes musicales qui les accompagnent (10). Or à cette époque, les seuls « clavecins oculaires » qui semblent avoir été construits et montrés sont encore loin de la couleur évanescente que Castel appelait de ses vœux. Ils fonctionnent avec une rangée de verres contenant du liquide coloré, rétro-éclairés par des chandelles, apparaissant ou disparaissant par l'action de clapets que l'interprète contrôle au niveau des touches (11).

Alexander Rimington et son orgue de couleur en 1893.

Alors que les feux d'artifices se réclament de la musique visuelle, la tradition des orgues de couleurs, elle, continuera, pendant un autre siècle, à se tenir à l'écart d'un art jugé mineur, voué au divertissement. C'est encore le cas lors de la diffusion des moyens électriques, à partir de 1880. Aucune mention n'est faite des feux d'artifice dans l'essai de l'américain Bainbridge Bishop, réputé avoir construit en 1882 le premier orgue chromatique fonctionnant avec une lampe à arc (12). Les diverses publications successives du paysagiste anglais Alexander Wallace Rimington, qui fait breveter son propre instrument en 1893, révèlent quant à elles une démarche presque anachronique, aux prises avec une codification académique de la « Colour Music. »(13)

Explosion de la peinture, cinétisme de la couleur

Si les feux d'artifice apparaissent parmi les métaphores dominantes de la première abstraction, tant dans le champ de la peinture que dans celui du cinéma, c'est précisément en raison de cette propriété unique que le Père Castel recherchait à atteindre dans la musique des couleurs : la mobilité de la couleur elle-même, plutôt que celle de son support. Le processus explosif de l'image pyrotechnique, qui libère la couleur dans l'acte même de destruction du corps qui la contient, est sans doute ce qui la rapproche le plus des enjeux picturaux qui se font jour au tournant du XXe siècle. La métaphore de l'embrasement, déjà présente dans la peinture de la fin du XVIIIe siècle, qui se référait à la notion de « sublime »à travers une multitude de thèmes liés au feu, cède alors le pas à une métaphore de l'explosion. Dans le premier cas, la représentation picturale se consume. Dans le second, elle vole en éclats pour libérer de son support une couleur pure, atomisée.

C.W. Leadbeater and Annie Besant, Thought Forms (1901).

Il y aurait beaucoup à dire sur le principe du « décollement » optique de la couleur, qui figure parmi les premiers outils de l'abstraction. L'usage du fond noir comme « repoussoir » de la couleur s'est notamment affirmé comme trait caractéristique, entre 1905 et 1907 chez l'un des fondateurs de la théorie abstraite moderne, Vassily Kandinsky. Dans un ensemble d'oeuvres figuratives de thématique symboliste, traitées en points de couleurs sur fond sombre, le peintre russe s'est appliquéà faire naître le motif sans l'intervention du dessin, par de simples effets d'agglomération des points colorés. « Le noir, affirme-t-il dans Du spirituel dans l'art publié en 1912, est extérieurement la couleur qui manque le plus totalement de sonorité, sur laquelle toute autre couleur, même celle dont la résonance est la plus faible, sonne plus forte et plus précise.»(14) Et de constater que, sur un fond noir, une couleur particulièrement lumineuse tel le jaune « se détache littéralement de l'arrière-plan, plane et saute aux yeux. »(15) Autrement dit, l'abandon du dessin et l'atomisation de la couleur sur fond sombre ramènent la représentation à une vision qui oscille constamment entre figuration et abstraction. Comparables aux effets de l'explosion pyrotechnique, les images symbolistes de Kandinsky mettent en œuvre les facteurs d'un nouveau langage chromatique. C'est une propriété sonore qu'il s'agit pour la peinture de s'annexer, propriété conduisant à désolidariser la couleur de l'objet fixe et circonscrit.

Improvisation n° 27 de Wassily Kandinsky (1912).

Si le positionnement théorique de Kandinsky, ancré dans la tradition humaniste des traités de peinture, exclut a priori une équivalence terme à terme entre la peinture « sans objet » et les arts mineurs (l'ornementation en particulier), son œuvre ne manque pas d'être lue, quelques années plus tard, à la lumière de la tradition pyrotechnique. Il est intéressant de relever que ce détournement naît d'un regard américain porté sur la modernité picturale européenne. En 1913, lors de la tournée américaine de la fameuse Armory Show, de New York à Chicago puis à Boston, l'un des tableaux les plus remarqués est la peinture de Kandinsky, actuellement conservée au Metropolitan Museum, Improvisation n° 27, de 1912. Le collectionneur et critique d'art Arthur Jerome Eddy, qui s'en porte immédiatement acquéreur, déclare son admiration pour le peintre russe d'une manière inattendue, lors d'une conférence publique. Prenant le contre-pied de l'opinion commune, Eddy se livre à une lecture vigoureusement populaire d'un art qui passait alors pour une élucubration hermétique : «À mon sens, clame-t-il, ces peintures sont comme une explosion de feux d'artifice. Et comme j'aime les feux d'artifice, j'ai acheté une ou deux chandelles romaines. J'ai l'intention de passer un grand moment en les faisant exploser devant mes amis. »(16)

La métaphore d'une destruction festive, faisant éclater le carcan de la représentation, est aussi portée, chez Kandinsky, par la notion d'« improvisation » et le caractère performatif qui lui est associé. C'est sur ces deux aspects, la « musique visuelle » et l'« improvisation » que Arthur Jerome Eddy articulera plus sérieusement son argumentation, dans l'essai qu'il consacrera à la peinture moderne européenne, Cubism and Post-Impressionism, l'année suivante (17) . On peut relever que la division de la couleur en particules sur fond noir a aussi été utilisée par d'autres peintres concernés par la création d'une nouvelle vision picturale, quoique de manière moins systématique. Robert Delaunay, en phase de dépassement de la technique néo-impressionniste, offrait par exemple en 1906 avec Paysage Nocturne (Le Fiacre), une déréalisation des lumières de la ville. Le compatriote de Kandinsky, Mikhaïl Matiouchine, développera quant à lui, en 1918, des Constructions Picturo-musicales basées sur la dispersion bord à bord d'une couleur atomisée.

Paysage Nocturne de Robert Delaunay (1906).

Quant aux réalisations précoces du cinéma abstrait, elles adhèrent pleinement aux modèles formels de la plus archaïque des « musiques oculaires ». Les premières tentatives de films abstraits colorés à la main à même la pellicule, menées par les frères Arnaldo et Bruno Ginanni-Corradini vers 1910, participent de cet idéal. Les deux comtes italiens, établis près de Ravenne, se sont livrés tout d'abord à la construction d'un orgue chromatique, passant dans un deuxième temps au médium cinématographique. Avant de s'associer au mouvement futuriste, ils élaborent ainsi une « musique chromatique » qui rappelle en tous points le principe totalisant des fêtes baroques. Cette activité ne s'inscrit pas dans l'esprit du cinématographe d'alors, mais laisse plutôt s'opérer un glissement spontané entre les deux médias, avec pour but premier la concrétisation d'une totalité lumineuse. Différentes expériences ont été essayées à cette fin, focalisées sur les jeux optiques de la texture du support des projections : « pour l'écran, nous avons expérimenté successivement une toile blanche simple - une toile blanche assouplie à la glycérine, une surface d'étain - une toile blanche ouverte d'un mélange créant, par réflexion, une sorte de phosphorescence - une enveloppe, à peu près cubique, de gaze très légère à travers laquelle le rayon de lumière pouvait pénétrer et qui aurait dû donner, de bas en haut, l'effet d'un nuage de fumée blanche. Enfin [...] on revint à la toile que l'on étendit sur un mur entier, on enleva tous les meubles, on couvrit toute la pièce de blanc, murs, plafond et sol, et l'on revêtit durant les projections des peignoirs blancs. À ce propos, lorsque la musique chromatique se sera imposée, par notre œuvre ou celle d'autrui, une mode vestimentaire de la couleur consistera sans aucun doute, pour le public élégant, à aller au théâtre de la couleur en habit blanc. Les tailleurs peuvent déjà commencer à s'en occuper. »(18) Cette recherche d'un environnement faisant fusionner l'œuvre et le spectateur était parachevée par l'utilisation de sept lampes des couleurs du spectre de Newton, rendues mobiles grâce à des roues. Jointes à la projection filmique, celles-ci étaient destinées à« créer successivement des ambiances de couleurs, qui, pour être en accord avec l'intonation générale des thèmes développés au fur et à mesure, devaient introduire d'une certaine manière le spectateur dans l'intimité même de la sensation. »(19)

Les références savantes qui alimentent les traités de Arnaldo et Bruno Ginanni-Corradini, L'Art de l'Avenir, paru en 1910 et Musica chromatica, paru en 1912, sont tournées vers Pythagore et Wagner. Rien d'étonnant, cependant, à ce que leurs créations filmiques, aujourd'hui perdues, aient été interprétées dans une optique autrement moderniste par le groupe futuriste, plus soucieux d'abattre les cloisons établies par l'académie entre l'art et la rue, entre les genres majeurs et mineurs, que de spéculer sur la forme pure. En 1912, Marinetti s'inspirait donc de l'idée d'un nouvel art total basé sur le mouvement, la lumière et la couleur, en appelant de ses vœux une conquête picturale de l'espace aérien : « Le jour viendra où le tableau ne suffira plus. [...] Les couleurs, en se multipliant, n'auront absolument pas besoin de formes pour être perçues et comprises. Nous nous passerons de toiles et de pinceaux ; nous offrirons au monde - au lieu de tableaux - de géantes peintures éphémères, formées par des falots brasillant, des réflecteurs électriques et des gaz polychromes, qui, en harmonisant leurs gerbes, leurs spirales et leurs réseaux sur l'arc de l'horizon, rempliront d'enthousiasme l'âme complexe des foules futures. »(20)

Vita futurista de Arnaldo et Bruno Ginanni-Corradini (1916).

Guillaume Apollinaire, deux années plus tard, met à son tour en évidence la métaphore pyrotechnique, dans son commentaire du Rythme coloré de Leopold Survage. Le poète voit dans ce projet de dessin animé, présentéà la Société Gaumont pour le procédéà trois couleurs lancé en 1913, le chronochrome, une « nouvelle muse », en phase avec les accélérations électriques de la vie moderne : « [Le rythme coloré] tire son origine de la pyrotechnie, des fontaines, des enseignes lumineuses et de ces palais de féerie qui, dans chaque exposition, habituent les yeux à jouir des changements kaléidoscopiques des nuances. Nous aurons ainsi, hors de la peinture statique, hors de la représentation cinématographique, un art auquel on s'accoutumera vite et qui aura ses dilettantes infiniment sensibles au mouvement des couleurs, à leur compénétration, à leurs changements brusques ou lents, à leur rapprochement ou à leur fuite, etc. »(21). L'entreprise de Survage, si elle n'est pas marquée par le principe d'environnement, restitue au sein de l'image elle-même le principe de l'énergie pyrotechnique : le déploiement des sept couleurs de l'arc-en-ciel sur le fond noir de l'espace cosmique, applique les ressorts même du feu d'artifice, les fulgurances lumineuses contre la voûte illimitée du ciel.

Leopold Survage, Rythme coloré (1916).

Un autre élément formel se manifeste également dans les aquarelles peintes par Survage pour le Rythme coloré. On y retrouve la notion d'atomisation de la couleur, qui est ici une fois de plus liée au fond noir. Parmi la série de planches conservées au MoMA, particulièrement, figure un certain nombre d'images où le mouvement coloré se fragmente en particules éparses, telle une pluie de confettis (22). C'est sans doute dans le cinéma d'Oskar Fischinger, et plus spécifiquement dans sa série de Studien en noir et blanc réalisée au début des années trente, que cette dynamique trouvera son expression la plus puissante. Se référant directement au processus de séparation des atomes, et même à leur scission, Fischinger donnera de l'explosion pyrotechnique une vision paroxystique, restituant dans toute sa magie primitive le mystère de la vie chimique de la matière. L'exemple le plus abouti de cette recherche est Studie n. 8. Synchronisé sur le scherzo symphonique La Ballade de l'Apprenti Sorcier de Paul Dukas, lui-même inspiré de la célèbre fable du même titre popularisée par Goethe, ce chef d'oeuvre de musique optique renvoie directement à la lutte ancestrale de l'homme visant à maîtriser, par la magie, les forces agissantes de la nature.

Oskar Fischinger, Studie n°6 (1930).

La nouvelle ville-lumière

Si les pyrotechnies offrent à la première abstraction la métaphore d'une destruction créatrice, les glissements qui s'opèrent entre la peinture et les jeunes médias électriques renouvellent, en retour, les potentialités spectaculaires de la lumière. La mythologie de la lumière électrique, conquête prométhéenne de l'homme sur la nature, invite à penser un nouvel « art total » technologique, à l'esprit festif et universel, ouvert sur l'espace difracté de la métropole moderne. Entre les lumières colorées de la symphonie d'Alexandre Scriabine, Prométhée - Le Poème du Feu de 1911, et la fantaisie pour orchestre d'Igor Stravinsky, Feu d'artifice, achevée dès 1908, on observe une différence déjà relevée dans le domaine pictural, entre un feu qui embrase et consume et un feu qui se manifeste de façon explosive.

Giacomo Balla, Lampe à arc (1909).

L'aspect ludique et énergétique de l'écriture musicale de Stravinsky est précisément ce qui a conduit Serge de Diaghilev à s'associer un peintre futuriste, Giacomo Balla, pour l'interprétation scénique de cette composition dans le cadre des Ballets Russes. Le spectacle, créé en avril 1917 à Rome, laissait les spectateurs devant une scène sans aucun danseur. La perspective abstraite adoptée par Balla, avec pour seul acteur une construction de volumes géométriques bariolés qui accueillaient et libéraient des rayons colorés, est assez représentative d'une esthétique de l'éphémère.

Tandis que Balla travaillait à cette œuvre alors inédite en son genre, son collègue futuriste Fortunato Depero concevait pour un autre spectacle, Mimismagia (Mimique de la magie, 1916) des costumes cartonnés tranchant l'espace, d'oùémanaient toutes sortes de rayons colorés. Offrant un commentaire ironique des orgues chromatiques inspirés du Père Castel, ce dernier était allé jusqu'à esquisser les plans d'une machine synes-thésique qui prendrait modèle sur les sensations brutes issues de la rue. Appelée Complexe plastique motobruitiste à lumières colorées et vaporisateurs (1915), celle-ci n'est pas sans rappeler les chars pyrotechniques de l'âge baroque. Une fois en mouvement, cet assemblage devait non seulement émettre des bruits, des gaz et des lumières colorés, mais encore diffuser des parfums. Le manifeste signé par Balla et Depero en 1915, « Reconstruction futuriste de l'univers », est à l'origine de cette polysensorialité explosive, dont les moyens sonores, visuels et cinétiques sont appelés à s'annexer « pyrotechnie, eaux, feu, fumées. »(23)

Fortunato Depero, dessin préparatoire pour les costumes du spectacle Mimismagia, (1916).

C'est dans l'après-guerre que le groupe futuriste propose la pure et simple réhabilitation de la pyrotechnie parmi les arts de l'avenir. En 1920, l'artiste Gino Cantarelli publie en Italie un manifeste futuriste dédié aux feux d'artifice : « La Pyrotechnie comme moyen artistique ». Convoquant simultanément le mythe de l'aviateur, la musique bruitiste de Luigi Russolo et le dynamisme pictural cher aux artistes du groupe, le texte résume une certaine idée de l'art total futuriste : « Dans chacune des zones du ciel, annonce-t-il, nous saurons donner des visions composées de théâtre aérien + complexes pyrotechniques + bruiteurs. [...] Le laboratoire pyrotechnique prépare la composition picturale, et, un soir, le tableau est dynamiquement lancé dans l'espace. »(24) Le propos, renvoyant à des aspirations exprimées dès le début des années 1910, évoque de manière très significative le double héritage de la tradition des feux d'artifices dans la première avant-garde. D'un côté, celle-ci aspire à brasser les différentes formes d'art (lumière, couleur, mouvement, son) dans une totalité festive qui procède de manière syncrétique. De l'autre, elle s'interroge sur le statut de la peinture comme image fixe, et aspire à une composition éphémère de couleurs mouvantes, douée d'une faculté nouvelle de dispersion spatiale.

Luigi Russolo (1885-1947), peintre et compositeur italien, père de la musique bruitiste.

La réhabilitation historique des pyrotechnies, au cours du XXe siècle, a partie liée avec la prise de conscience progressive des moyens cinétiques, tant dans le domaine de l'image projetée que dans celui des nouveaux corps lumineux issus de l'électricité : notamment les enseignes lumineuses de la rue et les projecteurs mobiles qui font alors leur apparition au théâtre. Cette réhabilitation est le fruit d'un décloisonnement multidirectionnel. Au brassage technique des médias, qui permet de penser la couleur hors de son support, s'ajoute un brassage culturel où pointe une nouvelle idée de l'universalité.

De ce point de vue, le legs de l'avant-garde européenne aux États-Unis trouve un terrain favorable à l'acception d'un art traditionnellement « mineur » parmi les outils les plus inventifs de la création moderne. Le peintre synchromiste Morgan Russell, par exemple, fait des feux d'artifice une forme de référence lorsqu'il songe à une extension lumineuse du tableau dans l'espace réel. Dans sa première exposition personnelle, à la galerie parisienne La Licorne, en 1923, le peintre américain présente une série de cinq toiles intitulées Eidos (thèmes-synchromatiques) pour une synchromie à la Vue. Une note de sa main, publiée dans le catalogue, en explique l'origine : « Chaque Eidos représente l'ensemble des impressions qui resteront en nous après avoir vu leurs détails se dérouler sur un écran lumineux ou dans l'air même par un gigantesque jeu de pyrotechnie. On peut les comparer à ce qu'est pour un musicien quelques pages de musique écrite, celui-ci entend imaginativement [sic] l'ensemble de ces pages après y avoir jeté un coup d'œil. La pyrotechnie, qui émerveille déjà, élevée à la puissance d'un art sublime - puis, un art plus modeste de moyens, par l'écran lumineux - arts d'une puissance inouïe, endormant, puis éclairant la raison par l'ivresse divine des sens - but réel de tout art supérieur -voilà de quoi il s'agit. [...] Nous attendons un "fou" sublime, tel ce roi Ludwig II, pour nous accoucher de cet art ultime : l'Art de la Lumière »(25)

Morgan Russell, Study for Eidos (1914-1923) .

C'est un enivrement des sens que Morgan Russell revendique, par l'alternance apparition/disparition qui est le propre de la vision pyrotechnique. La machine lumineuse conçue en corrélation avec les Eidos devait projeter des rayons colorés mobiles, contrôlés par un rhéostat (26). Les tableaux, sorte de vision imaginaire de ce spectacle lumineux, auraient dès lors fonction d'une transcription synthétique et subjective d'un processus temporel (27). Au sein du parcours de Russell, ces toiles sont en fait les premiers exemples d'une combinaison entièrement libre de couleurs. Le synchromisme s'était en effet bâti, autour de 1912-1913, sur le fondement d'une harmonie scientifique, invoquée tantôt par le principe d'une gamme chromatique prédéfinie, tantôt par le jeu des contrastes de complémentaires. Les Eidos peints par Russell au début des années vingt, s'ils n'inspirent pas l'adhésion immédiate que remportent des chefs d'oeuvre telle la monumentale Synchromy in Blue-Violer (1913), ouvrent en revanche la porte à une harmonie subjective, issue d'un nouvel idéal d'improvisation performative.

Thomas Wilfred et son Clavilux.

Aux États-Unis, une entreprise de grande envergure est lancée à cette époque par Thomas Wilfred, artiste d'origine danoise. Ce dernier entend populariser un « Art de la lumière » autonome, aspirant à se libérer de la tutelle pluriséculaire de la musique. Après avoir construit un instrument semi-automatique doté d'un clavier en 1919, sous le nom de Clavilux, il s'attache à concevoir des machines moins connotées en termes musicaux. Avec ses compositions intitulées Lumia, au début des années trente, il cherche à fixer un art de l'éphémère dont il fait remonter l'origine, au-delà des fêtes baroques, aux usages tribaux du feu dans les sociétés préhistoriques (28). Les Lumia, appareils dont les dimensions peuvent varier, de celles d'un téléviseur avant la lettre jusqu'aux murs entiers des salles de spectacle, engagent ainsi des images abstraites enregistrées, produites par différents systèmes de projection et de diffraction de lumières derrière un écran opalescent. La perspective transhistorique de Wilfred pose les bases d'une histoire universelle de l'art de la lumière. Parallèlement, elle livre celui-ci à une recette démocratique, adaptée aux lois de l'entertainment de masse (29). En dépouillant son art lumineux de toute argumentation liée à l'harmonie musicale, l'inventeur de Lumiaécarte du même coup la notion de performance et la figure de l'instrumentiste. Cela ne l'empêchera pas de continuer à jouer publiquement sur de telles figures. Des photographies des années trente le montrent posant de façon solennelle, un grand bâton à la main, devant ses images en mouvement.

le Clavilux scénique avec projection.

C'est une tout autre approche que privilégie au même moment l'artiste tchèque Zdenek Pesanek, que l'on peut considérer, au même titre et plus encore que Thomas Wilfred, comme l'un des premiers théoriciens de l'art cinétique. Pesének s'est forméà la sculpture au cours des années dix, lors du plein essor d'une avant-garde pragoise, marquée par le cubisme et le futurisme. Son traitéKinetismus, paru à Prague en 1941, s'avère être le premier essai réellement analytique à proposer, par-delà la défense d'une démarche artistique individuelle, une réflexion historique prenant en compte tous les médias, les formes et les genres sans différentiation. Rédigé en grande partie au cours des années vingt, ce texte accompagne la gestation d'œuvres qui sont longtemps restées sous silence dans l'histoire de l'art moderne (30). La raison en est qu'elles se présentent, à rebours de toute lecture formaliste, comme un intermédiaire historique entre la conception symboliste des « correspondances » et l'usage pionnier de matériaux inédits en art, tels que la peinture fluorescente ou le néon. Assumant la promotion d'une esthétique de l'hétérogène, Pesének établit un lien direct entre les fêtes baroques et les conquêtes électriques de l'ère moderne. Le cinétisme est bien issu, à ses yeux, de la tradition visionnaire de la « musique des couleurs ».

Zdenek Pesanek, sculpture cinétique pour la station de transformation Edison à Prague (1930).

En 1924, l'artiste entreprend en effet la construction d'un instrument synesthésique : le Spectrophone. Considérée comme une recherche préliminaire visant des applications pratiques, cette machine servira de fondement à ses réalisations autrement plus audacieuses, comme la sculpture translucide de 4 mètres de hauteur réalisée en 1929-1930 pour orner la corniche externe de la station de transformation Edison à Prague. Diffusant une polychromie en mouvement perpétuel, l'Edisonka est la première sculpture lumineuse et cinétique installée durablement dans un espace public. Par sa technique et par son iconographie (les volumes désarticulés d'un avion), elle expose à la ville entière la conquête prométhéenne de l'homme moderne. De même, la première et la troisième version du Spectrophone avaient pour singularité d'émettre la « musique des couleurs » par des ampoules colorées à travers les volumes translucides d'une guitare, aux contours schématisés dans un style cubiste. Pourtant, la récurrence d'une certaine redondance iconographique ne diminue en rien l'apport spécifique de Pesânek dans le cadre du cinétisme moderne. En présentant son instrument au deuxième Congrès de Recherche Couleur-Son, organiséà Hambourg en 1930, Zdenek Pesanek exposait sa théorie d'un cinétisme spatial opposé au cinétisme de surface désormais intronisé par le film. Ces deux catégories issues de la « musique en images » se déclinaient comme suit :

Sur la surface :
- Le film
- Le clavier à couleurs
- Les jeux de lumières réfléchies (31)

Dans l'espace :
- Le feu d'artifice et les fontaines, avec un jaillissement de forme arbitraire réglable
- La sculpture lumineuse
- Les fontaines avec une forme arbitraire non maîtrisée
- Les illuminations colorées de l'architecture
- Les jeux de lumières réfléchies dans l'atmosphère (32)

Pour Pesanek, il est un élément tout à fait majeur dans le « cinétisme d'espace » qu'il dit issu des feux d'artifice. Il s'agit de l'aspect performatif, qui permet à l'artiste de renouveler éternellement la magie de l'éphémère, dans une interprétation qui ne sera jamais identique à la précédente. Face à Ludwig Hirchfeld-Mack et Oskar Fischinger, qui participaient eux aussi au Congrès, l'artiste tchèque défend un médium de l'« expression ». Il oppose ainsi sa résistance aux médias enregistrés tels que le film, forme technologique achevée qui abolit toute communion immédiate entre l'artiste et le public. En guise de transition avec sa propre performance lumineuse, il souligne : « Si cette pièce de couleur - par suite, aussi, de l'insuffisance des "moyens de production" d'aujourd'hui - s'avère primitive, c'est alors un avantage logique. Car c'est bien ici un avantage logique que d'aller vers un accroissement du pouvoir absolu de l'expression. »(33)

Zdenek Pesanek, Torse (1936).

À travers cette notion psychologique, c'est le principe d'énergie en acte que cherche à préserver Pesanek. Les assemblages abstraits qu'il réalise par la suite, en hommage à l'électricité, pour le poste de transformation Zenger à Prague entre 1931 et 1936, intègrent, sans doute pour la première fois dans le domaine artistique, des néons colorés pliés en courbes énergiques, et des surfaces de peinture fluorescente. En 1937, à l'Exposition Internationale des Arts et Techniques de Paris, il reprend ces mêmes matériaux pour un projet de Fontaine lumino-cinétique, qui n'a pas été réalisé. Au même titre que les projets constructivistes les plus ambitieux, tel celui du Monument à la IIIe Internationale de Vladimir Tatline, les propositions de Pesének cherchent àétablir un lien à la fois physique, formel et métaphorique, entre le corps lumineux et l'espace de la ville. L'œuvre cinétique devient l'expression d'une énergie sans cesse renouvelée, où la communauté unifiée du monde moderne est appelée à se reconnaître. « Ce que l'on enseigne du caractère statique des arts plastiques, explique Pesanek dans son traité de 1941, est une erreur sur laquelle l'histoire s'arrêtera, pleine d'incompréhension pour cette persistance des traditions, particulièrement si l'on considère la date à laquelle furent allumées les premières fusées de feux d'artifice, face à des foules plongées, par la sensation de ce mouvement de lumière, dans une extase comparable à celle des croyants face aux madones miraculeuses. »(34)

Zdenek Pesanek, Color piano (1925).

Avec Zdenek Pesanek, les feux d'artifices accèdent à une nouvelle historiographie. L'art pyrotechnique, hissé au rang de précurseur du cinétisme électrique, devient la référence fondatrice d'une filiation parallèle à la théorie dominante des arts libéraux. En contradiction avec la hiérarchie des genres, les feux d'artifice échappent de fait, par la nature même de leur apparition matérielle et de leur processus de signification, à la discrimination établie entre arts de l'espace et arts du temps. Si l'on pense le Clavecin Oculaire du Père Castel comme le catalyseur d'une nouvelle théorie esthétique, alliant image et mouvement, il faut admettre que ce projet porte en lui l'achèvement spectaculaire des feux de Cour. Au tournant du XXe siècle, la diffusion des moyens électriques accélère la destruction définitive des cloisons académiques. La fascination pour l'énergie explosive et évanescente de la lumière, l'adhésion instinctive à la mobilité de la couleur qui se font jour de manière explicite dans l'art moderne trouvent un précédent dans les pratiques pyrotechniques du XVIIIe siècle. Le modèle sémantique que celles-ci offrent aux avant-gardes invite à penser une généalogie baroque de la modernité.

Notes :

1- Voir sur ce point le résumé de Claudio di Lorenzo, Il teatro del fuoco : storie, vicende e architetture delia pirotecnia, Padoue, Franco Munzio & c. Editore, 1990.

2- Deux études récentes, en particulier, mettent en évidence les modalités de cette codification : Kevin Salatino, Incendiary Art, op. cit. ; et Patrick Desile, Généalogie de la lumière : du panorama au cinéma, Paris, Montréal, L'Harmattan, 2000.

3- Louis Bertrand Castel, « Clavecin pour les yeux, avec l'art de Peindre les sons, et toutes sortes de Pièces de Musique. Lettre écrite de Paris le 20 février 1725 par le R. P. Castel, Jésuite, à M. Decourt, à Amien », Mercure de France, novembre 1725, tome IX, p. 2558.

4- L. B. Castel, ibid., pp. 2552-2577.

5- L. B. Castel, Mathématique Universelle, abrégée à l'usage et à la portée de tout le monde, Paris, P. Simon, 1728, pp. 40-41.

6- Texte paru dans le recueil posthume : Abbé Joseph de La Porte, Esprit, saillies et singularités du P. Castel, Amsterdam et Paris, Vincent, 1763, p. 334.

7- Ibid., pp. 343-345.

8- L. B. Castel, L'Optique des Couleurs, fondée sur les simples observations et tournée surtout à la pratique de la Peinture, de la Teinture et des autres arts coloristes, Pans, Briasson, 1740, pp. 302-303.

9- Pietro di Gonzaga, La Musique pour les yeux et l'optique théâtrale - opuscules tirés d'un plus grand ouvrage sur le sens commun par Sire Thomas Witth. Traduit de N. Al., Saint-Pétersbourg, Imprimerie Nationale [1800], seconde édition 1807. Il semble cependant que Sire Thomas Witth soit un jeu d'esprit de Gonzaga. Les seuls exemplaires connus de ces deux éditions sont conservés à Saint-Pétersbourg. Je remercie vivement la Professoressa Maria Ida Biggi, de l'Université de Venise, qui prépare une traduction italienne des écrits de Gonzaga et a eu l'extrême gentillesse de me communiquer la version originale de ce passage. Dans l'attente de sa publication, on peut se référer au catalogue Omaggio a Pietro Gonzaga, a cura di Carlo Manfio, Centre Culturale, Longarone, 27 septembre-12 octobre 1986 ; ainsi qu'à l'imposante étude de Flora Syrkina et Alexandr Movsenson, Pietro di Gonzaga, 1751-1831 : zizn i tvorcestvo ; socineniâ, Moscou, Iskusstvo, 1974, qui contient en annexe une traduction russe du traité La Musique pour les yeux.

10- D. Marcello Calà Ossorio di Villanuova, Istituzioni di Pirotecnia. Per istruzione di coloro che vogliono apprendere a lavorare i Fochi d'Artifizio, Naples, Stamperia Reale, 1819, Planche xvii.

11- Parmi les premières descriptions de ce procédé figure celle du mystique allemand Karl von Eckartshausen, dans Mistische Nachte oder der Schlùssel zu den Geheimnissen des Wunderbaren. Ein Nachtrag zu den Aufschlussen ùber Magie, Munich, Joseph Lentner, 1791.

12- Bainbridge Bishop, A Souvenir of the Color Organ, with some suggestions in Regard of the Soul of the Rainbow and the Harmony of Light, New York, De Vinne Press, 1893.

13- Rimington a enregistré en 1893, à Londres, son brevet pour un Colour Organ. Après divers concerts chromatiques, donnés dans les années 1890, il perfectionne son instrument et publie un long traité théorique, en 1911 : Colour Music, The Art of Mobile Colour, Londres, Hutchinson & Co.

14- V. Kandinsky, Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, édition établie et présentée par Philippe Sers, Paris, Denoël, 1989, p. 156. Kandinsky souligne. La traduction est légèrement modifiée d'après l'édition originale : Kandinsky, Uber das Geistige in der Kunst, insbesondere in der Malerei, Munich, R. Piper & Co Verlag, 1912, p. 68.

15- Ibid.

16- A. J. Eddy, «"I see it", Says Major at Cubists Art Show », Chicago Record-Herald, 28 mars 1913.

17- A. J. Eddy, Cubism and Post-Impressionism, Chicago, A. C. McClurg & Co, 1914.

18- Bruno Corra, « Musica chromatica », essai paru dans le recueil du même auteur : Il Pastore, il gregge e la zampogna, Bologne, Libreria Beltrami, 1912, et repris dans Bruno Corra, Manifesti futuristi e scritti storici (ed. Mario Verdone), Ravenne, Longo Editore, 1984, p. 162. Dans ce texte, l'artiste, qui avait abrégé son nom en 1912 sous l'influence du futurisme, précise encore que des projecteurs colorés, déplacés dans la pièce au cours de la projection filmique, achevaient de combler l'espace par la couleur.

19- Ibid., p. 164.

20- Filippo Tommaso Marinetti, « La peinture futuriste », Excelsior, 15 février 1912, Paris. Marinetti est entré en contact avec les frères Ginanni-Corradini en 1910. Il faut souligner que ce texte reprend presque à la lettre celui d'une conférence donnée en italien par le peintre futuriste Umberto Boccioni au Circolo Internazionale de Rome, le 29 mai 1911. Voir U. Boccioni, Gli Scritti editi e inediti, a cura di Zeno Birolli, Milan, Feltrinelli, 1972, vol. II, p. 11.

21- Guillaume Apollinaire, « Le Rythme coloré», Paris-Journal, 15 juillet 1914, Paris, repris dans Léopold Survage, Écrits sur la peinture, textes réunis et présentés par Hélène Seyrès, Paris, L'Archipel, 1992, p. 150.

22- Voir le catalogue Survage : Rythmes colorés, 1912-1913, Musée d'Art et d'Industrie, Saint Etienne, Musée de l'Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d'Olonne, 1973, n. p, n° 66.

23- G. Balla et F. Depero, « Ricostruzione futurista dell'universo », placard replié, traduit par Giovanni Lista dans son anthologie Futurisme : Manifestes, proclamations, documents, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1973, pp. 202-204.

24- Gino Cantarelli, « La Pirotecnica corne mezzo d'arte », Procellaria, n° 5, Mantoue, février 1920.

25- Note datée « Aigremont par Poilly (Yonne), mars 1923 », dans Morgan Russell, introduction par Elie Faure, Galerie La Licorne, Paris, 1923.

26- M. Russell, notes datées « Paris, 1924 », Fonds Morgan Russell, MoMA, pp. 88-90.

27- Dans sa monographie de référence, par ailleurs très bien informée, Marilyn S. Kuchner suggère que les tableaux auraient dûêtre éclairés par la machine lumineuse et accompagnés de musique : M. S. Kushner, Morgan Russell, introduction by William C. Agee, New York, Hudson Hills Press, in association with the Montclair Art Museum, 1990, p. 106. Les descriptions que l'artiste a fait de ses divers projets de machines sont souvent très confuses en termes techniques. Si l'idée de doubler la peinture de projections colorées a pu être envisagée par Russell, la description qu'il donne de l'Eidos, dans le catalogue de 1923, nous fait pencher en faveur d'une interprétation picturale d'un cinétisme imaginé (et encore à concrétiser) dans cette série d'oeuvres.

28- Thomas Wilfred, « Lumia : the Eighth Fine Art », Westchester County Fair, hiver 1932, pp. 10-13.

29- Nous renvoyons sur point à l'analyse de Pascal Rousseau, dans « The Art of Light : Couleurs, sons et technologies de la lumière dans l'art des synchromistes », Made in USA : L'Art américain, 1908-1947, sous la direction d'Eric de Chassey, Bordeaux, Rennes, Montpellier, 2001-2202, RMN, 2002, pp. 69-81.

30- La première monographie parue sur Zdenek Pesanek est le catalogue de l'exposition Zdenëk Pesének, 1896-1965, dirigé par Jiri Zemanek, Prague, Nârodni Galerie, 1996.

31- Pesanek se réfère ici aux expériences menées par Kurt Schwertfeger et Ludwig Hischfeld-Mack au Bauhaus.

32- Zdenek Pesanek, « Bildende Kunst vom Futurismus zur Farben- und Formkinetik ; (Mit Vorfùhrung eines Farbe-Ton-Klaviers) », Farbe-Ton-Forschungen, hrsg. Von Georg Anschütz, Hambourg, 1-5 octobre 1930, Hambourg, Psychologisch-âsthetische Forschungsgesellschaft, 1931, pp. 193-204.

33- Ibid.

34- Z.Pesanek, Kinetismus (Kinetika ve vytvarnictvi - barevnâ hudba) Le cinétisme (La cinétique dans l'an - la musique des couleurs), Prague, Ceske grafickâ unie, 1941, fragments traduits (anonyme) dans Lanterna Magika : Nouvelles technologies dans l'art tchèque du XXe siècle, Paris, Espace EDF Electra, 26 octobre 2002-19 janvier 2003, Paris Musées, 2002, pp. 51-52.

- Texte Prométhée électrique ou le tableau lancé dans l'espace extrait de la revue 1895 n°39 (2003).


ZIRKA, Marquise d'O…

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Née de parents industriels, en 1877, dans une petite ville de la Silésie, Zirka perdit sa mère de très bonne heure, son père, qui était un ingénieur- mécanicien d'une assez grande valeur, la fit élever à Krakovie dans un couvent de soeurs, d'où elle sortit à l'âge de 18 ans. Rien à ce moment-là ne laissait supposer qu'un jour elle serait appelée àétonner le monde.

En effet, quiconque a eu la bonne fortune d'assister à ses représentations n'a pu s'empêcher de se sentir envahi aussitôt d'une admiration profonde pour son merveilleux talent, qui n'a rien de comparable avec ce que l'on a pu voir jusqu'ici dans le genre, elle en est l'absolue créatrice.

Ses scènes sont aussi captivantes qu'originales. Chacune d'elles est un chef-d'oeuvre d'impeccable adresse et de virtuosité sans pareille, et est présentée avec l'accompagnement d'une musique qui lui a été spécialement composée,

L'acte des Cigarettes, surtout, suffit à lui seul à rendre rêveurs tous les manipulateurs, même les plus célèbres que nous ayons vus ; et puis, il faut voir avec quelle grâce, quelle suprême élégance, quelle distinction, tout est présenté ; ajoutez à cela sa beauté, sa jeunesse, son entrain, sa mimique, sa comédie, l'expression de ses yeux, de sa physionomie, de toute sa personne enfin, et vous aurez là le portrait approximatif de Zirka, la reine des cigarières.

C'est les bras nus, dans une élégante robe, sortant de chez Landolf, et qui la moule à ravir, « toute seule », sans l'aide de personne, que Zirka, qui possède de toutes petites mains fines et aristocratiques, accomplit rien qu'avec ses petits doigts flûtés, mais habiles en diable, toutes ses merveilleuses scènes de « mimo-illusionnisme ».

Il faut dire aussi que ses aptitudes n'ont pas eu de peine à se développer dans toute leur ampleur, puisqu'elle est depuis neuf ans la compagne du « grand maître » universellement réputé, «L'Homme Masqué» (marquis d'O...). Formée à son école, l'on peut dire que Zirka personnifie aujourd'hui, dans toute sa plus fidèle réalité, l'art véritable de la prestidigitation.

Zirka, ainsi que l'Homme Masqué, son mari, sont venus de très loin, à Paris, pour prendre part à la manifestation artistique que la Chambre Syndicale des prestidigitateurs français avait organisée pour fêter le centenaire de Robert-Houdin, et à cette occasion, tous leurs collègues ont cru devoir leur marquer leur sympathie et leur admiration, en offrant à chacun d'eux une médaille commémorative. De nouveau ils sont partis reprendre le cours de leurs engagements dans les pays Scandinaves, où ils sont pris pour toute l'année 1906.

J.C

Nous avions depuis quelque temps de mauvaises nouvelles de la santé de Zirka, l'universellement admirée Reine des Cigarettes, mais dans l'espoir d'un rétablissement que nous souhaitions sincèrement, nous n'avions pas cru nécessaire d'en faire part à nos lecteurs. Aujourd'hui notre devoir est autrement cruel... toute souffrance est finie pour elle désormais !

Après avoir perdu complètement la vue, Zirka s'était vue obligée d'abandonner une carrière à laquelle elle s'était attachée de toute son intelligence et de tout son coeur, et cette épreuve l'affecta de telle sorte que, malgré les soins et la sollicitude dont elle fut entourée, ses facultés allèrent s'affaiblissant de jour en jour et qu'elle dut se retirer définitivement dans une maison de santé. C'est là qu'elle vient de s'éteindre, en pleine jeunesse, — elle était née en 1877 — et nous pouvons dire aussi en pleine gloire, puisque, malgré sa retraite, tous ceux, et ils sont légion, qui ont eu la joie de la voir ont encore présents à l'esprit son élégance, sa grâce et le succès qui l'accompagnait dans les moindres de ses déplacements. C'est qu'elle réunissait, outre les dons les plus charmants de la femme, des qualités d'esprit et d'intelligence qui firent d'elle une artiste vraiment incomparable.

Il y a six ans, à l'occasion du centenaire de Robert-Houdin, Zirka, aux côtés de son mari, M. de Gago, avait illuminé de sa présence et de son sourire cette mémorable soirée. Nous ne nous doutions pas alors, lorsque nous acclamions en elle la jeune reine de la fête qui incarnait véritablement l'âme de la Magie, nous ne nous doutions pas en lui faisant ensuite nos adieux, avant son départ pour les pays du Nord, que ces adieux seraient véritablement sans retour !... La fatale destinée l'a cependant voulu ainsi et nous ne pouvons plus aujourd'hui que nous rappeler ce souvenir avec un douloureux attendrissement que partageront certainement tous les admirateurs de notre pauvre Zirka. Nos condoléances émues vont maintenant à celui qui, en elle, a perdu une compagne dévouée et une collaboratrice de tous les instants, à son mari qui fut aussi son maître dans l'art magique. Et quoique les paroles soient bien impuissantes en d'aussi terribles épreuves, nous lui souhaitons, de toute notre amitié, courage et résignation.

J. C.

Note de Didier Morax

Zirka (Agnés MARTINI, née à Ratibor (Allemagne en 1877, décédée à Nice (Alpes Maritimes le 9 juin 1910).

Dans le monde de la magie, il y a des femmes qui ont marqué leur passage. Zirka, « la reine des cigarières » comme elle se nommait, en fait partie. Elle était la jeune épouse du magicien de Gago, « L'Homme masqué», qui savait manier les cartes aussi bien sur scène qu'en d'autres lieux.

En parlant des artistes qui ont joué au théâtre Robert-Houdin, Méliès dira d'elle : « Son numéro présenté avec un charme, une grâce, et une dextérité sans pareilles est resté sinon inimitable, certainement difficile à reproduire avec un brio aussi stupéfiant. C'était une femme charmante et elle connut de véritables triomphes. » Avec son époux elle fut à l'affiche du gala célébrant le centenaire de la naissance de Robert-Houdin.

En Allemagne, et principalement dans la région d'Hambourg des cigarettes furent vendues sous le nom de "Cigarettes Zirka " Les cigarettes étaient vendues par boites de 10 ou 20, ou par paquets de 2 cigarettes.

A la fin de sa courte vie elle souffrait de cécité, et rendit l'âme dans la maison de santé de Saint Pons à Nice. Elle fut inhumée dans la terre commune du cimetière de l'asile. Un petit monument avec une plaque commémorative fut érigé vers 1910 par une association d'Artistes Prestidigitateurs. Le magicien Clément de Lion essaya de sauvegarder le monument et la plaque, vers 1930, mais ses démarches furent vaines, car trop tardives semble t-il. Avec un peu d'humour noir je dirai que sa sépulture est partie en fumée. Zirka reste toujours vivante dans nos coeurs et c'est ce qui compte le plus.

Documents : Collection Didier Morax et Akyna. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

ETIENNE SAGLIO / Le silence du monde

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Nous entrons dans une salle plongée dans le noir d'où ressort une dizaine d'installations placées sur des tables hautes. Un faisceau zénithal éclair chaque élément comme dans une scénographie muséale. Cette mise en lumière révèle des phénomènes impossibles arrêtés dans le temps ou habités de mouvements invisibles.

Les nuages de coton

Une série de nuage mit sous cloche est présenté comme autant de variation que le temps le permet. Pluie figée, éclaircie, brouillard,… la météorologie est déclinée en vase clos. Nuages fabriqués avec du coton qui lévitent mystérieusement au centre de sa carapace de verre. Un arrêt sur image saisissant qui agît comme un catalyseur hypnotique.

L'étrangeté et la poésie qui se dégage de ces installations rappellent certains éléments d'un cabinet de curiosités. L'emploi de la cloche de verre assimile l'installation à un reliquaire minimaliste.

Pour la petite histoire, ce genre de globe en verre, qui servait initialement à protéger les mouvements d'horloges de la poussière, trouva un second emploi au 19ème siècle et au début du 20ème siècle dans les campagnes, sous le titre de « globe de mariés ».

Les premiers globes sont apparus à Paris sous le second empire. La coutume voulait que la jeune épouse conserve sa couronne de mariée sous une cloche de verre posée sur un socle de bois. Le globe était offert, le plus souvent, par les parrains ou les marraines ou les grands-parents des fiancés. Les diverses garnitures ornant le globe étaient choisies par les futurs époux. Chaque ornementation avait une signification et une symbolique. Au fil des années, les gens rajoutaient des objets dans le globe. Certain globe était personnalisé suivant les événements : guerre de 1870, 1914 et 1940. Cet art populaire eut un grand succès, témoignant d'une esthétique baroque à la limite du kitsch, associant des objets hétéroclites dans l'esprit d'une nature morte.

Etienne Saglio et ses créatures de papier.

Rien de toute cette symbolique dans l'installation d'Etienne Saglio. L'artiste nous propose de contempler un moment d'éternité minimaliste, en reconstituant un élément météorologique universel. Sa « nature morte » est plutôt une reconstitution figée et artificielle. Paradoxalement, cette artificialité rend sensible l'expérience qui se déroule devant nos yeux. C'est par l'artifice et l'illusion que l'on touche à la réalité du monde. La vérité sensible se trouve dans la reproduction.

Les danseurs de papier

Dans un mouvement perpétuel et aléatoire, un couple de papier danse sur une table rehaussée de guirlandes lumineuses ; qui rappelle les guinguettes du début du XXème siècle. Cette installation, réalisée avec du papier froissé et « trois bouts de ficelle », possède un charme désuet et enfantin. Le pari était risqué ! L'apparente simplicité de ce faux bricolage cache une mélancolie profonde. Nous assistons à un ballet emprunt de fragilité qui voit léviter, légèrement du sol, ces frêles figurines. Le temps semble suspendu dans un mouvement d'éternité qui se répète à l'infini. Une sensation proche de ce que décrit Proust dans A la recherche du temps perdu.

Les serpents

Sur une table carrelée de faïence blanche, des tuyaux se meuvent avec nonchalance et soubresauts, semblables à des serpents dans un vivarium. La texture du plastique imite la peau de l'animal qui aurait mué après une ultime transformation.

Cette installation fascinante possède une grande force symbolique. Avec peu de chose et un matériau « pauvre », Etienne Saglio fait marcher l'imaginaire du spectateur en lui proposant différentes interprétations. Ces tuyaux recroquevillés, gisant sur une surface aseptisée (de laboratoire), convoquent l'image de l'hydre à 7 têtes et plus particulièrement le mythe de la Gorgone. Cette créature mi femme mi serpent, affublée d'une chevelure reptilienne, pétrifiait du regard tout mortel. Nous aurions alors sous nos yeux « médusés », les restes d'une civilisation disparue, figée dans l'éternité, qui vit ses dernières minutes.

Conclusion

Le silence du monde est une escapade hors du temps où les lois de la physique sont détournées par des procédés magiques. Un instant suspendu, sensible et gracieux qui plonge le spectateur dans un univers préservé et éphémère traversé de rêves et de fantasmes, où se côtoie la poésie et la fascination. Le regard est au centre de ces installations. A l'image de Gorgo, la méduse : il anime et pétrifie les objets. Fige dans l'éternité et le silence, un monde oublié et nostalgique. Bravo à Etienne Saglio (jongleur de la compagnie 14:20) pour ce travail d'une recherche plastique exemplaire et à Charles Goyard, le programmateur technique, qui donne vie à ce monde préservé.

Crédit photos : Etienne Saglio. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

Cie ROYAL DE LUXE / Rue de la chute

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Mise en scène de Jean-Luc Courcoult.

Le Royal de luxe, sans doute une des plus anciennes compagnie théâtrales françaises créée par Jean-Luc Courcoult, à la fois auteur et metteur en scène, et basée à Nantes depuis 1990, et connue internationalement, puisque le Royal, figure emblématique du théâtre dit de rue ou plutôt d'extérieur, a joué un peu partout dans le monde. On se souvient peut-être, entre autres spectacles fabuleux, de ce tournage en direct de ce Roman-photo, mais surtout de ce spectacle culte créé au festival d'Avignon en 1990, La Véritable histoire de France, avec ce livre géant d'où s'échappaient des personnages de légende comme Louis XIV ou Jeanne d'Arc. Ou encore de ces géants manipulés par des acteurs qui, à chaque fois, drainent des milliers de spectateurs. Le gigantisme, ou du moins le passage à une plus grande échelle de très grandes marionnettes, et le recours à des machines, comme au 17ème siècle, (les fameuses pièces à machines, véritables comédies musicales avant la lettre de Molière, Lully, des deux frères Corneille, et autres auteurs…) mais avec l'aide des technologies contemporaines est en quelque sorte la marque de fabrique du Royal.

Pop up géant dans La Véritable histoire de France, spectacle mythique de la compagnie Royal de luxe.

Courcoult et ses copains ont, depuis quelque trente ans, su trouver, la plupart du temps, la formule magique d'un théâtre au sens étymologique : voir, à la fois intelligent et populaire, et d'une réelle beauté plastique, soutenu par la mairie de Nantes et par le Ministère de la Culture. Et dans un espace public donc… gratuit pour les spectateurs.

Cette fois, et cela semble être dans l'air du temps, puisque l'un des succès du festival off d'Avignon a étéDu vent dans les branches de sassafras de René de Obaldia. La compagnie Annibal et ses éléphants, qui est aussi présente au festival d'Aurillac, a aussi kidnappé avec des moyens beaucoup plus limités que ceux du Royal mais, avec bonheur, le grand mythe fondateur américain de la colonisation de l'Ouest.

Revers de la médaille, les machineries du Royal sont à base de supports téléguidés électroniques, et les orages adorent ce genre de bestioles, et après la pluie de grêlons de jeudi soir, la foudre est tombée sur la régie du Royal. Donc représentation du vendredi reportée à samedi dans le stade d'un lycée. Pas de chance, la petite pluie cantalienne s'est mise à tomber toute la matinée inondant le lieu du spectacle, et les 1400 sièges coques des gradins. Miracle : les dieux ont décidé d'arrêter la pluie, juste cinq minutes avant le début du spectacle, pour la plus grande joie du public, trempé, un peu cassé par le froid insidieux qui le pénétrait mais ravi de voir enfin ce spectacle pas très bien accueilli, aux dires de nombreux professionnels. Vous avez dit jalousie ?

Photo : Gilles Davidas.

Alors ? Imaginez une sorte de studio de cinéma en plein air, d'une bonne trentaine de mètres d'ouverture, où est installé un décor- revendiqué comme tel avec ses tubs métalliques qui tout à fait remarquable, avec à cour, un minable Grand Hotel Big Town, avec son balcon, et à jardin, des gros projos de cinéma en inox, des bottes de paille compressé, une boutique en bois délavé tout aussi minable. Entre les deux, un grand châssis peint représentant un grand désert au soleil couchant, avec ses cactus et une barre rocheuse au loin. Bref, tous les stéréotypes des westerns ! Dominant la scène, une petite grue, et sur les deux côtés, un escalier sur roulettes, avec une caméra des années 1925, les nombreux accessoires qui serviront tout au long du spectacle.

Tout cela est très bien vu mais commence plutôt mal, et on ne peut croire un instant à ce tournage - la recette éculée du théâtre dans le théâtre - avec des acteurs qui jouent faux comme il n'est pas permis, et un dialogue des plus bas de gamme du genre : « La caméra 35mm, je la voyais plus grande » ou « Dis-donc, on ne va pas te payer un stage pour t'apprendre à ouvrir une pièce jointe », « Tu me fais le raccord pour les comédiens » . Les ordres sont lancés au porte-voix, comme au début du cinéma, alors que les comédiens ont tous des micros HF ! Pas crédible pour une rondelle ! Et on a bien du mal, dès le début à s'y retrouver dans cette histoire au scénario du genre bâclé où les petites scènes se succèdent péniblement avec un rythme cahotant.

Là, Courcoult, avec une équipe qui n'est plus vraiment la même, s'est planté… Ceci explique en partie cela ! Et les comédiens, pas ou mal dirigés, ont du mal à s'en sortir et sur jouent à qui mieux mieux ! On est parfois à la limite de l'amateurisme ! Signalons quand même la jeune femme brune qui joue, entre autres l'une des putes et l'acteur qui incarne Poussière, tous les deux remarquables et qui ont une vraie présence malgré l'immensité du plateau.

Mais il y a les images, et là Courcoult ne s'est pas planté du tout en véritable poète et créateur d'images poétiques qu'il est resté. Comme ce cheval pommelé de gris accrochéà la petite grue que l'on dépose sur un praticable et qui ouvre ses grands beaux yeux, et que l'on voit respirer. Ou ce vieux cow-boy au visage buriné qui s'en va, pédalant sur son petit tricycle doté d'un petit cheval en bois, et ces deux condamnés pendus qui se mettent, au bout de leur corde à parler de leur vie. Ou Madame O'Connor, mère maquerelle de son état, qui arrive avec les trois putes dans une charrette bâchée qui sert de bordel ambulant sur fond de chansons folk. Aristophane et la Mère Courage de Brecht ne sont pas loin. Encore une pour la route : Madame O'Connor tirant au fusil et pulvérisant une bouteille à vint mètres, ratant les coups suivants, et, quand elle repose son fusil, miracle : les deux autres bouteilles s'auto pulvérisent ! Et cet appareil à air comprimé jouant l'hymne américain, tandis que s'élève le drapeau étoilé. Pour de telles images, il sera beaucoup pardonnéà Courcoult !

Photo : Christian Stavel.

Mais on oubliera vite les scènes de jugement et d'élection du juge Parker au poste de gouverneur, pas du tout réussies ou ces dialogues qui se veulent drôles et qui ne font rire personne du genre : « Quel est le fromage préféré des Indiens ? La vache qui rit ! » On oubliera aussi les musiques de Michel Augier et Stéphane Brosse, omni présentes, souvent assourdissantes, qui saturent l'espace et parasitent les pauvres dialogues qui n'avaient pas besoin de cela ! Le spectacle, pas très passionnant, continue cahin-caha, jusqu'à en devenir franchement ennuyeux par moments. Et cassé, au milieu, par une sorte de pause où l'on distribue un petit journal par centaines. Bonjour l'écologie !

Rien à faire : les petites histoires dans l'histoire, qui n'ont aucun lien entre elles, se succèdent mais n'ont guère d'intérêt, et il y a longtemps, de toute façon, que l'on a décroché pour ne plus voir que les images ! Puis, disons, dans les quinze dernières minutes, tout se passe comme si Jean-Luc Courcoult semblait enfin avoir trouvé le rythme convenable, et le bon rapport entre l'espace du plateau et le temps de la représentation. Il n'était pas trop tôt !

Et il y a cette belle scène de négociations entre le chef indien, et le gouverneur qui lui offre une porte montée sur roulettes. Et comme le chef indien s'étonne de ce minable cadeau, des assistants font retourner la porte où est reproduit un morceau du décor de l'immense espace du territoire qu'il lui offre… Et il y a cette bataille équestre, figurée par ces cinq chevaux et leur cavaliers - dont un ressort remonté par une grosse clé comme des jouets - en réalité toute une machinerie électrique qui figurent l'attaque contre les Indiens, et la scène finale, l'envoi d'un boulet de canon sur la pauvre boutique qui prend feu. Ah ! Si tout était de ce tonneau mais c'est loin d'être le cas. Et l'on a visiblement gardé le meilleur pour la fin mais ce genre de recette éculée, ne trompe personne. On revient à la fin au tournage du film disparu depuis longtemps, comme s'il fallait boucler la boucle.

Photo : Christian Stavel.

Jean-Luc Courcoult, à demi-mot, reconnaissait en privé qu'il s'était un peu planté mais qu'il avait au moins essayé… On apprécie cette lucidité mais c'est dommage. Il avait tout pour réussir un vrai bon spectacle, alors que cette Rue de la chute a quelque chose d'assez approximatif. Comme une mauvaise copie du vrai Royal de luxe. Fatigue, usure après trente ans, sans doute. Ceci explique peut-être en partie cela et c'est arrivéà d'autres compagnies… La faute à quoi ? Pas aux moyens financiers, il y en a, et non des moindres ! (Dix huit acteurs et sans doute presque autant de techniciens qui font un gros travail dans les coulisses). Mais il y a d'abord une mauvaise adéquation entre les moyens, les intentions et un résultat finalement assez gribouille, avec un scénario compliqué et un dialogue des plus limites, une direction d'acteurs insuffisante et une très mauvaise maîtrise du temps de la représentation, surtout quand le public doit rester assis sans bouger pendant deux heures.

Donc résultat mitigé… Le spectacle, récemment créé, peut-il s'améliorer ? On ne voit pas bien comment, sauf, pour commencer, par en couper d'urgence une demi-heure et à demander à un bon directeur d'acteurs de revoir les choses. Cela modifierait déjà la donne mais Courcoult le fera-t-il ? On peut en douter, c'est une sérieuse remise en question pour un poète comme lui, et de toute façon, ce genre d'opération chirurgicale exige beaucoup de travail en perspective, dans un spectacle où la technologie et les effets spéciaux dominent et commandent le jeu : c'est sûrement le plus grave défaut de la cuirasse de cette Rue de la chute.

On a le sentiment assez désagréable que le Royal a perdu ses repères (on ne fera pas de jeu de mot facile sur la chute) mais on tombe quand même de haut. Le Royal semble être un peu devenu la Comédie-Française du théâtre dit de rue qui devient de plus en plus payant, même ici à Aurillac dans le off. Les gradins étaient bourrés de gens de tout âge malgré les places à 12 euros, et on a rajouté des tabourets pliants au mépris de toute sécurité. Il y a bien eu une représentation gratuite, où il fallait venir quatre heures avant si l'on voulait avoir une chance d'entrer… Bref, rien n'était vraiment dans l'axe. Encore une fois dommage.

- Source : Le Théâtre du Blog.

A visiter :
-Le site de la Royal de Luxe.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

PIERRE ETAIX

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C'est dans le cadre de la 5ème journée d'histoire de la magie (The Jean Merlin Magic History Day) que nous avons eu l'honneur de recevoir une légende vivante. Pour cette occasion, Georges Proust a gracieusement mit à disposition son musée et accueillit l'équipe organisatrice du Collectoire avec une extrême gentillesse. Une soixantaine de passionnés ont put assister à une entrevue unique et exceptionnelle avec l'immense Pierre Etaix. Il est vrai que les superlatifs manquent pour décrire cet artiste hors normes, véritable homme orchestre qui a marqué aussi bien l'art clownesque que le cinéma comique avec la même maestria. Son talent étant à la mesure de son humilité. Tantôt espiègle, tantôt farceur, le maître du slapstick à la française va nous faire passé un moment inoubliable en compagnie de l'inénarrable Jean Merlin qui a conduit ce talk show de main de maître.

Photo : Jérémie Kerling.

Présentation

Après avoir été appelé d'urgence en « Union Soviétique » le 26 mai 2012, Pierre Etaix est bien là ! Merlin en profite pour remercier Georges Proust pour son accueil et Bernard Bilis pour sa contribution et aux documents introuvables qu'il a fournit pour l'occasion. Merlin a demandé une fiche de présentation à Proust pour introduire Pierre Etaix et commence par ces mots : « Né en 1652 à Buenos Aires, sur un parking […] A 12 ans, il mange plusieurs de ses camarades […] Mais c'est pas votre fiche ça Pierre ! C'est celle de Peter D.. » (Private joke en rapport à la revue de presse de Merlin du 26 mai).

Rien de mieux que de commencer à ce servir un petit canon avant de commencer un talk show, cela devient une habitude ! Jean Merlin sert du Lagavulinà Pierre Etaix (à l'écossaise avec une goutte d'eau) et du Champagne pour sa femme Odile. Les gosiers rincés, on peut entamer la discussion.

Merlin, Bilis et Etaix.

Néà Roanne en 1928, Pierre Etaix étudie le vitrail avec le maître verrier Théo Hanssen. Très tôt attiré par le dessin, il a pu côtoyer l'ami de son père qui était un peintre cubiste ayant travaillé avec André Lhote. Le dessin n'est qu'une des cordes de son arc. Egalement cinéaste, sculpteur, peintre, écrivain, magicien, affichiste, artiste de cirque, Pierre Etaix est un touche à tout. Il n'y a que la cuisine qu'il ne sait pas faire, rétorque t-il amusé. Modeste, il ne se considère pas que un professionnel mais comme un amateur dans beaucoup de domaine. Le professionnel est, selon lui, celui qui va passer 10 heures par jours à travailler un détail. Bernard Bilis notera quand à lui, le « professionnalisme » d'Etaix dans sa façon d'aborder les différentes disciplines artistiques où l'on reconnaît toujours sa touche personnelle.

« Je ne crois pas être un créateur. Je ne crois d'ailleurs pas vraiment à la création. On reprend des choses qui existaient déjà. Degas disait qu'il n'avait jamais mis de passion dans ce qu'il avait fait mais qu'il avait beaucoup travaillé ! Si je ne crois pas en la création, je crois que le travail artistique porte en soi sa valeur. Et pour moi c'est essentiel. Il faut rechercher la perfection formelle. »

La magie

Pierre Etaix aborde ensuite le domaine de la magie et dit toute son admiration pour le prestidigitateur Jean Valton qui a développé des principes brillants de manipulation. De son vrai nom Jean Levaton, cet ancien professeur de mathématiques s'est spécialisé dans la manipulation de cartes. Un extrait vidéo le montre en train d'exécuter le fameux tour du bonneteau avec 3 cartes.

Jean Valton.

Pierre Etaix rebondit sur cette séquence pour parler de la règle de 3 qui est la règle d'or dans tous les domaines artistiques. Lui-même l'a appliqué au music-hall et au cinéma dans la construction de ses gags. Dans un premier temps, on trouve une idée, une situation : c'est l'exposition. Dans un second temps, on développe cette idée. Le troisième temps c'est la conclusion et la surprise. Fin de la digression et retour à la prestidigitation.

Hardy l'enchanteur (Collection Hjalmar).

C'est à l'âge de 5 ans que Pierre Etaix s'est intéresséà la magie, en voyant sur scène un magicien exécuter le chapeau de Tabarin et la boîte au dé baladeur. Ce même magicien nouait deux foulards et les nœuds voyageaient. Plus tard il rencontra Hardy l'enchanteur qui lui montra un filage de carte « en vol » et une disparition de foulard au FP. Il retiendra surtout une de ses phrases : « Ce qui est important en magie, c'est d'apprendre à exécuter le tour et non d'en connaître le secret. »

Le magicien qui l'étonna le plus fut Rezvani et ses coussinets de la princesse. Il garde un souvenir émut de cette soirée de 1949 au Théâtre de l'Empire. Hardy l'enchanteur lui fit aussi grande impression avec sa chasse aux pièces, ses apparitions de bocaux et le tour de l'eau dans le cornet de papier, que Pierre Etaix a longtemps pratiqué.

Le Slapstick

Le terme Slapstick est intraduisable en français. Littéralement, c'est le bruit de la batte (stick) qui donne la gifle (slap). Dans ce genre de gag, il y a un effet de surprise, une chute. Cela peut-être la conclusion ou la répétition de ce fameux troisième temps décrit plus haut. Pierre Etaix prend l'exemple de Buster Keaton, son maître, où chaque gag est construit comme un scénario dans un schéma presque mathématique. Il pense notamment à cette fameuse séquence d'anthologie de Steamboat Bill junior (1928) où la façade d'une maison lui tombe dessus par l'ouverture d'une fenêtre ! En ce qui concerne Laurel et Hardy c'est du Slapstick déguisé dans la gratuité des gags et l'étirement du temps.

Jerry Lewis, l'alter ego.

Pierre Etaix est avec Jerry Lewis, l'héritier du Slapstick. Pour lui, le son est aussi important que l'image (comme disait Bresson). L'utilisation de la bande sonore doit être travaillée minutieusement, à part, comme une partition. Tati inaugura cette optique avec Les vacances de Monsieur Hulot (on se souvient de cette fameuse porte qui grince) et Etaix travaillera le son comme un orfèvre dans ses films à suivre.

Buster Keaton, le maître.

« Le plus grand pour moi reste Buster Keaton. Mon ami l'auguste Jimmy Beck avait pu travailler avec lui quand Keaton était venu au cirque Medrano dans les années 50. Il était épaté par ses prouesses techniques comme le fut d'ailleurs mon ami Willy Dario. Eleanor Keaton m'a appris que Buster avait été enterré avec dans sa poche un jeu de cartes. C'était lui qui lui avait demandé en lui disant : Après tout, je ne sais pas sur qui je peux tomber…»

De l'illustration au music-hall

Etaix monte vite sur Paris pour vendre ses illustrations et ses dessins humoristiques qui sont publiés dans la revue du Rire. Il travaille également comme décorateur de vitrine. Parallèlement il écume les cabarets parisiens (Le cheval d'or, l'Olympia, l'Alhambra, les 3 baudets …) avec un numéro de music-hall où il joue de la mandoline et enchaîne une série de catastrophes sans fin avec une chaise et un costume en loque. Un comique visuel fonctionnant sur la « mécanique du pire ».

Un extrait vidéo nous montre Etaix avec Jean Preston dans un sketch télévisuel chez Jean-Christophe Averti. A la question de Preston : « Pourquoi ne faites vous pas plus de télévision ? » S'en suit des situations comiques, où le montage occulte certaines démonstrations de magie comme la manipulation de dés à coudre et de cartes par Etaix lui-même. « Le gros plan c'est formidable », sauf qu'en réalité on ne voit rien des manipulations ! Le téléphone se mêle à la partie pour perturber l'échange entre les deux hommes, jusqu'à la chute et l'explication final coupée du son.

Le cirque et le clown

Passionné par les clowns, Pierre Etaix se lance dans l'aventure avec son premier partenaire Nino Fabri. Un extrait vidéo les montre tous les deux dans un numéro de chez Gilles Margaritis intituléNino et Léo. Un deuxième extrait vidéo montre deux collègues acteurs de Pierre Etaix, Emile Coryn et Willy Dario, improviser « l'entré du miroir (brisé) ». Un joli numéro tout en symétrie sur un schéma reprit de Max Linder dans son film 7 ans de malheur (1921).

Pierre Etaix et Annie Fratellini.

Etaix parle de ses modèles : Grock qui était « un monstre » aux multiples talents (danseur, acrobate, jongleur…) et surtout le clown franco-espagnol Charlie Rivel, moins « technique » mais plus humaniste et émouvant. Une véritable « horloge suisse » dont la devise était : « Je prend un rien et j'en fais un monde ». Un extrait vidéo nous montre Rivel essayé de soulever une chaise qui lui tombe sur le front. S'en suit une série de gémissements et de charabias comiques avec l'apparition de Pierre Etaix en clown à la fin du numéro.

« Un grand clown, c'est un homme gentil et innocent. Tout le monde rit de lui, mais il est plus intelligent que les autres, car c'est plus difficile de faire l'imbécile que l'homme intelligent. » Charlie Rivel

Etaix épouse Annie Fratellini, fille d'une illustre famille, et travaille avec elle dans les cirques. Celle-ci détestait ce milieu à cause de son père Victor qui l'obligea à faire ce métier. Malgré tout, elle reste une figure emblématique et la première femme à jouer l'auguste.

Charlie Rivel par Pierre Etaix.

Un extrait vidéo nous la montre en train de se maquiller et d'expliquer devant la caméra la symbolique des couleurs : blanc, rouge et noir. Un deuxième extrait vidéo nous montre son numéro en auguste avec Pierre Etaix en clown blanc. Elle joue les troubles faits en jouant un petit air d'accordéon ou de trombone. Les deux clowns entament un duo au saxophone et clarinette avec une chaise farceuse qui fait chuter à mainte reprise l'auguste. La scène se termine par un peu de magie et la silhouette assise d'Annie Fratellini sans la chaise pour la soutenir. Le couple repart ensemble dans les coulisses. A la vue de ses images d'archives on a senti Pierre Etaix très émut, sa femme l'ayant quitté d'un cancer en 1997.

En 1971, Pierre Etaix fonde avec Annie Fratellini l'Ecole Nationale du Cirque. A l'époque, l'état du cirque était catastrophique. L'urgence de la mission était de « redresser » le milieu en formant environs 300 élèves avec les meilleurs « profs » de l'époque.

Le théâtre

Il signe sa première pièce de théâtre en 1985 avec L'âge de Monsieur est avancé. 2010 signe son grand retour sur scène avec Miousik Papillon, un spectacle de music-hall entre clown, cinéma et jazz convoquant le burlesque, le mime et l'absurde. Malheureusement, le spectacle a du mal à tourner, victime des préjugés d'une certaine intelligentsia culturelle jugeant l'image des clowns ringarde.

Miousik Papillon.

Jacques Tati

C'est en 1958, lors de la production du spectacle Jours de fête à l'Olympia, que Pierre Etaix rencontre Jacques Tati. Invité chez lui, Etaix lui montre une sacoche remplie de dessins, Tati les regarde longuement et lui dit qu'il possède un grand sens de l'observation et du gag. Après lui avoir posé quelques questions et l'avoir démotivé sur le métier de comédien, il lui propose de travailler sur le scénario de son prochain film (Mon Oncle) et de lui «écrire » les gags. Très vite Pierre Etaix sera au four et au moulin, tantôt accessoiriste, assistant réalisateur et figurant ; Tati profitant de lui pendant une bonne année sans le payer !

Affiche du film Mon Oncle de Jacques Tati par Pierre Etaix.

Etaix qualifie Tati de grand sympathique, d'un cinéaste qui avait un grand sens du comique, qui était perfectionniste et passionné dans ce qu'il entreprenait. Il a marqué de son emprunte le cinéma comique mondial.

Robert Bresson et Kassagi

Pierre Etaix collabora en tant que figurant dans le chef-d'œuvre de Robert Bresson Pickpocket. On peut justement parler de « figure » dans l'œuvre du cinéaste janséniste tant l'acteur y est rejeté. A mainte reprise, Bresson a décrit son système de « jeu » en employant le plus souvent des « comédiens » non professionnels (lire à ce propos Notes sur le cinématographe). Le récit de l'expérience de Pierre Etaix va dans ce sens. Il décrit Bresson comme un homme d'une élégance et d'une prestance rare qui considérait la réalisation d'un film ennuyeuse, où seul l'écriture avait toute son estime.

Kassagi et Pierre Etaix (à droite) dans Pickpocket de Robert Bresson.

Comme tout créateur exigent (Fellini, Tati), Bresson était un « doux » tyran, sachant tirer le maximum de ses « modèles », comme il aimait à les appeler. Un sadisme qui servait, au final, le film pour aller au bout des choses et en tirer la substance même. Dans les scènes où Etaix apparaît comme pickpocket, le réalisateur ne lui donnait aucunes indications de jeu, il ne savait pas quoi faire. Juste quelques remarques du genre : « regardez le fort (à Kassagi), pas un regard dur, un regard FORT ! ».

C'est sur ce film que Pierre Etaix rencontre le magicien pickpocket Kassagi. Il est très vite fasciné par son culot. Après nous avoir raconté une anecdote savoureuse, Etaix termine son évocation par cette phrase : « C'est dans la psychologie que tout ce passe ». Une vérité sortie de la bouche du magicien tunisien qui s'était fait assurer ses mains 5 millions pièce.

Le cinéma

De 1963 à 1971, Pierre Etaix signe cinq longs métrages. La réussite de son premier long-métrage, Le Soupirant (1963) va le révéler définitivement comme un auteur comique de tout premier plan. Yoyo (1965) sera son chef-d'œuvre. À son art incomparable du burlesque, le cinéaste y ajoute une poésie très personnelle, visuelle et sonore, liant avec beaucoup de subtilité le rire et l'émotion. Un grand film initiatique et emphatique sur la perte de l'innocence et l'éternelle jeunesse. Avec Le Pays de cocagne (1971), Etaix croque un portrait sans complaisance de ses contemporains, mais le film est un échec public et critique qui ne restera que 10 jours à l'affiche. Voulant traiter d'un sujet d'actualité brûlant (l'après mai 1968), Etaix s'est fait descendre par la chaîne de radio Europe 1 qui conditionna toute la presse dans ce sens.

Pierre Etaix exécutant le tour des anneaux chinois dans son film Yoyo.

Son avant dernier film J'écris dans l'espace (1989) est une expérience douloureuse et frustrante. Commandité par la géode de la Villette, ce film en Omni Max (relief à 180°) a du être bouclé en 15 jours (au lieu de 6 mois, en temps normal). Etaix dû résoudre une montagne de problèmes techniques (11 points sonores à gérer ainsi que le rythme des images qui défilent). Le réalisateur en profite pour parler de la technique des nouveaux procédés 3D qui est, la majorité du temps, employée à faire une démonstration qui ne sert pas l'histoire.

Au cinéma, Pierre Etaix s'est construit un personnage sur les bases des grands cinéastes du muet tels Chaplin et Keaton qui ne jouent pas un rôle mais incarnent leur propre personne. Pierre Étaix compose ainsi un personnage marginal et rêveur doté d'une élégance naturelle, sans cesse confrontéà un monde moderne qui ne veut pas de lui, dont l'archétype est Yoyo.

Dessin de Charles Chaplin en Dictateur extrait de l'album Stars Système. Un livre de dessins incroyables où Pierre Etaix rend un hommage aux grandes stars du cinéma. Les règles : une feuille de papier quadrillée à petits carreaux et un crayon sur laquelle il faut suivre le bord des petits carreaux ou les traverser en diagonale. On peut mettre un point, mais seulement a l'intersection de 2 lignes. On peut noircir ou griser les carreaux. C'est tout !

Jean-Claude Carrière

Etaix rencontre Carrière chez Tati. Carrière, ancien prof d'histoire, venait d'écrire son premier roman et un essaie intituléLe journal du promeneur, d'après le film Les vacances de Monsieur Hulot, alors que Pierre Etaix en avait réalisé les illustrations. Très vite les deux hommes sympathisent et se trouvent des points communs dans l'adoration du cinéma comique américain et du Slapstick en particulier. C'est d'ailleurs Carrière qui fait découvrir Buster Keaton à Pierre Etaix et qui lui parle de son envie de faire du cinéma. Rupture (1961) sera leur premier court-métrage qu'ils coréalisent ensemble. Le début d'une belle complicité artistique, où ils élaboreront des gags millimétrés.

Photo : Stephane Lavoue.

Les projets inachevés

Plusieurs films écrits, travaillés et préparés par Pierre Etaix entre 1974 et 1986 n'ont jamais vu le jour, faute de trouver un producteur qui tienne la route et fasse confiance au cinéaste, mais aussi faute du destin.

-B.A.B.E.L avec Jerry Lewis son alter ego américain.
-Aimez-vous les uns les autres, où l'histoire de l'humanitéà travers le nouveau et l'ancien testament. Un projet déjà bien avancéà l'époque où Etaix travailla pendant 8 ans dans un studio àélaborer des trucages dans l'esprit de Georges Méliès. Mais le producteur Toscan du Plantier (du Plombier) n'a pas donné suite et Etaix n'a toujours pas de nouvelle à l'heure actuelle (rires).
-Nom de Dieu avec Coluche. Sous la pression des producteurs qui veulent absolument une vedette en tête d'affiche pour produire le prochain film d'Etaix, le réalisateur décide de faire appel à la grande star de l'époque dans une œuvre où le manichéisme est inversé. Coluche, quand à lui, voulait depuis toujours travailler avec Etaix et lui dit : « J'ai loupé Tati, je ne vous louperai pas ! ». Claude Lelouch avait trouvé un distributeur avec la Warner. Terrible coup du sort, quelque temps après avec l'accident de moto du comédien qui avorte le projet.

Photo : Stéphane Remael.

« De nos jours, on veut tout conserver, tout enregistrer. Mais qu'est-ce que la durée de vie d'une bande magnétique… Dix ans ? Bien sûr, on peut enregistrer sur d'autres supports. Mais le travail du temps fera son office de toute façon. Il faut accepter l'idée que les choses sont périssables. Le DVD c'est hermétique. Peut-être que la vraie culture est celle qui se perpétue comme celle du cirque. Elle est comparable aux traditions orales de l'Afrique noire. Cela fait 3000 ans que les Chinois ont inventé le cirque. C'est une longue histoire qui s'est perpétuée. Mais qu'en sera-t-il demain ? Qui peut le dire ? Les dinosaures ont bien disparu. Le spectacle avec et devant les spectateurs c'est la base. »

Conclusion

Après plus de deux heures d'entretiens et d'échanges, la soirée se termine par une séance de dédicaces et de photos. Pierre Etaix et sa femme Odile se montrent d'une grande disponibilité pour parler avec quelques spectateurs. De la vision artistique du maître jusqu'aux difficultés qu'il rencontre pour mener à bien ses projets. Une grande leçon d'opiniâtreté, de courage par cet artiste de 84 ans qui a su garder une incroyable fraîcheur juvénile et qui a gardé l'envie et l'énergie de monter ses projets. « Aujourd'hui, ce n'est pas simple de vivre avec ses croyances, mais il faut continuer coûte que coûte. »

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Alain CHOQUETTE / Drôlement Magique

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Du Canada à la France

« Rêver ne tient qu'à un fil », aime à répéter Alain Choquette. « Né sur une ferme » dans le village de Sainte-Adèle, au nord de Montréal, il n'a que 8 ans quand son père fait apparaître dans sa main un foulard rouge. Si son géniteur souhaite qu'il devienne médecin, il ne l'empêchera jamais d'exaucer son vœu le plus cher : être magicien. Depuis Alain Choquette s'est produit devant des milliers de spectateurs au Canada et aux États-Unis. Dans les casinos de Las Vegas (où il a produit quatre spectacles, dont celui de l'inauguration du Casino Paris- Las Vegas en 1999), mais aussi dans des écoles et des maisons de retraite. Son cinquième spectacle était un One Man Show particulier car il présentait de la micro magie pour des grandes salles grâce à des écrans géants. David Copperfield a même collaboré avec lui, notamment, en reprenant certains de ses tours dont le mythique As de son père présenté sur un écran géant (Grandpa's Aces).

Après une tournée de conférences en France en 2009, il a testé le public parisien au Théâtre du Gymnase en 2012 avec un premier spectacle intituléAlain Choquette et Vous pour ensuite intégrer l'équipe du Comedy Magik Cho d'Arturo Brachetti en 2013. L'année suivante marquera le début de son one man show magique triomphal.

Introduction

Sur scène sont disposés cinq socles rétroéclairés en métal, numérotés de 1 à 5 (les numéros sont sculptés dans la forme). Alain Choquette arrive en tenue décontractée, jean/chemise. Le personnage est d'emblée accessible, souriant, cool et enjoué. Cet «énième » québécois part avec un avantage énorme : un capital sympathie maximal et commence son spectacle par un tour de cartes qu'il adore.

Le bonneteau

Le magicien exécute ce fameux numéro avec trois cartes géantes où il faut retrouver le roi perdu entre deux cartes noires. Après différents mélanges, les spectateurs se trompent immanquablement.

« Ce soir, je vais vous étonner, vous bluffer, mais surtout, je vais vous traiter comme des rois ! » Sur ses dernières paroles, les trois cartes se transforment en rois.

Faites comme moi

Tous les spectateurs de la salle sont invités à se saisir d'un jeu de cartes qui leur a été distribuéà l'entrée de la salle. Celui-ci est entouré d'un élastique et mis dans une enveloppe.

Sur les instructions données pas à pas par le magicien, le public va exécuter les mêmes mouvements que ce dernier. 1/3 des cartes sont retournées face en haut, 2/3 face en bas, une carte est retournée face en bas et une autre est retournée face en haut, etc. L'opération est répétée et arrivéà la phase finale, tout le monde se retrouve avec la même carte retournée face en haut ! Une variante du tour participatif, à très fort impact, déjà présenté au Comedy Magik Cho en 2013 et au Plus Grand Cabaret du Monde sur France 2.

Le fil hindou (The Gypsy Thread)

Ce tour est l'un des préférés de son auteur depuis 28 ans, parce qu'il parle de lui, de son histoire, de son parcours depuis son enfance. C'est un formidable vecteur qui permet au magicien de « tisser » des liens avec les gens et de « toucher » chacun d'entre eux grâce à des expériences communes. Ainsi, Choquette raconte que la timidité, sa timidité peut tout casser (il coupe le fil). Il était amoureux d'une fille, mais ce fut sa première peine d'amour (cœur brisé, cassé). Il était sportif, mais après une vilaine chute : jambe cassée, bras cassé… Et, pour finir, la relation père/fils (qui est au centre de son spectacle) fut cassée en mille morceaux.

« Mais j'y ai cru ! Je les ai tous réunis en un lien qui nous fait croire que le rêve ne tient qu'à un fil. » Fil reconstitué au final. Le magicien a présenté une variante de ce tour avec du fil fluorescent traitéà la peinture ultra-violet qui est à l'origine accompagné d'un poème de Gilles Vigneault.

Les défis

Une enveloppe à prédiction et un coffre contenant un document roulé sont confiés à deux spectateurs dans la salle (ils serviront de révélations plus tard dans le spectacle).

« Pour réaliser ses rêves, il faut relever des défis. Vous français, vous êtes des cartésiens. Ceux qui veulent me défier, venez sur scène ! »

Quatre personnes montent sur scène et vont participer chacune leur tour à un numéro.

Le magicien discute longuement avec la première personne pour « rentrer dans son intimité». Il va vérifier son intelligence grâce à une petite boule noire qu'il fait rebondir au sol. Il confie celle-ci au spectateur mais elle ne rebondit plus et tombe à plat (Gag : « bonjour le niveau…»)

Le défi commence et sera constitué de 5 étapes correspondant aux socles disposés sur scène.

Le magicien mélange un jeu de cartes et coupe sur les 4 as qui sont retournés face en haut. Il demande ensuite au premier spectateur de toucher une carte face en bas et de la placer au centre de la table. « 8 fois sur 10, la carte représente la personnalité de celui qui l'a choisie » Le magicien retourne la carte qui correspond selon lui à« l'idiot du Canada » (leitmotiv). Une prédiction est placée de côté par le magicien. Le spectateur reprend une carte au hasard. La prédiction est retournée et correspond à la moitié de la valeur de la carte impaire choisie (3 ½).

Le magicien discute un peu avec la deuxième personne et lui propose de retrouver un roi de cœur à dos rouge parmi trois cartes blanches. Après avoir mélangé les cartes, le spectateur perd à chaque fois. Au final, les cartes sont toutes blanches recto/verso.

Le magicien propose un super défi au troisième spectateur. Il lui demande de toucher une carte n'importe où dans un jeu et de la placer face en bas sur la table. Il confie alors un jeu invisible à un autre spectateur et lui demande de mélanger les cartes imaginaires, d'en choisir une et de la nommer. La carte correspond à celle tirée par le troisième spectateur.

Défi n°5 pour le quatrième et dernier participants avec le tour du gobelet (chop cup) et de la balle. Le but est de deviner ou se trouve la balle : dans la main ou sous le gobelet ? Evidemment le spectateur perd à tous les coups. Au final, un citron apparaît sous le gobelet.

Les cinq défis s'enchaînent sans temps morts et sont d'une redoutable efficacité.

Brainwave

« Conclusion, personne n'est arrivéà relever un défi, alors je vais me lancer moi-même ! »

Sur ses paroles, le magicien montre un bocal rempli de 52 jeux de cartes encore dans leur étui cellophané. Dans chaque jeu, il y a une carte retournée.

Un spectateur choisi 4 jeux au hasard, et sélectionne un seul jeu pour finir. Le magicien dit avoir droit à 3 jokers (en référence à l'émission de téléQui veut gagner des millions ?)

Main gauche ou main droite ? 50/50 : choix du public, gauche ou droite ? (reste deux jeux). Appel à un ami : il demande aux spectateurs d'appeler une personne de leur répertoire et sélectionne trois d'entre eux sur scène.

Au premier, il lui demande de choisir rouge ou noire ? Au second : cœur ou carreau ? Au troisième : un chiffre de 1 à 13 pour déterminer la valeur de la carte.

Le magicien récapitule toutes les actions menées (à la manière de Robert-Houdin) pour bien encrer dans la tête des gens que dans cette situation il est impossible de prédire une carte à l'avance par l'intermédiaire d'une foule de personnes interposées choisies au hasard ! Et pourtant, le jeu sélectionné par différente personne révèle en son centre une carte retournée qui s'avère être la bonne.

Il fallait du culot pour oser présenter ce tour ultra classique, connu de tous, même des profanes et vendu dans certaine boîte de magie. Alain Choquette a relevé le défi en déconstruisant ce que tout le monde sait ou croit savoir (le modus operandi) pour transfigurer le truc en un grand moment de tension dramatique et de crescendo.

Le tour du foulard

« Le premier tour que j'ai appris fut celui du foulard en oeuf. »

Le magicien fait venir sur scène une petite fille et exécute la classique transformation du foulard en œuf dans le poing. Le foulard est retrouvé dans une boîte. Le truc est révélé par l'intermédiaire d'un trou mais au final une surprise attend la jeune fille sous forme d'une gommette de la même couleur que le foulard. « Je te donne ce trou que tu placeras sous ton oreiller pour qu'il se transforme en une pièce de deux euros ! » (Message en forme de clin d'œil aux parents).

Alain Choquette profite de ce moment pour adresser un message à son père qui ne l'a jamais vu sur scène et qui lui a appris ce premier tour de magie.

Les mots du tableau

« Il me faut une dame entre 25 et 45 ans, levez-vous mesdames svp. Les timides asseyez-vous…»

Une femme arrive sur scène devant un paperboard. Le magicien lui demande de répondre à 9 questions (le prénom de sa meilleure amie, le nom de son amoureux, l'alcool qu'elle n'aime pas, ses sous-vêtements préférés, une personnalité française, etc.)

Toutes ces informations sont écrites sur le tableau. Le magicien demande au spectateur dans la salle de lui remettre le coffre du début du spectacle où se trouve une feuille enroulée. Celle-ci est prise par la spectatrice elle-même qui lit une histoire qui contient les 9 mots qu'elle a énoncés plus tôt !

Révélation au programme

« Tous les hommes mariés se lèvent »

Un parpaing en mousse est jeté dans la salle pour sélectionner un spectateur.

« Monsieur, je vais contrôler toutes vos décisions ! »

Le magicien lui demande de choisir un journal parmi trois, de sélectionner une page, de la déchirer en deux parties, de la déchirer encore jusqu'à ce qu'il ne reste que deux petites boulettes. Choix d'une boulette et choix d'un mot complet à l'intérieur. Une fois le mot sélectionné et révélé au public, le magicien demande à toute la salle de prendre le programme du spectacle et de poser son pouce sur une partie bien précise de l'image qui révèle (par la chaleur) le mot sélectionné du début.

L'impact de cette routine est fabuleuse et sa construction, une fois de plus, remarquable. L'idée d'utiliser la plaquette du programme amène un véritable sens à l'interaction souhaitée par le magicien avec son public.

Ultime Prédiction

« Maintenant, tout le monde dans la salle se lève avec un objet personnel au bout de ses doigts. »

Le magicien écrit une prédiction sur une feuille visible de tous. Ensuite, la salle est « divisée » en sections et en chiffres pour choisir un spectateur au hasard. A chaque questions d'Alain Choquette, la salle répond et donne son choix : homme ou femme ? + ou – de 50 ans ? Cheveux ou pas cheveux ? Pâle ou foncé ? Droite ou gauche ? Choisissez 5 personnes, puis 3, puis 2 puis 1 seule.

Le magicien récapitule les nombreuses actions menées et demande à la personne sélectionnée de montrer son objet personnel. Le magicien dévoile sa prédiction sur laquelle est marqué le nom du même objet. Il demande ensuite le nom du spectateur et celui-ci se retrouve également inscrit sur la prédiction !

L'histoire personnalisée

Pour faire retomber la pression des révélations en chaîne (trois séries de prédictions allant crescendo), le magicien reprend son jeu de cartes et entame une histoire « en image » avec les 52 cartes en enchaînant les révélations par son texte qui est personnalisé par rapport au premier spectateur sélectionné dans le défi de la balle. Ainsi, après avoir mélangé le jeu, Choquette coupe sur une carte qui se révèle être la carte qui correspond à« l'idiot du Canada » (leitmotiv).

Ce tour très réussi est une bouffée d'oxygène pour le public qui rit de bon cœur aux déboires et à la vie trépidante de ce spectateur fétiche affublé d'un surnom rigolo (ce détail important marquera durablement les gens).

Les papillons

Le magicien s'assoie sur une chaise avec un éventail et conclu son spectacle avec une métaphore très explicite et poétique :

« J'ai un symbole qui m'inspire : le papillon monarque (orange et noir). Son défi c'est d'arriver au Mexique. C'est pour moi un symbole de courage extraordinaire. »

Il déchire des morceaux de papier.

« J'aimerais ce soir vous offrir à chacun d'entre vous un papillon »

Les papiers déchirés se transforment en des centaines de papillons qui volent dans toute la salle dans un effet extraordinaire. Avec ce tour de la neige japonaise revisitée, Choquette atteint des sommets de poésie métaphorique et touche au cœur les spectateurs.

Il finit sur une touche nostalgique en parlant de son père et enfonce le clou de l'émotion (sincère). Bravo l'artiste !

Conclusion

Alain Choquette nous donne une véritable leçon de présentation et de modestie. Si au premier abord, le magicien qui est en nous constate la grande simplicité et le classicisme de son répertoire, il est ensuite conquis et fasciné par la mise en scène de chaque routine. Des routines qui deviennent des modèles de structures dramatiques. Le magicien québécois a compris qu'il vaut mieux réviser ses classiques, travailler des techniques et des tours de « bases » en se les appropriant et en les « rodant » sans cesse, plutôt que de courir « la nouveauté» et se perdre dans un répertoire qui ne nous correspond pas !

Le prodige d'Alain Choquette est d'installer au fur et à mesure de la représentation une véritable communion entre chaque spectateur, ce qui rend le moment encore plus inoubliable au-delà des tours de magie et de l'esbroufe facile. Le sens du relationnel et du contact du magicien font des merveilles.

Chaque intermède est ponctué de moments musicaux sur lesquels le magicien se dandine comme un enfant espiègle et rieur, visiblement très content d'être là où il est. Ces petits moments anodins, qui pourraient être « déplacés » renforcent admirablement l'idée d'intimité qu'Alain Choquette a voulu instaurer avec le public.

Un extraordinaire spectacle émouvant, drôle et touchant qui démontre avec brio qu'au-delà de la discipline artistique, la simplicité et la sincérité sont les clés de la réussite.

A voir :
- Alain Choquette dans Drôlement magique au Théâtre de la Gaîté Montparnasse jusqu'au 3 mai 2015.

Crédit photos : Emilie Brouch.

FANTOMES SPIRITES

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Depuis longtemps, médiums et spirite, en dehors des feuilles qui leur sont particulièrement dévouées, avaient laissé le silence se reformer autour d'eux à la suite sans doute du défi lancé jadis par Gustave Le Bon dans les colonnes de l'Eclair, défi dont nous avons entretenu nos lecteurs en son temps et qui ne fut jamais relevé. Mais, à l'occasion d'un article publié dans le Matin, à la date du 29 janvier dernier, sous le titre : « Photographie de fantômes », le docteur Albert Charpentier, membre de la Société universelle d'études psychiques rouvrait le débat en offrant une somme de 2 000 fr., à laquelle M. B. Ciodrey ajoutait encore 3 000 fr., au médium qui, dans des conditions de contrôle très sévères, provoquerait une apparition de fantômes. C était tentant ! Cependant, au cours des pourparlers, le but à atteindre dévia un peu. En effet, ce ne sont plus des fantômes que créera le médium, Mme Marie Démange, présentée par M. Fernand Girod (secrétaire général de la Société internationale de recherches psychiques), mais seulement le déplacement d'objets sans contact.

Entre nous, promoteurs et acteurs ont bien fait de renoncer à l'exhibition des spectres, car leur production n'a guère fait de progrès depuis les apparitions jadis suscitées par Robin. L'effet en était merveilleux et tout à fait impressionnant, mais possible seulement par des moyens de prestidigitation ; et les médiums de nos jours, si audacieux soient-ils, n'ont jamais réussi à faire mieux pour réaliser leurs prétendues matérialisations.

Henri Robin photographié par Eugène Thiebault en 1863.

Pour en revenir au projet du Dr Charpentier, il devait, ces jours-ci, être mis à exécution devant le contrôle de six savants et personnalités réputées, trois étant invités par chacune des parties. Leur liste en a été publiée : journalistes, médecins, psychologues et physiologues, rien n'y manque... sauf, comme par hasard, l'élément qui semblerait indispensable : un prestidigitateur. Cette abstention systématique n'est pas pour étonner qui connaît la façon habituelle des médiums de se dérober au contrôle de ceux qui sont tout indiqués pour voir clair dans leur jeu et découvrir leurs fraudes.

Mais le Dr Charpentier, dont la bonne foi et le désir de faire la vérité ne sauraient être mis en doute, a, dans l'occasion, peut-être manqué de clairvoyance et péché par excès de confiance en n'élargissant pas jusqu'aux gens du métier son champ d'investigation. Tout en rendant hommage à l'expérience et à la subtilité des savants en cause, nous savons trop nous-mêmes, modestes prestidigitateurs, combien il nous est facile, au cours de nos plus anodines expériences, de les leurrer et de déjouer leur perspicacité. Que sera-ce donc lorsqu'ils auront à lutter contre les machiavéliques organisations des médiums ?

Pour cette fois, ces derniers ont encore la part belle ; car, en opérant devant un auditoire ainsi composé, Madame Marie Démange et son présentateur ont, certes, les meilleures chances de se voir délivrer un procès verbal de réussite et de satisfaction.

La table ne bouge pas

L'expérience officielle de spiritisme qui doit avoir lieu le 24 février (dans les conditions que connaissent les lecteurs du Matin) a déjàété précédée d'une expérience en quelque sorte officieuse, à laquelle il nous fut donné d'assister.

Au centre d'une pièce étroite, où trente convaincus s'étaient réunis, M. Girod plaça un guéridon en bois blanc. Les quatre pieds de ce guéridon avaient été préalablement posés dans quatre cercles tracés à la craie, afin que tout déplacement de l'objet pût être vérifié. Puis le cercle spirite se forma. Neuf personnes, cinq femmes — dont Mlle Démange, le médium — et quatre hommes, le composèrent. Assis sur des chaises, à 40 centimètres environ du guéridon, ces convaincus furent ligotés aux barreaux et aux pieds de leurs sièges de telle sorte qu'il leur était impossible de tenter le moindre mouvement. Une première fois, l'obscurité totale se fit.

Quelques minutes s'étaient à peine écoulées que Mlle Démange fut « en état ». Agités d'un tremblement nerveux, ses membres se tordirent au point que le bois de la chaise en cria. Un souffle rauque sortit de sa gorge oppressée. D'autres soupirs s'entendirent soudain. C'était une des femmes composant la chaîne humaine qui tombait en crise. Une autre suivit, puis une autre encore, et bientôt ce fut un ensemble de halètements, coupés de silences brefs. Epuisée, après vingt minutes d'affres hystériques, le médium demanda grâce enfin. On tourna le commutateur électrique et la lumière jaillit. La table n'avait pas bougé.

Après que la salle, où l'on étouffait, eut été aérée, M. Girod, qu'assistaient MM. le commandant Dargef, connu pour ses photographies de la pensée, et Fabius de Champville, tenta une seconde et dernière expérience. Vingt autres minutes s'écoulèrent, où l'on put ouïr le même concert obsédant. Malgré les efforts du sujet, ses appels rudes — car il suppliait maintenant — le guéridon facétieux, et, disons-le, peu galant, s'obstina à demeurer en place. De guerre lasse, M. Girod suspendit la séance. Pour expliquer son échec, le médium affirma que « l'esprit » qui le visitait étant femme, il ne pouvait souffrir nulle contrainte. Or, on l'avait enchaîné ! Espérons que, le 24, cet esprit difficile se montrera plus accommodant, ou tout au moins que le guéridon voudra bien être moins rebelle.

Méliès et les spirites

Le 25 février, on pouvait lire ce qui suit dans Le Matin :

« Nos lecteurs se rappellent que, le 31 janvier dernier, Monsieur F. Girod proposait au Dr Albert Charpentier de lui prouver, grâce aux facultés spéciales de Mme Marie Démange, la réalité du phénomène d'un déplacement d'objet sans contact. A cet effet, M. Girod avait accepté de produire le phénomène devant les huit observateurs dont nous avons publié les noms. Le Dr A. Charpentier avait, en collaboration avec ses assesseurs, MM. Babinski, Lapicque et Roubinovitch, établi le procès verbal des conditions nécessaires de l'expérience projetée. Ces conditions furent sévèrement discutées au cours de deux réunions principales. Après les deux jours de réflexion qu'il avait demandés pour se prononcer définitivement, M. Girod, par une lettre adressée au Dr Charpentier, a cru devoir renoncer à se soumettre à ces conditions qu'il trouve trop rigoureuses. En cette occurrence, les trois séances d'expérimentation ne pourront avoir lieu ».

Spirits de Thomas Fontaine (2011).

Peut être la prestidigitation, ou tout au moins un prestidigitateur, n'est il pas étranger à la décision prise par M. Girod : car il y avait eu, malgré ce que nous en disions, un appel fait aux lumières des professionnels de l'Illusion, ainsi qu'en témoigne la lettre suivante, qui nous est adressée par M. Méliès, l'aimable directeur du théâtre Robert-Houdin, que nous publions intégralement :

Paris, le 27 Février 1912.

Mon cher Monsieur Caroly ; Je lis ce soir, dans L'Illusionniste, votre article sur les fantômes et sur le défi porté par le docteur Charpentier au médium Madame Démange, assistée de MM. Girod, Fabius de Champville. etc.

Une erreur s'est glissée dans cet article ; ou plutôt vous ignorez un détail important, très important même : c'est que M. le Dr Charpentier ne s'est nullement rendu coupable de l'imprudence de juger par lui même sans l'aide d'un Illusionniste, comme l'ont fait beaucoup d'autres docteurs. Il est, au contraire, venu me trouver, et m'a demandé d'examiner attentivement les conditions qu'il avait fixées pour le médium, et de voir s'il ne restait aucune place pour la fraude. Après examen, je lui ai indiqué deux conditions supplémentaires, et, après m'être rendu chez lui et avoir étudié la pièce où devait se passer le phénomène du déplacement d'un guéridon sans contact, je lui ai indiqué un dispositif qui, infailliblement, ferait pincer le médium en flagrant délit s'il essayait de frauder (Si cela vous intéresse, je vous expliquerai ce dispositif pour l'illusionniste).

Puisque le médium devait opérer par la force psychique seule, je le mettais dans l'impossibilité, lui et ses acolytes, de tendre les mains ou les pieds vers le guéridon, placé en dernier au milieu du cercle par le D* Charpentier lui-même, après que tous les spectateurs étaient dûment liés et cachetés (pas eux, mais les liens). Ils ne pouvaient refuser ces conditions sans avouer que l'usage des mains ou des pieds d'une des personnes de connivence ou du médium lui même, était nécessaire pour aider la soi-disant force psychique. Les précautions et l'organisation (qui a été entièrement préparée chez le docteur) étaient telles, qu'il était impossible de truquer ou de frauder.

Le résultat ne s'est pas fait attendre. Le médium, devant des précautions trop sérieuses, a battu en retraite, même pour la séance projetée dans l'obscurité complète, et, à plus forte raison, pour la deuxième séance en lumière rouge, et la troisième en pleine lumière qui devaient suivre la première.

Je l'avais, du reste, annoncé d'avance au Docteur, en le prévenant que, si les médiums voulaient opérer quand même par forfanterie, ils opéreraient certainement sans résultats et mettraient leur défaite sur le compte de l'opposition de la volonté des profanes présents ; ou bien que, s'ils essayaient d'agir, ils se feraient pincer grâce à mon petit dispositif secret. Bref, la séance n'a pas lieu... Le Dr Charpentier triomphe et la cause est entendue.

Cordialement à vous. G. MÉLIÈS.

Puissent les futurs Comités de savants être aussi sages que le Dr Charpentier lorsqu'ils voudront dresser un procès verbal sur des choses qu'ils connaissent mal !

Séance de table tournante en 1898 avec Eusapia Palladino dans la maison de Camille Flammarion.

Certes, le docteur Charpentier ne pouvait prendre conseil à meilleure source que près de l'auteur de tant de trucs ingénieux qui parodient les prétendues manifestations spirites et qui ont amené les foules au théâtre Robert-Houdin ; mais il nous resterait toujours à regretter— si la séance avait eu lieu — que, bien qu'ayant été consulté sur les mesures à prendre pour prévenir la fraude, ce qui est un hommage à rendre à la loyauté du Dr Charpentier, M. Méliès, pas plus qu'aucun prestidigitateur, n'ait été invitéà faire partie du comité de contrôle.

Nos précédentes affirmations conservent donc toute leur autorité. Il faut en prendre notre parti : les médiums et leur comité appréhendent trop notre clairvoyance. Si l'intervention, cependant toute lointaine, de l'un des nôtres a été, comme en ce cas, la cause certaine de l'échec du médium, quel aurait été le résultat en sa présence réelle ?

J. C.

A lire :
-Le spiritisme.
-Phénomènes psychiques.
-Les révélations d'un magnétiseur.
-Georges Méliès, la magie et les fantômes.
-Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ?
-Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Editions du Seuil (2006).

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

SEGUNDO DE CHOMON

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La position de Segundo de Chomon (1871-1929), dans l'histoire du cinéma est au mieux problématique, au pire inexistante. Deslandes et Mitry (1) consacrent chacun deux lignes à cet employé de Zecca, l'un pour vanter les trucages de Liquéfaction des corps durs et du Roi des aulnes, l'autre pour annoncer son arrivée en France. Sadoul (2) au contraire expose sa vie et son œuvre dans un chapitre entier, vouéà la naissance du dessin animé. D'obscur artisan de Pathéà génial inventeur de la stop motion, ce personnage oublié revient réclamer la place qui lui est due, au gré de publications majoritairement espagnoles (3).

Un plagiaire de plus ?

Chomon, coloriste de talent depuis 1902 à Barcelone, est engagé par Pathé en 1905 pour prendre la relève de l'opérateur André Wanzele, parti à Rome avec Gaston Velle. Il s'agissait explicitement de concurrencer Méliès sur son terrain, ce qu'il fera jusqu'en 1910, fin de son contrat, en participant à plus de 150 bandes fantastiques, féeriques, comiques.

"C'est ainsi que grâce à ses aptitudes et ses idées originales, Chomon, de suiveur, devint peu à peu un créateur et, de pratiquement inconnu, un artiste technique qui parmi quelques autres élèvera l'expérimentation des photographies en mouvement du stade de la physique récréative à la hauteur d'un art, d'une technique rudimentaire à une science dont les principes (bien que naturellement plus évolués) subsistent aujourd'hui."(4)

Il commence par réaliser des remakes, plus ou moins camouflés, de films de Méliès. Le Troubadour, en 1906, est une copie à l'identique de l'Homme orchestre de 1900. Mais, curieusement pour le technicien méticuleux qu'est Chomon, les musiciens se chevauchent, les repérages pour les surimpressions ayant été visiblement bâclés. Pourtant, le début de la bande rajoute les mouvements insensés du troubadour récupérant au vol ses partitions (inversion de la pellicule), tandis qu'à la fin de la bande, l'éventail, pure décoration chez Méliès, se transforme en une autre scène, un autre espace qui s'inscrit dans les limites du premier espace (circonscrit par la forme de l'éventail). De même, son Excursion dans la lune en 1908, si elle reprend terme à terme le Voyage dans la lune de 1902, se permet, lorsque l'enchanteur explique à l'assistance son projet à l'aide d'un tableau noir, d'introduire une merveilleuse idée de mise en scène, l'ancêtre de toutes les simulations en images de synthèse qui occupent dorénavant les écrans. Le voyage n'est plus dessinéà la craie sur le tableau (Méliès), mais il se déroule sous les yeux effarés de l'assistance (à la fois le public, mais aussi les protagonistes). Le spectateur voit se dérouler par anticipation, sur cet écran improvisé, le récit à venir. La carrière de Chomon est à l'image de ces deux bandes : il s'appuie sur des techniques connues, mais ne se contente pas de les appliquer scrupuleusement. Il n'aura de cesse de les améliorer, de leur trouver des usages cinématographiques, adaptés au médium, et de se les approprier pour en faire l'expression de ses préoccupations et de ses thèmes favoris.

Excursion dans la lune (1908). Remake du Voyage dans la lune de Georges Méliès.

Si Méliès transforme les « trucs » de théâtre et de prestidigitation en « trucages » cinématographiques, Chomon, lui, transforme les trucages en « effets spéciaux ». Pour Sadoul, « l'Aragonais fut un extraordinaire technicien d'effets spéciaux, comme nous disons aujourd'hui, plus qu'un metteur en scène (5)». Chomon préfigure certainement les « superviseurs des effets spéciaux » modernes Trumbull, Tippet, Smith, etc., experts dans certains types de trucs, mais capables de tout faire, allant de studio en studio apporter leur savoir-faire. Volontairement ou non, Chomon se « spécialise », renonçant à tout accomplir lui-même, comme pouvait encore le faire Méliès, ce qui entraînera - en partie - la perte de ce dernier.

Les Kiriki, acrobates japonais (1907).

En 1908, alors que l'étoile de la Star Film décline inexorablement, la « gloire » de Chomon est à son apogée, et se prolongera, de façon plus discrète, dans les films auxquels il participera, de CabiriaàNapoléon, grâce à ses talents de truquiste. Pastrone déclarait à Turin, en octobre 1949 : "J'avais engagé Segundo de Chomon parce qu'il était un opérateur extraordinaire, le premier créateur de trucs de cette époque. Je l'employais surtout comme spécialiste d'effets spéciaux"(6). Car, comme l'indique toujours Pastrone, Chomon était trop méticuleux pour pouvoir réaliser (7). Au sein de l'industrie qu'était devenu le cinéma, Chomon poursuivit son activité d'inventeur dans l'ombre (il n'est même pas crédité pour Napoléon), travaillant à intégrer les effets spéciaux à la syntaxe cinématographique naissante.

Première scène à trucs de Chomon, Le roi des dollars (1905) met en scène un prestidigitateur faisant apparaître des pièces de monnaie.

Les innovations de Chomon portent surtout sur l'usage de la lumière électrique, de la couleur ou du « carello », l'ancêtre du travelling. Alors que Méliès décline indéfiniment les mêmes techniques (arrêt et surimpression), Chomon démultiplie les effets, utilisant les ombres chinoises, la prise de vues image par image, les caches, les mouvements de caméra, l'éclairage, l'inversion de la pellicule... Méliès l'a dit et répété, on ne peut séparer sa carrière cinématographique de ses activités au théâtre Robert-Houdin. Si la technique diffère, il n'en reprend pas moins, dans ses films, les trucs et l'esprit de la scène. Méliès illusionniste aime faire croire au public, comme il le ferait sur scène, que rien n'est truqué. Dans une manipulation que l'on retrouve dans Mary Poppins (entre autres), il passe en dessous des tables [la Planche du diable, 1904 ; la Sirène, 1904 ; Un homme de têtes, 1898 ; etc.) sur lesquelles sa propre tête gesticule, où d'étranges phénomènes se produisent (8). Méliès invite le spectateur à s'émerveiller, à jouir des trucages, sans se poser de questions, puisqu'on se trouve dans le domaine de la magie. Au contraire, l'activité de Chomon se déroule dans une période où l'explication technique commence à relayer l'aura magique qui entourait le fait cinématographique. Tandis que L'Illustration, du 21 mars et 4 avril 1908, explique les trucs de la maison Gaumont (9), trucs développés dans Lectures pour tous(10), n° 9 de juin 1908, d'autres auteurs s'insurgent contre de telles pratiques qui sont accusées de détourner le public de la féerie (11) . Chomon entre dans ce débat d'un point de vue pratique, en multipliant astuces et techniques nouvelles pour surprendre ce public avide de nouveautés.

Le voleur invisible (1909).

Si Méliès, « illusionniste fin de siècle », appartient encore au XIXe, Chomon est lui l'homme du XXe siècle, du machinisme et de l'indus¬trialisation. Quand Méliès reste dans le fantastique (à quelques exceptions près, dont son Voyage dans la lune), Chomon s'oriente davantage vers l'anticipation, utilisant l'électricité comme ressort narratif, faisant disparaître progressivement la magie pour la remplacer par des dispositifs techniques.

Satan s'amuse, 1907 : Chomon s'amuse

Satan s'amuse, réalisé en 1907, est le chef-d'œuvre reconnu de Chomon. Pour Tharrats et Sanchez Vidal, la bande condense toutes les techniques de Chomon, et toutes ses obsessions. Le film se divise en trois moments : Satan seul, Satan et la diablesse, la victoire de la diablesse. Dans le premier acte, Chomon/Satan se livre à une sorte de récapitulatif des trucs de Méliès, fondu enchaîné, pyrotechnie (feux follets et thèmes repris du Cake Walk infernal, 1903), arrêts de caméra pour les apparitions/disparitions de femmes... Satan, figure méliésienne par excellence, exécute des tours classiques, allant jusqu'à répéter deux fois celui de la femme, enrobée d'un papier noir, lévitant et prenant feu avant de disparaître doucement. La technique est parfaite, particulièrement les arrêts de caméra (Satan se saisissant de la cruche), le montage et les raccords se faisant de plus en plus discrets.

Tout à coup, une diablesse, jouée par la femme de Chomon, Julienne Matthieu, entre en scène par la magie d'un arrêt. Le côté gauche du décor s'ouvre, laissant apercevoir une scène se déroulant à la même échelle dans un autre lieu. Le dispositif reste très théâtral, comme dans les premiers essais d'image dans l'image pratiqués par Zecca dans l'Histoire d'un crime en 1901 (où l'on voit, à la faveur d'un rêve du condamnéà mort, une deuxième scène, suspendue au-dessus du plateau). Satan se livre alors à quatre tours complexes. Il s'approche de la caméra avec un trépied sur lequel se trouvent trois bouteilles de lait vides. Au fur et à mesure qu'il y verse un liquide sombre, trois femmes miniatures apparaissent. Ces homoncules, et leurs contraires, les géants, forment l'un des grands thèmes de prédilection de Chomon (Gulliver en el pais de los gigantes, 1903 ; Œufs de Pâques, 1907 ; Métempsycose, 1907 ; la Grenouille, 1908 ; En avant la musique, 1909 ; etc.). La scène des bouteilles se retrouvera littéralement dans Rêver réveillé (1911), film de la seconde période espagnole, et marquera durablement l'imaginaire cinématographique : on la retrouvera, par exemple, dans une séquence célèbre de la Fiancée de Frankenstein en 1935. Les différences d'échelle, dérivées de procédés photographiques, se font traditionnellement au moyen de perspectives feintes, les « géants »étant installés au premier plan, et les « nains » beaucoup plus loin, derrière le décor (qui possédera alors une ouverture), sur un deuxième plan. Mais ici, le diable est situé derrière les bouteilles, ce qui exclut l'usage de deux plans différents. Il s'agit donc d'un procédé de surimpression. Satan révèle ainsi une image en versant dessus un produit chimique liquide. Si l'on songe que l'on nomme « film » la mince pellicule qui se forme à la surface du lait, on peut avancer que Chomon, dans cette séquence de Satan s'amuse, met en abyme l'opération originelle de la photo-impression.

On retrouve la structure de la mise en abyme dans un des traits marquants de l'œuvre de Chomon, les fondus enchaînés de décor, qui laissent le protagoniste inchangé au premier plan. L'acteur, dissocié du fond, devient l'image du spectateur face à l'image cinématographique. À noter que Méliès va plus loin dans l'exploration de cette figure dans le Royaume des fées (1903). Le décor de fond se transforme derrière le prince, restéà terre, qui tente de pénétrer dans cette nouvelle image. Mais cette dernière s'estompe aussitôt... Après cette mise en abyme, la diablesse réapparaît, sommant Satan de faire mieux. Il prend un tableau, divisé en trois sections verticales, sur lequel est dessiné le coq Pathé(12). Il le rapproche de la caméra, et, tournant successivement les trois volets, y fait apparaître l'image d'une femme. La figure encadrée, que l'on retrouve aussi bien chez Méliès (Photographie spirite, 1903, le Cadre aux surprises, 1904) que chez Zecca (le Portrait vivant, 1904), prolifère dans l'œuvre de Chomon (Ah la barbe, 1905, le Coffret du rajah, 1906, le Rêve d'Aladin, 1906, les Glaces merveilleuses, 1907, le livre du Voyage à la planète Jupiter, 1909, etc.). Elle se trouve ici véritablement décomposée et recomposée (comme l'image de la femme, divisée en trois sections), c'est-à-dire analysée.

Satan poursuit ses « expériences », et ramène un cadre orné, plus large que le premier panneau. C'est en fait une sorte d'écran, sur lequel se meuvent trois femmes en pied. Un double volet horizontal se referme, laissant apparaître, à la place des trois femmes, une seule en buste. Un deuxième volet, simple, vient alors recouvrir la jeune fille de deux hommes en plan rapproché. Ce trucage, véritable tour de force pour Chomon, est l'ancêtre des volets qui deviendront usuels dans la syntaxe cinématographique. Le procédé est donc né d'un trucage, selon une logique que décrit Christian Metz (13). C'est aussi, bien plus qu'avec le tableau Pathé, une préfiguration d'un procédé vidéo... (14)

Les trois bouteilles : surimpression ; le tableau : surimpression plus cache (afin que les bras de la jeune fille ne sortent pas du cadre, comme cela était le cas avec les bouteilles) ; le cadre : surimpression, cache et volet... Cette évolution culmine dans l'ultime tour présenté par Satan. Il fait apparaître au fond du décor un écran blanc, devant lequel il construit, miraculeusement, un cube géant avec de petits cubes. Sur la face avant de ce cube reconstitué (encore un écran, noir cette fois) comparaissent un homme et un chien. Bien entendu, sur le plateau, l'acteur détruisit le cube, une inversion de la pellicule restituant le mouvement de création magique. Mais cette inversion, si elle est facile à réaliser pour une action linéaire par les opérateurs Lumière (comme dans la Démolition d'un mur) l'est beaucoup moins pour un film qui combine mouvements normaux et inversés, le trucage ne pouvant se faire à la projection. Le dispositif utilisé pour ce trucage, beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, donna naissance à la tireuse optique moderne. C'est l'Anglais Smith qui aurait le premier utilisé ce dispositif dans The House that Jack Built (1901). Afin de montrer un château d'enfant se reconstituant mystérieusement, Smith imagine d'utiliser deux caméras qui lui permettaient de projeter la scène à reculons, photogramme par photogramme, et de l'enregistrer au moyen de sa deuxième caméra « dans le bon ordre ». Debrie n'aura plus qu'à combiner ces deux caméras à la fin des années vingt (et Linwood Dunn aux Etats-Unis au début des années trente) pour donner naissance à la truca.

la Poule aux œufs d'or (1905).

Ce dernier tour touche aux limites des possibilités techniques en 1907. Selon le déroulement du film, on passe des trucs de scène (pyrotechnie) aux trucages photographiques (surimpression), des trucs cinéma « simples » (arrêt) à des trucs cinématographiques complexes (volet, inversion). La bande résumerait ainsi dix ans de trucages cinématographiques. Le film ne s'arrête pas là, mais, curieusement, sur la victoire de la diablesse (15). Elle entraîne le diable vers le fond de la scène, où une gloire s'élève du plancher par une trappe. L'histoire se termine sur des effets de fumigène, des arrêts et des fondus de facture très classique. Cette alternance ternaire (trucs « Méliès », trucs « Chomon », trucs « Méliès ») se trouve dès 1905 dans la célèbre Poule aux œufs d'or. Durant la première partie, un forain transforme par arrêt un garçon en poule. Cette dernière, dans le poulailler, se transforme avec ses congénères en femmes (fondu et arrêt), et les entraîne dans une danse (fondu enchaîné) vers un lieu magique. À la fin du film, un diable apparaît par une trappe, et disparaît, en eut, dans un nuage de fumée dense. Mais la partie intermédiaire, concernant le paysan devenu riche, dans son château, comprend de merveilleux trucages, techniquement plus complexes. Dans sa cave, l'avare est poursuivi par des bras et des yeux géants (thème que l'on retrouvera dans le cauchemar de Cabiria), tandis que les voleurs voient une tête de diable, en hallucination, se dessiner dans un œuf en gros plan (vue subjective). On a longtemps glosé sur ces effets, qui disculpent, selon Louise Beaudet, Chomon des accusations de Fernandez Cuenca. « Avec Segundo de Chomon, le film à truc atteignit son sommet et sa fin... Son erreur, comme celle de Méliès, consista à utiliser le trucage comme une fin et non pas comme un moyen d'expression (16)». Chomon abandonne, dès 1905, l'effet pour l'effet et le système de l'attraction visuelle, pour trouver des justifications (diégétiques, psychologiques. .. ) à ses images et intégrer l'effet à un scénario.

Les ombres chinoises (1908), premier film d'animation en ombres chinoises, onze ans avant les premiers films de Lotte Reiniger.

Le Sculpteur moderne (1908) : l'homme moderne

Si le nom de Chomon est encore connu de nos jours, c'est à titre de créateur du « tour de manivelle », et par suite du dessin animé(17) . Mais Cooper avec Match Appeal, Blackton avec Humourous Phases of Funny Faces, Méliès et sa publicité pour la moutarde Bornibus..., tous pourraient en être crédités. Pour Tharrats (18), nul doute, Chomon connaît le principe de l'animation image par image dès 1903, et au plus tard en 1905, pour le tournage de la bande (perdue) Eclipse de sol. Comme Méliès et sa place de l'Opéra (et comme Blackton avec sa fumée intempestive (19)), la mythologie cinématographique retient l'anecdote selon laquelle la découverte du truc fut purement fortuite et due... à une mouche.

Chomon fut le premier à animer des objets dans Le théâtre de Bob (1906) et Une excursion incohérente (1909), même si le premier dessin animéFantasmagorie d'Émile Cohl fut présenté en 1908.

Un jour qu'il effectuait ce travail [l'impression de sous-titres], Chomon ne remarqua pas qu'une mouche se promenait sur le carton de son sous-titre. Quand il vit celui-ci en projection, il eut la surprise de voir la mouche se déplacer d'une façon très singulière, tantôt rapidement, tantôt avec des sautes aussi brusques qu'invraisemblables. La nouveauté de ce singulier spectacle fit réfléchir Chomon sur ses origines. Il arriva à cette conclusion qu'en filmant un objet photographie par photographie, et en le changeant de place entre chaque prise de vue, on réussirait à donner l'impression que l'objet se déplaçait tout seul. Ainsi naquit le procédé dit du "tour de manivelle"(20) .

Mais cette thèse est vite critiquée par les défenseurs de la « crise » qui survient dans les maisons de production françaises en 1907. C'est la date de la projection à Paris de l'Hôtel hanté de Blackton, dont la complexité technique laissa la profession dans la perplexité.

l'Hôtel électrique (1908).

1907 nous offre le spectacle absurde de nos meilleurs techniciens s'évertuant à trouver le comment de l'Hôtel hanté (Vitagraph), se perdant en conjectures, y usant leurs jours et leurs nuits pour trouver quoi ? Qu'il s'agissait de l'application d'un trucage connu et utilisé par eux mais à d'autres fins. C'est ainsi qu'à la suite de ce petit jeu de cache cache, la prise de vues au tour de manivelle appliqué aux objets animés, s'appellera dès lors le procédé américain, ce qui en fera nier, plus tard aux historiens, la connaissance et l'utilisation en France avant 1907, fut-ce même par Méliès. (21)

Crafton (22) - va même jusqu'à avancer l'idée que le secret fut volontairement gardé pour exciter l'intérêt du public.

Chomon pourtant, s'il n'est certainement pas le premier, utilise la technique de façon magistrale très rapidement. Car, selon Sanchez, Chomon n'invente sa « caméra 16 (23)» qu'en 1907. Et c'est en 1908 que sort sa série de films d'animation, l'Hôtel électrique, Sculpteur moderne, etc.

Le Sculpteur moderne (1908).

Dans cette dernière bande, Julienne Matthieu incarne un sculpteur, qui, après un bref salut au public, réalise une série de « sculptures modernes ». Après avoir regardé, au fond de l'écran, dans une ouverture noire, surcadrée, un modèle grandeur nature, elle réalise trois types d'objets différents, en utilisant à chaque fois un voile pour cacher et exposer son travail, selon une alternance de plans rapprochés et de plans généraux. Elle commence par des sculptures vivantes miniatures, cinq en tout, tournant sur elles-mêmes, dont deux représentant des hommes en action. Puis elle dévoile un tableau, sur lequel se déroulent trois scènes comportant des personnages animés. Jusque-là, la comparaison avec la peinture et la sculpture classique est évidente : le cinéma est plus réaliste, et surtout, ajoute le mouvement aux créations figées de l'art traditionnel. Chomon recycle aussi ses thèmes favoris, homoncules et cadre. La deuxième partie de la bande abandonne la comparaison avec l'art ancien pour affirmer les pouvoirs de la technique cinématographique, et plus précisément les pouvoirs de la prise de vues image par image (liée au dispositif de l'inversion).

Un bloc de glaise se transforme tout seul en un chapeau sur lequel jouent des chats, puis en une chaussure et souris, en lion rugissant, en singe fumant pour finir en aigle battant des ailes... Mais la main de Julienne apparaît pour rappeler que c'est elle qui crée ces œuvres, comme le truquiste crée, de façon invisible, d'étranges êtres vivants. Le dernier objet est plus troublant, puisqu'il s'agit d'un corps humain vieilli, associant le thème de l'animation image par image à celui de la résurrection. Line grand-mère se lève, et se met à marcher. On croit alors que la statue a pris vie (ce qu'elle fait effectivement, puisqu'à la faveur d'un eut, une vraie actrice prend la place du mannequin), quand deux mains géantes réduisent en bouillie ce tas de glaise (deuxième eut), pour le reconstruire. Le cinéma se tient sur cette frontière fluctuante entre la matière et l'image, l'inerte et le vivant.

Si Méliès crée les bases du trucage, Chomon les déplace vers des usages plus modernes, plus « cinématographiques ». Cache (travelling matte) et tireuse optique sont les éléments d'une grande majorité d'effets actuels, alors que la surimpression et l'arrêt sont depuis longtemps oubliés. Ce n'est pas un hasard non plus si les sujets traités par Chomon seront tant remployés : son voleur invisible se retrouve avec la même technique chez Fulton en 1933. Plus immédiatement, le théâtre de Bob influence le Petit Faust de Cohl, et le « synthétique »Toy Story (1996).

J'avais compris qu'il fallait intégrer le truquage à la technique du film. Les procédés magiques, j'entendais en faire des procédés dramatiques, des moyens d'expression... (24)

déclarait encore Pastrone en 1949. Il ne fait pas de doute que sans le travail de Segundo de Chomon, ces propos seraient restés lettre morte...

[ NB : c'est volontairement que nous avons francisé l'ortographe du nom de Chomon et omis l'accentuation.]

- Texte extrait de la revue 1895 n°27 (septembre 1999).

Notes :
- (1) Jacques Deslandes, Jacques Richard, Histoire comparée du cinéma, tome II, Du cinématographe au cinéma 1896-1906, Paris, Casterman, 1968 ; Jean Mitry, Histoire du cinéma, tome I, (1895-1914), Paris, Éditions universitaires, 1967.
- (2) Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma, tome III, le Cinéma devient un art (l'avantguerre) 1909-1920, Paris, Denoël, 1951, chapitre 7, « Dernières féeries, premiers dessins animés, Méliès, Segundo de Chomon, Emile Cohl », p. 167-197 ; et quelques lignes dans Histoire générale du cinéma, tome II, les Pionniers du cinéma (De Méliès à Pathé) 1897-1909, Paris, Denoël, 1948.
- (3) Voir Carlos Fernandez Cuenca, Segundo de Chomon, maestro de lafantasiay de la técnica, Madrid, Éd. Nacional, 1972 ; Pascual Cabollada, Segundo de Chomon,Teruel, Instituto de estudios turolenses, 1986 ; et surtout Juan Gariel Tharrats, Los 500 films de Segundo de Chomon, Zaragoza, Universidad de Zaragoza, 1988 et Inolvidable Chomon, Murcia, Filmoteca régional de Murcia, 1990 ; Agustin Sanchez Vidal, El cine de Chomon, Zaragoza, Caya de ahorros de la inmaculada, 1992 ; en français/anglais, Louise Beaudet, À la recherche de Segundo de Chomon, pionnier du cinéma, Festival d'Annecy, 1985.
- (4) Juan Gabriel Tharrats, Los 500 films de Segundo de Chomon, op. cit., p. 86.
- (5) Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma, tome III, op. cit., p. 182. A noter que Sadoul n'aura de cesse de légitimer Méliès, en lui consacrant de nombreux textes célèbres, là où il ne voit en Chomon qu'un simple artisan, pionnier du dessin animé...
- (6) Cité par Sadoul, ibid., p. 217.
- (7) « Segundo de Chomon (il tenait beaucoup à la particule) possédait la fierté d'un idalgo. Je lui confiai bien des films à diriger comme metteur en scène, mais il passait trop de temps à leur minutieuse réalisation. Tout en ménageant autant que Je le pus sa susceptibilité, je l'employai surtout comme opérateur dans des films dirigés par d'autres ». Pastrone, cité par Sadoul, ibid., p. 183.
- (8) À noter que ce truc était impossible à réaliser sur scène, le dessous des tables des différents décapités récalcitrants étant occupé par un miroir.
- (9) Tous les trucs, sauf "le tour de manivelle", qui reste pour l'auteur, Gustave Babin, une énigme, et que refusent de lui dévoiler ses interviewés.
- (10) Dans lequel, cette fois-ci, est dévoilée au public la technique de l'image par image.
- (11) Polémique qui sera reprise en 1916, entre Raymond Berner et André de Reusse, sur le thème : le public doit-il savoir ?
- (12) Ce coq Pathé revêt la fonction d'un cartellino, d'une signature dans l'image.
- (13) Christian Metz, « Trucage et cinéma », in Essais sur la signification au cinéma, tome II, Paris, Klincksieck, 1972 ; voir particulièrement le début de son article.
- (14) Le volet est, selon Philippe Dubois, l'une des hases de l'esthétique vidéographique, dans « La question vidéo face au cinéma : déplacements esthétiques », in Frank Beau, Philippe Dubois et Gérard Leblanc (dir. ), Cinéma et dernières technologies, Bruxelles, de Boeck [coll. « arts et cinéma »], 1998.
- (15) La dernière image la montre prenant le relais de Satan, car elle en revêt la cape, et le film s'achève en boucle, comme il avait commencé.
- (16) Cité par Louise Beaudet, op. cit.
- (17) Le tour de manivelle, la stop motion, le one turn, one picture, le mouvement américain, l'animation image par image, etc., tous ces synonymes désignent le procédé technique qui consiste à filmer image par image un objet, légèrement déplacé entre chaque prise, la projection seule restituant l'illusion du mouvement de cet objet.
- (18) Los 500films de Segundo de Chomon, op. cit., p. 72 sqq.
- (19) Lors d'un tournage en extérieur d'un film à trucs nécessitant des arrêts de caméra, Blackton remarque à la projection les mouvements incongrus de nuages de fumée (provenant d'un générateur électrique), bougeant mystérieusement (entre deux arrêts de caméra). Il en déduisit, selon lui, le principe du mouvement américain. Cité par Donald Crafton, Before Mickey, the Animated Film 1898 - 1928, Cambridge, MIT press, 1982, p. 21.
- (20) Fernandez Cuenca, cité par Sadoul, tome III, op. cit., p. 174.
- (21) Henri Langlois, « Notes sur l'histoire du cinématographe », La Revue du cinéma, juillet 1948.
- (22) Donald Crafton, op. cit.
- (23) Amélioration de sa « caméra 12 », qui permet de photographier la pellicule dans les deux sens, et qui comprend, près de la manivelle, des crans désignant les photogrammes (un tour de manivelle pour 8 images).
- (24) G. Sadoul, op. cit., p. 217.

Filmographie sélective :
- 1905 : Le Roi des dollars, la Poule aux œufs d'or
- 1906 : La Maison hantée, Les Ombres chinoises, Le théâtre de bob, Les Cent trucs, La Légende du Fantôme, Hallucination musicale, Le Chevalier mystère, Le Courant électrique, Voyage à la planète Jupiter
- 1907 : La Maison ensorcelée, Les Flammes diaboliques, Le Baiser de la sorcière, Les Roses magiques, Métempsycose, Satan s'amuse, Le Parapluie fantastique, Kiriki acrobates japonais
- 1908 : Electric Hotel, Cuisine magnétique, La Table magique, Transformations élastiques
- 1909 : Une excursion incohérente, Le Sculpteur moderne, Les Jouets vivants, Le Voleur Invisible, Voyage au centre de la terre, Voyage dans la lune, Le Petit Poucet
- 1912 : Métamorphoses

A lire :
-Segundo de Chomon : Un pionnier méconnu du cinéma européen de Juan Gabriel Tharrats (Editions L'Harmattan, 2009).

A voir :
- DVD The Genius of Segundo de Chomón, el cine de la fantasia 1903-1912 (éditions Filmoteca de Catalunya).

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.


LE THEATRE OLYMPIQUE DE PALLADIO

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L'architecte et théoricien humaniste Andrea Palladio (1508-1580) est l'une des figures majeures de la Renaissance italienne. Palladio est imprégné de l'œuvre de Vitruve qu'il étudie en profondeur. Il se rend plusieurs fois à Rome en 1545, 1547 et 1549 pour perfectionner ses relevés qu'il précise et confronte avec les écrits du maître. Palladio fait aussi référence à de nombreux auteurs latins tels que Pline, Jules César, Alberti et Vasari. Andrea Palladio est un pourfendeur de l'art antique et gothique, et se soucie en permanence de la proportion et de la symétrie telle qu'elle se trouve dans la nature.

La production architecturale de Palladio se concentre essentiellement en Vénétie. On retrouve les villas palladiennes dispersées autour de Vicence dont la très célèbre Villa Rotonda (1566-1870). Dans ses constructions, Palladio réutilise des éléments de l'architecture antique qui donnent à ses œuvres une sensation de grâce et d'équilibre. Il choisit de recourir à la maçonnerie en briques revêtues de stuc. Selon lui, la pierre ne devait être utilisée que pour les détails.

A Vicence, sa ville d'adoption, est conservé le grand palais municipal dit Basilique palladienne, la loggia del Capitanio et le célèbre théâtre Olympique. À partir de 1550, la renommée de Palladio s'étend à Venise où il dirige, entre autre, en 1566 la construction de la basilique San Giorgio Maggiore.

Palladio est l'auteur d'un traité d'architecture Les Quatre Livres de l'architecture (I Quattro Libri dell'Architectura) qui est à la fois l'expression de la pensée théorique et la présentation des œuvres réalisées ou projetées de l'architecte.

Le Théâtre Olympique

Le Théâtre Olympique de Vicence, inauguré en 1585, est considéré comme le premier grand théâtre construit depuis l'antiquité et est un des premiers théâtres couvert de l'époque moderne. C'est également le dernier chef d'œuvre de Palladio, classé sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Cette construction unique est la synthèse de ses longues études sur le théâtre classique gréco-romain. Une œuvre d'art unique entièrement construite en trompe l'œil suivant les principes de la perspective et du tout nouveau courant artistique baroque.

La conception du théâtre est un projet collectif, élaboré par la société humaniste de l'Académie olympique de Vicence à des fins culturelles et scientifiques, parmi lesquelles la promotion de l'activité théâtrale. Ce théâtre présente et représente la splendeur d'une assemblée de patriciens vicentins férus d'antiquité, qui se met elle-même en scène dans sa soif d'une gloire éternelle. Un théâtre du souvenir, en somme.

l'Odéon, théâtre antique d'Athènes.

Palladio voulait que son monument ressemble aux théâtres en plein air de l'Antiquité gréco-latine, comme les arènes de Vérone. Pour tracer son plan, Palladio s'appuie sur les proportions fournies par Vitruve, en ordonnant le plan à partir d'un cercle périphérique structuré en douze intervalles égaux. Ce qui intéresse Palladio, c'est avant tout le lien entre les gradins et l'avant-scène, la cavea et le proscenium. La cavea, avec sa forme en demi-ellipse permet un net élargissement de la surface de jeu. Elle place tous les spectateurs à proximité de la scène et crée un point de vue collectif quelque soit la place occupée. Palladio introduit des éléments en trompe l'œil avec les gradins de l'hémicycle qui semblent en marbre mais sont en réalité en bois. De même, le plafond, sensé ne pas exister disparaît derrière une peinture représentant le ciel.

La cavea du théâtre.

L'élément essentiel de la salle est la monumentale frons scenae (le mur de scène) qui rappelle l'architecture des arcs de triomphe antiques que Palladio avait scrupuleusement étudiée. A travers la porte centrale de la scène, la porta regalis, et les portes latérales, visibles sur le côté, partent des rues peintes en perspective sur des périactes. Le système des périactes, prismes triangulaires pivotant sur un axe vertical, permettent de transformer les perspectives de la scène et de modifier les lieux de l'action malgré le caractère immuable du mur monumental. La frons scenaeétait donc censée servir de cadre à la représentation de pièces différentes dont la spécificité aurait résidé uniquement dans les ouvertures des portes.

La frons scenae du théâtre.

Les travaux du théâtre débutèrent en 1580, l'année même de la mort de Palladio, mais ils ont été repris sous la direction de son fils Sila et ils se sont terminés en 1584, comprenant la cavea, la loggia et le proscenium. La réalisation de la scène en perspective fut confiée au disciple de Palladio, Vincenzo Scamozzi.

Dès la Renaissance, la scène s'ouvre à un vaste champ d'expérimentation, par la mise en pratique des théories architecturales et d'urbanismes. La conception scénique est déterminée par les principes aristotéliciens sur l'unité de temps et de lieu. Cette manière d'envisager la scène est appliquée en 1508 par Pellegrino da Udine, qui imagina pour la comédie de l'Arioste, un décor construit en perspective qui se composait de plusieurs parties en relief inamovibles décorées de stuc. Pour créer un rétrécissement optique de la perspective grâce à de savants calculs, ces éléments s'étageaient les uns derrière les autres.

Théâtre de Dionysos à Athènes.

Les premières sources iconographiques de projets fondés sur le procédé d'agrandissement de l'espace scénique remontent à Baldassare Peruzzi, créateur de décors et ordonnateur de fêtes entre 1515 et 1527. Le décor construit autour d'un axe et vers un point de fuite correspond au souhait d'ancrer l'espace dans un ordre bien particulier voulu par l'artiste. Ce fut une préoccupation constante de la peinture et de l'architecture de la Renaissance. L'idée de Peruzzi, d'une scénographie associant décor réel et décor figuré, influença par la suite Sebastiano Serlio. S'inspirant de l'architecte romain Vitruve, Serlio distingue trois genres de scènes qui correspondent à ceux de la littérature théâtrale antique : la scena tragica ; la scena comica et la scena satirica. Ce sont toujours des vues de rues avec un arrière-plan en partie praticable. Ainsi, Serlio fut le premier à ouvrir complètement l'espace de la perspective centrale en ajoutant à la scène réelle, une architecture en trompe-l'œil ainsi qu'une scène peinte.

Coupe du théâtre Olympique.

La scène du théâtre Olympique dessinée par Scamozzi sur les consignes d'Angelo Ingegneri représente la ville grecque de Thèbes, lieu où se déroule la tragédie d'Oedipe. La perspective des sept rues, réalisées en bois peint, conduisant aux légendaires portes de Thèbes est d'une justesse étonnante. Sur le modèle de la scène semi-praticable conçue par Peruzzi et Serlio, Scamozzi dessine des couloirs sur un sol ascendant, avec des rangées de maisons sur chaque côté qui conduisent le regard vers l'arrière plan. L'angle choisi est très fermé, ce qui donne l'illusion d'une grande profondeur. Les portes de la frons scenae sont élargies pour intensifier l'illusion d'espace.

Le décor des rues de Thèbes en fausse perspective.

Le théâtre Olympique de Vicence fut inauguré le 3 mars 1585 avec la présentation d'Œdipe roi de Sophocle. Une pièce mise en valeur par un système d'illumination artificielle de lampes à huiles créé par Scamozzi, pour éviter le risque d'incendie. Un théâtre construit pour une seule représentation. Le « théâtre » d'une tragédie grecque. Echappant ainsi à toute tentative de mise en scène, ce lieu joue par lui-même depuis plus de quatre siècles.

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FREGOLI par SAVARY

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Les mystères de l'incarnation (par André Camp)

POURQUOI le théâtre attire-t-il tant de pratiquants ? Sait-on que leur nombre excède celui des spectateurs ? Pourquoi ? Mystère. En fait, ce n'en est pas un. Si tous ceux qui « pratiquent » le théâtre s'y rendaient, son problème (économique) serait résolu. Pour beaucoup, le théâtre ne représente pas un art de vivre ou un art de la vie. Il est considéré, en quelque sorte, comme une thérapie. Il permet, par la pratique sans but lucratif, de se libérer de ses fantasmes, de trouver — ou retrouver — son identité. Or, le meilleur moyen pour cela est d'en changer. On oublie (ou on se réalise) en incarnant d'autres personnages. Exercice fascinant. On comprend pourquoi les cours d'art dramatique sont envahis, encombrés, de jeunes frais émoulus de nos lycées ou autres établissements scolaires qui pensent, ainsi, s'affirmer sous le masque de la comédie. Car c'est bien de masques dont il s'agit. « Ce n'est pas moi, c'est lui ! », affirme le gosse pris en flagrant délit... de bêtise. Aussi, quand on a la chance de pouvoir changer de masque, quel bonheur, quelle jouissance ! On est soi et on n'est plus soi. On est l'autre et une foule d'autres ! Le miracle remplace le mystère. Pour l'acteur professionnel, c'est le rêve, le couronnement. Le plus beau rôle est celui qui permet de se démultiplier, d'incarner, non pas un seul personnage mais plusieurs personnages, toute une famille, toute une humanité, tout un monde. N'est-ce pas un monde d'être un monde ?

A lui seul, Fregoli, le premier, a réalisé ce rêve. Le premier, il a percé le mystère de l'incarnation en la poussant à ses plus extrêmes limites qui sont celles de la démesure. Mais la démesure n'est-elle pas la pierre angulaire du théâtre, celle sur laquelle repose tout l'art dramatique ? Après Sophocle, après Shakespeare Fregoli l'avait bien compris. Et cela, en utilisant son corps, son aspect extérieur qu'il variait à l'infini, à travers ses déguisements. Le rêve, en quelque sorte, de tous les enfants, de tous les coeurs simples. Toujours prêts à s'émerveiller... Il y a de quoi s'émerveiller, en effet.

Leopoldo Fregoli

Oyez ! Au début du XXème siècle, un jeune artiste italien de 33 ans triomphe à Paris. Il s'appelle Leopoldo Fregoli et il est néà Rome, près de la fontaine de Trévi, en 1867. Pendant dix mois il remplit, chaque soir, la grande salle de l'Olympia. Seul en scène, il interprète près de cent personnages différents. Il possède 800 costumes et 1200 perruques. Il dispose d'une équipe de 23 personnes, des électriciens aux habilleurs. Depuis une quinzaine d'années il parcourt le monde avec son spectacle, de Rome à Buenos Aires et New York, de Lisbonne et Londres à Saint Petersbourg et Berlin. A Lyon les frères Lumière lui ont offert un appareil de projection. En voyage, son matériel remplit 370 caisses rangées dans 4 wagons qui pèsent 30 tonnes. Pour se transformer, chaque soir, il parcourt 24 kilomètres entre la rampe et les coulisses. Il gagne 75000 francs par mois, alors qu'un ministre de l'époque n'en gagne que 10000 dans toute l'année. Le séjour à Paris marque l'apogée de la carrière de Fregoli. Une carrière exceptionnelle, unique, qui devait se terminer au Brésil en 1924. Quant à sa vie, elle s'achève, en 1930, là où elle avait commencée 70 ans plus tôt. Sur sa tombe, dans le cimetière de Verano à Rome, on peut lire : "Qui Leopoldo Fregoli compi la sua ultima trasformazione". Sa dernière transformation ? Certes, non. Puisqu'en 1991 Jérôme Savary, Patrick Rambaud et Bernard Haller le ressuscitent sous ses innombrables aspects. Pour notre plaisir. Et le vôtre. Avec eux, avec nous, percez à votre tour le mystère de l'incarnation.

Le projet théâtral

"Fregoli le transformiste enlève son masque dans un coin de sa loge. Dans la salle, le public applaudit encore. Lui est triste, et amoureux, "sans mon masque je suis banal, terriblement banal". A travers cette histoire simple nous avons voulu rendre hommage à l'univers de ceux qu'on appelle, avec un peu de condescendance "es fantaisistes", ces artisans de l'imaginaire qui remplissaient les salles pendant des mois au début du XXème siècle, faisaient un petit numéro entre deux films, et qui ont presque disparu aujourd'hui... Salut l'artiste !" Jérôme Savary.

Hors normes

En hommage au célébrissime transformiste Fregoli, Jérôme Savary, Bernard Haller et Patrick Rambaud ont brodé en 1991 une comédie construite autour de ce personnage devenu légendaire. "Frégolisme" n'est-il pas aujourd'hui un terme communément utilisé ? Ils le font revivre en inversant les proportions qui régnaient sur scène lors de ses spectacles : au lieu d'être seul sur le plateau quand 25 servants s'affairaient dans les coulisses, à Chaillot, une quinzaine de comédiens mènent le spectacle du Trianon-Concert, tantôt côté public, tantôt côté coulisses, à la villa d'Auteuil d'une célèbre demi-mondaine de la Belle Epoque, Liane de Pougy, en passant par Venise qui découvrit le 7ème art à travers le frégoligraphe, une invention de Fregoli, antérieure aux trucages de Méliès.

Fregoli est le fruit d'un véritable travail d'équipe mené de front et dans l'urgence. Ecriture (Rambaud et Haller), mise en scène (Savary), décors, effets spéciaux, costumes et masques (James Hodges), réalisation technique (ateliers de construction et de costumes de Chaillot, atelier Mine Barral-Vergez, Plastic Studio, etc.) : tout a été monté simultanément. Ce que Fregoli a créé en dix ans, l'équipe de Chaillot l'a réalisé en quatre mois, dont seulement deux sur scène. Loin du spectacle de prestidigitation traditionnelle, moins long et plus rapide que les authentiques spectacles de Fregoli, la poésie et la magie ont été délaissé au profit du spectaculaire. La pièce a nécessité plus d'effets et de trouvailles que n'en demandaient les spectateurs du Fregoli en 1900. Car aujourd'hui, accoutumé aux effets vidéo et cinématographiques, le public est plus difficile à surprendre. En 1900, un magicien effectuait cinq à six tours en 45 minutes, désormais, les magiciens réalisent jusqu'à 25 tours en neuf minutes...

Bernard Haller incarne Fregoli.

Bernard Haller rêvait depuis trente ans d'incarner, un jour, Fregoli trop longtemps oublié. Le spectacle de Fregoli est simple, sans propos métaphysique, il cherche juste à distraire les gens. C'est aussi l'évocation de la fin du music-hall et des débuts du cinéma qui l'a peu à peu supplanté.

Ecrire au jour le jour

"Nous n'avons pas cherchéà reproduire le spectacle authentique de Fregoli, nous avons, avec Bernard Haller, élaboré un spectacle autour de quelques épisodes marquants de sa vie." dit Patrick Rambaud.

"Ce que nous voulions, c'était redonner une image de ce qu'avait été ce personnage. En extrapolant à partir d'un fil conducteur, un marivaudage en confetti, sans rester complètement fidèle à l'histoire." dit Haller.

“Tout ce que nous avons écrit a été réadapté en fonction du jeu des comédiens, comme l'intégration de chansons souhaitées par Marc Dudicourt (Meilhac) et des exigences de la mise en scène. Le texte de départ était entièrement conçu en alexandrins, pas moins de six moutures, ont été réécrites en deux ans. Finalement, au moment de la mise en scène, des blocs entiers de textes ont été déplacés et écrits au jour le jour, pour soutenir le rythme du spectacle et parfaire les effets de transformation." explique Patrick Rambaud.

Un spectacle plus rapide et plus diversifié que les représentations du transformiste. Pour écrire cette comédie sur la vie de Fregoli, Bernard Haller et Patrick Rambaud se sont inspirés de son autobiographie, dont une édition a été retrouvée dans une bibliothèque romaine - traduite et adaptée par Rambaud dans Les Mirobolantes aventures de Fregoli, et du livre de Jean Nohain et F. Caradex. Savary lui, a noirci tous les traits.

Quick Change / Innover les trucs

"L'histoire est un vrai puzzle. Les nombreux changements de décors, et la multitude de personnages, treize comédiens pour incarner 57 rôles, ont fait que tout s'est articulé empiriquement. Il fallait mettre en situation les transformations et la magie à travers la comédie. On inventait n'importe quoi. Et l'on se disait que James Hodges trouverait une solution miracle." explique Bernard Haller.

Tout le spectacle repose sur le changement rapide des costumes (Quick Change). Tout se joue au quart de seconde près. Il suffit d'un rien pour tout faire échouer. Le fil du HP coincé dans une bretelle ou une braguette cassée, empêchant de tomber le pantalon, auraient pu suffire à faire capoter des séances. La collaboration des habilleuses en coulisse est précieuse. Au point qu'Haller se compare à un boxeur sur le ring, sans cesse entouré de ses deux entraîneurs qui lui offrent, qui une bouteille d'eau, qui une serviette, pour arriver au bout du match.

Dessin préparatoire de James Hodges.

Il a fallu un mois de travail sur une machinerie inveritée pour favoriser la rapidité des changements de costumes où interviennent les habilleuses classiques bien sûr, mais aussi un serrurier, un menuisier, un maroquinier... Car tous le monde travaillent à mettre en scène une pièce et non une succession de saynètes. En effet l'alternance fait la loi sur la scène : non seulement celle du comédien en situation et de l'homme du monde, du citoyen, mais celle du comédien jouant tantôt un rôle de femme, tantôt un rôle d'homme. C'est le personnage multiple. Dans les productions de Fregoli lui-même, il y avait 1 personnage sur scène... et 25 dans les coulisses ! Même s'il dit nous montrer l'envers du décor, la magie garde tous ses droits avec James Hodges.

Bernard Haller croqué par Hodges.

“Avant même de commencer l'exécution des costumes, il a fallu envisager l'ordre des transformations. Dans quel sens passer de l'un à l'autre pour que cela soit le plus rapide possible ? Une fois fabriqués, les costumes ont subi des modifications au cours des répétitions. C'est parfois extrêmement dur car, sur le collant de base, j'ai, dans certaines scènes jusqu'à cinq peaux différentes." dit Bernard Haller.

C'est en effet le cas pour l'interprétation des Misérables où Fregoli se transforme successivement en père Thénardier, en mère Thénardier, à nouveau en père Thénardier, en Victor Hugo, puis enfin redevient Fregoli. "Le plus gros travail d'acteur a résidé dans la mise en place des illusions, pour que la technique et la mécanique disparaissent totalement. Le geste où j'arrache la canne de derrière l'écran dans le frégoligraphe a nécessité beaucoup de répétitions pour que cela donne la sensation que cela vienne de soi-même." explique Haller.

Dessin préparatoire de James Hodges.

Il existe très peu de documents historiques permettant d'analyser les trucs employés par le transformiste Fregoli : les costumes ont disparu, aucun dessin n'a été retrouvé, seules quelques photos de spectacles et un de ses films Fregoli en coulisses que l'auteur sonorisait sur scène avant l'heure du parlant, ont pu être dénichés.

Les trucs dévoilés dans le film qu'utilisait Fregoli pour montrer aux spectateurs incrédules certains de ses changements de costumes, n'ont pas été utilisés par James Hodges, concepteur des décors, costumes et effets spéciaux du spectacle.

Dessin préparatoire de James Hodges.

"Rien ne dit que ces images rendent compte des trucages de Fregoli. Le film donne une indication, il montre des costumes bâtis grossièrement que Fregoli décousait en tirant sur un fit (ou lacet) très rapidement. L'utilisation d'un tel procédé est inimaginable aujourd'hui, il faudrait des dizaines de couturières pour recoudre chaque jour l'ensemble des costumes. En fait, dans les spectacles de Fregoli, pour un homme seul sur scène, trente personnes étaient en coulisse. On a inventé un système à partir de deux images souvenir, celle du comédien du Bal des Vampires qui saute directement de son lit dans son pantalon, et celle des pompiers qui gardent toujours leurs bottes enfilées dans le bas du pantalon. Mais les pantalons de Fregoli sont étroits, suivant la mode de l'époque ; il a donc fallu trouver une solution. Six prototypes de l'appareil, fabriqués à Chaillot, ont été nécessaires pour arriver à l'objet final." explique James Hodges.

Ce système ne fait que masquer la complexité des autres costumes réalisés par Mine Barral-Vergez pour Fregoli, et par l'atelier de couture du théâtre de Chaillot pour la vingtaine d'autres costumes destinés aux autres comédiens. L'atelier Vestir a fait les costumes d'hommes et Nicole Laler les chapeaux.

Les costumes truqués ont été une première divertissante pour Mine, plus experte en réalisation de costumes pour le music-hall (Lido, Moulin Rouge, Paradis Latin), pour la danse (Garnier), l'opéra (La Bastille) et les grands shows (Vartan, Greco, Barbara, Mouskouri...). Gilet cousu sur le maillot, tablier qui se déroule sur le jupon, longueur de la robe variable, ouvertures dans le dos, cape, chapeau et sac cousus ensembles, perruque et costume indissociables, cape et demi boléro qui ne font qu'un...

"Nous avons commencéà travailler trois mois avant le début des répétitions, et fait de longues séances d'habillage avec Bernard Haller qui venait essayer huit à dix costumes chaque semaine en testant les transformations. Les essais étaient réalisés avec James Hodges avec qui nous décidions de changer des détails : la largeur des emmanchures a été amplifiée, les tissus ont été renforcés de l'intérieur avec des laitons pour les rigidifier et faciliter leur enfilage..." explique Mine.

Dans l'atelier de couture du théâtre de Chaillot, une douzaine de personnes ont été mobilisées pour la réalisation et la mise au point des habillages.

“Bernard s'exerçait à grappiller une seconde à chaque changement de costume, en enfilant d'abord le bras droit, plutôt que le bras gauche. Six habilleuses sont chaque soir en coulisses pour le spectacle. Des portants ont dûêtre trafiqués pour que les costumières ne soient pas visibles du public. James Hodges nous a fait confiance pour confectionner les costumes. On faisait un échantillonnage de matière et de couleur, que Savary pouvait décider de changer à la dernière minute. C'est l'esprit de la pièce qui voulait ça. Certains costumes de Mouss (Gédéon) déjà réalisés, devaient même être écartés, il a fallu marchander pour les avoir tous les trois sur le plateau." explique Josette Planet, la chef costumière.

Dans les deux pièces aveuglent qui servent à l'entretien et à la couture des costumes pour les deux salles de Chaillot, les sept habilleuses permanentes effectuent des activités des plus électriques : de la chaussette, au chapeau, en passant par la marionnette ou la bâche de camion. Au total cent costumes ont été confectionnés pour une quarantaine de métamorphoses. Des transformations basées sur le principe de l'accumulation. Les vêtements enlevés les uns après les autres puis réaccumulés, aimants, bandes Velcro, corde à piano (chère aux magiciens), tous les systèmes d'attache que les couturières n'apprécient guère ont été employés.

Tomber les masques

La vingtaine de masques de Fregoli a été réalisée par Plastic Studio. "Nous avons d'abord réalisé des masques entiers, d'après les maquettes de James Hodges. Puis au fur et à mesure, nous avons réduit leur surface pour que Bernard Haller puisse être reconnu. Ces masques n'ont pas été réalisés de manière classique, en latex. Car le procédé est trop fragile pour ce genre de spectacle. Ils ont été thermoformés." explique B. Bourdeu.

Le procédé est plus coûteux, mais il est rare de les refaire. Ils sont suffisamment solides pour partir en tournée. Deux jeux seulement ont été réalisés, un pour les répétitions, l'autre pour jouer.

La fabrication en thermoformage, procédé plus souvent utilisé pour les armures, nécessite deux étapes de fabrication de plus qu'un masque traditionnel. L'empreinte est effectuée avec de l'Alginate qui permet de garder les yeux et la bouche ouverts. Le moule en terre sert ensuite pour le thermoformage à base de feuille de plastique indéchirable, réalisé chez un industriel, ce qui impose des délais assez souples. Du feutre est ensuite poséà l'intérieur. Calotte, calotte et haut du visage, calotte, haut du visage et barbe... les masques, pour la plupart tiennent par la forme du crâne. Tous les autres éléments résinés ont été faits en Kevlar. Le principe est identique aux résines stratifiées, mais la stratification est plus délicate. Le procédé est empruntéà l'aéronautique qui l'emploie pour sa légèreté et sa solidité. Le buste du machino, la main de Torquato et les mannequins ont été faits avec cette technique. Les nombreuses manipulations durant le spectacle et le projet de tournée ont motivé ce choix.

En Tournée

Pour partir en tournée, un certain nombre d'éléments de décors ont été abandonnés ou transformés. Il n'y aura plus de praticable, d'escalier et d'armoire en cour. Il devrait y avoir deux danseuses en moins. La Grande Illusion, devrait, en revanche, être conservée, ce qui réduira les lieux d'accueil possibles. "Les décors ont été réduits dès le départ en vue de pouvoir tourner. Et les effets sont conçus avec des trappes verticales. Il suffit que les théâtres soient équipés de cintres et disposent de neuf à dix mètres d'ouverture et d'une profondeur de scène conséquente. La gondole du final sera toutefois remplacée par une taule découpée.” précise James Hodges.

Le plus gros danger devrait être liéà l'absence de l'atelier de couture sur la tournée, ainsi que la réduction du nombre d'habilleuses. Le moindre aléa, comme des costumes brûlés lors de l'entretien par une société privée, serait difficile à surmonter. Mine et l'atelier de Chaillot en savent quelque chose, eux qui ont dû, au dernier moment, reconfectionner les costumes endommagés. Les dégâts étaient certes moins importants que ceux causés par l'incendie qui ravagea en une nuit l'intégralité des costumes et décors accumulés pendant dix ans par le vrai Fregoli... et qu'il parvint à refaire faire en une semaine, en mobilisant tout Paris !

Viens voir, les magiciens...

Savary dans le rôle d'Astor le magicien dans Bye Bye Showbiz (1984).

"Ce que j'aime dans Fregoli, c'est qu'il représente une race d'artisans du spectacle, qui disparaît. Les premiers artistes à avoir utilisé le cinéma sont les magiciens. Quand ils ont vu les premières machines à projection, ils se sont dit qu'ils pouvaient les utiliser d'une façon formidable pour le spectacle. Puis, le public, petit à petit, s'est passionné pour le cinéma, a marginalisé le magicien au profit du film. Ils se sont laissés dévorer par ce qu'ils avaient inventé. Fregoli avait inventé une machine pour Méliès. Dans le spectacle, avec Christian Fechner nous créons un numéro de magie avec un projecteur de cinématographe. Cette histoire est tout à fait symbolique sur les techniques modernes du cinéma, de l'audiovisuel qui, petit à petit, ont dévoré les oeuvres, les artistes, les artisans du music-hall. Il y a quelque chose de désuet, dans les numéros de magie manuelle. Il faut des années pour faire un bon magicien ; et ce sont des professions qui disparaissent. C'est pour ça que j'avais programméà Chaillot un ventriloque, on s'était moqué de moi, au début. Ce spectacle plein de poésie a fait salle comble, émerveillant les petits comme les grands. J'aimerais inviter chaque année quelqu'un, de ces professions, parce que ce sont des professions menacées. Au début du siècle, il y avait énormément de cafés-concerts, de music-hall, dans les cinémas, à l'entracte, on avait des numéros entre deux films. Ce que j'aime dans le théâtre dans ces professions du music-hall, de l'illusion, de la magie, y compris les stripteaseuses, les danseuses de cabaret, les numéros d'animaux, de gens de cirque, c'est que ce sont des personnes qui œuvrent avec leurs mains, sans l'aide d'aucune machine, et ces gens-là n'ont plus de lieux pour présenter leurs numéros... ou presque plus, à part le Crazy Horse, ou le Moulin Rouge." Jérôme Savary.

A lire :
-L'interview de Fregoli.
-Leopoldo Fregoli, profession : transformiste.

Crédits Photos : BNF, Daniel Cande. Dessins : James Hodges, collection privée. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

ARTURO BRACHETTI FAIT SON CINEMA

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Arturo Brachetti revient en France avec un nouveau spectacle après une tournée mondiale triomphale de six ans. Un spectacle inspiré de sa passion pour le septième art qui mélange le transformisme, la magie, les ombres chinoises, et le mime. On retrouve quelques personnages et séquences de sa précédente création qui sont présentés sous un nouveau jour. Le transformiste est secondé par deux habilleurs et un accessoiriste. Au total, ce sont 85 personnages qui défilent, sous nos yeux ébahis à la vitesse de la lumière, le tout mit en scène par Serge Denoncourt.

Naissance d'une vocation

Né dans un petit village des montagnes turinoises, Arturo Brachetti se souvient de ses premiers déguisements, pendant les vacances, dans le grenier de sa grand-mère. Il reçoit son premier théâtre de marionnettes à l'âge de 6 ans. Il entre ensuite à l'école, chez les prêtres salésiens et découvre la prestidigitation. C'est au séminaire que, devant trois spectateurs, le jeune Arturo se travestit pour la première fois.

Arturo Brachetti et le prêtre magicien Silvio Mantelli.

Arturo brachetti (au centre) entouré de Paco et de la grosse bertha au Paradis Latin en 1979.

« A 15 ans, je jouais le rôle d'une sorcière qui se transformait en homme puis en femme… Je suis devenu transformiste par hasard : mon père m'a mis au séminaire à 11 ans, pour m'obliger à jouer avec les autres, parce que j'étais un garçon trop timide. L'un des prêtres faisait des tours de magie, il me les a appris. Comme j'étais toujours timide, pour les présenter, je me déguisais en chinois, en indien... Ça me plaisait, ça me donnait le courage d'aller sur scène. A 15 ans, j'ai fait mon premier numéro de transformisme avec trois costumes. Le prêtre m'a fait cadeau d'une biographie sur Leopoldo Fregoli, le dernier grand maître du transformisme (1867-1936) et j'ai rêvé de devenir comme lui. En 1979, j'ai passé ma première audition au Paradis Latin à Paris : on m'a pris parce que j'étais le seul au monde à faire cela. » A.Brachetti

Le cinéma, une passion

C'est à l'âge de cinq ans que le jeune Arturo voit son premier film de cinéma accompagné de son père : Les Damnés de Luchino Visconti. La projection a lieu dans le local de l'amical des travailleurs de chez Fiat. C'est le début d'une passion.

Scène de travestissement dans Les Damnés de Luchino Visconti.

« Le cinéma me donne l'opportunité de faire presque tous les personnages au monde. On peut passer de la préhistoire à la science-fiction sans problème. Il y a tellement de personnages connus et reconnaissables facilement, et qui peuvent être mis en scène de façon poétique ou comique. Même si on ne connaît pas tous les personnages et les références, il y a toujours l'effet de surprise de la transformation. Ce qui m'intéresse, c'est le jeu de Judy Garland qui se déshabille pour devenir Liza Minnelli, qui est tuée par le couteau de Psychose, qui est aussi le parapluie de Julie Andrews…» A.Brachetti

Un monde invisible

Quatorze personnes s'agitent derrière les rideaux dont trois, revêtues de noir de la tête aux pieds, s'occupent uniquement d'habiller et de déshabiller le comédien. L'art d'Arturo Brachetti découle directement des performances de Leopoldo Fregoli (1867-1936), qui, au sommet de sa forme, enfilait jusqu'à cent costumes différents durant le même spectacle.

« A l'époque de Fregoli, les femmes mettaient facilement une heure pour s'habiller… Il pouvait donc le faire en une minute et les gens trouvaient la performance extraordinaire… Aujourd'hui, moi, je dois me changer en quelques seconds maximums. Il y a deux secrets majeurs. Le premier, c'est les habits, qui sont de véritables oeuvres d'architecture couturière, qui se transforment, qui peuvent être enlevés ou mis facilement. Le second, c'est la grande organisation qu'il y a dans les coulisses avec mes trois assistants. Il y en a spécialement deux avec lesquels j'ai un rapport très proche. Sans eux, il n'y a pas de spectacle. C'est une organisation précise, comme une Ferrari dont on fait le plein et change les quatre pneus en quatre secondes. On se touche, des fois on se fait mal, je termine avec des bleus... Les coulisses, c'est assez violent ! » A.Brachetti

Introduction

Sur scène un écran de projection diffuse des extraits de films où la tête d'Arturo Brachetti prend la place de certains acteurs et actrices. Avec cette mise en abyme sympathique, l'artiste se met en scène dans un vidéo montage bon enfant pour présenter le thème de son nouveau spectacle. Une fois les extraits terminés, le voile de projection est avalé par la bouche du transformiste. Une manière subtile de dire que l'artiste s'est nourrit du cinéma depuis son enfance et qu'il a digéré tout un pan de l'histoire de ce média.

Le monde du petit écran

Arturo se présente au public habillé comme Federico Fellini, une écharpe autour du cou. Avant la découverte du cinéma il y a eu l'influence de la télévision qui diffusait des séries devenues cultes ainsi que des films.

Sur scène est disposé un grand téléviseur qui servira aux changes de costumes. Ce succède alors : d'Artagnan, Zorro, un duo de cowboys noir et blanc, Laurence d'Arabie, Mary Poppins exécutant une transformation de parapluie avec des foulards, Ben Hur, le Roi lion qui transforme son épée en bouquet de fleurs, Spiderman et Cruella d'enfer des 101 dalmatiens.

Chapeau de Tabarin

Enfant, Arturo aimait impressionner ses copains avec le chapeau de son grand père. L'artiste exécute alors vingt-cinq personnages à l'aide d'un simple anneau de feutre noir dans la tradition du bateleur Tabarin (1584-1626).

Le défilé commence par un maillot de bain pour exhibitionniste, puis les personnalités se succèdent avec d'Artagnan, John Wayne, Don Camillo, un cardinal, un torero, Arlequin, l'amiral Nelson, un avocat, l'horloge Big Ben, Gloria Swanson de Sunset Boulevard, Casanova, le capitaine crochet, un bébé, Sainte Catherine, un Kazakh du Tsar, Guillaume, Tell, le Prince Charles, Elisabeth Taylor, Scarlett O'Hara d'Autant en emporte le vent, un pompier et le 7ème samouraï.

Horror Pictures show

Une séquence vidéo en Super huit montre Arturo enfant qui se déguise. L'artiste se souvient ensuite d'une visite au Musée National du Cinéma de Turin qui l'a marqué. Accompagné de son père, il se retrouva dans une salle entièrement consacrée au cinéma d'horreur. Sur scène, dans un décor de maison hantée, Arturo Brachetti va donner au public des frissons avec une réinterprétation des films d'horreurs les plus connus. Mixant habillement les personnages et les situations macabres, il « accouche » d'un scénario inédit qui voit s'affronter le prêtre exorciste du film de William Friedkinà une cohorte de « créatures monstrueuses ». Effrayant et virtuose !

Spectres et chauves souris se baladent dans le décor avant qu'un tableau, représentant un portrait d'homme, ne s'anime dans une étonnante surexposition. Un croque mort apparaît puis disparaît derrière une porte. C'est au tour de Nosferatu, le vampire de Murnau, de sortir de son cercueil suivi de son ombre.

Au milieu du décor se trouve un lit surmonté d'un énorme drap blanc. Le drap commence à s'animer comme un fantôme. Entre en scène le prêtre exorciste. La tête de la fillette possédée apparaît au centre du drap et commence à tourner à 360°, puis à naviguer de haut en bas. Le prêtre, armé de gousses d'ails et d'eau bénite, essaie d'exorciser « la créature » sans succès. Il s'arme alors d'une photo de Nicolas Sarkozy (Silvio Berlusconi pour les représentations en Italie) puis d'un extincteur mais rien n'y fait. Noir dans la salle après que le tonnerre ait grondé.

La lumière revient grâce à une lampe de poche tenue par le prêtre. Celui ci est prit au piège « d'une table tournante » qui lévite. Surgit alors une main qui saisit la gorge de l'homme d'église. Le prêtre coupe celle ci grâce à une tronçonneuse (Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper) main le membre continu à s'agiter comme La chose dans La famille Adams. La main saisie le coup du prêtre et fait tomber sa tête jusqu'à son estomac. Apparaît sur scène la poupée Chucky conduisant une voiture téléguidée. Le croque mort revient et se fait assommé par le prêtre à coup de hache (Vendredi 13). Le voile, devant le décor, projette le mot « The End » dans un cri d'horreur.

Ainsi se clos cet incroyable tableau mené tambour battant dans un déluge de plaisirs coupables faisant penser à la mise en scène ludique et ultra référencée de Wes Craven avec sa série des Scream, en parodient d'autre films d'horreur (qui font partie de l'inconscient collectif de millions de spectateurs).

Mime sonore

C'est, à n'en pas douté, la plus belle découverte de ce spectacle. Lors de sa précédente création à Mogador en 2000, nous avons pu constater que Brachetti était autant à l'aise dans la démesure de ses travestissements que dans la simplicité même avec la pratique des ombres chinoises et du chapeau de Tabarin.

Il en refait la démonstration avec une nouvelle séquence appelée à devenir culte. Brachetti rappel aux spectateurs qu'au cinéma, images et sons sont montés en parallèle. La bande sonore est pratiquement toujours enregistrée après le tournage des images. Le cinématographe c'est d'abord la force des images montées dans un certain ordre pour arriver à raconter une histoire ou à faire passer un message compréhensif. Le cinéma muet a longtemps utilisé les techniques de la pantomime pour appuyer certains sentiments. Des artistes comme Chaplin ou Keaton en ont fait leur fond de commerce.

Dans cette volonté de revenir aux origines du cinéma, Brachetti va mimer différentes actions avec comme seule bande sonore des bruitages. La force du cinéma primitif et archaïque alliéà la précision du geste du mime.

Arrive sur scène un aveugle avec sa canne qui se transforme en l'attribut fétiche du célèbre Charlot popularisé par Charlie Chaplin. La canne se transforme ensuite en club de golf, en canne à pêche, en rame, en archet, en baguette de chef d'orchestre, en mitrailleuse, en pelle de fossoyeur, en queue de billard, en épée de samouraï puis de toréador, en perche du fil-de-fériste, en matraque de l'agent de circulation, en fouet, en flûte, en bâton de majorette, en porte drapeau…

Les bruitages sont savamment montés dans un collage du type « association d'idées ». La prouesse de ce tableau est de convoquer le transformisme sans aucun costume ! Ce n'est plus le comédien qui se travesti mais des objets invisibles. Brachetti choisi de mimer différents personnages qui se succèdent par l'intermédiaire d'un objet longiligne. Il y a mille fois plus de magie dans ce monde « invisible » que dans tous les tours de grandes illusions réunis. C'est une leçon magistrale qui se déroule sous nos yeux. Une leçon d'économie, de simplicité et de génie.

Lon Chaney

Arturo Brachetti est aussi connu sous le dénominatif de « l'homme aux mille visages ». Bien avant lui, un autre immense artiste portait ce même titre. Il s'agissait de l'acteur américain Lon Chaney, maître de la pantomime et du transformisme cinématographique.

Aussi important à ses yeux que son maître Fregoli, Brachetti rend un magnifique hommage à Chaney, artiste méconnu du grand public qui grâce à cette mise en lumière devrait sortir de l'anonymat tant son art était sublime.

Sur scène défile un montage vidéo de ses plus grands rôles, puis arrive une énorme caisse « qui servait à transporter les costumes, perruques, prothèses, postiches et maquillages de l'acteur lors de ses tournages. » Il fut le premier Quasimodo et le premier fantôme de l'opéra au cinéma.

Sur fond de projection représentant Lon Chaney grimé en clown, Brachetti sort de la caisse déguisé, lui aussi, en clown (rôle tenue par l'acteur dans le film He Who Gets Slapped, Larmes de clown). Vient ensuite un personnage d'asiatique mixe de plusieurs films (Mr. Wu, Bits of life et Shadows). Il exécute un tour de foulards dans le chapeau avec l'apparition de fleurs à la manière du prestidigitateur William Ellsworth Robinson grimé en Chung Ling Soo.

C'est au tour d'un pierrot lunaire de faire son apparition (un mixe de deux films : He Who Gets Slapped et Laugh, Clown, Laugh). Il fait voler un cœur en papier à l'aide d'un éventail. Apparaît ensuite Quasimodo et une séquence de marionnettes où sont figurés un ange et un diable. Ce combat symbolique est un écho à la dualité de l'acteur Lon Chaney, tiraillé entre le bien et le mal, à la vie comme à la scène. C'est le diable qui l'emporte (le cancer de la gorge qui emportera l'acteur en 1930) faisant son apparition sur scène avec la lévitation de sa fourche. Pour terminer cet hommage, le fantôme de l'opéra entre sur scène avec sa cape et transforme ses gilets en différents drapeaux des pays où Lon Chaney a triomphé. Un énorme drapeau recouvre le personnage pour laisser apparaître un costume entièrement composé de drapeaux.

Ombres chinoises

A 20 ans, Arturo Brachetti tente sa chance à Paris et dans sa chambre de bonne il se fait ses petits scénarios en inventant le plus vieux cinéma du monde : les ombres chinoises.

Nous revoyons avec plaisir ce tableau déjà présent dans son précédant spectacle, qui voit défiler la tour Eiffel, la tour de Pise, un joueur de tambour, un cygne, une colombe, trois races de chien, une chèvre, un âne, un cerf, un éléphant, un crocodile, un requin puis un lapin.

« J'ai toujours été habituéà faire de la magie avec une raison derrière. Ça fait partie d'un tout. Aujourd'hui, il y a des gens qui me copient, qui font du transformisme avec un répertoire de cinq minutes, mais ils se transforment juste pour la surprise de l'effet. Alors que moi, il y a toujours une raison derrière. Je fais un spectacle un peu autobiographique, touchant, rêveur, qui se rapporte à l'enfance... Au début, les spectateurs sont curieux, et peu à peu, ils se laissent emporter par la rêverie. Ils voient sur scène la réalisation concrète d'un fantasme que l'on a tous : vivre plusieurs vies. » A.Brachetti

Fellini

Le 13 octobre 1979 dans le quartier de St Germain des prés à Paris, Arturo Brachetti assiste à la projection du film 8 ½ de Federico Fellini, et d'un seul coup sa vie a été partagée en deux. « Notre seule limite c'est l'imaginaire ». Place au maestro !

Sur une musique jazzy, défile sur l'écran de projection un montage des films de Fellini. Le rideau s'ouvre alors sur la chaise du réalisateur. Nous voyons apparaître la silhouette de l'actrice Giulietta Masina jouant Gelsomina dans La Strada. Son manteau devient un drap qui sert de paravent pour faire apparaître une marionnette puis un évêque à quatre pattes qui grandit à vu d'œil pour se transformer en chapiteau ! Un clown blanc en sort. Il danse autour d'un ballon. Deux énormes seins font leur apparition avec en leur centre le personnage joué par Marcello Mastroianni dans La cité des femmes. Apparaît alors un magicien ringard, foulard au poing puis un trapéziste qui se transforme en femme portant une robe blanche avec une traine. Fellini refait son apparition, de dos, sur sa chaise et sa silhouette s'anime en disant « Silencio » avec un porte voix. Fin de l'hommage avec en toile de fond le passage d'un énorme paquebot en référence au film Amarcord.

Entracte

Brachetti fait son apparition en peignoir. « L'entracte c'est important pour vendre des glaces et des cacahuètes ! »

Défile des photos de famille où l'on voit Arturo se déguiser, puis l'artiste se déshabille sur scène pour laisser voir son caleçon aux couleurs de l'Italie. Dans cette tenue très légère, il défit le public qu'il peut changer de costume rapidement (et là, il n'a rien en dessous !). Aussitôt dit, aussitôt fait, l'artiste part en coulisse quatre seconde et revient habillé d'un costume !

Hollywood

Brachetti rend un hommage à la plus célèbre industrie du film de la planète au travers de ses plus grands succès. « J'ai vu tous les films de genre d'Hollywood et depuis longtemps je rêve de jouer dans un film imaginaire où je jouerais tous les rôles. » A.Brachetti

On voit défiler différents génériques de films dans un montage vidéo projeté sur scène. A la fin, l'affiche de The Golden Rush (La ruée vers l'or) de Charles Chaplin reste fixée sur le rideau d'avant scène. Soudain apparaît en transparence Brachetti, sous la neige, grimé en Charlot qui rejoue la scène mythique des petits pains.

C'est au tour de James Bond de faire son apparition comme dans le précédent spectacle du transformiste : un demi-change de costume blanc et noir, la disparition de son pistolet et un change de costume derrière un paravent en forme de journal.

Place au genre fantastique avec les personnages d'E.T, de Rencontre avec le 3ème type et de La mouche. Séquence maritime avec Jack Sparrow de Pirates des Caraïbes qui transforme un foulard de pirate en foulard blanc, Titanic, Nemo et Les dents de la mer.

Le personnage de Charlton Heston dans Les 10 commandements joue la transition pour changer d'univers et se tourner vers l'âge d'or d'Hollywood avec des classiques comme The sound of music (La mélodie du bonheur) de Vincente Minnelli, Le magicien d'Oz avec Judy Garland et son chien marionnette, Liza Minnelli dans Cabaret de Bob Fosse, le couteau de Psycho (Psychose), Gene Kelly dans une magnifique séquence de Singing in the rain (Chantons sous la pluie), Humphrey Bogart et Lauren Bacall dans Casablanca, puis King Kong.

Sans transition, Joséphine Becker apparaît du costume de King Kong et entame une hilarante chorégraphie avec des bananes chanteuses. Sur fond de pleine lune, Harry Potter apparaît avec sa chouette qui échoue par terre, et est ramassée par Blanche neige. Blanche neige qui subit les fientes d'une colombe nettoyées grâce à un lapin en peluche.

Gollum du Seigneur des anneaux étale une serviette pour se faire bronzer en se tartinant de crème solaire. Le plaide est tendu à la vertical et apparaît la créature de Frankenstein qui danse des claquettes ! Scarlett O' Hara change sa robe avec un énorme rideau sur fond de vidéo qui montre les deux photos des acteurs principaux prendre feu. Transition parfaite pour la préhistoire et La guerre du feu, via 2001 l'Odyssée de l'espace, où un os fait le tour du système solaire par l'utilisation du théâtre noir.

L'univers d'Hollywood se termine par la présence de Dark Vador de La guerre des étoiles qui se transforme en petite sirène qui lévite sur scène en faisant des bulles de savon.

Clap de fin

Arturo Brachetti revient sur scène remercier certains auteurs de cinéma, sans lesquels le monde du rêve n'existerait pas : « Merci à la lune de Méliès, à la douche de Psychose, aux lunettes de Woody Allen, à la cicatrice d'Al Pacino (dans Scarface), à la cigarette de Bogart, à la bicyclette d'E.T, à l'atmosphère d'Arletty (dans Hôtel du nord)…, à Buñuel, Godard, Hitchcock, Fritz Lang, Dreyer, Scorsese, Rossellini, Fellini. Merci au public qui crée les stars ! Le costume noir d'Arturo se transforme en costume blanc sous l'effet de paillettes.

Une heure trente de show non stop d'une qualité remarquable. Loin de la redite, Arturo Brachetti prouve qu'il est au top de sa forme créative et démontre avec brio que l'art peut-être pointu et populaire à la fois. La culture et le divertissement alliés pour le meilleur dans ce nouveau spectacle, une nouvelle fois, indispensable !

A lire :
-Arturo Brachetti, l'homme aux mille visages.
-BRACHETTI and Friends / Comedy Magik Cho.
-Lon Chaney.
-Fregoli.

A visiter :
-Le site d'Arturo Brachetti.

Crédit photos : Paolo-Ranzani. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

Claire LASNE-DARCUEIL

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L'interdisciplinarité mise en place par le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de par son programme et le partenariat avec d'autres écoles est un très bon exemple à suivre pour les métiers de l'illusion qui devraient d'avantage s'ouvrir aux autres domaines artistiques pour développer des compétences dans un programme de formation varié et complémentaire. (Note de la rédaction).

Claire Lasne-Darcueil

Son prédécesseur Daniel Mesguisch avait dû faire face à une révolte des élèves et à un malaise chez les enseignants, ce qui rendait évidemment impossible son maintien à la direction de cette école historique où rêvent d'entrer de nombreux candidats à une aventure théâtrale.

D'abord comédienne, Claire Lasne-Darcueil avait fait son apprentissage à l'ENSATT puis dans ce même Conservatoire National. Elle mit en scène en 1996, Platonov de Tchekhov au Théâtre Paris-Villette que dirigea avec une rare acuité Patrick Gufflet ; cette réalisation exemplaire, unanimement saluée, la fit connaître au grand public, puis elle devint avec son mari Laurent Darcueil, aujourd'hui disparu, directrice du Centre dramatique de Poitou-Charentes. Comme autrefois Jean Dasté le fit autour de Saint-Etienne, elle alla au-devant du public avec un chapiteau, là où il n'y a pas de salles, dans de petites villes ou villages de la région. Puis elle dirigea la Maison Maria Casarès.

Elle s'est toujours passionnée pour la pédagogie théâtrale, et les anciens élèves de l'Ecole du Théâtre national de Chaillot se souviennent encore du remarquable stage sur Tchekhov qu'elle avait animé. On la sent déterminée, solide, munie de l'indispensable expérience, et de l'énergie pour diriger cette école qui dispose de moyens, et d'enseignants de grande qualité, mais à laquelle on a souvent reproché, et non sans raison, de prélever les meilleures des jeunes pousses en France, d'avoir un enseignement teinté d'un certain conformisme et de « produire » chaque année, trop d'élèves formatés, et de n'être pas toujours en phase avec le théâtre le plus vivant…

Le Conservatoire national a eu longtemps le quasi-monopole de l'enseignement, dit supérieur, de l'art dramatique, ce qui n'est plus heureusement le cas. Les services du Ministère de la Culture n'ont jamais fait preuve d'imagination ni d'intelligence et ont toujours eu une politique des plus conservatrices, quand il s'agissait de prendre les bonnes décisions à long terme. Heureusement, les lignes sont en train de bouger. En fait, les enseignements artistiques n'ont jamais passionné la classe politique ni les énarques et assimilés. Du coup, que soit pour l'enseignement des arts plastiques, de la musique, du théâtre ou du cinéma, on revient de loin. Claire Lasne-Darcueil nous fait part ici des réformes qu'elle entend mener.

Cela fait un an que vous êtes arrivée aux commandes du Conservatoire National. Quel bilan ?

J'ai d'abord accompagné le programme de Daniel Mesguich mon prédécesseur ; puis, en octobre dernier, j'ai commencéà mettre en place une nouvelle pédagogie, dont un des éléments mais pas le seul est constitué par une école gratuite de préparation aux concours du Conservatoire mais aussi des Ecoles nationales, ce qui me parait important. Mais j'ai bien conscience que c'est une question épineuse : on peut passer facilement pour quelqu'un qui se donne bonne conscience, qui est dans la démagogie. Qu'importe, j'y tiens et on va le faire, c'est tout ; mais je ne veux pas en parler davantage, les choses ne sont pas encore avancées.

Vous le savez bien, en France, le nombre des écoles de théâtre, à la fois publiques et privées a, depuis dix ans, beaucoup augmenté, ce qui change fondamentalement le paysage de l'enseignement. Puisque les jeunes gens qui en sortent doivent souvent faire preuve de nombre de compétences pour avoir du travail…

Oui, bien sûr, et on beaucoup de questions à se poser au plan national, sur l'insertion professionnelle, mais ici ce n'est pas vraiment un problème. Notre école, très ancienne, est à Paris et a acquis depuis longtemps une vraie légitimité quant à l'enseignement du métier théâtral, mais, s'il y a une dizaine de bonnes écoles en France, qui s'en plaindrait ? La Bolivie (dix millions d'habitants), en possède une seule…

Si j'ai posé ma candidature à la direction du Conservatoire, c'est pour moi une façon d'agir concrètement. Quant au reste : une politique théâtrale en France dans son ensemble, ce n'est pas de mon ressort. L'état du théâtre en France, la nécessaire évolution des Centres dramatiques et des Scènes nationales, cela me concerne sûr mais encore une fois, ce n'est pas mon travail… Ma mission à moi, est claire et précise : former de jeunes gens capables de donner des réponses intéressantes, les rendre forts, confiants en eux, et capables de saisir le monde avec autorité mais aussi avec bienveillance envers les femmes et les hommes qui étaient là avant eux dans la profession.

Pour moi, disons que j'ai eu beaucoup de chance, et ce que j'ai pu vivre dans l'institution théâtrale, a été complètement heureux, je tiens à le dire, et je crois avoir été fidèle à mes rêves d'enfance. J'ai mené cette expérience avec des gens que j'aimais et que j'appréciais. Si je n'étais pas là, je serais en validation d'acquis en art-thérapie à la Sorbonne, et je suis très reconnaissante aux gens qui m'ont suggéré d'être candidate à ce poste ; l'avoir obtenu est un immense cadeau de la vie…

Quelle est votre équipe actuelle et quels sont les grands axes de votre politique pédagogique ?

Il y a trente et un intervenants dont bon nombre que vous connaissez, puisque vous avez parléà plusieurs reprises dans Le Théâtre du Blog des travaux d'élèves : Sandy Ouvrier, Daniel Martin, Robin Renucci, Nada Strancar, Lucien Attoun… Mais je tiens aussi à inviter des artistes comme Thomas Ostermeier, Fausto Paravidino, Stuart Seide, Bernard Sobel… Par ailleurs, je considère que la musique et le chant, comme dans toutes les écoles des pays de l'Est, et primordiale. Nous avons maintenant six professeurs de chant, et trois accompagnateurs qui sont impliqués dans l'enseignement, et il y a aussi un piano dans chaque salle. Enfin, je considère aussi que l'activité physique, et l'échauffement avant un cours d'interprétation sont très importants ; les heures de cours de danse ont donc été doublées.

Je suis convaincue d'un indispensable retour à la valorisation des enseignements plus « techniques » comme le chant, la danse, le clown, le masque… et à l'idée de progression, à partir d'une première année fondamentale. La troisième et dernière année étant plutôt réservée à des ateliers de pratique. Quant au concours, il me semble aussi utile d'avoir un petit entretien avec les candidats, ce qui nous permettra de les faire parler des raisons qui les ont conduits là. Nous sommes par ailleurs en dialogue avec des metteurs en scène comme Matthias Langhoff, Jean-Pierre Vincent ou Philippe Adrien qui nous apportent à la fois leur point de vue et leur expérience pour le cycle de formation à la mise en scène. Le Conservatoire accueille en effet depuis deux ans, des élèves comédiens et/ou metteurs en scène dans le cadre d'une formation de deuxième cycle, pour une durée de deux ans ; en juin dernier, cinq élèves ont pu ainsi présenter leur projet au Théâtre 95 de Cergy-Pontoise. Mais, pour le moment, nous avons fait le choix de ne pas recruter d'élèves dans le cadre existant. Et nous élaborons un nouveau cursus d'enseignement avec cours, stages et ateliers de réalisations collectives.

Par ailleurs, il existe déjà un diplôme national de comédien délivré par le Conservatoire, ce qui permet aux élèves qui l'obtiennent de pouvoir obtenir conjointement une licence mention Arts du spectacle théâtral à l'université Paris VIII. Quelques élèves peuvent aussi demander à effectuer leur deuxième année dans un établissement supérieur français ou étranger. Enfin, SACRE (Sciences, Arts, Création, Recherche), formation doctorale créée en 2012, est le résultat de la coopération entre notre maison, le Conservatoire National de Danse, l'Ecole des Arts Décoratifs, la FEMIS, l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm. C'est une sorte de plate-forme d'échanges entre sciences exactes, sciences humaines et littéraires, et pratiques de création avec, à terme, la création d'un doctorat.

On entend dire dans la profession que les élèves du Conservatoire ne représentent pas vraiment la société d'aujourd'hui et seraient issus des classes sociales privilégiées, et très peu des banlieues ? Est-ce exact ?

Non ; en effet, la moitié de ces élèves, ce qui est déjà beaucoup, a droit à une bourse du CROUS sur dix mois, et non imposable ; il y a aussi des aides d'urgence versées par le ministère de la Culture si leur situation personnelle le justifie, et des aides ponctuelles versées par le Conservatoire pour tous les élèves boursiers ou pas. Et enfin un accord avec la ville de Paris a été conclu et dix logements sociaux sont attribués chaque année. Tout cela étant bien entendu très contrôlé.

Vous avez un peu plus de cent élèves. Arrivez-vous à les connaître ?

Ce n'est pas facile mais je m'efforce de les rencontrer personnellement. Il me semble que c'est aussi mon rôle, et il y a un retour formidable de leur part.

Quelles sont vos relations avec des Ecoles comme celle des Arts Déco, dont la section scénographie, sous la direction de Guy-Claude François, a longtemps collaboré avec l'Ecole du Théâtre National de Chaillot ?

Ces relations déjà anciennes continuent aussi à exister chez nous, en particulier pour les décors des travaux des élèves de troisième année. Avec la FEMIS, elles ont été renforcées et il y aura un atelier commun annuel de réalisation avec les élèves de nos deux écoles pendant une semaine ; l'an prochain, il y aura aussi une collaboration importante avec le Conservatoire National de Musique et de Danse pour la mise en scène du ballet du Malade imaginaire de Molière, avec nos élèves, et les élèves musiciens et peut-être danseurs. Et, à terme, nous travaillerons probablement avec l'Ecole Nationale des Beaux-Arts, même si c'est sans doute un peu plus compliqué.

Il me semble aussi important que nous ayons une réflexion sur le fonctionnement du théâtre contemporain, à l'heure où les créations scéniques se font souvent en relation directe avec les nouvelles technologies. Une école comme le Conservatoire ne peut en faire l'économie et l'enseignement du théâtre doit aussi prendre en compte l'évolution de la société, du public et des technologies : on ne peut plus aborder une création, comme on le faisait, il y a quarante, ni même vingt ans…

- Interview réalisée en Décembre 2014.

- Source : Le Théâtre du Blog.

Crédit Photos : Photo-Anne-Gayan. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

DYNAMO / l'art luminocinétique

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Cette exposition sous titrée, Un siècle de lumière et de mouvement dans l'art (1913-2013), est un événement exceptionnel qui regroupe 140 artistes, 220 œuvres sur 4000m2 de surface ! Dynamo présente les travaux d'artistes travaillant sur l'art optique, l'art perceptuel, l'art cinétique et l'art luminescent. Ces créateurs sont essentiellement préoccupés de formes, physiques, sensitives et visuelles ; ils sont adeptes d'expérimentations qui découlent d'un optimisme à toute épreuve, créant toutes sortes d'effets d'illusions. Ils réinventent la lumière et le mouvement par des jeux de miroirs ou de couleurs, questionnent la vision et la perception, et interrogent la place du spectateur face à l'œuvre.

L'exposition est présentée par thèmes purement plastiques et visuels, tissant ainsi d'intenses filiations entre artistes d'hier et d'aujourd'hui. Au programme : Claire-voie / permutation / Concentrique-excentrique / Interférence / Immersion / Distorsion / Tactile / Trame / Battement / Abîme / Champs de force / Nuée / Halo / Maelstrom / Espace incertain / Céleste.

Les œuvres interrogent la perception visuelle à travers leur aura phénoménologique. C'est pourquoi, il faut expérimenter en live chacune d'entre elle dans leur espace réel et physique. Le but est de vivre une expérience sensorielle abstraite et ludique qu'aucune photographie ou vidéo ne peut retranscrire. Plus globalement, le visiteur est compris dans le système créatif ; sa participation construit l'œuvre et lui donne son sens.

Jeppe Hein, Rotating labyrinth (2007). Dans cette installation rotative, « Le cerveau comprend le mécanisme mais le corps est désorienté et envoûté».

Le spectateur découvrira comment certaines œuvres sont stables alors que d'autres semblent bouger ou sont mues par un moteur, comment et pourquoi la lumière artificielle, le tube de néon, le miroir sont utilisés, comment certaines sont des environnements dématérialisés, comment le temps est mis à contribution, comment le visiteur est sollicité pour participer à des expériences et éprouver des sensations.

Dynamo propose un programme singulier qui ne laisse aucun répit aux visiteurs, pris dans un tourbillon visuel unique. Outre, le fait de (re)découvrir certaines œuvres ou certains artistes iconiques (Vasarely, Tinguely, Le Parc, Soto), l'exposition met en lumière des « nouveaux venus » comme Philippe Decrauzat et révèle le fabuleux travail plastique de Ann Veronica Janssens.

Archéologie luminocinétique

L'idée d'introduire de manière littérale le mouvement dans le champ des arts de la représentation est très redevable à l'âge baroque, où la question de l'emprise et de la démonstration visuelle est omniprésente. En effet, la contre-réforme cherche à convaincre les esprits au moyen d'images et de dispositifs visuels qui emportent la croyance grâce à de multiples effets d'émerveillement, de sidération et d'artifices.

Machine catoptrique d'Athanasius Kircher.

Une des figures les plus influentes fut celle du père Athanasius Kircher (1601-1680), génie de la physique des phénomènes optiques et acoustiques. Les planches gravées de son Ars Magna Lucis et Umbrae (1646) évoquent des machines à projeter des images (la lanterne magique, machine catoptrique) mais aussi le procédé de démultiplication mécanique de l'image (le premier kaléidoscope. Brevet déposé par David Brewster en 1819). Le cabinet de curiosités qu'il installe à Rome rassemble une impressionnante collection de nouvelles machineries optiques qui trouve un écho immédiat dans la spectacularisation des églises baroques, non seulement par des trompe-l'œil où peinture et architecture rivalisent d'illusionnisme, mais aussi par d'importants systèmes d'animation mécanique de certains tableaux. Ceci bien avant la naissance du diorama, en pleine époque romantique.

Dans cet esprit d'animation et s'appuyant sur les travaux de Kircher, Louis-Bernard Castel (1688-1757) propose dans son traité consacréàL'Optique des couleurs (1740), la création d'un « clavecin pour les yeux », un instrument capable de rendre visible l'analogie entre sons et couleurs, ainsi que d'imiter, au moyen de couleurs mobiles, la beauté du mouvement. Son « Clavecin oculaire » doit nourrir le sentiment d'existence du spectateur par le renouvellement constant des impressions.

Par la suite, « le sentiment d'infinitude » de l'âge baroque s'est converti en une réflexion beaucoup plus immanente et neurologique sur les conditions d'attention de la conscience moderne, à l'ère du village global.

L'art en mouvement

« L'unique chose stable c'est le mouvement, partout et toujours. » Jean Tinguely

L'idée de représenter le mouvement a toujours existé dans la peinture et la sculpture depuis l'antiquité. Un artiste baroque comme Le Bernin exprimait le mouvement et la transposition au travers de ses statues en marbre comme Apollon et Daphné (1622-1625).

Marcel Duchamp, Nu descendant l'escalier (1912).

A partir de la fin du XIXe, avec la révolution industrielle et l'apparition du cinématographe, le mouvement s'est emparé du monde des images. Les locomotives fusent, les avions décollent, les foules grouillent dans les villes encombrées d'automobiles et l'image a perdu sa fixité. Le courant abstrait, initié par Kandinsky vers 1910, se débarrasse définitivement du sujet. Delaunay, Kupka, Balla, Rodtchenko, Duchamp, le Bauhaus emboîtent le pas. Le positivisme est alors une foi et va trouver ses grands prêtres chez les futuristes, les cubistes et tous les autres pionniers de l'abstraction. Plusieurs artistes mettent l'art en mouvement et commencent à questionner la notion même de perception, plutôt que la réalité ou les mythes.

Moholy-Nagy, Modulateur Espace Lumière (1922-1930).

En 1922, dans le cadre du Bauhaus, Moholy-Nagy crée le Modulateur Espace Lumière, un dispositif mobile précurseur inventé pour produire des effets lumineux en constante transformation. Cette machine rotative est pourvue de plaques de métal et de plexiglas permettant de projeter ombres et lumières dans un mouvement hallucinatoire et abstrait. Un film sera réalisé d'après ces effets, dématérialisant l'œuvre au profit de la simple recherche visuelle.

Alexander Calder, Sans titre (1931).

Très vite, on ne représente plus le mouvement, mais on l'utilise. Le premier à travailler dans ce sens est Alexander Calder dès 1930, en incorporant les aléas des éléments comme le vent, lui dicter les mouvements de ses sculptures (à l'inverse de Jean Tinguely, utilisera des moteurs).

Le cinétisme

Dès les années 1950, lumière et cinétisme inoculent leur virus aux tableaux et aux sculptures.

Jean Tinguely réalise ses Méta-reliefs (dès 1954), des peintures-sculptures à animer soi-même constitués de moteurs à mouvement irrégulier (utilisés sur les tableaux de bord des avions). C'est une petite révolution plastique dans la continuité de l'abstraction et du constructivisme. En utilisant des matériaux pauvres bricolés entre eux et en jouant sur la dérision de l'ensemble, l'œuvre devient transformable.

Jean Tinguely, relief méta-mécanique (1954).

« Je pouvais continuer sur une peinture pendant des mois, jusqu'à usure totale de la toile : racler, revenir, sans laisser sécher la peinture ! C'était impossible pour moi ; je n'arrivais pas à, disons, décider : Voilà, c'est terminé… C'est à partir de là, au fond, que le mouvement s'est imposéà moi. Le mouvement me permettait tout simplement d'échapper à cette pétrification, à cette fin. » Jean Tinguely

La première exposition d'art cinétique a lieu en 1955. Intitulée Mouvement, elle est organisée par la galeriste Denise René et initiée par Vasarely. Elle regroupe une brochette d'artistes qui allaient devenir des symboles. Leurs noms : Soto, Agam, Schöffer, Bury, Tinguely.

L'art cinétique se veut visionnaire en impactant le visiteur et la société au-delà de son propre cadre d'exposition. Ebranler les codes de l'art, investir l'espace public, faire participer le public, tel est le programme de ce mouvement « populaire », qui veut être en phase avec les machines, le cosmos et la magie, avec les sciences dures et la psychologie, avec l'architecture et la mode, le visible et l'invisible. En pratique, les dispositifs sont très simples et leur structure d'une logique imparable. Ils reposent sur les rapports duels entre les couleurs complémentaires ou entre le blanc et le noir. De manière générale, il n'y a jamais une seule façon de voir l'œuvre. C'est le spectateur qui initie le mouvement créatif en interagissant avec elle.

LES ARTISTES

Voici une liste des artistes les plus représentatifs du mouvement luminocinétique.

Victor Vasarely (1906-1997)

On a attribuéà tort le titre de « père du cinétisme »à Vasarely, alors que celui-ci est le symbole de l'art optique. Travaillant ses tableaux dans une logique de métamorphose en jouant avec les surfaces, les couleurs, les formes, créant des pièges optiques, des déformations, des anamorphoses, et l'illusion d'un mouvement à l'intérieur même de la toile selon le déplacement du spectateur et son champs de vision. Le plasticien franco-hongrois fut l'artiste des 30 glorieuses par excellence, la preuve d'un vrai succès populaire, mainte fois « reproduit », jusqu'à l'usure !

Victor Vasarely, Bora II (1964).

Devant ses œuvres, on ne voit, tout d'abord, qu'un simple tableau, un support académique de la peinture traditionnelle, puis, après quelques secondes d'observation, les cercles et carrés colorés semblent se transformer en losanges et en ovales, en volumes et en creux. L'œuvre paraît se rapprocher puis s'éloigner, rien n'est fixe et tout vacille !

Henri Georges Clouzot (1907-1977)

Pour L'Enfer, Clouzot veut entrecouper son film d'images expérimentales. Il comprend tout de suite le potentiel hallucinogène des oeuvres lumino-cinétiques de l'époque et va filmer certaines d'entres elles à l'exposition de 1964 intitulée Propositions visuelles de la nouvelle tendance aux Arts décoratifs de Paris.

Bien que le film soit inachevé, l'essentiel de ce travail de recherche resurgit 4 ans plus tard dans son dernier film La prisonnière (1968), qui se déroule dans le milieu de l'art contemporain avec l'apparition à l'écran d'oeuvres cinétiques prêtées par la galeriste Denise René.

Clouzot devant une peinture transformable d'Agam lors du tournage de La prisonnière.

Nicolas Schöffer (1912-1992)

Artiste franco-hongrois, Schöffer réalise les premières œuvres interactives en temps réel de l'histoire de l'art, en travaillant avec des dispositifs invasifs, de la lumière pulsée et brasée, provoquant chez le spectateur une forme d'hypnose qui est sensée avoir des effets bénéfiques sur sa mécanique neurale et toucher directement ses centres de perception.

Nicolas Schöffer, Sculpture spatioluminodynamique Lux 10 (1959).

Schöffer se fait prophète de la robotique à venir à travers des machineries redoutables, toutes de bruit et de lueur. Entre art cinétique et cybernétique, Schöffer a définit le concept de spatiodynamisme (l'intégration constructive et dynamique de l'espace dans l'œuvre plastique) et de lumino-dynamisme.

Nicolas Schöffer, Microtemps n°13.1 (1968).

François Morellet (né en 1926)

Morellet est considéré comme l'un des précurseurs de l'art minimaliste. Il réalise sa première exposition en 1950 et, jusqu'en 1960, ses travaux sont composés sur des arrangements de formes simples (lignes, carrés et triangles). Ses modes d'intervention le sont tout autant : superposition, fragmentation, juxtaposition et interférences.

François Morellet, Triple X Néonly (2012).

Il est le cofondateur du mouvement GRAV en 1960, et est l'un des premiers à utiliser le néon dans les oeuvres d'art avec l'américain Dan Flavin. Il va développer par la suite, en solo, une oeuvre unique qui tord les attentes et les moyens traditionnels de la peinture. Morellet se débarrasse de la sacro-sainte subjectivité de l'artiste et vise la neutralité mathématique. Ses tableaux se construisent à partir de principes et de calculs trigonométriques. Les lignes n'ont rien de spontané ou d'improvisé et les « trames » affichent dans le titre les angles qu'elles suivent.

François Morellet, Sphère trame (1962).

Jesus Rafael Soto (1923-2005)

Très influencé par les impressionnistes qu'il considère comme la base de l'art moderne, Soto travaille la lumière et ses vibrations en relation avec l'énergie du monde et son rayonnement sur le spectateur. Le spectateur qui prend conscience qu'il est une force en lui-même à l'intérieur des systèmes mis en place par l'artiste vénézuélien. Il suffit à Soto d'affronter quelques lignes de métal sur fond strié pour empêcher notre œil de se poser vraiment sur ses toiles. Tout semble vaciller, et le corps du visiteur s'anime alors de la volonté même du tableau de nous faire aller et venir incessamment devant lui, sans que jamais ses lignes vibratiles comme des cils ne cessent de faire semblant de bouger.

Jesus Rafael Soto, Pénétrable BBL bleu (1999).

Il y a dans ses œuvres une dimension magnétique et fantasmatique, une part de physique cantique et d'imaginaire scientifique au service d'une immédiateté sensitive hors du commun.

Parmi ses œuvres importantes : Spiral con Rojo (1955), Les pénétrables (dès 1960), Carré interne avec T noirs (1979).

Julio Le Parc (né en 1928)

Cofondateur du mouvement GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel) en 1960, Le Parc est la figure la plus importante de l'art cinétique et perceptuel. Avec ses collègues Horacio Garcia Rossi, François Morellet, Francesco Sobrino, Jean-Pierre Yvaral et Joël Stein, l'artiste argentin pose les bases d'un nouvel art basé sur la participation joyeuse du spectateur dans l'œuvre qui ressemble à une salle de jeux, à un labyrinthe avec des éléments mis à disposition pour être manipulés. Une « machine de guerre » contre la notion d'artiste unique, contre l'œuvre définitive, contre l'école de Paris, et contre les établissements d'art. La volonté est d'attirer un public nouveau, différent de celui des musées (proche en cela de l'esprit Dada), de faire en sorte que les œuvres soient le plus accessibles et efficaces possible, ce qui est en soi très politique dans le sens où le visiteur fait partie intégrante de l'œuvre, de son univers.

Julio Le Parc, Cloison à lames réfléchissantes (1966)

Rideau en lames miroitantes, lumières aléatoires, explosions de couleurs dans la toile, tableaux et installations articulés par un moteur, le travail de Le Parc est gracieux, spirituel et poétique.

Julio Le Parc, Continuel-mobile (1962-1996).

Yaacov Agam (né en 1928)

Plasticien israélien, Agam considère que l'œuvre n'existe que par l'action du spectateur sur celle-ci. Peinture, sculpture, architecture se métamorphosent par le déplacement de celui qui regarde. La dimension du temps est une notion essentielle pour Agam qui en fait un de ses matériaux de prédilection (sa 4ème dimension). L'œuvre se transforme avec le temps et une image n'existe pas en elle-même, mais que par rapport à celle qui la suit.

Dans ses tableaux transformables, on ne remarque pas le dispositif immédiatement lorsque l'on se situe en face. Pourtant, hérissé de lamelles de bois qui sont peintes sur chacune de leurs tranches, le tableau d'Agam présente bien une surface en relief. Montagneux en quelque sorte, il fait obstacle à une contemplation paresseuse qui se limiterait à un seul point de vue. Interdisant la position statique, il pousse le spectateur à se déplacer. La peinture change alors d'aspect au moindre mouvement latéral dans un kaléidoscope de couleurs. Tableau deux en un, trois en un, cela prouve que le monde est complexe, que sa perception dépend de l'angle sous lequel on le considère. Rien n'est jamais fini, tout se réinvente en permanence par le rôle de chacun.

Parmi ses œuvres importantes : les tableaux à transformations (dès 1953), les tableaux tactiles (1970), la sculpture Cœur battant transformable à l'infini qui suit « un mouvement cosmique ».

Larry Bell (né en 1939)

Bell traque la lumière en ses moments d'apparition, en ses occurrences les plus confondantes de beauté. Dans des cubes de verre, il enferme en semi transparence métallisée toutes sortes de jeux de lueurs qui se transforment avec le mouvement du regard. Certains évoquent la notion de Radiant minimalism. Bell fut le premier artiste à oser utiliser les miroirs sans tain dans ses installations. Qu'il s'agisse d'un micro labyrinthe de parois de verre aux angles triangulaires posées en équilibre, ou de deux cubes mâtinés d'une grisaille translucide et imbriqués l'un dans l'autre, laissant surgir quatre carrés de lumière.

Larry Bell, Cube (1967). « Ne croyez surtout pas que je vais vous expliquer comment j'ai fait : ça c'est ma magie, je la garde pour moi ! » Larry Bell

Brian De Palma (né en 1940)

On connaît l'obsession de Brian De Palma pour les jeux et les pièges optiques qu'il utilise dans ses films à l'instar d'Alfred Hitchcock. Avant de réaliser ses premiers long-métrages, le tout jeune De Palma va filmer, en 1965, un documentaire sur l'exposition intitulée The responsive eye au MoMa de New York. Nous sommes alors en pleine apogée de l'abstraction perceptuelle. Les œuvres des artistes travaillant à Paris sont découvertes par les américains aux côtés des artistes locaux comme Ellsworth Kelly, Morris Louis, Kenneth Noland, Larry Poons, Frank Stella et Bridget Riley. L'exposition se découpe en deux volets : l'art cinétique bidimensionnel et la sculpture cinétique.

Le film entremêle la description de la soirée mondaine du vernissage aux commentaires de critiques, artistes et spectateurs qui exposent leur point de vue sur cette exposition consacrée aux différents courants de l'art optique. Le psychologue Rudolph Arnheim conclut : « Il y a de la construction sans impulsion dans l'école de Mondrian, et l'impulsion sans la construction chez les expressionnistes abstraits. Ici on a les deux mais dans l'abandon. Ni la construction, ni l'impulsion ne viennent de l'artiste. La construction est due à la géométrie et l'impulsion à la physiologie. »

Anish Kapoor (né en 1954)

Dans les œuvres de Kapoor, l'environnement fonctionne à une double échelle : celle de la ville avec ses sculptures monumentales et architecturales et celle de l'œuvre elle-même qui créée des espaces pénétrables.

Le miroir n'est pas là pour réfléchir une image mais pour transformer la vision. La réalité est modifiée, malaxée et anamorphosée dans une expérience sensorielle et visuelle. Le miroir est la matière instable par excellence, un support idéal pour attaquer l'espace, modifier les choses sans y toucher et intégrer le spectateur en son sein.

Untitled, 2008. Trois miroirs concaves pourpres qui reflètent le monde extérieur à l'envers puis à l'endroit quand on est tout proche.

Islamic mirror, 2008. Un miroir concave en acier inoxydable, formé de prismes de petites tailles, cette oeuvre entièrement parcellisée peut donner l'impression d'un gouffre immense et insondable.

Ann Veronica Janssens (née en 1956)

Cette artiste belge joue sur la dématérialisation de l'œuvre au profit de la création d'un espace, d'une lumière, d'une atmosphère ou d'une durée. Le but est de faire vivre une expérience perceptive au spectateur qui « s'imprègne » de quelque chose de l'ordre de l'éphémère.

Le travail d'Ann Veronica Janssens reprend sans conteste les réflexions entamées depuis les années 1960 par les cinétiques français (notamment François Molnar et le GRAV dès 1960), et les minimalistes américains (Robert Morris avec Steam en1967 ou Robert Barry avec Inert Gas Series en 1969)

Bluette (2006).

Ann Veronica Janssens ne montre rien mais nous incite à voir. Elle ne fabrique pas d'image mais travaille la lumière comme un sculpteur, qu'elle matérialise (Bluette, 2006). Ses travaux ne racontent pas d'histoires, ils ne contiennent aucune subjectivité, aucune psychologie. C'est, au contraire, par l'objectivité que naît une forme de poésie qui parle à chacun de nous de façon personnelle.

L'œuvre n'est jamais finie car elle se réinvente sans cesse, se recrée continuellement, et ne fait plus qu'un avec le spectateur, à l'image de l'installation immersible Daylight blue (2011), qui recrée un brouillard artificiel coloré où le spectateur perd ses repères pour mieux se retrouver avec lui-même dans un rapport physiologique et fusionnel.

Cette expérience unique (la plus belle de l'exposition) nous fait pénétrer dans un espace cotonneux où la visibilité est restreinte à quelques centimètres, puis se déplacer avec moult précautions dans un lieu devenu inconnu et sans limite. Le spectateur se retrouve « isolé» et fait l'expérience très personnelle du déplacement, du temps et de la perception corporelle et non uniquement visuelle. Lorsque l'horizon devient sans fin, de plus en plus abstrait, tel un espace fantomatique où les systèmes de reconnaissance ne sont pas immédiats, « la perte de repère » est au rendez-vous. Dans ce « labyrinthe » sensuel, la limite entre le voir et le toucher se dilue et l'expérimentation prend le pas sur la prétendue connaissance visuelle. L'œuvre se confond alors avec une exploration d'un espace architectural sans limite, à l'aide d'un corps aux sens exacerbés.

Magic mirror (2012). Plaque de verre feuilleté crash dichroïc.

Philippe Decrauzat (né en 1974)

Decrauzat aime partir d'une image et créer un objet en l'exagérant, en l'extrapolant. C'est pour lui le moyen de revenir à une forme de dématérialisation en regardant les effets que produit ce nouvel objet sur la lumière et le mouvement. Le travail de peinture produit par l'artiste est lié par des éléments de cinéma, par un répertoire d'images connues comme The birds d'Hitchcock, ou Rashomon de Kurosawa. Il dépend aussi d'une recherche sur la perception et la psychologie en jouant sur les effets de contraste, de vitesse et de pulsation. Pour ses vidéos, Decrauzat se rapproche des artistes des années 1920 qui travaillaient la pellicule comme une toile abstraite tels que Walter Ruttmann, Fernand Léger ou Moholy-Nagy avec son installation manifeste Modulateur Espace Lumière (1922) : une machine qui crée des images, des ombres, de la lumière et dématérialise complètement l'œuvre d'art qui n'existe plus que par le film réalisé par l'artiste lui-même.

La sculpture Shut and open at the same time (2008) et le sticker mural Mirrors (2013).

PORTFOLIO

Francisco Sobrino, Transformation instable / juxtaposition superposition (1963-2011). plexiglass transparent teinté en bleu.

Kenneth Noland, Spring cool (1962).

Jeppe Hein, Mirror billboard (2008). Aluminium et plaque de miroir triangulaire qui tourne comme un panneau publicitaire.

Jeppe Hein, 360° Illusion II (2007). Installation tournante.

Jean-Pierre Yvaral, Instabilité n°3 (1962-1967). Caoutchouc, acrylique et tiges de bois peintes en noir et blanc.

Joël Stein, Accélération optique (1964).

Joël Stein, Anamorphose (1967).

Bridget Riley, Fall (1963).

Enrico Castellani, Sans titre (1961).

Zilvinas Kempinas, Beyond the fans (2013). bandes magnétiques lévitant dans les airs grâce à deux ventilateurs placés face à face.

Felice Varini, 23 disques évidés + 12 moitiés et 4 quarts (2013).

Christian Megert, Zoom in a endless room (1972-2000).

Evariste Richer, Slow snow (2007).

Stéphane Dafflon, AST n°196 (2012).

James Turrell, Awakering (2006). Tubes fluorescents et variateur dans un caisson mural.

Dan Graham, Triangular solid with circular inserts (1989).

Richard Anuszkiewicz, Concave and convex 3 unit dimensional (1967).

Timo Nasseri, Epistrophy n°7 (2013).

Elias Crespin, Circunconcentricos transparente (2013). Les cercles en plexiglass, tenus par du nylon, se déforment par l'action d'un moteur assisté par ordinateur.

- L'exposition Dynamo, Un siècle de mouvement et de lumière dans l'art, 1913-2013, s'est déroulée du 10 avril au 22 juillet 2013 au Grand Palais à Paris.

Crédit photos : Sébastien Bazou.

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