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LA MALTRAITANCE DU RIRE

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Temps de lecture : 5 min 30 sec

Je vous propose une nouvelle zone de réflexion qui aborde la façon de se comporter face à un spectateur que l'on invite sur scène. C'est un thème qui m'interpelle et c'est la raison pour laquelle je prend le temps de partager avec vous mes sentiments sur ce sujet délicat. Ne prenez pas ces réflexions comme des vérités absolues, ce ne sont que mes pensées que je vous propose mais elles ont au moins l'avantage d'être sincères. Si elles ont le pouvoir de vous faire réfléchir sur ce thème, alors je serai un homme heureux.

Lorsque nous sommes sur scène, nous devenons en quelque sorte le Maître de ce lieu sacré. Un maître discret peut-être mais un maître tout de même. Le public doit le sentir dès notre première apparition scénique afin qu'il puisse nous respecter. Dans le cas contraire, je ne vous apprends rien, il nous faudra beaucoup de courage et d'énergie pour ne pas le perdre ou du moins pour ne pas affaiblir le contact que nous essayons d'établir avec lui.

Si nous acceptons cette dénomination de « Maître des lieux » et que nous considérons que les spectateurs sont nos invités dans cet espace privilégié, pourquoi devrions-nous les maltraiter ou les ridiculiser ?

Lorsque nous invitons des amis chez nous, que faisons-nous ? Nous faisons tout pour qu'ils se sentent bien et qu'ils passent une bonne soirée en notre compagnie. Pourquoi en serait-il autrement lorsque nous invitons des spectateurs à découvrir notre univers magique sur notre espace scénique ?

Nous savons tous que lorsque nous sommes en face d'un public, un échange naît de notre rencontre commune. Si tout se passe parfaitement bien durant cet échange, il est même possible de créer un état de « communion » avec eux ; un état proche de la perfection qui naît grâce à la parfaite communication qui s'établit entre la scène et la salle, en d'autres termes entre nous et notre public. On peut considérer que lorsque une même énergie, une sorte de conscience collective, circule grâce à notre prestation magique et que celle-ci est distribuée dans le public grâce à notre talent de communicateur, l'état de « communion » est alors atteint. C'est un objectif délicat et difficile que nous rêvons tous un jour ou l'autre de dominer, mais pour que cela soit possible, il faut nous armer de talent, de diversité, d'originalité et de cet élément primordial que l'on nomme la sympathie communicante. Je reste persuadé que cet état ne peut être atteint qu'à une seule et unique condition : que le public sente qu'on le respecte. Je ne suis pas sûr que le rire au dépend d'un autre soit la meilleure solution pour y arriver. Ce qui est sûr c'est que nous ne recevrons pas l'unanimité des voix de nos spectateurs si l'on en prend quelques-uns pour rire à leur dépend.

Lorsqu'on voit des magiciens ridiculiser un spectateur sur scène, c'est toujours les mêmes situations qui reviennent, les mêmes jeux de mots. Ce qui me fait penser que ceux qui utilisent ce genre de comique de situation ne sont pas parmi les plus créatifs de notre art. Combien de fois avez-vous vu le tour des ciseaux que le magicien donne au spectateur et qui ne s'ouvrent pas, puis qui ne se referment pas et enfin qui cassent ? Je suis d'accord avec vous, ce n'est pas le cas le plus extrême mais c'est le premier qui m'est venu à l'esprit. Et si pour une fois on inversait le processus ? Et si c'était le magicien qui n'arrivait pas à ouvrir les ciseaux ? Et si c'était lui qui n'arrivait pas à les fermer ? Et si en fait c'était le spectateur qui à chaque fois l'aidait à s'en sortir ? Ne serait-ce pas plus drôle et plus intéressant pour tout le monde ? Je vous laisse méditer sur ce point d'interrogation.

Parlons un petit peu des réactions du public face à notre spectacle. Il en existe deux :

Les réactions positives et les réactions négatives (avec toute une variété d'émotions entre elles). Les premières nous parviennent comme une source claire d'approbation de notre spectacle et de notre personnalité ; elles nous disent que notre spectacle plaît au public. Les réactions négatives quant à elles, nous parlent aussi mais pas de la bonne manière, elles peuvent aller de l'ennui, à l'indifférence ou carrément à la protestation ouverte.

On peut classer ces réactions positives et négatives sous trois catégories :

1) Le bruit : Le bruit sous toutes ses formes. Cela peut aller d'une discussion à des éternuements ou à du papier froissé, des chuchotements ou encore à de la toux. Ces signes extérieurs existent par le fait que les spectateurs s'ennuient, certains allant même jusqu'à décrocher de notre spectacle. Ils ne sont plus dedans, ils sont sortis de notre univers magique. C'est bien sûr la réaction la plus négative qui soit.

2) Le silence : Les spectateurs retiennent leur souffle, ils n'osent plus bouger, ils sont attentifs. Je pense que le silence montre que le public vit une émotion dense et profonde. Il ont une attention maximale, teintée d'une grande émotion. C'est bien sûr une réaction positive. Et je pense que, dans certains cas, le silence peut être plus fort que les applaudissements (ceux-ci pouvant être de simples applaudissements de politesse).

3) Le rire : Le rire représente une valeur ajoutée au spectacle. Il propage une bonne humeur générale dans le public mais peut aussi naître d'un état de nervosité général. Dans les deux cas, il entraîne une réaction très positive. Si un public vient voir un spectacle, il vient avec l'espoir de retirer du plaisir, de vivre quelque chose d'extraordinaire et de passer une bonne soirée. Il ne vient pas pour subir une insulte public ou se sentir diminuer sur une scène en présence d'amis et d'inconnus. Je pense aussi que le fait que nous soyons magicien, nous établit à leurs yeux comme un être de pouvoir (oserais-je dire « supérieur » ?). Nous possédons donc déjà une certaine « supériorité» sur lui (nous sommes dans le secret, eux ne le sont pas). Si en plus, on ridiculise un spectateur pour amener le rire, cet état de supérioritéà tendance à se multiplier et peut mener à un traumatisme plus ou moins profond du pauvre spectateur qui se retrouve ridiculisé en face de centaines de personnes. Dans le pire des cas, il ne voudra plus aller voir un spectacle de magie de peur d'avoir à affronter à nouveau cette expérience traumatisante. Est-ce que cela en vaut la peine ? Non, je ne le pense pas ! Je sais que l'on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui. Je sais aussi que le rire peut être gras et vulgaire ou subtil et intelligent. Quel rire préférez-vous ?

Moi j'ai fait mon choix depuis de nombreuses années et mon public semble l'apprécier. J'espère que je n'ai pas maltraité votre susceptibilité avec cet article ?!

A voir :
-L'interview de carlos Vaquera sur Chop-Cup.com.


SPOOK SHOW

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Nous connaissons les liens extrêmement intimes qu'entretiennent le cinéma et les illusionnistes. Les magiciens ont promu et fait découvrir le cinématographe au public. Beaucoup d'illusionnistes ont exploité les nouvelles propriétés de cette fabuleuse machine à enregistrer la vie et à projeter « des fantômes ». C'était pour eux un nouveau moyen de produire des illusions, tout comme l'était jadis la lanterne magique.

Adeptes des appareils à projections qui recèlent une part de mystère primitif et de frayeur inconsciente, les magiciens ont toujours cherchéà surprendre le public par la mise en place et la combinaison de plusieurs effets. Après avoir détourné la lanterne magique de sa fonction première, le cinéma s'est lui-même plié aux fantasmes des illusionnistes. Le Spook show, est un bel exemple de mélange des genres où se mêle cinéma, magie, comédie, spiritisme et fantasmagorie.

1- FANTASMAGORIE

Le physicien-aéronaute Etienne Gaspard Robert, dit Robertson (1763-1837) créateur des fantasmagories, peut-être considéré comme le précurseur des Spook shows.

La première séance de fantasmagories eut lieu le 23 janvier 1798, un spectacle « lumineux » global, multi sensoriel, aux effets si sophistiqués qu'il attira de nombreux curieux dans le théâtre parisien du couvent des Capucines. En 1795, après dix ans d'expérimentation, Robertson acquit la chapelle abandonnée des Capucines à Paris, près de la place Vendôme, et installa son appareil « thaumaturgique ». Il s'agissait d'une lanterne magique mobile très perfectionnée appelée Fantascope constituée de plusieurs lentilles et de réflecteurs concaves, dirigés vers trois couches de rideau de gaze, sur lesquels étaient projetées des images surnaturelles et toutes sortes de fantômes. L'impression de mouvement provoqué par le déplacement de la lanterne magique produisait des images mouvantes (bien avant le cinématographe) sur des écrans accrochés entre le public et le projecteur.

Les projections étaient accompagnées d'une mise en scène spectaculaire de nécromancie pour mettre les spectateurs en condition et les diriger où Robertson voulait. L'ancienne chapelle était drapée de rideaux de velours noir, sur les murs étaient sculptés des crânes et des gargouilles grotesques. Des ombres étranges vacillaient entre les murs, causés par les flammes bleues-vertes des feux sur lesquelles Robertson versait un mélange « diabolique » de vitriol, d'alcool et de sang ! Robertson ajoute aux projections en mouvement (fantascope et lanternes portatives) de la fumée, des bruits lugubres (bruitage, acoustique, ventriloquie…), l'intervention d'acteurs grimés, et même des odeurs. Le thème de la mort, fascinait le public. Les spectres étaient convoqués au son de la musique macabre d'une cloche. Les fantômes se matérialisaient dans un nuage de fumée, s'élevaient du feu dans un fracas d'éclairs et de tonnerre mêlé. Le scénario des séances était court et rudimentaire et pouvait se résumer à des apparitions et des disparitions comme ce qui caractérisera les débuts du cinéma muet. Chez Robertson, le dispositif crée le récit.

Fantascope de Robertson.

A l'époque, l'impact sur le public fut énorme. Ils croyaient vraiment que les fantômes volaient vers eux. Mais, comme tout bon tour de magie, c'était la mise en scène de Robertson et l'atmosphère qu'il créait qui conditionnait merveilleusement le public et l'emportait dans ses terreurs les plus primitives. Robertson, savait valoriser la résurrection, projetant parfois, sur demande de la famille, le portrait d'un défunt. Il rendra concret ces réincarnations virtuelles par des procédés qui témoignaient de son don unique de technicien.

Au XIXe siècle, quelques magiciens ont repris à leur compte les projetons de Fantasmagories et d'autres expériences d'optique ; parmi eux : les français Henri Robin, Louis Comte, Moreau, François Bienvenu ; les anglais Jack Bologna et M. Henri ; l'allemand Herr Grunert ou l'autrichien Ludwig Leopold Doebler.

Ces Fantasmagories inspireront l'écrivain anglais Montague Rhodes James qui décrira un spectacle de lanterne magique effrayant dans sa nouvelle, Casting the Runes (adapté au cinéma en 1957 par Jacques Tourneur sous le titre de Night of the Demon). Il s'agit de l'étrange Docteur karswell et de sa séance de projection de plaques lumineuses qu'il présenta à un public d'écoliers horrifiés. Les plaques étaient d'une terrifiante réalité représentants serpents, mille-pattes et autres créatures répugnantes qui paraissaient sortir de l'image pour « fondre » sur le public. Ceci accompagné par une sorte de bruissement sec qui rendait les enfants presque fous !

2- UNE NOUVELLE ATTRACTION

Durant les années 1920, quand le vaudeville était en déclin, les magiciens ont cherchéà compléter leurs revenus avec un autre type de performance magique. Phénomène né aux Etats-Unis dans les années 1930, ces performances appelées Spook Show prenaient comme sujet premier le spiritisme, encore très populaire depuis son apparition au siècle dernier. Evoquer les esprits et les fantômes, communiquer avec les morts, faisaient partie de ces spectacles effrayants présentés en première partie des films d'horreur de l'époque sur les scènes de cinéma. De préférence le samedi à minuit !

De 1930 à 1960, les cinémas américains étaient des lieux de rencontre hybride où l'on pouvait voir des spectacles vivants, d'une troupe en tournée, en complément d'un film pour environ 1 $ ! Pour annoncer l'arrivée du Spook show dans les petites villes américaines, une armada de publicité et de défilés étaient mis en place. Affiches gigantesques et cortège funéraire défilant dans les rues avec cercueil et morts vivants, entre autres…

Le magicien Bill Neff en compagnie de Bela Lugosi en 1947 pour un Spook show spécial.

C'est vers la période d'Halloween (mais aussi à d'autres moments de l'année), que se jouaient dans les salles des cinémas de quartier les Midnight Show Ghost. A cette époque, des magiciens audacieux, qui jouaient dans les théâtres devant un public de moins en moins réceptif, ont migré vers les salles de cinéma. Ils proposaient des attractions utilisant des vieux effets spéciaux tirés du spectacle vivant et des tours de magie spectaculaires. Le magicien des années 30 était alors considéré comme une personne d'influence, ayant une sorte de pouvoir spécial, pouvant « communiquer avec le monde de l'au-delà». Une sorte de médiateur entre le monde des vivants et celui des morts. LA personne idéale pour mettre en scène des rituels effrayants et macabres.

Ces soirées macabres mêlaient magie, théâtre, comédie et cinéma et culminaient par une séance dans le noir où se matérialisaient des fantômes incandescents, des monstres déambulants dans la salle et autres squelettes volants au dessus des têtes des spectateurs. Une époque où les films de monstres, les maisons hantées, et les magiciens fous sont entrés en collision dans un festival géant de la peur.

Les soirées étaient composées de trois parties :

- Le spectacle de magie, appeléGhost Master où, un magicien, maître de cérémonie, présentait 50 minutes de magie comique et effrayante agrémentée de plusieurs illusions. De nombreux illusionnistes participèrent à ces séances dont : Harry Blackstone, Howard Thurston, John Calvet, Neil Foster, Marquis, Jack Gwynne, Mel Roy, Philip Morris, Newmann The Great, etc.

- La séquence dans le noir, appelée Blackout, où les fantômes se matérialisaient dans toute la salle. Les spectres volaient au-dessus des têtes des spectateurs, les squelettes dansaient des claquettes et racontaient des blagues drôles. Le public était entouré d'apparitions luminescentes multiples.

- La projection d'un long métrage qui clôturait la soirée en beauté. Le film choisit était de préférence un classique de l'horreur comme Night of the living dead, The Creature from the Black Lagoon, Frankenstein, Dracula, etc. Il ne faut pas oublier que les Spook shows sont apparus parallèlement à la naissance des productions Universal et de son âge d'or.

Très vite ces « shows effrayants » ont adopté des effets de plus en plus sanglants pour satisfaire les spectateurs avides de sensations fortes. Magiciens, tourneurs, producteurs et publicitaires travaillaient ensemble pour proposer ces attractions populaires qui eurent un succès fulgurant !

Ray Mond et ses montres accueillant le public dans le hall du cinéma avant le Midnight Horror Show dans les années 1940.

Dans les années 1940 et 1950, les spectacles évoluent vers des Midnight ghost shows, une façon de rendre la magie attrayante pour les adolescents et attirer un nouveau public. Gags, hurlements et programme souvenir sanglant étaient de la partie, tandis que les magiciens reprenaient des numéros éculés comme des démonstrations d'hypnose scénique. Le Spook showévoque souvent des créatures célèbres comme celle du docteur Frankenstein, Dracula, King Kong, la Momie, etc.

Certains magiciens et comédiens ont commencéà utiliser sur scène des masques en latex à l'effigie des monstres d'Universal qui étaient très populaire. Les producteurs savaient que le spectateur de base serait en mesure d'acheter, par la suite, ces masques très réels dans leur magasin. Les années 1960 marquent la fin des Spook shows et son chant du cygne. De nos jours, le phénomène existe toujours grâce à des groupes d'irréductibles passionnés qui font revivre ces grandes heures tel Keith Stickley et son Doctor Scream's Spook Show. Ces spectacles se déroulent essentiellement au moment d'Halloween comme le Halloween Spooktacular de Alan Kazam et Alan Smola.

L'héritage Spirite

Au début du XXème siècle, il y eut un énorme intérêt pour le spiritisme. Par l'intermédiaire des médiums, communiquer avec les morts et prendre contact avec l'esprit d'un cher défunt était devenu le lot commun de millier de personne. Marqué par 50 années de spiritisme (phénomène né en 1848 avec les sœurs Fox), le grand public s'est vu dupé par de soi-disant spirites communiquant avec l'au-delà. Médiums, fantômes, esprits et revenants ont longtemps hanté la culture américaine jusqu'à nos jours. Ces phénomènes spirites font partie de l'inconscient collectif de cette nation.

La plupart de ces spirites étaient des escrocs dont l'intérêt principal était de soutirer l'argent des familles en deuil. Dans les séances de spiritisme, les présumés médiums étaient en mesure de concevoir toutes sortes de trucages qui pouvaient être joués dans l'obscurité. Le spirite et ses complices pouvaient facilement manipuler des objets et des dispositifs pour créer l'illusion de spectres, fantômes et autres apparitions.

En 1913, le magicien Harry Houdini apprend le décès de sa mère. Rongé par la culpabilité de ne pas avoir été présent dans les derniers instants de sa vie, il ne tarde pas à sombrer dans une profonde dépression et se tourne alors vers le spiritisme. Sous l'influence de son ami, Arthur Conan Doyle, fervent défenseur des thèses spirites, Houdini finit par se persuader que les communications avec les forces de l'invisible sont de l'ordre du possible. Il propose alors d'offrir une récompense au médium capable d'établir le contact avec sa mère. Pendant treize années, les séances se succèdent mais sans le moindre résultat. Il part alors en croisade contre ces prétendus médiums et autres spirites, démasquant sans relâche les faux voyants et télépathes, soupçonnés de charlatanisme. Il montre au grand public que ces charlatans utilisaient des trucs et des techniques d'illusionniste pour les soudoyer, et qu'ils ne possédaient aucun « pouvoir » spécifique. Malgré cela, l'intérêt pour l'occultisme a continué, bien après la mort de Houdini en 1926.

Les années 1930 marquent une transition importante dans l'approche et la réception de ces phénomènes dits « magiques » aux Etats-Unis. Le spiritisme fut réutiliséà des fins de pur divertissement et devint un véritable spectacle, intégrant le répertoire de nombreux magiciens (comme à la fin du XIXème siècle). Mais les croyances sont persistantes, et certaines personnes assez crédules, voire naïves, resteront persuadées du bien fondé de ces phénomènes paranormaux. Quoi qu'il en soit, ce courant spirite a fait inconsciemment les « choux gras » des Spook shows pendant 30 ans !

3- LES FIGURES DU SPOOK SHOW

Thurston

En 1929, Howard Thurston âgé de 59 ans donna sa contribution à une pièce magique intitulée Le Démon, qui peut-être considérée comme les prémices du Spook show. La scène se passait dans un salon meublé avec une quinzaine de personnages qui étaient impliqués dans d'étranges événements : apparitions de fantômes inter agissants avec le public, production de fumée au sol grâce à de l'acide sulfurique et autres spectres volants au dessus des têtes des spectateurs.

Sur scène, un des fantômes se faisait poignarder par un acteur, Un démon hypnotisait une jeune fille et la faisait léviter avec lui. Enfin, des yeux verts apparaissaient partout dans la salle comme des coups de pistolet à plusieurs endroits. John Elickson, collaborateur de Thurston, régla tous les effets spéciaux de cette pièce écrite par le maître.

Francisco

Francisco (Arthur Bell) fut l'un des premiers à surfer sur la vague du spiritisme à travers son Big midnite Spook Frolic dans les années 1930. L'engouement pour ces spectacles de fantômes rencontra un énorme succès populaire durant plusieurs décennies. Il reprit le répertoire des magiciens Houdini et Thurston avec des expériences de table tournante, lecture de pensée, et autre cabinet Spirite à la Davenport. Francisco incorpora un peu d'horreur dans ses spectacles (dans la limite du raisonnable et sans effets gore, ni sexuel) en utilisant une illusion bien connue en théâtre noir, du squelette qui enlève sa tête. Tête qui flotte ensuite dans la salle au dessus des spectateurs. Son répertoire était également constitué de tours classiques comme le journal déchiré et restauré, ou la disparition de colombes.

Dr Silkini

Jack Baker en 1942.

Le docteur Silkini alias Jack Baker, était un talentueux magicien pickpocket et hypnotiseur dont le spectacle d'épouvante était composé d'un assortiment de magie macabre, d'humour débridé et de surprises effrayantes. Le passage le plus impressionnant était sans doute sa séance d'hypnose collective où il prenait une dizaine de spectateurs du public, qui comprenait au moins deux compères, pour une routine comique d'environ douze minutes.

Silkini, déguisé en médecin fou au dos voûté, présentait ensuite un sketch de monstre. Prenant les traits d'Igor, Silkini plaçait les parties d'un corps humain démembré sur une table : torse, bras, jambes et tête étaient ensuite recouverts d'un drap blanc. Le corps revenait à la vie dans un éclair et se levait lentement de la table sous les traits de la créature de Frankenstein.

Les cris des adolescents présents dans la salle atteignaient son paroxysme quand le monstre saisissait Igor et l'étranglait à mort. Son corps inerte tombait avec un bruit sourd sur la scène. Puis, avec les bras tendus, la créature marchait à travers la scène pour descendre dans la salle vers le public. A ce moment toutes les lumières s'éteignaient pour laisser place à une séance de Blackout où des fantômes lumineux apparaissaient et disparaissaient sur la scène et au dessus des têtes des spectateurs. Après trois minutes, les lumières revenaient dans la salle. Le spectacle prenait fin avec une substitution très rapide d'un tronc humain.

Les représentations de Baker furent un énorme succès commercial durant des décennies au point qu'il dépêcha d'autres magiciens pour monter des spectacles similaires sous l'appellation « Silkini » (jusqu'à 7 en même temps !). Lui et son frère, Wyman Baker, sillonna les Etats-Unis pendant 20 ans avec son spectacle Asylum of Horrors depuis 1941.

Marquis

George Marquis Kelly (1906-1980), magicien ayant œuvréà l'Egyptian Hall, produisit un étonnant Spook show. Dans L'incroyable Docteur Marquis et ses Horroscopes, un fracas d'éclairs faisait apparaître deux cercueils sur scène avec un squelette dans chaque. Les squelettes entamaient alors une danse macabre ponctuée d'effets spéciaux. Quand l'horloge sonnait minuit, les squelettes regagnaient leurs cercueils. Marquis réalisait également des effets d'hypnoses, le radar humain, le mouchoir dansant avec un cercueil miniature et la corde cravate Kellar. Une des séquences les plus mémorables était les femmes coupées en deux sur le thème de Satan qui se terminait par la séance de Blackout, où l'on voyait les deux femmes accompagnées de Satan léviter dans la salle de cinéma puis disparaître. L'écran de cinéma s'abaissait et le film commençait.

Kara Kum

Durant les années 1940 et 1950, Kara Kum (Wladyslaw Michaluk) fut l'un des artistes les plus controversés, repoussant les limites du genre dans ces retranchements les plus gores. Connu, pour la création d'affiches utilisant ouvertement la sexualité de son assistante légèrement vêtue, il avait dans son arsenal de tours, l'illusion de la décapitation à l'aide d'une épée, des scènes de cannibalisme, et des bizarreries érotiques où la nudité n'était jamais loin comme le fantôme de Lady Godiva sur son cheval.

Bill Neff

Bill Neff (1905-1967), prend le pseudonyme du Dr Neff de 1945 à 1952 avec son Madhouse of Mystery, spectacle où il employait l'hypnose, la lecture de pensée et autres tours d'illusions plus classiques. Il clôturait son spectacle en souhaitant à la foule de beaux cauchemars.

Couteau à travers la main par Bill Neff avec son assistante sous hypnose (1948).

Philip Morris

L'un des plus célèbres spectacles était le Ghost Show Ringmaster de Philip Morris. Ce magicien, ventriloque, pickpocket et hypnotiseur, fut l'un des derniers à présenter des Spook shows jusque dans les années 1960. Ses coups de maître pour promouvoir ses spectacles dans un grand nombre de villes sont légendaires. Son alter ego, le Dr. Evil (genre famille Addams), a même accueilli un spectacle de fin de soirée, dans certains marchés à travers le pays durant les années 1950.

Morris n'hésitait pas à utiliser des effets extrêmement gore pour capter l'attention d'un public toujours plus avide de sensations fortes. Plusieurs de ses spectacles utilisaient du faux sang lors de fausses décapitations.

Keith Stickley

Depuis 2003, Sous les traits du Docteur Scream, Keith Stickley a recréé l'expérience des Spook Shows classiques pour faire redécouvrir cette forme de divertissement aux nouvelles générations de spectateurs dans les cinémas. Une expérience vintage, volontairement régressive et un peu datée qui utilise la magie comme une attraction de fête foraine.

Adam Cardone

Adam Cardone, The Ultimate Vaudeville Magician est magicien, ventriloque, escapologiste, Mentriloquist (mixte de mentalisme et de ventriloquie) et propriétaire du Cirque Flea. Dans la pure tradition des Spook shows d'antan, Cardone se glisse dans la peau du Ghost Master pour faire léviter une table, précipiter la mort de quelqu'un grâce à une machine à avancer le temps, s'échapper d'une camisole de force, utiliser une guillotine, manger des lames de rasoir, utiliser des cartes ESP, puis convoquer l'esprit d'Elvis Presley et des démons. Cardone utilise des instruments et des artefacts pour rendre crédible sa mise en scène, tels : un crâne humain, une tête réduite, un alligator, un poisson Godzilla, une brique du château de Dracula, etc.

Son spectacle House of Ghostly Haunts est constitué d'histoires vraies à forte teneur autobiographique. Un voyage dans le temps de l'âge d'or du spiritisme. Marionnettiste de formation, il utilise des pantins pour la fameuse séquence dans le noir. Le point culminant du Black-out, se conclut par « Sa Majesté Infernale » cherchant quelques âmes perdues dans la salle.

4- BLACK-OUT et BLACK ART

Le Black-out fonctionne sur l'effet de surprise consistant à plonger, sans prévenir, la salle dans le noir le plus complet. C'est ensuite l'intervention d'un comédien déguisé en psychopathe, ou en monstre (dans un costume luminescent) qui court dans les allées du cinéma, entre les sièges et effraye les spectateurs en les prenant à parti. Le black-out est également combiné avec le théâtre noir pour, par exemple, faire flotter des objets au dessus de la tête du public.

Le Black art ou Théâtre noir est l'un des outils les plus utilisé dans les Spook shows pour réaliser des effets spéciaux spectaculaires. L'obscurité est essentielle dans la matérialisation de fantômes en lévitation, et autres décapitations. Cette technique implique un grand nombre de personnes en costumes sombres qui peuvent facilement être cachés dans l'obscurité et faire bouger « les esprits » invoqués. Durant les spectacles, tous les dispositifs sont facilement cachés dans le noir : fantômes, perche, fils, etc.

5- HERITAGES

William Castle

En 1959, William Castle (1914-1977) intègre des scènes en directe aux projections de ses films d'épouvante. Alors que les Spook shows séparent les interventions live des magiciens, de la projection du film, les « attractions » de Castle sont en rapport direct avec le film ; acteurs et monstres « sortent de l'écran ». Les films de Castel sont un prolongement des inventions spectrales de Robertson.

Avec un opportunisme commercial affiché, Castle, réalisateur et producteur de films fantastiques de série B, devint à la fin des années 50 le spécialiste de l'épouvante bon marché. Il envisageait le 7ème art comme une attraction de foire interactive, entre la prestidigitation et les montagnes russes. Un retour à l'attraction spectaculaire des premières séances du cinématographe.

La plupart de ses histoires décrivent des mises en scène morbides : des fictions criminelles où les coupables font appel à des simulacres, à des mises en scène. Le spectacle fait ainsi partie intégrante du récit conçu comme un trompe-l'oeil pour le spectateur comme pour les personnages. Ce bon artisan, « mécanicien » de l'horreur se transformait en marketeur avisé. Pour Macabre (1958), il imagine une police d'assurance plus ou moins bidon qui garantit à chaque spectateur un capital en cas de décès (de peur).

Castle pourvoyait de gimmicks un panel de salles, lors de la distribution de ses films, inventant des effets horrifiques hors du commun. L'effet Percepto avec des décharges électriques et des vibrations diffusées dans les sièges (The Tingler, 1959), le vol de spectres fluorescents dans la salle (13 Ghosts, 1960), Un compte à rebours avant les scènes choc, une accorte d'infirmières prenant le pouls des spectateurs, un vote du public pour choisir la fin du film et d'autres effets en Psychodelorama (psychédéliques) avec port de lunettes révélatrices d'ectoplasmes !

Pour House of Haunted Hill (La Nuit de tous les mystères, 1959) c'est un squelette en plastique, attaché au plafond des cinémas, qui fond sur les spectateurs au moment où Carol Ohmart, est elle-même attaquée par un squelette. On aurait pu croire que c'était Vincent Price, qui, manipulant le squelette du film, avait transpercé l'écran de son gimmick horrifique. Des employés du cinéma, déguisés en fantômes, surgissaient ensuite dans la salle sur les spectateurs dans un effet appeléEmergo.

Joe Dante rendra un hommage jubilatoire à William Castle en réalisant l'hilarant Matinee (Panic à Florida Beach, 1993), qui met en scène, sous les traits de John Goodman, un producteur-cinéaste-exploitant capitalisant sur la peur de l'Amérique en pleine crise des missiles de Cuba. Un hommage poilant à l'âge d'or du cinéma fantastique américain avec bébête géante et fièvre de l'atome ; un film dans le film à la manière des séries B de l'époque.

Hypnovision et mise en abyme

Ray Dennis Steckler inventa le procédé appeléHypnovision dans son film The incredibly creatures who stoped living and became mixed-up zombies (1964), où les comédiens surgissent de l'écran pour effrayer le public. Un dérivé appeléHypnovista est lui basé sur le pouvoir de suggestion.

Au cinéma, nombreux sont les exemples de scènes d'interaction entre l'écran et les spectateurs, qui restent dans la fiction mais questionnent le rôle du regardeur. Quelques exemples frappants, ci-dessous :

- Dans Saboteur (1942) d'Alfred Hitchcock, une séquence mémorable se déroule dans un cinéma. Sur l'écran une scène policière avec en gros plan un pistolet. L'intrusion de vrais gangsters sur l'avant scène, s'échangeant des coups de feu, précipite les spectateurs dans l'effroi.

- Dans La Rose pourpre du Caire (1985) de Woody Allen, Tom Baxter, personnage de fiction en noir et blanc, s'échappe de l'écran pour donner des couleurs à la vie de Cecilia, spectatrice assidue du Jewel Palace.

- Dans Angoisse (1987) de Bigas Luna, la fiction gangrène petit à petit la salle de cinéma jusqu'à voir l'irruption d'un tueur parmi les spectateurs.

- Dans Scream 2 (1997) de Wes Craven, la séquence d'ouverture se déroule dans un cinéma où est projetéStab en Stab-O-Vision (mise en abyme de Scream 1). Le film est précédé de tout un attirail d'attractions à la William Castle : fantômes volants dans la salle et couteau fluorescent. La moitié des spectateurs sont déguisés comme le tueur du film, brouillant ainsi les pistes entre la fiction et la réalité. L'actrice Jada Pinkett est accompagnée d'un ami déguisé. Après une substitution avec le vrai tueur, celle ci se fait poignarder devant la centaine de spectateurs présents qui sont assimilés à« des tueurs en série ».

- Dans Destination finale 4 (2009) de David Richard Ellis, Une réserve de produits inflammables explose « accidentellement » derrière un écran de cinéma où est projeté un film d'action en 3D. La séquence d'explosion du film se déroule réellement dans la salle qui est soufflée par la déflagration, ainsi que tout le centre commercial alentour !

Quel est le pouvoir réel des images sur le monde ?

La tuerie d'Aurora (Colorado) en juillet 2012, lors de l'avant première de The Dark Knight rises (de Christopher Nolan) est une terrible intrusion de la réalité dans la fiction. James Eagan Holmes, 24 ans, déguisé en Joker surgit lors de la projection du film dans la salle et ouvre le feu sur les spectateurs, tuant une douzaine de personnes. Batman sort de la fiction et le Joker entre dans la réalité par un atroce fondu enchaîné. Même le pire des Spook shows n'en est pas arrivé là ! Dans cette tragédie, l'image tue littéralement le spectateur.

« Qu'en est-il de l'événement réel, si partout l'image, la fiction, le virtuel perfusent dans la réalité ? […] On pourrait presque dire que la réalité est jalouse de la fiction, que le réel est jaloux de l'image… C'est une sorte de duel entre eux, à qui sera le plus inimaginable. » Jean Baudrillard

La 3D

Les jouets optiquesà deux oculaires comme le stéréoscope, ou encore des visionneuses de type kinétoscope et Mutoscope, ont permis de visualiser des images fixes puis animées, en relief. Pour la projection stéréoscopique, le cerveau du spectateur doit reconstituer la perception de l'image en relief. Ce système nécessite un équipement sophistiqué qui longtemps, n'a pas satisfait les exigences de la projection cinéma, pour des motifs économiques et de complexité de réglages et d'installation. De plus, tout dispositif stéréoscopique peut entraîner une certaine fatigue oculaire provoquée par l'important travail du cerveau pour reconstruire une perception cohérente des trois dimensions.

La projection en relief stéréoscopique marque les débuts du cinéma en relief exploité dès la naissance du cinématographe (par les Frères Lumière) au début du XXe siècle avec le remake du court métrage L'Arrivée d'un train en gare de la Ciotat, en 1935. Pourtant, dès 1922, le film américain The Power of Love est spécialement conçu en relief et le public dispose de lunettes spéciales.

Durant les années 1953 à 1956, les grands Studios américains ont produit plusieurs dizaines de films stéréoscopiques, pour lutter contre l'émergence de la télévision diffusant alors, de nombreux films. Parmi ces films, citons : L'Homme au masque de cire (1953) de André De Toth, Creature from the black lagoon (1954) de Jack Arnold et Dial M for murder (1954) d'Alfred Hitchcock.

Jusqu'aux années 2000, l'exploitation du relief s'est développée dans certains lieux de diffusions spécialisés comme les parcs d'attractions.

La 4D

Ce type de cinéma nécessite une salle spéciale, équipée d'effets sensoriels qui, combinés avec le film, créent un véritable spectacle. En raison du prix élevé de l'installation, les films 4D sont installés dans les parcs d'attractions qui présentent alors un même film sur plusieurs saisons. Dans les fêtes foraines, de petites salles de projections (12 à 24 places) accueillent les spectateurs avec plusieurs programmes à la clé (navette spatiale, course de voiture, etc.).

Les effets spéciaux sont utilisés lors de la projection pour par exemple, simuler du vent, de la pluie, ou un tremblement de terre. Les cinémas 4D ne sont pas des simulateurs de mouvements car, même si les sièges peuvent vibrer ou parfois se basculer légèrement, ce ne sont là que des effets utilisés ponctuellement.

D'autres innovations techniques ont été exploitées parmi lesquelles, l'odorama, l'Immersion (réalité virtuelle) avec ou sans retour d'interactivité, ou encore le Sensurround. Sollicitant les principaux sens humains : vue, ouïe, odorat et toucher.

La 4D fait officiellement son apparition au cinéma en 2012 en Corée du Sud, au Mexique et aux Etats-Unis (environ 175 salles équipées dans le monde fin 2012). La 4D c'est du cinéma total, idéal pour les films à grand spectacle. En plus des effets 3D avec port de lunette, les sièges vibrent, s'animent, des projections de vapeur d'eau aspergent les spectateurs, des diffuseurs d'odeurs alertent les narines, etc. Tous les sens sont ainsi mis en éveil dans cette immersion totale ! Du coup, la fiction rejoint la réalité. L'image interagit avec le spectateur de façon concrète.

Maison Hantée

Aujourd'hui, les spectacles de fantasmagorie et de fantômes sont devenus des divertissements grand public qui se sont délocalisés dans les maisons hantées des parcs d'attractions qui combinent moult effets spéciaux allant du simple trompe l'œil aux effets numériques les plus poussés.

C'est Walt Disney qui a le premier récupéré cette formule pour élaborer sa maison hantée (Haunted House) en 1969, certainement influencé par les « fantasmagores » de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Les effets et techniques sont toujours les mêmes. On peut ajouter au Pepper's Ghost, l'utilisation d'hologrammes, de miroirs, de projections, d'animatroniques, et d'illusions d'optique pour convoquer les forces occultes et autres revenants.

A lire :
-Ghostmasters de Mark Walker (Revised Editions, 1994).

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

HERRMANN, les frères ennemis

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L'un s'appelle Charles, l'autre Alexandre : tous deux se nomment Herrmann. Chacun d'eux est le premier prestidigitateur de notre époque. L'un escamote des bocaux de poissons rouges ; l'autre subtilise une cage peuplée de canaris. Ils sont frère, mais la rivalité fait taire en eux la voix du sang. Car il semble que la surface du globe ne suffise pas à l'ambition de ces deux escamoteurs remplis de distinction. Leurs gloires se gênent réciproquement. De là des dissensions intestines, des polémiques fratricides, des revendications professionnelles bien faites pour affliger ceux qui veulent les familles unies.

Des deux Herrmann qui, depuis quelque temps, font gémir la presse parisienne d'une nouvelle discussion, l'aîné seul nous était connu. Le plus jeune va s'offrir à notre approbation sur la vaste scène de l'Eden où il doit, paraît-il, nous faire assister à des expériences assez difficiles à suivre des yeux ou même de la lorgnette. Mais ce n'est pas là ce qui nous intéresse, et nous n'avons pas à préjuger ici le succès que pourra obtenir le célèbre « professeur » en opérant dans un décor de Messalina. M. Alexandre Herrmann est d'ailleurs une personnalité assez curieuse à présenter sans attendre le soir de ses débuts.

Charles (Carl) Herrmann et Alexandre Herrmann.

Et d'abord, un détail bien typique. Il y a 17 ans que les Herrmann se sont volontairement perdus de vue. Des parents, des amis ont bien cherchéà leur faire oublier leurs rivalités de métier, leur querelle de gobelets ; mais aucun rapprochement ne peut-être opéré. On a tenté de leur ménager des entrevues ; mais à peine sont-ils en tête à tête depuis cinq minutes, que les mauvaises plaisanteries commencent. Leur rancune invétérée se manifeste par les niches qu'ils se font mutuellement avec une adresse vraiment extraordinaire ; tandis que l'un des Herrmann escamote, comme par miracle, la chaise sur laquelle l'autre Herrmann veut s'asseoir, ce dernier Herrmann introduit subrepticement un boisseau de fleurs dans le chapeau de l'Herrmann numéro un – et ainsi de suite pendant l'entretien. A Herrmann, Herrmann et demi !

M. Alexandre Herrmann est plus élégant, plus fin que son aîné. Orné d'ordres étrangers de plusieurs couleurs, il pourrait, s'il en avait la vanité, se donner pour un diplomate exotique. La fréquentation des nombreuses cours devant lesquelles il a eu l'honneur de faire ses tours de passe-passe lui a donné une certaine noblesse d'allures ; et c'est en véritable grand seigneur qu'il fait cuire les omelettes au lard dans le fond des chapeaux que l'honorable société veut bien lui confier.

Gardons nous bien de déflorer les numéros qu'il doit offrir d'abord aux spectateurs de l'Eden. Parlons seulement des fantaisies auxquelles il se livre dans la vie privée aux dépens de bons badauds dont la tête l'inspire. Il serait fort amusant, par exemple, de lu voir renouveler aux Halles l'une de ses mystifications préférées. A peine quelque part, il se rend généralement au grand marché de la ville, choisit une pièce de gibier ou de volaille, la paye, puis, au moment d'en prendre possession, fait une réclamation dans le genre de celle-ci : « Mais madame, vous me vendez un lapin qui n'est pas tué ! »

Alexandre Herrmann.

Et, avant que la marchande ait eu le temps de lui répondre, un lapin vivant, venu on ne sait d'où, se met à gambader au milieu de la foule qui ne peut comprendre cette résurrection stupéfiante. D'autre fois, il marchande un canard en vie, lui coupe le cou séance tenante, et s'empresse ensuite de réparer le mal en recollant aussitôt les deux partie du volatile qui se reprend à sautiller de plus belle.

L'une de ses distractions favorites consiste encore à escamoter adroitement tous les objets volés que les pickpockets ont sur eux. Un jour, à New York, étant dans une voiture publique, il s'aperçoit qu'un voisin venait de lui enlever son portefeuille. Tout d'abord il ne dit mot… puis, très tranquillement, il reprend son portefeuille avec une telle adresse que le pickpocket ne s'aperçoit de rien et descend presque aussitôt, bien persuadé que le portefeuille est toujours en sa possession. Herrmann s'empresse de poursuivre son voleur volé ; il le file même assez longtemps, le voit entrer dans un café et se met en observation à une table voisine de la sienne. De là, il assiste à son aise à la cruelle déception de l'infortuné pickpocket qui, au moment de payer sa consommation et n'ayant pas un penny à lui, cherche vainement dans toutes ses poches l'argent qu'il croyait si bien s'être approprié. On juge de l'émoi de ce malheureux lorsque Herrmann, se montrant – et montrant son portefeuille, vint lui offrir de son ton le plus gracieux, non seulement de solder sa dépense, mais encore de lui faire donner un gîte très sur aux frais de la République des Etats-Unis.

Maxime Boucheron.

Documents : Collection Didier Morax.

GUSTAVE THIBON / Fécondité de l'illusion

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Tu n'as plus d'illusions à perdre ? Tant pis pour toi : c'est que tu n'as plus de vérités à découvrir. Il est deux façons de mourir à l'illusion : la prolonger, la purifier jusqu'à Dieu ou la dissoudre dans le néant. Le rêve est une gestation qui aboutit soit à un avortement qui stérilise, soit à la naissance à un autre monde, qui délivre. Le jour où, sous le choc de la douleur et des déceptions, on s'aperçoit que cette vie est absurde et que rien de vrai ni de pur ne peut fleurir ici-bas, deux chemins s'ouvrent à l'homme : ou bien suspendre son espérance purifiée au bien absolu qui réside hors de ce monde, ou bien s'enliser dans les petits plaisirs et les petits devoirs quotidiens, devenir sceptique, terre à terre. Malheur à celui qui prend la deuxième voie ! Car, sous la coque du rêve, il tue en lui le germe de Dieu.

L'homme dont le désir n'est plus tendu vers l'impossible ne touchera jamais Dieu : il est rivéà la terre ferme et explorée, il n'a plus en lui l'élan nécessaire pour sauter dans l'inconnu. Qu'il s'agisse d'un amant gorgé d'illusions, d'un révolutionnaire utopiste, voire d'un débauché (car la débauche est encore un rêve et une tentative d'effraction de l'impossible), le retour à Dieu est concevable à travers toutes les formes du rêve. Mais il ne l'est pas à travers le goût du confort, des honneurs et de tous les biens précis et tangibles qui remplissent une existence que le rêve a désertée.

LES FOURBERIES DE SCAPIN (un Scapin manipulateur) / Cie Émilie Valantin

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Adaptation et mise en scène de Jean Sclavis d'après Les Fourberies de Scapin de Molière.

Scapin a le génie du théâtre. Il affabule, falsifie son identité, monte des canulars et jette de la poudre aux yeux à ses victimes. Et toutes finissent par jouer le scénario qu'il a prévu pour elles. Les dindons de la farce sont deux vieux grigous, avares et tyranniques. Si Scapin les trompe, c'est pour la bonne cause : pour que l'amour triomphe !(1)

C'est en quelque 80 minutes que l'on pourrait presque assimiler à une sorte de performance avec un seul acteur, Jean Sclavis, capable d'assumer tous les personnages incarnés par huit marionnettes de cent quarante centimètres. Marionnettes qu'il anime grâce à trois leviers avec contre poids, quelque sacs de toile, aidé dans la coulisse par deux régisseurs qui veillent au grain. Pas vraiment de décor sinon un parquet de larges lattes de bois avec quelques marches.

Jean Sclavis, après sa sortie du conservatoire de Lyon, où il s'était spécialisé dans l'emploi de valet de comédie, et où il avait créé le rôle de Scapin dans une production lyonnaise ; suite aux empêchements successifs de plusieurs comédiens, il avait dû aussi jouer leurs personnages, et il eut l'idée d'un spectacle en sol. Enfin, quinze ans d'expérience avec Emilie Valantin (2) l'ont conforté dans la faisabilité d'un spectacle en soliste avec des marionnettes :

« Le personnage de Scapin, dit-il, qui laisse le choix de plusieurs degrés de lecture, est une des sources de l'art de « l'innocence / insolence », associée à la solitude sociale, et à l'autodérision. Nous avons déjà exploré cette attitude, si compatible avec la marionnette, dans J'ai gêné et je gênerai sur des textes de Daniil Harms, et avec le personnage du Zay, inspiré des contes de Nasr-Eddin, dans le répertoire des Castelets ».

Pas de reconstitution, ici les personnages sont habillés façon 17ème siècle, mais c'est en clin d'œil, et avec juste ce qu'il faut d'accessoires. Et quelques moments de musique au clavecin. Le spectacle, créée en 2008, est parfaitement rodé, et joué avec une grande sensibilité et une incontestable virtuosité ; Jean Sclavis arrive à jouer Scapin et anime au sens strict du terme, les autre personnages. C'est intelligent et brillantissime, et parfois même émouvant, quand le père et le fils se regardent avec une certaine connivence.

« Objets inanimés, avec-vous donc une âme ? »écrivait Baudelaire. Ici, la réponse est oui, huit fois et Sclavis arrivent à rendre vivants deux personnages à la fois. A la fin, quand le comédien installe ses huit comparses à une table de banquet, cela touche alors au sublime.

Oui, mais… la dramaturgie de ces Fourberies de Scapin, revue et corrigée par Sclavis, avec un texte assez coupé, ne tient pas trop la route et c'est dommage. On est obligé de se poser la question : que vient-on voir ? Un acteur brillant et virtuose qui a une intimitéévidente avec ses marionnettes, remarquables sculptures créées par Emilie Valantin et François Morinière, dont il est l'âme, et bien costumées par Mathilde Brette, Coline Privat et Laura Kerouredan. Si on reste admiratif devant cette technique fabuleuse qui fait souvent penser à celle des acteurs de bunraku japonais, on reste quand même un peu déçu par cette pièce qui, ici, n'en est pas vraiment une, et un peu ennuyeuse par moments…

- Source : Le Théâtre du Blog.

Notes :
- (1) Extrait du dossier de presse.
- (2) Fondée en 1975 à Montélimar, la Compagnie Emilie Valantin, fut d'abord appelée « Petit Théâtre du Fust » puis « Théâtre du Fust ». De 1994 à 1999, quatre passages au Festival IN d'Avignon - dont Un Cid, avec des marionnettes en glace - lui valent l'élargissement de la diffusion nationale et internationale. Grâce à l'alternance de petites formes populaires comme les Castelets en Jardins et de spectacles pour grands plateaux comme Philémon et Baucis de Haydn pour l'Opéra de Lyon, la Compagnie Emilie Valantin peut répondre à des demandes de programmation précaires comme aux scènes les plus prestigieuses, telle que celle de la Comédie-Française en 2008 pour Vie du grand Dom Quichotte et du gros Sancho Pança. En 35 ans, la compagnie a créé plus de 1800 personnages en croisant techniques traditionnelles et matériaux nouveaux, sans dérober au figuratif.

Crédit photos : Frédéric Jean.

Oriental Conjuring and Magic

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Il nous semble important de faire connaître les véritables bijoux de notre patrimoine magique. Le livre Oriental Conjuring and Magic, n'est pas une acquisition facile car c'est un produit rare. Cependant si la chance est de votre côté, vous aurez entre les mains un véritable trésor.

Nous avons traduit pour vous cet extrait du livre :

« Ce livre représente un guide complet sur la magie orientale, les descriptions que vous y trouverez utilisent les méthodes actuelles et dans de nombreux cas donnent des versions modernes qui permet au prestidigitateur de les utiliser dans ses programmes. »

Index par S.H. Sharpe :

(Note : Les chiffres ne correspondent pas aux numéros de page)

1- The Psychology of the Indian Conjurer

2- The Bamboo Rods and Strings (The Hindu Wands)

3- The Indian Lilnk Trick. The Chinese Rings.

4- The Indian Sands. The Colour Changing Sands.

5- Producing Marbles and Leaden Balls from the Mouth

6- The Cups and Balls

7- The Broken and Restored Cotton

8- The Mango Tree

9- The Indian Basket Trick

10- The Bunder Boat

11- The Suspended Bowl of Rice. The Suspended Prayer Vase.

12- The Ring on Wand

13- The Cut and Restored String or Turban

14- The Egg Bag

15- The Appearance of Marks on the Hand

16- The Diving Duck

17- The Indian Rope Trick

18- Production of Snakes and Crocodiles in a Cloud of Dust

19- Snake charming

20- Running a Dagger into the Cheek. Piercing the Tongue, and similar feats. (See 73, 83, 86)

21- The Aerial Suspension. The Sword Suspension. Human Levitation.

22- The Production of Sparrows from a Basket

23- To Make an Article Travel of its Own Accord

24- Threading Beads in the Mouth. The Needle Threading Trick.

25- Changing Beans into Snakes, or Stones into Scorpions.

26- Eating the Leaves of the Prickly Pear

27- Laying One's Stomach on the Edge of a Sword, and Sword Walking

28- Causing Blood to Flow and Stop Flowing from the Arm

29- Eating Pounded Glass, and Dancing on Glass

30- Swallowing Pebbles, etc.

31- Sabre Swallowing

32- Invulnerability to Red-hot Iron, and Fire Walking

33- The Chinese Marble Trick and Other Sleights

34- Fire Eating and Smoke Blowing

35- The Japanese Butterflies

36- The Japanese Picture

37- The Bowl of Water Production

38- The Jumping Plume. The Jumping China Rabbit. The Jumping Duck.

39- The Japanese Obedient Ball on String.

40- The Feast of Lanterns.

41- The Dancing Figure (Chinese ?)

42- Ropes Through Neck, Ropes, Rings and Coat, and similar Tricks.

43- The Hindu Lota. The Ching Ling Foo Can.

44- Flower Changing into Goldfish in Cup.

45- Twenty Colour Changing Coins.

46- Torn and Restored Paper.

47- Buried Alive.

48- Japanese Magic Mirrors

49- The Indian Cooking Trick

50- Ball of Wool Swallowed and Reproduced from a Cut in the Stomach

51- The Human Stove

52- The Production of Coconuts from the Performer's Mouth

53- The Ten Ichi Thumb Tie

54- The Rice Bowls

55- The Vanishing Rice (Japanese)

56- Snowstorm in Japan. Plum Blossom in the Wind. Autumn Leaves.

57- Tissue Changed into an Egg (Max Sterling Egg)

58- Instantaneous Incubation

59- Coins and String

60- The Flying Chopstick

61- Production from Box

62- The Broken Chopstick

63- Suspended Cups of Water from Fan

64- Japanese Postcard Divination

65- Fire, Water and Globe of Goldfish Produced from Tub

66- Vanishing Rice From Cup

67- Tapping Stick in Bottle

68- Water Passed from Bottle to Bottle

69- Plate Spinning

70- Japanese Boiling Water Ordeal

71- Vanished Ring Found in Egg

72- Coin Changed into a Stone

73- A Stone Lifted by the Eyes or Tongue (see 20)

74- The Ten Ichi Water Fountains (Japanese)

75- Swallowing a Barrel of Water (Burmese)

76- Sleights with Chickens (Port Said)

77- Yogi Gold From Fire

78- The Zulu Obedient Floating Log

79- Summoning The Scents (Indian)

80- Pulse Control

81- The Han Ping Chien Coins

82- The Hindu Talisman

83- Padlock Through Cheek (See 86, 20)

84- The Chinese "Chefalo" Knot

85- The Jumping Egg

86- Knife Through Nose

87- Silks From Mouth

88- Ring Changes to another Ring and Lump of Metal

89- Colour Changing Slips of Paper and Water

90- Escape from Ropes and Sack

91- Variuos Changes in a Small Box

92- The Indian Bow Trick

93- Water Frozen in the Hand

94- The Organ Pipes

95- The Animated Leaves

96- Long Paper Ribbon From a Bowl of Shavings

97- Shower of Nuts from a Handkerchief

98- Magnetic Arrows

99- Dismembering and Rearticulating a Man

100- The Indain Nose Ring

101- The Japanese Ever-Flowing Kettle

A lire :
-Oriental Conjuring and Magic de Will Ayling, (The Supreme Magic Company-London-384 pages, 1981).

ANAEL / La nuit magique

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Sur scène sont disposés un pan de mur avec une fenêtre ouverte sur un ciel étoilé, une peluche à l'effigie de Bob l'éponge, un nounours, une chariote avec un ballon, un jouet dinosaure…

A jardin se trouve une chaise sur laquelle est posé un vrai nounours qui lit un journal. Côté cour se trouve un coffre à jouets avec, à l'intérieur, des boîtes, des cubes, des dés, des livres, une corde à sauter, une épée, etc.

Saut dans le temps

Anael arrive dans sa chambre en baillant : « Il est une heure du matin et vous êtes dans ma chambre ? »

« J'avais 7 ans et j'ai grandi d'un coup » effet du bras qui s'allonge sous la chemise.

« J'ai pris les habits de mon papa. » Le lacet jaune de sa chaussure est défait ; il le remet en place, juste en secouant son pied.

La quêteuse

Anael présente le « sac à cravates » de son papa. Il sort d'une quêteuse 5 cravates de différentes couleurs qu'il présente aux enfants. Les cravates sont ensuite remises dans la quêteuse et elles disparaissent. « Abracadaplouf » et la cravate jaune apparait autour du coup du magicien.

Le journal déchiré

« Les grandes personnes lisent le journal…» Anael prend le journal, que tient son nounours, et le déchire : « oui, mais lire le journal c'est ennuyeux. » puis, il le reconstitue.

Le seau aux pièces

« Je pourrais conduire une voiture, aller au travail pour gagner de l'argent… De l'argent, j'en ai trouvéà la plage. J'ai mon sac de plage avec mon seau et ma pelle…»

Un enfant du public vient sur scène, puis il tape sur le fond du seau pour faire de la musique comme Anael. Commence alors une chasse aux pièces classique où le magicien produit des pièces de monnaies sur l'enfant en terminant par faire apparaitre une pièce jumbo.

Corantin le lapin

« Moi, je sais jouer. Les grandes personnes oublient de jouer. »

Le magicien sort un lapin du coffre à jouets et commence une séance de ventriloquie avec l'animal : « Tu veux leur dire quelque chose ? » Le lapin répond : « Salut, salut…»

« Tu veux retourner au lit ? » Le lapin répond : « Oui ». Anael pose son compagnon et commence une routine de D'light : « Cette nuit les étoiles sont belles ».

« Corantin, ta chambre c'est le bazar, il faut ranger tes jouets ! ». Le lapin veut une carotte que le magicien lui donne. Celle-ci finit par se multiplier une à une dans sa main. Anael fait ensuite apparaître une pomme de terre qui se transforme en melon.

Les dés

Le magicien commence à ranger la chambre. Il place un dé qui traîne dans la boîte magique de son grand-père. Commence alors une petite comédie interactive avec les enfants qui voient le dé passer d'un côté et de l'autre de la boîte successivement, jusqu'à sa disparition et sa réapparition dans une autre boîte posée sur le sol.

Corde à sauter

Anael prend une corde à sauter qui est trop petite pour lui. La corde tombe au sol et il ne reste plus que les deux « poignées » dans ses mains. Il s'en sert comme micro pour chanter et reprend la corde pour enchaîner avec une One rope routine avec corde coupée et nœud voyageur (excellent).

Il prend ensuite une épée (une canne à disparition avec un faux pommeau) qu'il fait disparaitre. Il fait ensuite léviter un étui à violon et fait apparaître une grande voiture en bois derrière un journal (belle montée en crescendo).

Le pirate

« Vous aimez vous déguiser ? Voici ma belle chemise et mon turban, mon chapeau et mon pistolet…»

Anael mime un pirate. « Voulez-vous être mes moussaillons avec le capitaine Corantin ? » Le lapin chante alors une chanson de corsaire avant d'être rangé.

« A tribord il y a une île avec des arbres bizarres, des palmiers » Le magicien déploie alors un grand cône de papier qui forme une plante exotique (technique reprise du magicien de papier de Paul Maz).

« Sur les bateaux, il y a des rats (il sort une marionnette Raccoon) et quand on s'ennuie, on joue aux cartes. Ce rat est devenu un expert aux cartes. »

Avec des cartes jumbo, le magicien demande à une petite fille de lui dire stop quand elle veut. La carte choisie est perdue. Le rat va retrouver sa carte grâce à une ficelle placée dans la boîte. Il en ressort une carte ficelée qui s'avère être la bonne (authentifiée par un coin déchiré).

La palette de couleurs

« Avez-vous une idée du métier que je pourrais faire ? »

Corantin répond à Anael en chanson : « J'aurais voulu être un artiste ! Un artiste peintre » précise le magicien. Il demande à un enfant de venir sur scène pour lui apprendre à peindre. Il me faut donc une palette de 5 couleurs et un pinceau (qu'il donne à l'enfant). Le pinceau devient mou (comme l'effet classique de la baguette). Une comédie commence avec le manche du pinceau qui se raidit et se ramollit successivement. Il lui donne alors un autre pinceau « qui roule », un rouleau qui couine !

Le couinement se déplace alors sur l'enfant, sur ses chaussures, etc.

Les couleurs de la palette disparaissent grâce au rouleau passé dessus. Tous les enfants de la salle ouvrent leurs mains et les mettent sur leurs genoux. Le magicien présente alors un livre de coloriage avec des dessins en noir et blanc qui se colorisent grossièrement quand les enfants « lancent » leurs couleurs. Le livre est une nouvelle fois feuilleté et les couleurs sont bien en place.

« Il ne faut pas secouer le livre car toutes les couleurs et les dessins peuvent disparaître. »

« AbracadaSchtroumpfs » sur le livre et tout redevient normal comme au début. Le magicien donne à l'enfant sur scène une serviette blanche pour qu'il se « lave » les mains et celle-ci devient toute peinturlurée.

Une très belle saynète qui revisite brillamment les indéboulonnables « baquette molle » et « livre de coloriage » que l'on voit malheureusement dans tous les « spectacles » d'enfants car vendu par les marchands de trucs…

Le cirque

« Avec mes parents, nous sommes allés au cirque. » le magicien chausse une veste à queue de pie. Il joue le rôle d'un clown, fait apparaître et disparaître une balle rouge plusieurs fois d'affilée puis présente les animaux du cirque en sculptant un ballon à l'effigie d'un lion rugissant.

Anael parle ensuite d'un magicien qui l'a marqué par ses tours de foulards. Il fait venir un enfant sur scène et lui confie une baguette magique. Celle-ci se multiplie dans un effet de gags. Le magicien sort un chapeau clap et un foulard vert. Il le fait disparaître dans son poing et le retrouve dans la manche de l'enfant. Celui-ci repart avec le lion en cadeau.

Lune zombie

« Comment ai-je bien pu grandir en une seule nuit ? C'est peut-être la lune ? »

Le magicien matérialise alors la lune de la fenêtre (peinte sur le décor) en vrai et la fait léviter un moment entre ses mains pour ensuite la faire voler autour de lui grâce à un foulard (boule zombie).

Le lapin Corantin qui sait tout, revient sur scène et conseille à Anael d'aller se recoucher pour retrouver ses 7 ans.

Extinction des feux, noir dans la salle et fin du spectacle.

Conclusion

Anael est habile dans la manière d'adapter des tours classiques du répertoire et de détourner certains accessoires « réservés »à un public d'adulte. Il utilise au maximum son « décor » qui gagnerait, quand même, àêtre redessiné et plus étoffé. Il manque en effet certains éléments caractéristiques d'une chambre d'enfant, au-delà des accessoires. La partie ventriloquie reste un peu en dessous du reste (technique et texte) et n'exploite pas assez l'interaction marionnette-ventriloque. Corantin le lapin serait peut-être plus attachant s'il était présent comme une peluche faisant partie du décor et moins comme un gimmick qui « apparait » de temps en temps. Le spectacle reste encore dans un registre « démonstratif » et pas assez narratif avec sa succession de tours et dans le choix d'utiliser une marionnette : tous les magiciens pour enfants l'utilisent à un moment donné (Peter Din, Sébastien Mossière, Paul Maz…)

Malgré ces réserves, avec un pitch simple et efficace qui parle à tout le monde, les parents passent un agréable moment magique et les enfants réagissent énergiquement au spectacle et c'est l'essentiel car c'est pour eux que le magicien joue !

A visiter :
-Le site d'Anael.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Cabaret ILLUSIONS MAGIQUES / magie visuelle et acrobatie

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Avec la participation de : Sébastien Fourie, Yann Frisch, Raymond Raymondson, Romain Lalire, Anaïs Albisetti et Pedro Consciencia, Béatrice Esterle, Chiara Marese.

Briare, 6000 habitants, à l'Est d'Orléans, connue, depuis le XIXe siècle pour son usine d'émaux, et récemment devenue une capitale de la navigation de plaisance, possède, chef-d'œuvre architectural auquel participa Gustave Eiffel, le très célèbre Pont canal de Briare (1896) qui traverse la Loire sur quelque sept cent mètres.

Depuis 2013, un peu à l'écart de l'agglomération, Briare a accueilli STARS Europe, un grand studio de cinéma, préparations d'événementiels et de spectacles, créé et dirigé par Bruno Limoge, homme aussi discret qu'efficace. Très bien équipé avec projecteurs asservis, l'endroit est transformable en salle et scène d'une ouverture d'une quinzaine de mètres, pouvant accueillir quatre cent personnes...

Avec l'appui de l'Atelier, une association dirigée par Vincent Frégeai qui a pour but de créer des événements culturels, et d'Artefake partenaire artistique pour les magiciens, a donc été créée la première édition de ce cabaret avec, en alternance, des numéros d'acrobatie et de magie, ainsi qu'un trio de jeunes femmes avec des chansons de jazz, pour plus de trois cent spectateurs. Avec aussi remise d'un Prix à un magicien, un autre prix consistant en une semaine de résidence de travail àSTARS pour un autre magicien, et un Prix du public, pour un circassien.

Sébastien Fourie a commencé la soirée avec un numéro de magie bien connu, celui dit des cordes, qui, très au point sur le plan technique, souffrait d'une esthétique assez faible.

Suivit le numéro de jeunes et brillants acrobates, encore élèves de l'Ecole du Cirque de Chalon en Champagne, Anaïs Albisetti et Pedro Consciencia. Avec portés et divers sauts périlleux : rapidité, souplesse, force et virtuosité, et donc à la base, un sacré travail physique mais aussi mental : le moindre dérapage pouvant être catastrophique.... Certains moments rappelant des merveilleux dessins de tombe égyptienne quelques deux mille ans avant J.C. L'acrobatie moderne remontant aux anciennes traditions méditerranéennes ou chinoises.

Le deuxième magicien, dernier champion du monde donc hors concours : Yann Frisch, lui aussi très jeune, fait preuve d'une virtuosité telle qu'il est impossible de suivre le mouvement de petites balles sur une table noire. Comme si notre rapport à l'objet en devenait, d'un seul coup, profondément modifié.

Suivit un numéro plus classique de tissus aériens par Béatrice Esterle.

Et après entracte, où trois jeunes femmes ont chanté des airs de jazz, un "solo à prétention magique" de Raymond Raymondson, celui d'un clown qui rate presque tous ses tours. Mais, faute d'une mise en scène correcte et de gags suffisamment travaillés, ce solo reste peu efficace.

Mavara project #4 de Chiara Marese, est un travail sur corde molle. Un voyage en soi-même, comme semble en témoigner la figure de petite fille qu'elle a contre son épaule et avec laquelle elle évolue avec une belle virtuosité. Promenade souvent émouvante et gracieuse, mais soutenue par une bande-son faite de bruits de la rue, chuchotements et paroles en sicilien, donc qui nous échappe un peu.

Dernier numéro de magie actuelle, à mi-chemin entre art visuel, acrobatie et théâtre d'ombres, Kumo (nuage en japonais) de Romain Lalire. Vêtu d'une longue robe noire, il glisse sur la scène avec une virtuosité exemplaire, tout en jonglant avec une grosse boule de verre, pendant que son ombre se projette sur l'écran, parfois accompagnée d'autres ombres... Impressionnant, et sans doute le numéro le plus poétique.

Enfin, un numéro de trapèze classique avec la même Béatrice Esterle, toujours au-dessus du public et sans filet, accompagnée par l'une des chanteuses, avec l'Ave Maria de Charles Gounod.

Le spectacle était "animé" par un Monsieur Loyal, très maquillé, en queue de pie rouge à paillettes dorées, pantalon noir et chaussures vernies, comme sorti d'un film de Federico Fellini, et auquel Gary Yann servait un peu de faire-valoir. Se présentant comme animateur et producteur de spectacles, et parlant à plusieurs reprises de sa longue carrière, "autrefois danseur à l'Opéra de Paris puis danseur soliste à l'Opéra de Nice ", récitant un poème de son cru à Béatrice Esterle. Et parlant de la France comme d'un pays dirigé par un gland. Comme un théâtre dans le théâtre ! Pathétique mais pas grave.

Les spectateurs étaient heureux d'être là ensemble, attentifs à ces formes artistiques du corps, plus qu'à un théâtre de texte. Le cabaret est un forme artistique qui ne cesse d'avoir des hauts et des bas depuis plus d'une centaine d'années mais qui semble avoir retrouvé ici, le temps d'un soir une belle jeunesse et un public populaire.

Le prix du public alla au couple d'acrobates, la résidence fut attribuée à Sébastien Fourie, pour poursuivre son travail, et le Trophée à Romain Lalire, lui donnant une reconnaissance professionnelle très utile... A l'évidence, Vincent Frégeai, Bruno Limoge et leurs équipes ont bien réussi leur coup (un grand panneau affichait complet !) et n'ont aucune inquiétude à avoir pour une seconde édition.

- Source : Le Théâtre du Blog.

Crédit Photos : Christophe Lörsch. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.


Shigeo FUKUDA

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Shigeo Fukuda (1932-2009) est un grand artiste japonais aux talents multiples, à la fois plasticien, dessinateur, illustrateur, graphiste, sculpteur, designer d'objets et scénographe. Diplômé de l'Université des Beaux-arts et de la Musique de Tokyo, section design en 1956, il est un incontestable amoureux des images. Il fait appel à l'illusion d'optique et aux anamorphoses pour construire ses œuvres. C'est l'un des premiers graphistes japonais dont l'œuvre concilie les traditions de la culture nipponne à l'esprit et l'éclectisme occidental. Il joue avec notre perception comme un illusionniste à travers une communication visuelle à destination d'un public cosmopolite.

Fukuda est un magicien farceur, un joueur espiègle qui crée des images et des objets qui questionnent notre intelligence et notre imagination. Par ses jeux virtuoses de formes et de contre formes, il a su créer des situations impossibles et des réalités retrouvées. Chez lui, une image peut en cacher une autre. La dualité est le fondement de ses travaux.

Fukuda convoque le réel et le met instantanément en doute. Quand nous regardons pour la première fois une de ses affiches, nous reconnaissons rapidement une image familière qu'il transcrit de manière simple et directe pour que sa perception soit immédiate. Rassuré par cette image, nous sommes vite pris dans un piège visuel. Notre regard se trouble et notre cerveau découvre une deuxième image cachée, un deuxième sens à prendre en compte qui complexifie le caractère « simpliste » de la première lecture.

« Une belle image vient de l'humain. C'est de la société que viennent mes idées, pas de moi. J'essaie de trouver des sujets qui parlent à tout le monde. Mon travail est basic et produit du plaisir et de la joie. Il faut faire rire et sourire avec une affiche, même si le sujet est grave, il faut trouver un angle gai et amusant. » Shigeo Fukuda.

L'affichiste

Shigeo Fukuda a créé un étonnant système visuel et formel reconnaissable entre tous. Il a développé une conception de l'affiche et du logo basée sur la simplicité, le satyrisme, l'humour et la double lecture. Il est le créateur d'une ligne claire d'une précision incroyable qui va toujours à l'essentiel. Tout au long de sa carrière, il a créé plus de 1 300 affiches, récusant les nouvelles techniques et réalisant toutes ses maquettes graphiques à la main.

Admirateur de Maurits Cornelis Escher (1898-1972), il chercha sans cesse de nouveaux jeux d'illusions visuelles. Comme le dessinateur et graveur hollandais avant lui, il expérimenta le travail avec la perspective, l'espace positif et négatif, le noir et le blanc, le contraste, l'interaction visuelle et géométrique entre les éléments sur la page, la profondeur et la surface, ainsi que les différents plans de lecture. Tout cela doit produire une désorientation chez le « regardeur » . Contrairement à Escher, ses créations n'utilisent pas les « pavages », mais un minimum de lignes, qui sont de temps en temps ponctuées de remplissages. Avec le trompe-l'œil, il introduit un nouvel ingrédient indispensable : l'humour. La palette de couleurs volontairement limitée et la ligne réductrice restent le cœur du travail de Fukuda.

Une des images les plus populaires de l'artiste est l'affiche pour la paix Victory (1969). Un projectile est sur le point de rentrer dans le fut du canon au lieu d'en être violemment expulsé. Le point culminant de l'action souligne l'ironie de la catastrophe. L'humour noir fricote avec l'absurde pour rendre encore plus poignante la tragédie.

Dans Images of illusion (1984), Fukuda nous force à penser l'espace autrement par un jeu renversant de formes géométriques et de silhouettes assises. Il aime également revisiter les grands classiques de l'art et les détourner à sa manière : par exemple avec les différents portraits tramés de Mona Lisa : Mona Lisa's hundred smiles (1970).

Fukuda mettra son système visuel en abyme avec la série des « portraits inventés », où deux visions nous sont proposées dans la même œuvre selon que l'on soit proche ou éloigné. La Joconde de Leonardo Da Vinci est reconnaissable entre mille mais est pourtant constituée d'une multitude de signes (3485 drapeaux et timbres) sans relation avec l'œuvre de référence. Quand àFlore, La naissance du printemps (1992) inspiré de Sandro Botticelli, il est composé de milliers d'affiches de Fukuda ; ici la boucle est bouclée dans un geste maniériste absolu.

« Le design graphique n'est pas un business, c'est de la culture. En tant que graphiste, je dois connaître la pensée des autres ; c'est comme un médecin : il faut que je prenne le pouls des gens ! » Shigeo Fukuda.

Le sculpteur

En plus du graphiste de renommée internationale, Fukuda s'est essayéà la sculpture illusionniste dans des œuvres qui se veulent ludiques et légères. Comme pour son travail en deux dimensions, il part d'objets familiers pour les transfigurer en objets (extra)ordinaires. Des objets du quotidien devenus subtilement improbables et chargés d'une autre signification.

Toys and Things Japanese (1965) est la première des « sculptures d'ombre » : Fukuda crée un objet tridimensionnel dans lequel l'ombre, à partir d'une source de lumière issue d'un point bien défini, n'a aucun rapport avec l'objet réel représenté. Un jeu d'ombres, de distorsions et de perspectives dépravées. Avec cette série, l'artiste interroge la matérialité de notre monde, où les ombres virtuelles reflètent de la réalité. L'ossature d'une ombre aurait-elle d'avantage de sens que le corps de l'objet projeté ?

Lunch with a Helmut On (1987) est une autre sculpture éclairée à partir d'un point bien précis qui reconstitue une moto en ombre projetée sur le sol. L'objet physique est entièrement construit à partir de 848 pièces de coutellerie (cuillères, fourchettes et couteaux) soudées ensemble et suspendues dans les airs. Dans One cannot cut the sea (1988), 2000 ciseaux soudés reconstituent un bateau en ombre portée.

Beaucoup d'artistes reprendront le « truc » des « sculptures d'ombre » avec plus ou moins de succès ou de plagiat. Parmi eux, nous pouvons citer Le duo londonien Tim Noble et Sue Webster qui ont réalisé leurs autoportraits en détritus avec une touche d'ironie bien venue !

Objets impossibles

Fukuda a retranscrit dans l'espace certaines figures impossibles comme Disappearing Column représentant un trident impossible. Quant àDisappearing Pillar (1985), c'est une sculpture en bois, représentant le paradoxe classique en 2 D, qui figure 3 colonnes cylindriques en haut et deux colonnes rectangulaires en bas. Bien sûr, il est seulement possible de voir cette configuration impossible que sous un certain angle. Voir cette sculpture à partir de n'importe quel autre angle détruit instantanément l'illusion.

En grand connaisseur d'Escher, Fukuda a reconstitué en 3D certaines lithographies du maître qui tordaient l'espace et la perspective pour créer des objets impossibles. Ses maquettes les plus spectaculaires (1m50 d'envergure) reconstituent le fameux Belvédère (1982) et la Cascade d'Escher (1985). Des constructions physiques d'immeubles impossibles. La cascade fonctionne en plus avec de l'eau qui coule, et qui semble figurer un cycle perpétuel.

Transformations

En 1973, Fukuda s'essaye aux œuvres à transformation avec Love Story, puis Cat/Mouse, et Man/Woman (1974). Encore (1976) marque le début d'une série consacrée aux anamorphoses de musiciens prient à différents moments d'un concert. Ici, d'un point de vue, la sculpture représente un pianiste, mais tournée de 90 degrés, le pianiste se transforme progressivement en violoniste.

Underground Piano (1984) est une expérience spatiale singulière inspirée de l'art abstrait et cubiste. Une structure composée de fragments et d'éléments disparates qui se reforment, dans un miroir et selon un point de vue précis, en piano à queue en parfait état.

Le grand plasticien allemand Markus Raetz reprendra ce principe «à transformations » dans nombreuses de ses sculptures dont Miroir (1986), Métamorphose II (1992), Oui-Non (2001) et bien d'autres…

Anamorphoses

En parfait illusionniste, Fukuda maîtrise l'anamorphose comme personne et lui donne un caractère poétique inédit, opposéà la froideur mathématique de la majorité des représentations de ces jeux maniéristes. Il utilisera surtout ce principe en rendant hommage à des œuvres phares de l'histoire de l'art comme La Vénus de Milo : Venus in a Mirror (1984), mais aussi aux grands artistes comme Van Gogh : Gogh's Sunflowers (1988) ou Giuseppe Arcimboldo : Fresh Guy, Arcimboldo (1988), une image anamorphique déformée de Vertumne, qui restitue l'original lorsqu'elle est vue dans un miroir.

Fukuda atteindra un nouveau palier en faisant entrer l'anamorphose dans l'espace public en travaillant sur le mur du Gymnase de l'école Taishido à Tokyo, et surtout avec le monument du musée japonais du Dr Tanakadate, constitué de 10 colonnes de 8 mètres espacées chacune de 3 mètres, sur lesquelles est inscrit l'alphabet japonais de manière répétitive : a, i, u, e, o… ka, ki, ku, ke, ko… sa, shi, su, se, so, etc. Dans une certaine perspective, les colonnes, côtes à côtes, produisent le portrait géant du docteur Tanakadate ! L'affichiste « de bureau » aura définitivement investi le monde extérieur comme un architecte avec une portée universelle.

De nos jours, l'anamorphose a trouvé un nouvel élan créatif et conceptuel auprès d'artistes contemporains comme Georges Rousse avec la photographie, Felice Varini avec la peinture et Bernard Pras avec l'installation-sculpture.

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LE TRAC

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La théorie du trac

Il y a une théorie qui circule dans le monde artistique et dans notre monde magique qui dit que le trac apparaît lorsque l'artiste ne s'est pas suffisamment préparéà la situation dans laquelle il va se retrouver (représentation, prise de parole en public, concours, etc.). D'emblée, si vous le permettez, je vais contredire cette théorie en prenant mon cas personnel comme exemple et celui de notre maître Arturo de Ascanio (attention n'y voyez aucune comparaison, juste un exemple supplémentaire).

Lorsque j'ai débuté la magie, j'ai très vite (sans grande créativité ni maturité) présenté des concours nationaux en Belgique que j'ai eu la chance (?) et le bonheur de remporter. Bien sûr, je m'étais préparé pour affronter ces « terribles » conditions mais à dire vrai, dans l'insouciance de ma jeunesse, le trac n'existait pas. Vous pouviez me placer en face des plus grands maîtres de notre art, je n'avais aucune palpitation, aucune accélération cardiaque, rien ! Juste le plaisir de pouvoir partager ma manière de créer des illusions. Ce sont quelques années plus tard, avec une maturité artistique un peu plus profonde, que le trac est rentré dans ma vie par une petite porte pour ensuite s'inviter fréquemment. Paradoxalement, à ce moment de mon existence, j'étais beaucoup mieux préparé que dans le passé et pourtant le trac était beaucoup plus présent. Ce premier exemple va donc à l'encontre de la théorie précitée qui dit je vous le rappelle que si on est bien préparé, le trac n'existe pas.

J'en profite pour ouvrir une petite parenthèse et citer Kaplan (l'acteur pas le magicien) qui dit qu'une personne qui, à une étape de sa carrière, voit son trac miraculeusement disparaître, ne tardera pas à quitter la scène. Je vous rapporte également ce que la grande actrice Sarah Bernardt à dit à une jeune comédienne qui se flattait de ne pas connaître le trac : « Mais cela vous viendra avec le talent ! ». L'absence totale de trac selon ces deux artistes signifie que, soit l'acteur possède un talent médiocre ou en tout cas très limité, soit il n'en possède pas du tout. C'est plutôt rassurant pour ceux qui ont fait du trac un fidèle compagnon, non ?

Le deuxième exemple est donc celui de Arturo. Je pense que la grande majorité d'entre vous l'avez vu travailler dans des congrès de magie. Et il est vrai que de temps à autre le trac se saisissait de lui et ses mains commençaient à trembler. Est-ce que cela voulait-il dire qu'il ne s'était pas suffisamment préparé ? Je ne le crois pas. Je suis plutôt d'avis de dire que Arturo avait une sensibilitéà fleur de peau qui le rendait, dans certaines conditions, angoissé face à son public. Là où il était au sommet de sa forme, c'était lorsqu'il se retrouvait en petit comité entouré d'amis. Dans ces moments-là, le (mauvais) trac n'existait pas et nous assistions à une véritable démonstration de son savoir faire et de son savoir être.

Le trac et ses multiples formes

Je pense qu'un seul artiste ne vit pas une seule forme de trac. Le trac est variable non pas en fonction des conditions de travail dans lequel il va pratiquer son art mais plutôt en fonction du public. Permettez-moi de revenir sur mon cas personnel. Je suis capable de présenter de la magie de proximité en face de n'importe quel groupe social, dans n'importe quel endroit sans pour cela souffrir d'un trac quelconque. Maintenant, placez-moi en face de magiciens que j'admire, dans un lieu comme l'Escorial et écoutez les battements de mon coeur. Vous vous rendrez très vite compte que le trac est bel et bien présent. Tout est dans l'esprit, n'est-ce pas ? A dire vrai, je pense que le trac prend naissance dans l'esprit de l'artiste en fonction de deux données. La première étant la peur du magicien qui n'est pas réellement fonction des erreurs qu'il pourrait réaliser au cours d'une démonstration mais plutôt dans le fait que ses spectateurs puissent se rendre compte de quelque chose qu'ils ne sont pas supposé voir. La deuxième donnée est dans le fait de se voir juger, critiquer par ses semblables. N'oublions pas que l'image mentale que nous avons de nous même est parfois très différente de celle que notre public a de nous. Ce qui est à la fois extraordinaire et terrible dans notre art c'est que la magie de proximité n'est pas une affaire personnelle, c'est une collaboration entre l'artiste et son public. Le but étant de créer une symbiose entre l'artiste et ses spectateurs. D'un côté, c'est beau mais de l'autre côté cela peut être terrifiant si la communication ne se passe pas très bien. Et si la communication ne passe pas du tout, il ne pourra jamais y avoir communion. Et sans communion, pas de symbiose et un résultat très clair : un spectacle raté.

Le bon et le mauvais trac

Pour ce qui est de mon one-man-show, bizarrement c'est différent. A chaque fois que je me retrouve dans un théâtre pour le jouer, invariablement le trac fait toujours son apparition avant que je monte sur scène. Par contre, dieu merci, il s'en va dès les premières secondes. Ça c'est ce que j'appelle le bon trac. Celui qui stimule, celui qui nous met dans un état d'énergie plus grand, celui qui nous pousse à nous surpasser. Malheureusement, je dois confesser que j'ai aussi vécu ce que j'appellerai le mauvais trac. Celui qui ne s'en va pas à la première seconde, celui que l'on garde jusqu'à la fin de la représentation, celui qui nous diminue au lieu de nous pousser. C'est dans ces moments-là, où l'on se demande si on est bel et bien fait pour ce métier de représentation ?! Heureusement pour moi, il n'est arrivé que très peu de fois dans ma carrière mais sa seule présence peut nous envelopper de doutes et d'incertitudes quand à notre futur artistique. Il est si incontrôlable et si terrifiant que ce trac peut provoquer une souffrance telle qu'elle devient plus importante que le plaisir de pratiquer son art. Ce « mauvais » trac devient tellement handicapant et négatif que certaines personnes sont prêtes à changer de voie artistique pour s'en défaire à jamais.

Les mauvais remèdes

Une des choses les plus terribles du trac, c'est qu'il semble que celui-ci ne disparaît pas, même après des centaines de représentations. L'exemple de Jacques Brel (artiste extraordinaire) est révélateur. A chaque fois qu'il devait se produire sur scène, une crise d'angoisse tellement forte le prenait qu'il devait à chaque fois aller au toilette pour vomir. Certains artistes essaient de faire disparaître leurs « peurs » par la consommation d'alcool et parfois de drogue. Quelques fois ces « remèdes » aident à cacher momentanément leurs angoisses mais non content de faire disparaître leurs peurs, ils font par la même occasion disparaître leurs talents. Avouez que cet effet secondaire n'est pas des plus salutaires pour la longévité d'un artiste. Sans oublier que la drogue et l'alcool rendent le corps dépendant. Le cercle infernal invite l'artiste à sombrer un plus profondément dans la drogue et l'alcool et à un moment donné, il est trop tard pour l'arrêter.

Les traumatismes

Le trac peut être tellement traumatisant que des symptômes physiques peuvent apparaître. L'exemple de la comédienne Helen Hayes est typique. Avant chaque « première », elle devenait sourde. Voilà ce qu'elle même disait sur cette maladie psychologique : « Je ne pouvais rien entendre d'autre que ce qui était dit sur scène. » Il semblerait que sa surdité sélective représentait pour elle une manière de se concentrer exclusivement sur ses partenaires de scène et non pas sur le public. Comme quoi, on trouve toujours quelque chose de positif dans un inconvénient passagé (comme disait le poète : « Il n'existe aucun mal d'où ne naisse un bien »).

Il y a aussi le cas de l'artiste qui abandonna sont métier de comédien de théâtre malgré son immense talent pour n'accepter exclusivement que des rôles au cinéma, le public lui faisant trop peur. Et qui finalement devint l'un des plus acteurs le plus populaire de son époque. Bref, le trac existe, il fait partie intégrante de notre art. Autant s'en faire un allié qu'un ennemi.

Pour clôturer ce thème voici mes réponses aux questions de Jesus Etchevery (*) sur les moyens de contrôler le trac :

1) Oui bien sûr, tous les symptômes du trac se sont manifestés dans ma vie et pas seulement une seule fois. Je les ai vécu, je les vis et je les vivrai.

2) Je pense que le trac peut devenir un vrai problème psychologique et même chronique pour certaines personnes. Mais quoi de plus beau que de pouvoir le maîtriser et de s'en servir pour se dépasser et découvrir de nouveaux horizons.

3) Je pense que les facteurs peuvent être multiples : une trop grande sensibilité, une mauvaise image de soi, une mauvaise préparation psychologique et une mauvaise préparation physique (technique). Bref, un déséquilibre entre le corps et l'esprit.

4) Comment vaincre son trac ? Il y a différentes solutions à différents tracs. Je vais prendre une des solutions que j'ai trouvée et mise en pratique pendant plus de neuf ans à la télévision nationale belge avec succès. Imaginez-vous un instant en tant que présentateur d'une émission de variété en prime-time qui rassemblait plus d'un demi-million de téléspectateurs à chaque transmission. Si vous pensez à cette quantité impressionnante de personnes qui sont accrochés à vos mots, je pense qu'il vous sera difficile d'ouvrir la bouche ne fut-ce qu'une seconde. En fait, l'astuce psychologique que j'ai pratiqué lors de ces enregistrement télévisuels était tout simplement d'imaginer que je parlais à une seule personne, une personne que j'aimais plus que tout et qui m'acceptait tel que j'étais avec mes qualités et mes défauts. Cette fantaisie de mon esprit me permit d'avoir beaucoup moins de pression psychologique et de vivre mon aventure télévisuelle de manière beaucoup plus sereines. Une autre chose qui m'aida àêtre plus « léger » est de ne plus être à la recherche de la perfection. Dès que vous acceptez d'être imparfait, tout est beaucoup plus facile. Et en plus vous devenez beaucoup plus authentique et donc beaucoup plus touchant pour votre public.

5) Mes méthodes : voir plus haut

6) Mon conseil
- Soyez honnête avec vous même
- Aimez sincèrement les autres
- Soyez à la recherche du plaisir
- Acceptez que vous soyez imparfait
- Ne cherchez pas à paraître mais àêtre
- Lancer vous des défis et n'ayez pas peur des échecs
- Apprenez à respirer avec le hara (une bonne respiration remplit d'abord le bas du ventre, puis l'intercostal et enfin les poumons supérieurs).
- Jouez avec votre imagination ( Supposez que vous êtes en face de votre petite amie et non pas d'un public, supposez que votre audience est constituée de jeunes enfants de 4 ans et non pas d'adultes, supposez que les jurés de votre concours sont tous nus, etc.)

(*) Jesus Etchevery fait partie de l'Ecole Magique de Madrid et est, entre autre, le rédacteur en chef de la revue & quot "Circular" de la Escuela Magica de Madrid & quot. Celle-ci n'est distribuée qu'aux membres de l'Ecole. En tant que membre, j'écris de manière ponctuelle pour cette merveilleuse revue. Les articles que vous venez de découvrir ont tous été publié dans la & quot "Circular".

A voir :
-L'interview de carlos Vaquera sur Chop-Cup.com.

Larry BELL

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Depuis la fin des années 1950, l'américain Larry Bell ( né en 1939) n'a cessé de travailler sur les questions de perception, d'illusion optique en se démarquant de l'art minimal « classique » auquel on l'a souvent associé. Il est membre du mouvement Finish fetish aux côtés de John McCracken et Craig Kauffman. Bell est aussi le contemporain de Donald judd, Dan Flavin, Ellsworth Kelly, Carl Andre et Sol LeWitt ; les représentants emblématiques de l'art minimal américain.

Larry Bell pratique une sorte d'art minimal plus vulnérable et réfractaire aux positionnements théoriques qui animent les cercles new-yorkais. Il s'installe durant une année à New York, mais ne parvient pas à y trouver ses marques. Il ne cherchera jamais à justifier sa pratique et encore moins à se positionner dans le mouvement minimaliste. Cependant, il a eu une grande influence sur ses pairs.

Larry Bell dans son studio de la rue du marchéà Venise en Californie (1961).

« Pour participer à la vie artistique new-yorkaise dans les années 1960-70, il fallait être intellectuel et ce n'était pas mon truc. Moi j'aime l'océan, les filles, m'amuser, picoler. J'ai vraiment eu de la chance avec mes oeuvres, vu que je n'avais rien fait pour me retrouver dans un courant artistique et que je n'ai jamais rien théorisé. Je cherchais juste à pouvoir vivre de ce que je faisais, sans chercher à occuper une position intellectuelle qui aurait été en désaccord avec l'implication très terre à terre de mon travail. » Larry Bell.

De l'illusion au volume

Ayant commencé comme peintre, l'artiste sort très vite du « cadre pictural » et privilégie le verre et le miroir par conviction et pour des raisons pratiques, axant ses recherches sur le rapport entre la lumière et la surface. Ces premières toiles intégrant progressivement des éléments en verre et des miroirs remontent à 1960. Dans Conrad Hawk (1961), le regardeur se trouve inclus dans l'œuvre par le biais d'un subtil jeu de reflets. Placé au centre de cette toile d'aspect hard edge, le miroir, tantôt transparent, tantôt réfléchissant, évoluant au gré des déplacements du spectateur, instaure un rapport inusitéà ce dernier, dans la création américaine au tournant des années 1960.

Conrad Hawk (1961).

La perméabilitéà l'enveloppe architecturale est un autre aspect primordial aux yeux de l'artiste, le verre absorbant : « un volume, à l'intérieur d'un volume où l'on peut plonger le regard pour découvrir un autre volume constitué par le mur lui-même. Une illusion de volume est elle-même une limite. L'illusion ne sera jamais que cela : une illusion. J'ai décidé de me détacher du mur, comme dans la peinture, et de créer des volumes qui se définissaient aussi par leur masse et leur poids. Et là, je me suis aperçu que ce travail m'avait fait passer de la peinture d'illusions à la sculpture. J'ai préférééliminer la toile pour créer des volumes en verre. »

Le verre

Viennent ensuite les fameux « cubes » de verre assis sur des socles transparents, emblématique de la démarche de l'artiste. Transparents autant qu'opaques, volumes autant que surfaces, ils abolissent la frontière entre la peinture et la sculpture. Ils jouent des reflets pour nous déstabiliser et chercher de nouvelles perceptions, en dehors du point de fuite unique et de la perspective traditionnelle.

Larry Bell travaille le verre comme un ingénieur. Il utilise d'ailleurs, dans certaines oeuvres, des technologies de revêtement développées dans l'industrie aérospatiale. Au début, l'artiste utilise le verre dépoli et le miroir fabriqués, selon un cahier des charges précis, par une société de Los Angeles.

Sans titre (1969).

Plus tard, il fabriquera lui-même ses verres par l'application de fines couches semi transparentes de métaux comme l'aluminium, le chrome, le rhodium, et le monoxyde de silicium qui, vaporisés, déposent leurs particules sur la surface du verre. Un procédé appelé« métallisation en couche mince ».

« Pour mes premiers cubes, j'ai utilisé des verres du commerce, dont je grattais une partie de la surface réfléchissante. Ensuite, j'ai métallisé le verre pour le rendre réfléchissant des deux côtés. Je me servais d'une ellipse pour produire un effet de basculement : oùétait l'arrière, oùétait l'avant ? Puis j'ai éliminé l'ellipse pour me concentrer exclusivement sur le cube traversé par la lumière. Ce qui m'intéressait avant tout c'était la façon dont les couleurs/lumières se rencontraient aux angles. J'ai alors fabriqué des angles. » Larry Bell.

Angles chromatiques

Les cubes en verre de Larry Bell sont sa marque de fabrique. Un matériau riche en possibilités lui permettant d'expérimenter les qualités réfléchissantes, transparentes et absorbantes inhérentes aux jeux de lumières. Il placera ses cubes sur des socles discontinus, prenant ainsi ses distances avec le minimalisme résolument hostile à cet élément résiduel de la sculpture traditionnelle. Ce ne sont pas les cubes en tant que tels qui intéressent l'artiste, mais bel et bien les jeux de lumières et de couleurs auxquels ceux-ci sont associés. Sa démarche n'est pas réductible à la question de l'objet et à ses spécificités. L'artiste apporte un soin des plus obsessionnels à la finition de ses sculptures ; une méticulosité de l'exécution qui n'a de sens qu'à partir du moment où elle se subordonne pleinement à des données exogènes que l'objet est censé révéler.

« Ce qui me fascinait le plus dans les cubes, c'était le point où les angles se rejoignaient et la façon dont la couleur s'estompait des angles vers le centre du verre. Ainsi, au fil des jours, comme j'examinais mon travail à la recherche de l'étape suivante, je compris que désormais, ce qui m'intéressait absolument, c'était la manière dont les couleurs se rencontraient aux angles. Il était normal que je me débarrasse du format cubique pour ne fabriquer que des grands angles. » Larry Bell.

Apparition et disparition de la figure

Larry Bell passe ensuite à une autre échelle dans des recherches, plus ambitieuses et plus difficiles à concrétiser sur le plan technique. Il réalise alors des installations et des environnements en verre dans l'espace d'exposition pour parfaire les variations lumineuses et chromatiques qui s'offrent au regard du spectateur, qui est lui-même intégré dans ces dispositifs anisotropes.

First and Last (1981-1989).

Les standing walls constituent des installations à la fois fragiles et gracieuses. Elles confrontent le spectateur à des espèces de fenêtres sans cadre qui auraient été dépossédées de leur fonction architectonique. Ces sculptures de verres englobent l'espace de la galerie et engloutissent les visiteurs dans ses multiples facettes qui jouent sur les dégradés chromatiques.

«…Plus la structure était simple, plus je pouvais les agrandir, jusqu'à ce qu'ils englobent la vision périphérique : j'étais finalement parvenu à des compositions à multiples panneaux. La sculpture était vue de l'intérieur, ou plutôt il n'y avait plus d'avant ou d'arrière. » Larry Bell.

Mirages sur papier

Larry Bell ancre son travail dans un champ d'expériences et d'expérimentations quotidiennes et élargit les perspectives en matières de visions, ce qui vaudra à l'artiste d'être qualifié, selon la formule de Peter Frank, de « perceptuel ».

Cette dimension perceptuelle, se retrouve dans ses travaux de collage sur papier. Jouant sur la densité et l'adhérence du dépôt de particules de métal et d'aluminium sur ce support alternatif, l'artiste parvient à provoquer des taux d'absorption variables qui génèrent de multiples phénomènes de réflexion et d'« interférences ». Les effets de lumière sur les particules métalliques créent un effet de draperie comparable aux trompe-l'œil baroque.

Zaragosa (1991).

Quant aux Fractions créées entre 1996 et 2000, elles engendrent à partir de réactions chimiques improvisées des compositions « lyriques » contrastant avec la sobriété, relative et trompeuse, de ses « cubes ».

« Les sculptures de verre réfléchissent la lumière ambiante alors que le papier absorbe énormément de lumière ; il contient en réalité sa propre lumière ambiante. En mettant les mêmes dépôts sur le papier et sur le verre, je me suis rendu compte qu'ils rendaient quelque chose de complètement différent, simplement parce que le papier contient de la lumière. Cela a été une révélation étonnante pour moi, que la qualité de la surface soit un facteur décisif dans l'interaction de la lumière avec cette surface. » Larry Bell.

Evanouissement des formes

Jeux d'ombres et de lumières. Corps évanescents apparaissant et disparaissant dans des fondus chromatiques. Dispositifs panoramiques. Larry Bell vise dans un même mouvement à conjuguer l'absence et la présence par l'intermédiaire du support, de la configuration de l'objet et de la forme obtenue. Voyants ou visibles, les visiteurs sont invités à participer au champ d'expériences illimité concrétisé par l'artiste. Un voyage au delà des apparences qui dévoile mille et une facettes de la réalité perceptible.

A lire :
-Larry Bell par Marie de Brugerolle. Editions Presses du réel/ Carré d'Art de Nîmes (2011)

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

Romain LALIRE

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Comment êtes vous entré dans l'univers de la magie (le déclic) ?

Par le passage commun à beaucoup de magiciens, celui d'une boîte de magie, à l'âge de sept ans ! Bon je sais ce n'est pas très original mais bon... !

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?

Peu de temps après avoir épuisé les ressources quelques peu limitées de ma boite de magie, en investissant dans une cassette disponible dans le commerce : ‘'la magie par les cartes'' de Bernard Bilis, puis j'ai enchaîné avec une cassette de Gérard Majax sur la tricherie aux cartes. Mais c'est avec un livre de magie (trouvé dans le supermarché du coin) que j'ai vraiment pu me mettre au travail : on pouvait trouver à la fin de celui-ci les adresses de magasins de magie... On pouvait donc acheter du matériel de magie ?! Je me suis alors rendu dans plusieurs boutiques Parisiennes où j'ai pu me procurer mon premier ‘'vrai'' tour : la boule volante ! J'ai ensuite acheter bon nombre de tours, avec une petite préférence pour les effets de lévitation, qui représentaient à mes yeux quelque chose qui s'apparentait à de la vraie magie. Puis à l'âge de neuf ans je suis rentré dans le club Robert Houdin de Bourgogne.. Mais j'ai surtout appris seul, avec mes petits livres et mes petites cassettes sous les bras.

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidés. A l'inverse un évènement vous a-t-il freiné ?

Plusieurs magiciens m'ont aidéà entrer dans le monde magique, mais c'est surtout Elysée qui a cru depuis le début en moi et m'a pousséà aller toujours plus loin... C'est par exemple lui qui m'a incitéà me présenter au Diavol. J'avais 15 ans à l'époque. Et pour l'instant, rien ne m'a vraiment freiné... croisons les doigts !

Dans quelles conditions travaillez vous ?

Je résonne plutôt en terme d'images plutôt que de tours : j'essaye de voir quelle image je veux laisser dans l'esprit du spectateur, puis les moyens (magiques ou autres) qui me permettent d'y arriver. Je me mets alors à rêver éveillé de longues heures, (ce qui me pose à longue de petits problèmes au quotidien... ! « Alors Romain, encore dans ta bulle ? ! ») puis j'essaye de retranscrire le fruit de ce voyage vers l'irréel en quelque chose de possible et de réalisable !

Quelles sont les prestations de magiciens qui vous ont marquées ? Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?

Des personnes comme Harry Blackstone qui faisaient voler une ampoule au dessus des spectateurs, ou Fin John qui peut donner vie à une cravate et la faire devenir serpent m'ont beaucoup marquées et influencées étant enfant. David Copperfield a longtemps été un modèle pour moi, tant par ses prestations réglées à la seconde près, que par la qualité de sa gestuelle, de ses effets. C'est un véritable showman qui a fait un grand bien à la magie, dans la lignée de Doug Henning !

Mais je me suis lassé de ce type de magie, et me suis tourné petit à petit vers le mime qui m'a ouvert un univers si riche que ma principale difficultéà présent est de trouver des effets magiques aussi forts que ce que peut apporter le mime, à savoir : toucher les spectateurs. Pour moi, le plus grand magicien Français actuellement n'en est pas vraiment un : Philippe Genty. Ses spectacles, qui mélangent mime, marionnettes, effets visuels et théâtre, nous transportent littéralement dans un autre monde. Il va bien au delà de l'étonnement propre à la magie. C'était ce sentiment que laisse un tour qui me gène, à savoir le ‘'comment faites vous ?''. Le fait que le spectateur se demande comment fonctionne un tour plutôt que de se laisser transporter par dans univers m'a donner envie de travailler ma magie différemment. C'est ce que je développe petit à petit, en travaillant également d'autres supports : la vidéo et la musique m'attirent énormément et pourront m'aider à créer et matérialiser un monde où l'invisible côtoie le visible.

Citez un ou deux tours qui vous viennent à l'esprit comme les plus beaux à regarder, puis les plus beaux à pratiquer.

Le flying à la ‘'sauce'' Cirque Plume, où un musicien s'envole sur une contrebasse, amené si subtilement est certainement un des plus beaux tours pour moi.

Pour ce qui est des tours les plus beaux à pratiquer, le guéridon volant de Dirk Losander est mon tour favori !

Quel conseil ? Quel chemin conseiller à un magicien débutant ?

De trouver sa vraie « personnalité magique », c'est à dire de faire une magie qui lui ressemble. Et aussi de se documenter sur toutes les formes de magie, pour pouvoir créer par la suite ses propres effets.

Et surtout : Ne pas rester enfermé dans le monde magique et s'ouvrir à d'autres formes d'expression, comme la danse, le théâtre, le mime,... pour que la magie devienne elle aussi un moyen d'expression à part entière.

Quel regard portez vous sur la magie actuelle ?

Selon moi nous sommes de plus en plus face à un monde magique à deux visages : d'un coté, et je pense que je ne vais pas me faire beaucoup d'amis (et c'est sans aucune prétention !), j'ai l'impression que beaucoup de personnes de nos jours se disent magiciens, alors qu'en définitive il ne connaissent que quelques tours et osent se présenter au public comme des magiciens expérimentés, avec le plus souvent un égo surdimensionné. Mais heureusement ce n'est qu'une partie du visage... ! De l'autre coté nous trouvons de vrais professionnels... Norbert Ferré, Laurent Berreta, Jean Philippe Loupi, Elisabeth Amato, Bertrand Crimet, Carmelo... sont des personnes que je respecte énormément. Et j'en oublie !

Quelle est l'importance de la culture dans l'approche de la magie ?

Elle est d'une importance capitale car c'est ce qui va permettre d'enrichir chaque effet, chaque mise en scène, chaque personnage, de créer et de développer l'imaginaire.

Vos hobbies en dehors de la magie ?

Le mime, mais ça je pense que vous l'aurez compris ! La musique (je vais me remettre dès que pourrai à l'accordéon) mais aussi le montage vidéo. Et bien sûr aller voir le maximum de spectacles !

- Interview réalisée en juin 2007.

A lire :
- Le compte-rendu de son spectacle "Parcours libre".

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L'ILLUSIONNISTE DE TATI / CHOMET

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Sylvain Chomet est un artiste à part dans la production ultra standardisée de l'animation. Après des débuts dans la bande dessinée, il réalise un premier court-métrage La vieille dame et les pigeons en 1996 qui est salué par la critique. En 2003, il signe son premier long-métrage avec Les triplettes de Belleville, une histoire musicale presque sans paroles, un ovni inclassable à l'ambiance rétro jazz. C'est un premier coup de maître pour Chomet qui brave la mode des créatures en 3D style Pixar.

« Avec Les triplettes de Belleville, je voulais prouver aux producteurs qu'on pouvait faire des dessins animés tous publics, que les adultes pouvaient aimer. Ca a marché. » S.Chomet

Exilé en Ecosse dans ses nouveaux studios, Sylvain Chomet y peaufine son nouveau film, basé sur un script inachevé de Jacques Tati. Après sept années de préparation, L'illusionniste sort de l'ombre en 2010.

L'ombre de Tati

Dès le début, l'univers de Chomet fut hanté par la présence de Jacques Tati. Une manière décalée de voir et d'appréhender le monde. C'est la fille de Tati, Sophie Tatischeff, qui confie personnellement le scénario inachevé de L'illusionnisteà Chomet. Tati a écrit ce manuscrit entre 1956 et 1959, comme une lettre personnelle à sa fille aliénée. L'histoire de Tatischeff, un magicien sur le déclin toujours entre deux théâtres miteux, qui rencontre une jeune fille candide qui va changer sa vie.

Pour la petite histoire, l'accessoiriste et magicien André Delepierre dit Pierdel raconte dans son livre La magie du petit homme vert, une anecdote sur L'illusionniste. Employé par Tati sur le tournage de Jour de fête puis sur les vacances de Monsieur Hulot, Pierdel sait que le réalisateur prépare un nouveau projet dont le sujet est la magie. Ce « Tati n°4 » fini par s'intituler L'illusionniste. Tati demande un temps d'apprendre quelques tours de magie dans l'idée d'interpréter le rôle titre, mais celui çi abandonne l'idée et indique à Pierdel qu'il sera la prochaine vedette de son film. Il va sans dire que plus les années passèrent et plus le projet s'éloigna d'une hypothétique réalisation, jusqu'à finir dans un carton.

Tati dans Playtime en 1967.

Sylvain Chomet, s'est emparé de ce conte mélancolique, de cette histoire simple et belle qu'il a transposé dans son Ecosse d'adoption. Le personnage principal de cette histoire porte les traits de Jacques Tati. Un taiseux lunaire à la Hulot.

«L'illusionniste est plus Jacques Tatischeff que Monsieur Hulot. Il est habillé avec élégance comme l'était Tati dans la vie. La tête qui part, le corps qui ne suit pas, ou l'inverse… Je le vois comme une espèce de poule géante. » S.Chomet

La fin d'une époque

À la fin des années 1950, une révolution agite l'univers du music-hall avec l'arrivée du Rock. Très vite, les numéros traditionnels sont jugés démodés. Acrobates, jongleurs, ventriloques et magiciens constatent alors violemment qu'ils appartiennent désormais à une catégorie d'artistes en voie de disparition.

Chomet conte l'exode de son personnage principal. Les propositions de contrats se faisant de plus en plus rares, le héros de l'illusionniste est contraint de quitter les grandes salles parisiennes et part avec son lapin tenter sa chance à Londres. Mais la situation est la même au Royaume-Uni : il se résigne alors à se produire dans des petits théâtres, des garden-party, des cafés, puis dans le pub d'un village de la côte ouest de l'Écosse, où il rencontre Alice…

Une fois son contrat terminé, l'illusionniste va tenter sa chance dans la capitale écossaise d'Edinburgh. Il se rend compte que la jeune fille la suivit et font alors ménage à deux. Le travail y est encore plus sommaire qu'ailleurs et l'illusionniste est contrait d'accepter d'autres jobs comme de travailler de nuit dans un garage ou de se produire dans les vitrines d'un grand magasin pour vanter des dessous féminins ! Rabaissé, touché dans son amour propre, à l'image de ces autres artistes qui n'ont plus de travail et finissent à la rue, Tatischeff se résilie à quitter l'Ecosse et à abandonner Alice aux « délices » diaboliques de la société de consommation naissante.

« Ce monde du music-hall qui disparaît et que l'on dit perdu au moment où le rock émerge, nous l'évoquons avec une technologie dont certains prédisent la disparition : le dessin à la main. Mais les choses changent, elles ne disparaissent jamais complètement. » S.Chomet

Un conte grave et délicat

L'illusionniste est avant tout un conte pour adulte. Un drame sur la filiation qui évoque la fin d'une époque et le début d'une autre, le passage de l'adolescence à l'âge adulte, de l'innocence à la raison et de l'espoir à la résiliation.

Le scénario de Tati s'avère autobiographique puisqu'il raconte la gravité de la solitude et des doutes de l'artiste face à un public qui change de génération et de goût. Jacques Tati connu semblables émotions quand il mit en route son chef-d'œuvre Playtime qui l'amena au bord de la ruine.

Loin de tout effets spectaculaires, L'illusionniste conte la rencontre entre deux êtres que tout sépare. Le vieux magicien français est en fin de carrière et appartient à la vieille génération, tandis qu'Alice est une jeune adolescente écossaise innocente, attirée par les lumières de la ville moderne. De ce choc des générations, Chomet orchestre son film en micro événements. A première vue, rien ne se passe et l'ennui peut guetter le spectateur. Mais dès que l'on y regarde de plus prêt, le cinéaste organise sa trame dramatique à l'intérieur de chaque plan qu'il compose comme un orfèvre. Car l'action est là, à l'intérieur des saynètes minutieusement organisées comme une pièce de théâtre. La précision des gestes, des gags et la finesse des caricatures font des miracles. Chomet distille son art comme un illusionniste, d'une manière invisible mais terriblement élégante pour qui sait le voir !

« La caméra ne bouge pas et reste en plan large comme dans les films de Tati, un peu éloignée, un peu comme si on regardait une scène. On voit les personnages des pieds à la tête. » S.Chomet

Les changements imperceptibles qui vont s'opérer pour les deux protagonistes sont le reflet du cadre dans lequel ils évoluent. En choisissant les paysages d'Ecosse et la ville d'Edinburgh, Chomet a inscrit son film dans un espace temps empreint de magie où les choses ne semblent pas être ce qu'elles sont, où les décors apparaissent comme des choses-trappes.

La ville d'Edinburgh offre, elle-même, un double visage : une partie ancienne, The Old Town qui montre les traces d'un passé glorieux dont le château en est le symbole et une ville nouvelle néoclassique, qui abrite des magasins de shopping. Le voisinage de ces deux ensembles urbains confère au film l'opposition entre le monde passé et le monde à venir, entre la tradition et la modernité.

« L'Ecosse est un pays magique. La lumière y change constamment. Je voulais qu'il y ait une étrangeté dans le film, la sensation du temps qui passe…» S.Chomet

Chomet maîtrise également l'art du caricaturiste. La capacité de saisir en deux coups de crayon la spécificité d'un personnage. Tous ses seconds rôles sont formidablement bien croqués : la chanteuse de cabaret façon Cruella d'enfer, l'ami écossai porté sur la bouteille, le clown suicidaire, le ventriloque schizophrène, ou le trio d'acrobates façon Rodriguez.

L'illusionniste est quasiment muet comme l'était Les triplettes de Belleville. Les images sont plus fortes que les dialogues à l'image du cinéma muet ayant tout inventé avant l'arrivé du parlant. Chomet croit à la force primitive des images dont le cinéma de Jacques Tati est le reflet. Comme chez l'auteur de Playtime, Chomet mise sur la précision du trait, à la limite de la caricature. Il construit des saynètes tragi-comiques qui renvoient à l'univers burlesque de Tati et fait de la bande-son le moteur de l'action.

« C'est un film musical dont j'ai écrit les morceaux. Et comme les personnages ne se comprennent pas, on tente d'expliquer leurs émotions avec la musique qui devient leur langage. » S.Chomet

La fin des illusions

L'illusionniste est triste, beau et mélancolique. Pudique dans sa façon d'aborder les sentiments, et réaliste dans sa façon de dépeindre un monde qui va bientôt disparaître. Une œuvre douce-amère qui fait le deuil du monde de l'enfance et de ses illusions. Après tout, les magiciens n'existent pas. Peut-être que la vraie magie se cache dans la relation que l'on entretient avec les autres : savoir partager un moment privilégié, fut-il éphémère ?

A voir :
- DVD L'illusionniste de Sylvain Chomet (Pathé Distribution, 2010).

A lire :
- Jacques Tati par Michel Chion (Editions Cahiers du cinéma, 1987).
- Jacques Tati par Jean-Philippe Guérand. Sa vie et sa carrière (Editions Gallimard, 2007).
-La magie du petit homme vert d'André Pierdel. Chapitres 1, 2, 4 et 6 concernant sa collaboration avec Jacques Tati (Auto édition, 2009).

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Ludor CITRIK / Qui sommes-je ?

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C'est le retour du « grand méchant clown », éternel provocateur et trublion de l'art clownesque. Cédric Paga fait un come back fracassant avec sa nouvelle création Qui sommes-Je ? - sous titrée Archéologie du devenir - créé en février 2012 au Prato à Lille. Il invite le spectateur à assister à la naissance d'un clown, à son éducation sociale et morale au travers d'expériences troublantes et extrêmes.

Note d'intention

L'idée est d'interroger non plus le savoir faire mais le savoir être, savoir au sens de saveur. Réduire, décroître, revenir à l'essentiel, aux phénomènes. L'envie d'explorer l'ontogenèse avec le clown a mûri, comme le désir de lui faire visiter les grandes étapes de notre développement, le zoo de notre humanité bruyante.

La scénographie

C'est dans l'agréable jardin de l'Arquebuse de Dijon que le chapiteau de l'association CirQ'ônflex s'est installé pour une semaine, le temps de son festival circassien annuel Prise de CirQ' (la 5ème édition). L'accueil est sympathique, mais l'assise est abominable ! A peine le spectacle commencé que l'on a déjà mal aux fesses, aux jambes et au dos : une ergonomie parfaite… Nous prendrons notre mal en patience en examinant la scène.

Le plateau est délimité par du scotch blanc comme pour un terrain de jeu, sauf qu'ici, il s'agit plutôt d'une sorte de prison ou d'hôpital psychiatrique. Trois formes géométriques sont disposées à l'intérieur, en diagonal, représentant : un cercle, une croix et deux lignes parallèles. Au fond, à cour, descend une grande bâche en plastique transparent.

Les sept étapes de la structure narrative

Le spectacle est construit sur le modèle de toute construction morale établie suivant les codes séculaires de la société.

- La naissance
- L'apparition du référent-formateur-éducateur
- L'évolution du quatre pattes ; les limites du territoire
- La bipédie
- L'habit sociétal et les règles sociales
- L'essai de normalisation
- L'émancipation ou la conformation ?

1- La naissance

Une silhouette nue apparaît derrière la bâche en plastique. Elle respire fort et finit par tomber au sol. On découvre Ludor Citrik qui s'extirpe du plastique comme d'une chrysalide. Il scrute, à son orteil, une étiquette (comme à la morgue) avec écrit dessus « Inconnu ». A peine est-il né qu'il est déjà un clown abandonné, un Auguste sans identité.

2- L'apparition du référent-formateur-éducateur

Arrive l'éducateur sous les traits de Monsieur Loyal, costume gris et maquillage sombre derrière une paire de lunettes sans verres. Il place dans la bouche du clown une tétine en forme de faux nez renversé. Sous couvert de la bâche, le clown enfile une couche culotte. Il est prêt à subir toute une série de tests que l'on réserve aux nouveaux nés : mesure de la taille, examen de la bouche, des oreilles, etc.

Ludor Citrik est perdu et lance : « Où sont mes affaires ? Est-ce que je vais bientôt pouvoir sortir ? ».

3- L'évolution du quatre pattes ; les limites du territoire

Une fois le monsieur Loyal sorti, le clown examine l'espace. Il donne à manger (avec les poils de son torse) au pied mesureur qu'il prend pour un animal, puis courre autour du plateau en demandant « pourquoi il y a ça ? », désignant la délimitation au scotch…« C'est une frontière ? »

4- La bipédie et l'expérience du miroir

Il s'arrête tout à coup, dos au public, devant un miroir qui est placé sur son chemin par l'éducateur. Attiré par son double, Ludor Citrik lui parle : « Oh, mais t'es un vrai clown ! Montre moi ce que tu sais faire. » Il danse alors façon break dance devant la glace.

« Tu crains les chatouilles ? Mais on dirait que tu es enfermé…. Je vais t'aider à sortir… Regarde, on dirait que ça se décolle un peu (en essayant de soulever le bord de la glace). Va-y passe, qu'est-ce que tu fous ?... »

Puis, le clown s'aperçoit que son double n'est pas tout seul et qu'il y a des gens derrière lui. Il hurle : « Est-ce que vous arrivez à me voir ? Faites un signe. Je suis là pour vous aider. Vous aussi vous êtes prisonnier ? Il nous faudrait des outils pour sortir… un pied de biche par exemple…»

Cette séquence du miroir renverse subtilement la schizophrénie du clown et nous renvoie à notre propre folie. Le dispositif scénique marche à merveille. Dans une posture antithéâtrale, constamment dos au public, Ludor Citrik joue avec son image et la notre par transposition.

5- Les règles sociales et l'habit sociétal

L'éducateur revient et le clown essaye de se cacher derrière le pied mesureur qu'il prend pour une autruche ! Il se sent, d'un coup, fatigué et régresse petit à petit de la position debout à quatre pattes pour refaire le tour avec le monsieur Loyal tel un bébé.

Il essaye de se relever et crispe ses muscles qui se sont ramollis en rentrant le ventre comme un athlète.

L'éducateur lui demande de venir vers lui en faisant attention de ne pas dépasser « la ligne de discrétion ». « Bonjour, quelle est la formule ad hoc pour avoir ce gâteau ? », « J'ai faim Tintin ! » répond le clown. « Manifestez votre gratitude et vous aurez de quoi manger. » Ludor s'exécute comme un syndicaliste et obtient sa récompense.

Il commence à manger son biscuit en attaquant tous les côtés et le casse involontairement. Dépité, il essaye de recoller les morceaux, mais le casse encore un peu plus en multiples petits bouts qu'il distribue devant lui. Il effrite ensuite le tout et le met dans sa couche culotte, vidée de son coton. Il produit ensuite de la neige avec les cotons et fait une bataille de « boules de neige » avec le public dans la salle. Ludor continue de délirer avec tout son fatras, qui devient un amas de saleté, en se confectionnant une barbe avec le coton de sa couche.

L'éducateur revient vers lui et lui dit « MAL ! ». Il lui tape sur la main et lui remet sa tétine dans la bouche. Il lui donne ensuite la fessée, fesses à l'air ! Il l'enferme ensuite dans « un placard » symbolisé et délimité par un scotch dans un coin de l'espace. Après les excuses du clown, l'éducateur le libère et lui enfile une robe blanche.

Ludor ne se sent pas à l'aise avec cet « habit sociétal » et essaye de le retirer. Finalement il le garde et prend l'attitude d'une jeune femme, faisant semblant de marcher avec des talons (invisibles) et se déhanchant devant le miroir en parlant à son nouveau double : « Qu'est-ce que tu fais là ma cocotte, on dirait un sac à patates ! Ca, ça ne se fait plus ! » (en parlant des poils sous les bras et de la couche culotte)

Mettant sa couche, façon string, Ludor se dandine et « drague » son double en lui faisant des bisous, jusqu'à ce que le miroir lui tombe dessus et qu'il s'aperçoit qu' « elle » n'est pas seule et que le public regarde ses ébats. Un renversement de situation troublant et presque gênant où le clown nous pousse à abuser de notre position de voyeur.

6- L'essai de normalisation

L'éducateur revient sur scène et invite le clown à prendre place dans le cercle dessiné au sol, en lui demandant comment il se sent ? Ludor répond qu'il se sent mal, comme pris en otage. « Avez-vous penséà une reconversion ? » lui demande l'éducateur. Ludor y a songé, mais continue de « faire le mariole » et à aimer le vaudeville, la farce, la comédie.

Pour démontrer son talent comique, il enchaîne une série de gags bidons avec son référent : coup du pistolet « BANG », lacet défait et coup de pied au derrière, coup de la main « chaude » que l'éducateur va se « manger », etc.

Ludor sort du cercle en arrachant un bout de scotch et va se recoucher sous sa bâche en plastique. Il se coiffe d'un chapeau pointu (le cornet de l'éducateur) et endosse le rôle du mime. « Ca sent le vieux mime, euh, le mim…osa, je veux dire ».

Place aux pantomimes d'une mièvrerie rare et d'une poésie désuète convoquant gwendoline.

« Où est le clown ? » se demande Ludor Citrik, en se positionnant devant le miroir. Il prend alors la place de l'éducateur, parti en coulisse, et se sert du chapeau pointu comme un biberon et un cornet à frites. Le clown veut rejoindre le public en soulevant un bout de scotch blanc du plateau et en passant la tête dessous, il dit : « sale traître, tu es un public ! » (frissons dans la salle). L'éducateur le saisit et l'étouffe avec la bâche plastique. Le clown s'évanouit.

7- L'émancipation ou la conformation ?

Ludor revient à lui comme s'il s'était réveillé après un long sommeil : « j'ai fait un rêve atroce…» dit-il.

Les actions du début reprennent : reconnaissance de l'espace, mesures, les limites du territoire, etc. Le clown fait « un tour de piste » et veut casser la routine, faire des trucs nouveaux : plonger à terre comme dans l'eau, improviser une danse africaine, nager au dessus d'un miroir placéà l'horizontal (illusion du corps en lévitation), descendre à la cave derrière le miroir, faire du cerceau autour du cercle blanc dessiné au sol, etc.

Notre clown a des angoisses et pour se venger, il veut préparer une surprise à son éducateur, mais celui-ci le brime direct. Il lui présente une bouteille et lui demande la formule ad hoc pour l'avoir : « je peux travailler au noir pour vous, récolter du coton, faire de l'animation dans vos soirées de famille, faire le paillasson…» dit Ludor.

« Comment vous sentez-vous ? » lui demande l'éducateur. « Bien, fort, la pêche, la niaque, au poil ! » répond Ludor.

« Avez-vous songéà un changement de registre ? Comme faire un truc plein de pathos ! » Ludor se lance alors dans un monologue surréaliste à toute vitesse qui se finit par le mot « PROUT » : Même dans un « contexte » sérieux, il ne peut pas s'empêcher de faire des blagues.

L'éducateur le provoque en le traitant de minable et en lui ordonnant d'enlever le sourire de sa bouche. En s'adressant au public : « Regarde moi cette bande de baba cool, ils disent que tu es un puceau, que tu es vulgaire ! »

Pris d'une soudaine autorité, très remonté et furieux, Ludor Citrik, interpelle le public : « Tu files un mauvais coton, tu restes assis toute la journée. C'est ça la France qui se lève ? Alors maintenant tu te calmes ! »

L'éducateur le fait applaudir pour sa performance convaincante. C'est alors que le clown soulève à nouveau le ruban et passe en dessous, en invitant le public à le tirer vers lui. L'éducateur le rattrape in extremis et lui passe une laisse autour du cou (en forme de scotch blanc). Le clown se métamorphose alors en chien enragé prêt à sauter sur le public. L'éducateur le promène dans la salle au milieu des spectateurs, peu rassurés !

Ludor s'assoie dans les gradins au milieu des gens, partagé entre les bonnes manières (faire le beau, le gentil toutou) : « C'est merveilleux ce spectacle ; généralement je ne sors jamais en semaine, mais là ! Par contre on est mal assis…» et l'envie de tout déchirer, d'envoyer valser les conventions : « Ca sent la bourgeoise, la prépubère. Tu te sens protégé là ? » dit-il à certains spectateurs.

Tout à coup, la laisse se rompt et Ludor s'échappe, lâché dans la salle, à la stupeur générale. Le public ne sait pas à quoi s'attendre et est dans l'expectative d'incidents à venir. Le clown ne tarde pas à tenir des propos violents envers les gens : « Salut les glands, je suis de retour, […] je vais te bouffer la gueule ! »

L'éducateur le rattrape et le musèle : « Vilain chien, à la niche et plus vite que ça ! Qu'est ce qui t'es arrivé ? Et si tout le monde faisait comme toi ? » (Sifflets de spectateurs dans la salle pour signifier une rébellion). L'éducateur lui arrache sa perruque-serpillère et lui présente le « scalpe de la honte ».

Comme pour signifier la fin de sa mise à l'épreuve, l'éducateur prend dans ses bras Ludor et le félicite sur le formidable travail qu'il a effectué pour arriver à la « normalité». Il lui arrache alors son nez de clown et le place dans un bocal : « Ca dégage ! » Il enlève ensuite un morceau de scotch pour faire sortir le clown de sa prison : « C'est l'heure de ton entrée ! »

« C'est lugubre ici, ça veut dire que c'est la fin ? C'est pourri. » Ludor pointe un pistolet sur l'éducateur, tire et l'homme tombe à terre, raide mort. Des nez de clown, par centaine, tombent sur la scène. Le clown se défait de sa couche culotte qu'il abandonne sur le corps inanimé et se fait applaudir par le public avant de partir, tout nu, dans les coulisses.

Jouer avec les codes

Depuis l'aube des années 2000, Cédric Paga remet constamment en jeu les stéréotypes du clown, ses codes, ses conventions, ses figures. Il tort le cou à la prétendue tradition circassienne pour revenir aux sources même de la figure clownesque par un processus de re-création, de re-naissance. Dans Qui sommes-je ?, il se met au monde, une nouvelle fois, en tant qu'artiste. Un accouchement comme une interrogation sur ses origines et son devenir de clown.

Ce clown qui est le reflet du double, une image déformée de soi-même, un peu schizophrène, qui renvoie à sa propre personne, comme l'indique le double sens du titre jouant sur la confusion du singulier et du pluriel : Qui sommes-je ? Dans ce processus, l'artiste et les spectateurs sont convoqués ensemble. Plus le spectacle avance et plus ces deux entités ne font plus qu'une. C'est la fusion par l'identification et le transfert qui à jouer à fond.

« On cherche son clown, comme une part de fantaisie et d'affectivité qui serait tapie dans l'ombre et qui surgirait dans une image améliorée de nous-mêmes. Je veux dans cette création inverser les rapports, puisque c'est le clown qui, ici, va chercher son humain dans la nécessité de l'immédiat ». Cédric Paga

Sans le public l'artiste n'est rien, il n'existe pas. Ludor Citrik se nourrit de l'expérience collective comme d'un carburant vital ; c'est le moteur de sa dramaturgie. Constamment en interaction avec la salle, le clown tire son incroyable énergie provocatrice de cette confrontation intime et intrusive. Oser bousculer l'auditoire, le considérer comme un seul homme (en le tutoyant) et le pousser dans ces retranchements pour mieux l'apprivoiser, tel un animal à l'instinct. L'INSTINCT, définit bien le travail de Cédric Paga qui, à l'image de sa « transformation » en chien fou, prend à partie le public et expérimente au corps à corps les frontières de l'intime.

Personne ne sort intact d'un spectacle de Ludor Citrik. En nous questionnant constamment, en nous mettant volontairement dans des situations mal à l'aise, il nous force à réagir, à s'interroger sur notre libre arbitre, notre pouvoir de décision, notre jugement face à la convention.

A lire :
- Son spectacle Je ne suis pas un numéro.

Crédit photos : Sileks. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Dictionnaire Philosophico-Magique (C-D)

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Cabale, s. f. — Art chimérique de converser avec les esprits. Association ou entente de camarades pour faire réussir un collègue, ou, au besoin, le faire tomber.

Cabinet, s. m. — En magie, petite construction légère, qu'on établit sur la scène pour empêcher le spectateur de voir ce qu'on est en train de lui montrer.

Cachotterie, s. t. — Nécessité professionnelle.

Cafetière, s. f. — Ustensile de ménage servant aussi à faire des tours, et qu'on se paye réciproquement à peu de frais.

Cage, s. f. — Instrument très employé en magie et comportant généralement la présence d'un serin…à l'intérieur, bien entendu.

Caisse, s. f. — Voyez : Coffre-fort.

Calendrier, s. m. — Tableau indicateur des jours de l'année. Tour de mémoire présenté par quelques rares prestidigitateurs. Ce mot est sans connexité avec l'industrie algérienne de la culture des dattes.

Camelot, s. m. — Virtuose du boniment.

Candeur, s. f. — Pureté d'âme, innocence. Peu pratiquée dans la corporation.

Capital, s. m. — Grosse somme d'argent. Voyez : Chimère.

Cartes, s. f. — Petites images coloriées et cartonnées inventées au XVème siècle, sous Charles VII, pour permettre à la gracieuse Odette de Champdivers de montrer son habiletéà retourner le roi, dont la cervelle était un peu hors d'équerre. Professionnellement, les cartes servent surtout à faire d'admirables tours que presque tous les prestidigitateurs connaissent excessivement bien... en théorie.

Cartomancien(ne)— Celui ou celle qui fait de la divination par les cartes et s'en sert pour prédire l'avenir. Voyez : fumiste.

Causerie, s. f. — Voyez : Bavardage.

Cénacle, n. m. — du latin cenaculum, la cène ; littéralement : « salle à manger » style biblique ®. Au figuré : réunion de gens qui professent les mêmes opinions et partagent les mêmes idées, tels que : députés, prestidigitateurs, etc.

Chandelle, s. f. — Voyez : Bougie.

Change, s. m. — Opération qui consiste à substituer « habilement » un objet à un autre pour bien démontrer que c'est toujours le même.

Charlatan, s. m. — Voyez : Astrologue, Banquiste, Spirite, Sorcier, etc.

Charme, s. m. — Couche de Ripolin qu'il faut savoir passer sur les expériences.

Chasse, s. f. — Mot qui fait partie du titre d'une expérience dite : chasse aux pièces, qui consiste à recueillir des pièces de monnaie dans l'espace. En public, cette chasse est toujours fructueuse. Dans la vie privée, c'est quelquefois : la chasse à court.

Cheveu, n. m. — Collaborateur clandestin.

Chiromancien(ne), s. — Joueurs de paume... de la main, dans l'intérieur de laquelle ils prétendent lire. Industrie d'ordre un peu spécial et varié. Quelques-uns cumulent sans vergogne cette mystérieuse profession avec celle évidemment moins élevée et beaucoup plus terre-à-terre de pédicure. Ce sont alors des gens qui font des pieds et des mains pour gagner leur vie.

Chimère, s. f. — Voyez : Capital.

Collègue, s. m. — Qui exerce la même profession, le même art ou métier, comme magicien, illusionniste, escamoteur, etc. Ce mot est toujours précédé de l'adjectif « cher » qui, d'ailleurs, n'en augmente nullement la valeur.

Contenant, s. m. — Partie contenante qui, logiquement, est d'une capacité plus grande que la partie contenue. En magie, c'est le contraire. Il est couramment démontré que la capacité du contenu est supérieure a celle du contenant, et quelquefois même à celle de l'opérateur.

Convexe, ad. q. — Celui à qui, au cours d'une expérience, on fait une mauvaise blague.

Coquille, s. f. — Accessoire précieux qui n'a pas été inventée par une huître.

Cotisation, s. f. — Petite somme modique et mensuelle constituant la part personnelle et contributive des membres d'une société, auxquels on parvient à la faire verser en insistant un peu, et que d'autres ne versent jamais, même en insistant beaucoup.

Couronne, s. f. — Objet circulaire, glorificateur et sans importance que les monarques se mettent sur la tête et que les artistes accrochent à celle de leur lit.

Crâne, s. m. — Boîte à trucs.

Crétin, s. m. — Genre d'individus très nombreux sur terre, excepté dans la corporation qui n'en compte que très peu.

Critique, n. f. — Travail facile à faire chez soi.

Cube, n. m. — Voyez : Boules.

Culminant, adj — Un point. C'est tout. La question est de l'atteindre.

Culot, s. m. — Expression argotique synonyme de hardiesse effrontée. Base fondamentale du talent des astrologues, spirites, sorciers, marchands de talismans et autres chevaliers de l'industrie magique.

D

Déballer, v. tr. — Sortir ses trucs de la boîte et étaler son fourbi pour commencer le turbin, comme dirait notre ami F...

Débinage, s. m. — Fabriquer des secrets de Polichinelle. Genre de talent de ceux qui n'en ont pas. Suicide professionnel.

Débuter, v. int. — Commencer. Faire faire les premiers pas à ses mains. Entrer dans la carrière sans attendre que les aînés n'y soient plus.

Décapité, v. tr. — Expérience nouvelle qui date de la plus haute antiquité et au cours de laquelle celui à qui on coupe la tête se paye celle du public.

Défaut, s. m. — Ce qu'aucun de nous ne possède, mais dont les autres sont abondamment pourvus.

Devin, s m. — Vendeur de bonne aventure, Marchand, devin.

Dextérité, s. f. — Qualité manipulatoire très utile aux prestidigitateurs et que quelques- uns possèdent.

Diable, s. m. — Epouvantail de lanterne magique.

Diction, s. f. — Art de parler distinctement. Très recommandéà quelques adeptes.

Dictionnaire, s. m. — Recueil de bons mots, et même de mauvais.

Disparition, s. f. — Opération qu'il faut « ne pas voir » pour l'applaudir. Drapeau, s. m. Bannière, étendard, emblème. En magie, le tour des drapeaux est la plus puissante expression de la production et de la distribution. Plusieurs artistes ont atteint, dans ce genre, une maîtrise qu'il convient de louer. Au figuré, le drapeau de la prestidigitation est un emblème que chacun s'efforce généreusement de tenir haut et ferme. Quelques autres, moins convaincus peut-être, se contentent d'en planter un par-ci par-là, pour ne pas avoir l'air de se désintéresser complètement de la question.

Dupe, s. f. — Client normal et habituel des occultistes et autres attrape-nigauds. Après l'occultiste, peut être aussi client de l'oculiste, pour cause de courte vue.

E. Raynaly

A lire :
-La suite (E-M)


JE BRASSE DE L'AIR / Magali ROUSSEAU

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Performance mécanisée de Magali Rousseau. Mise en scène de Camille Trouvé.

C'est une sorte de performance conçue, écrite, construite et interprétée par Magali Rousseau, issue, il y a quelques années, de l'Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. Soit un parcours sur la scène du Grand Parquet en 45 minutes, parmi une dizaine d'objets/ovni/machines/robots (on choisira le terme le plus convenable) mus par des moteurs télécommandés, ou plus simplement par une manivelle à main qui régit un système de poulies sophistiqué, par l'air, l'eau, voire par la vapeur. Avec accompagnement à la clarinette par Julien Joubert qui est aussi aux commandes du son et de la lumière.

C'est Magali Rousseau qui sert de guide et qui manipule ces machines, à la fois fragiles et impressionnantes. Toutes très bien réalisées, elles ne sont pas évidemment de la même efficacité visuelle mais la plus poétique est, comment dire les choses sans risque d'erreur, une bougie qu'elle fait déplacer sur un ruban qu'elle actionne grâce à une manivelle, et qui projette sa lumière sur un long fil de fer tordu, dont l'ombre projetée sur un écran révèle alors une phrase poétique. Soit une très belle création plastique qui rappelle celles de Christian Boltanski, et qu'un musée d'art contemporain français ferait bien de vite acheter, avant qu'elle ne soit achetée ailleurs …

Il y a aussi dans cet espace silencieux, juste soutenu par le son de la clarinette et comme hors du temps, un balancier à deux boules de cuivre qui va tourner lentement sur un axe ; ces boules de cuivre contenant de l'eau qui va être transformée en vapeur par la chaleur d'une mini-bougie suspendue en dessous, vapeur qui mettra en marche cette curieuse machine que Léonard de Vinci n'aurait peut-être pas désavouée.

Magali Rousseau nous emmène parmi ces machines/sculptures comme un sculpteur qui ferait visiter son atelier, en nous racontant l'histoire de sa famille. Mais mieux vaut oublier un texte qui n'est pas vraiment à la hauteur de cette promenade poétique, comme ce costume vraiment très laid : robe sans manches, mal coupée, collant bleu avec bottines à lacets… Mis à part ces petites réserves, cette création de la compagnie des Anges au plafond, mérite le détour.

- Source : Le Théâtre du Blog.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

NIGHT OF THE DEMON

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Temps de lecture : 19 min

Le cinéma fantastique des années 1940-1950 abonde en films incluant le thème de l'hypnose, celui-ci étant souvent associé au domaine du paranormal et du surnaturel. Clairement référée aux sciences occultes, à l'irrationnel et à la superstition, l'hypnose offre alors l'occasion de débattre de thèmes voisins, comme le mysticisme, la magie, la sorcellerie ou le spiritisme. L'enjeu consiste très souvent à mettre en scène des personnages de scientifiques ou de médecins imbus de rationalité et qui vont être appelés à se prononcer sur des faits déconcertants que la logique ordinaire ne parvient pas à justifier. Commence alors une investigation qui les mènera à réviser leur jugement, la confrontation personnelle avec l'inconcevable débouchant sur une réhabilitation de la parapsychologie dans l'ordre du possible – certains de ces films proposant ainsi au spectateur d'abandonner pour un temps son sens commun pour accueillir d'autres horizons de pensée.

C'est le cas de Night of the Demon, réalisé par Jacques Tourneur en 1957 (film basé sur une nouvelle de Montague Rhodes James, « Casting the Runes » et adaptée par Charles Bennet et Hal E. Chester, non sans certains conflits avec Tourneur qui souhaitait maintenir le monstre hors-champ, conformément à la source littéraire), un film donc qui oppose deux scientifiques, l'un pratiquant les sciences occultes (dont l'hypnose), le Dr. Julian Karswell, l'autre, le Dr. John Holden, parcourant le monde pour tenir des conférences destinées à démontrer le caractère discutable de la démonologie et autres charlataneries. On confronte donc deux protagonistes, l'un croyant, l'autre sceptique, cette division classique dans l'histoire de l'hypnose permettant de mettre dos à dos ceux qui considèrent l'hypnose comme un état avéré scientifiquement – et, partant, l'hypnotisme comme une science du psychisme recevable –, et les autres qui doutent de la réalité de phénomènes attribués uniquement à la simulation, à la fraude ou à la prestidigitation. Le débat contradictoire s'articule invariablement autour de cet affrontement entre superstition et rationalité, les uns voulant prouver aux autres qu'il existe, au-delà du monde tangible, des forces supérieures qui surpassent l'expérience quotidienne.

Scepticisme vs croyance

Le film débute avec l'arrivée du célèbre psychologue, le Dr. John Holden, à Londres – la Grande-Bretagne représentant, dans l'imaginaire collectif, le pays par excellence des superstitions – où il a été invitéà intervenir en tant que conférencier dans le cadre d'un congrès de psychologie paranormale. Les discussions menées entre les différents participants consistent à se demander si les visions qu'ont eu les membres d'une secte adorant un démon sanguinaire (désigné du nom de Dieu du Mal) doivent être attribuées au registre du surnaturel ou simplement à l'hypersensibilité de sujets soumis à l'influence d'une suggestion collective transmise via hypnose. Adoptant d'emblée une opinion très critique, Holden va, au cours de l'intrigue, progressivement assouplir son cartésianisme foncier au profit d'une ouverture d'esprit prête à intégrer des questions de nature métaphysique.

C'est notamment le contact avec son adversaire principal, l'énigmatique Dr. Karswell, qui favorisera la relativisation de cette froideur scientifique fondée sur un à priori aporétique. Accusé de mener des cultes sataniques au sein de cette même société secrète dominée par une créature diabolique qui assassine tous ceux qui s'écartent de la croyance (et qui sont désignés par une sorte de parchemin portant des inscriptions runiques les condamnant à mort), Karswell incarne le prototype du scientifique frauduleux et machiavélique : doté d'un physique inquiétant mais non dénué d'un certain charisme, il porte un nom rappelant la tradition des spectacles d'hypnotisme forains, ses capacités prémonitoires et télépathiques achevant de compléter la surnature d'une personnalité tonitruante. Cultivé et plein d'esprit, il va tenter de convaincre son controverseur le Dr. Holden de l'impossibilité d'échapper à la transcendance qui préside à toute destinée humaine.

Pour y parvenir, Karswell entretient savamment le trouble chez son interlocuteur, comme à l'occasion d'un tour de magie qui vire au théorème sur la suprématie de la psychomancie. Au travers de son double occasionnel – le Dr. Bobo – Karswell se glisse le temps d'un tour de magie pour enfants dans la peau d'un prestidigitateur (déguisé en clown) qui induit chez eux des illusions visuelles obtenues uniquement par la maîtrise d'un art qui dépend d'artifices assumés comme tels. En visite à ce moment-là chez Karswell qui l'entretient à nouveau de la nécessité d'abdiquer son scepticisme, Holden va être le témoin d'une brusque tempête provoquée par son contradicteur qui cherche, afin de prouver l'authenticité du monde parapsychique, à mettre en œuvre l'une des spécialités de la sorcellerie du Moyen-Âge.

Or, derrière le masque du magicien débonnaire et ludique, se cache un représentant sérieux de l'occultisme (et, par ailleurs chef de file de la secte susmentionnée) qui se propose d'ébranler les certitudes intellectuelles du psychologue américain. Le tour de passe-passe pour enfants se transforme bientôt en déchaînement des éléments naturels, le Dr. Bobo passant le relais au Dr. Karswell qui dévoile alors, non seulement la vigueur de son esprit démoniaque, mais aussi sa tendance aux personnalités multiples, cette pluralité identitaire accentuant son accointance avec le règne du mal et de la folie – thème déjà exploré par Fritz Lang dans sa série des Mabuse. Si ce glissement de la magie blanche vers la magie noire souligne la pérennité de certains lieux communs attachés à l'imaginaire de l'hypnose perçue comme une forme d'envoûtement, il conduit également la narration vers l'implacabilité de faits mystérieux et sombres qui débordent l'entendement humain. Cultivant délibérément la porosité des frontières séparant le truc attractionnel du prodige non fabriqué, Karswell s'amuse à engager Holden sur la fausse piste de la fantasmagorie pour mieux exploiter des effets déceptifs reversés au crédit de l'évidence irrationnelle.

La femme « crédule mais charmante »

Entre les deux options du rationalisme sceptique et de la croyance au surnaturel, un personnage féminin occupe une posture médiane, à savoir Joanna Harrigton, une enseignante de profession et nièce du professeur Harrington mort électrocuté dans un étrange accident de voiture provoqué très certainement par sa rencontre avec le monstre. S'inquiétant des véritables raisons de ce décès brutal et ne rejetant pas complètement l'hypothèse paranormale, elle est celle qui permet de concilier, en un point de vue raisonné mais souple, les extrêmes qui s'affrontent. Liés par leur curiosité concernant cette secte qui semble être à l'origine de disparitions apparemment fortuites et intrigués par le comportement ambivalent de Karswell (à la fois affable et méphistophélique), John et Joanna vont s'employer à faire la lumière sur ces incidents, ainsi que sur les motivations profondes de l'occultiste.

Comme de coutume dans les films du genre, cette jeune femme au corps et l'esprit bien faits va former avec le John Holden un couple d'investigateurs sagaces et complémentaires, cette étape servant de préliminaire à leur union romantique déjà augurée par l'affinité phonétique de leurs prénoms respectifs. Mais avant d'accéder au statut d'épouse digne du fameux spécialiste, Joanna va endurer une série d'épreuves inconsciemment imposées par Holden qui ne cesse de l'infantiliser, soulignant du même coup leur différence en termes de genre, de maturité et de statut socio-intellectuel. Incarnant le patriarcat dans toute sa splendeur, il la présente en effet comme « crédule mais charmante », mettant sa candeur sur le compte d'une forme d'hystérie typiquement féminine, à l'instar d'autres figures masculines du film qui estiment que les femmes, de manière générale, sont plus enclines que les hommes aux superstitions et aux croyances populaires.

Mais loin de souscrire à ce préjugé misogyne, le discours filmique combat cette idée préconçue en confiant à Joanna la mission de porter une appréciation nuancée qui contraste avec la rigidité et l'entêtement de ces doctes messieurs. Joanna en effet échappe à toute forme d'aveuglement ou de dogmatisme, s'efforçant de percer le mystère en construisant des observations à la hauteur d'une enquête policière. Cette position mesurée et réfléchie lui confère une lucidité supérieure à celles des hommes, remettant du même coup en question son statut de femme fragile et plaisante à regarder auquel on aimerait la confiner. Alors qu'elle est considérée par Holden comme un obstacle à sa fonction d'expert anti-occultisme (il tente à plusieurs reprises de neutraliser sa volonté de prendre part activement aux recherches), Joanna parvient d'emblée à s'extraire des rapports conflictuels qui déchirent les hommes de manière à faire avancer la connaissance et à désamorcer ainsi la polarité marquant des avis irréconciliables.

L'hypnose entre science et in(con)science

Au premier abord, l'hypnose apparaît dans Night of the Demon sous ses deux facettes traditionnelles que le cinéma a tendance à articuler selon une logique manichéenne riche en vertus didactiques : une facette scientifique (en tant qu'outil d'investigation de la mémoire chez un sujet perturbé mentalement), et sa facette manipulatrice (en tant qu'instrument de pouvoir destinéà ployer la volonté de l'autre en direction d'une soumission, d'un crime, voire d'un suicide). Ces deux versants de l'hypnose sont, comme on peut s'y attendre, incarnés tour à tour par les deux protagonistes masculins qui appréhendent cette pratique diversement en fonction de leurs convictions et de leur statut respectifs. L'hypnose est donc référée soit à un cadre médical qui en use à des fins thérapeutiques, soit au cadre occultiste de la possession démoniaque, religieuse ou mystique. Ces deux fonctions convergent dans une séquence qui inscrit l'hypnose à la croisée de la science et du spectacle, évoquant ainsi une ancienne procédure hospitalière orchestrée par Charcot qui, à la fin du XIXe siècle, aimait à exhiber devant ses élèves et visiteurs ses sujets extraordinaires, hystériques hypnotisables et autres névropathes.

Lors d'une séance d'hypnose expérimentale organisée dans le cadre du colloque, Holden déploie en effet ses compétences médicales en tirant l'hypnose vers sa fonction classique de « sérum de vérité», de manière à afficher publiquement l'omnipotence de la science et sa dimension foncièrement pragmatique. Il a proposé, en réponse au problème des hallucinations dont se plaignent les sujets persécutés par le démon, d'établir un examen psychologique pour attester leur vulnérabilité et leur crédulité constitutives, leurs troubles perceptifs étant attribués à la seule pathologie mentale. Or, le psychologue, dans un seul et même mouvement, combat un usage spécieux de l'hypnose pour faire parler un « croyant » repenti, Hobart, ancien membre de la secte satanique devenu un fou catatonique après avoir échappé de peu à la mort instiguée par l'animal fabuleux. Il use donc paradoxalement de la même « arme » pour à la fois asseoir la crédibilité de la rigueur scientifique et pour entrer en communication avec l'inconscient d'un patient littéralement habité par le mal, de manière à quérir des informations qui corroboreraient le caractère fallacieux de ces croyances. Consistant à« faire tomber le voile du mystère »– mystère qui n'est que pure mascarade et simulation selon Holden –, l'expérience pourtant va contribuer à certifier l'hermétisme et l'insolite de ce groupe parareligieux.

La mise en scène choisie croise les tropes classiques de la représentation de l'hypnose avec ceux de l'interrogatoire policier des films noirs. Au milieu d'une salle obscurcie, Holden use d'un éclairage focalisé sur les yeux du « patient » de manière à obtenir des reflets ascendants/descendants susceptibles d'ouvrir en lui des zones de sa mémoire (et donc de son inconscient). L'enjeu de cette séance d'hypnose consiste à prouver que les allégations d'Hobart sont le fruit de son cerveau dérangé, sa proximité avec le satanisme étant interprété comme le signe d'une perte de contact avec la réalité. Hobart est présenté alors comme un sujet stupéfié (œil catatonique montré en gros plan, hypermnésie), réagissant violemment quand on lui injecte des amphétamines (cris, frayeur, panique) et revivant la nuit du démon jusqu'à entendre la voix de son maître qui lui ordonne de se tuer. Il se jette aussitôt par la fenêtre, le public assistant impuissant à ce suicide en direct. Plongé dans une attitude pensive au milieu de l'agitation, Holden semble passablement ébranlé par cet incident qu'il a involontairement provoqué. En effet, alors que l'hypnose expérimentale (ravivant la tradition charcotienne du patient spectacularisé et manipulé pour le « bien » de la cause médicale) est censée apporter des éléments de réponses permettant de disqualifier la doctrine hypnotico-occultiste, elle se retourne littéralement contre les experts scientifiques pour les enfoncer davantage dans la part obscure de l'hypnose et du surnaturel.

La part obscure de l'hypnose

Ce qui semble en effet triompher dans Night of the Demon, c'est l'insaisissable du monde de l'au-delà et son implacabilité, comme en attestent plusieurs séquences du film, à commencer par celles qui ont lieu dans la maison de Karswell où loge Holden, et dont la représentation répond à tous les stéréotypes de l'esthétique gothique : contrastes d'ombres et de lumière, atmosphère lugubre, portes qui s'ouvrent et qui grincent inexplicablement, musique inquiétante, chat qui se transforme en guépard (clin d'œil intertextuel àCat People), etc. Construits comme des espaces hantés par la présence implicite de Karswell qui se divertit en jouant avec les nerfs de Holden, les lieux traversés par le professeur s'offrent comme autant d'épreuves testant sa volonté de contrôle. Celle-ci est à nouveau sollicitée dans le cadre d'une séance de spiritisme qui met Holden et Joanna en présence d'un médium spirite, Mr. Meek – séance organisée par la mère de Karswell qui confirme encore une fois l'accointance de celui-ci avec l'orbite occultiste et divinatoire.

Si cette rencontre est proposée à Holden pour le soutenir dans son enquête, la stratégie consiste encore une fois à déstabiliser le scientifique de manière à le faire accepter définitivement la toute-puissante d'une autorité qui le transcende. Convaincu par la nécessité de libérer Holden de ses démons, Mr. Meek (avec ses invités) va chanter pour plaire aux esprits, avant d'entrer en transe et de personnifier différentes âmes qui viennent s'adresser aux vivants présents dans la pièce. L'un de ces esprits s'avère être l'oncle de Joanna qui, en revivant le moment de sa mort, tente d'avertir l'assemblée du danger qui guette le savant américain s'il s'acharne à dénier l'existence de ce génie du mal. La voix du professeur Harrigton implore alors d'abandonner les recherches à propos du parchemin contenant des runes et dont la qualité magique consiste à jeter un sort mortel sur ceux auxquels il est destiné. A nouveau, la séance médiumnique vient soutenir le postulat paranormal, la manifestation vocale d'Harrigton confortant les indices accumulés jusque-là.

Car si Holden – comme semble l'indiquer l'étymologie anglo-saxonne de son nom de famille –« tient » fermement à sa version de l'histoire, refusant de prêter une quelconque consistance à des dires qu'il a pourtant accepté d'écouter, l'occultisme ne semble souffrir aucun démenti. La séance de spiritisme fait ici directement écho à la séquence d'hypnose expérimentale, toutes deux officiant comme des sortes de révélateurs de réalités occultes que le camp des rationalistes s'obstine à dénier. Dans les deux cas, cette « vérité» cachée est véhiculée par des médiateurs dont l'état de conscience modifié (hypnose, transe médiumnique) favorise l'émergence de messages provenant du domaine démoniaque. Le monstre communique donc indirectement avec Holden via des corps-médium privés de libre-arbitre dont la fonction première est de préparer à sa conversion définitive que seule une confrontation palpable avec lui sera en mesure d'achever.

Habituellement confondue ou associée à des pratiques considérées comme obscurantistes, l'hypnose chez Tourneur s'avère multiforme et complexe, maniée par des personnages aux motivations diverses dans le cadre d'expériences tout aussi variées. Alors que les hommes symbolisant l'autorité scientifique se heurtent systématiquement aux limites de cet outil, l'hypnose appliquée à une forme de médiation permettant à l'humain de se relier à une transcendance se révèle souvent bien plus performante. Une manière pour Tourneur de ménager une place à l'invisible et à l'indicible dans un monde rationnel qui a totalement perdu ses repères en matière de spiritualité ou tout simplement d'acceptation du mystère qui se loge dans toute réalité humaine. Les frontières floues qui délimitent l'hypnose, les problèmes posés par son statut scientifique et son instabilité définitoire semblent offrir une prise idéale à un discours exacerbant l'antinomie entre science et irrationnel. Pour s'en convaincre, faisons un petit détour par Cat People (1942) et I Walked with a Zombie (1943) qui mettent également en jeu le modèle de l'hypnose pour expliciter une forme de tiraillement entre scientificité et fantastique, offrant ainsi des occurrences intéressantes à observer en regard de Night of the demon.

L'hypnose dans I Walked with a Zombie et Cat People

Alors que l'hypnose moderne est le produit du positivisme occidental qui tente, à la fin du XIXe siècle, de la hisser au rang de science expérimentale, les films fantastiques ou d'horreur la font très souvent confluer, à l'instar de I Walked with a Zombie, avec des transes rituelles propres aux populations dites « primitives »– des rites considérés par beaucoup de savants occidentalo-centrés comme des formes psychopathologiques. Ces altérations psychiques induites par les transes sont, au contraire, envisagées par les cultures dont elles proviennent comme un mode de communication avec une surnature ou une divinité. En annexant l'hypnose au monde médical autour des années 1880-1900, les sciences autorisées ont tenté en vain d'expurger celle-ci d'une charge ésotérique qui lui est historiquement et culturellement attachée, notamment via le mesmérisme. En atteste l'histoire du cinéma du XXe et XXIe siècle qui continue à confiner l'hypnose aux domaines de la parapsychologie charlatanesque, témoignant du même coup du discrédit jeté sur un paradigme pourtant appeléà signifier la subjectivité humaine et ses contradictions. En situant l'hypnose dans un contexte exotique et lointain I Walked with the Zombie renoue avec une tradition extra-occidentale qui vient souligner la pérennité de pratiques qui relient l'humain avec le divin et l'ineffable de sa condition. L'essence de l'être humain s'éprouve semblent dire les films de Tourneur, dans l'épaisseur de son énigme, la science se révélant incapable d'en saisir tous les contours.

I Walked with the Zombie (1942).

C'est aussi ce que semble suggérer Cat People qui fait vaciller la science médicale et plus précisément l'hypnose mise en application dans le cadre d'un traitement psychanalytique supervisé par le Dr. Judd qui soigne Irena Dubrovna Reed, la féline héroïne du film. L'hypnose sert d'abord d'embrayeur narratif puisqu'elle déclenche la « confession » d'Irena qui va raconter les croyances attachées à sa culture serbe concernant l'existence de femmes-félines qui assassinent leurs amants après les avoir embrassés. L'hypnose s'apparente dès lors à une crise cathartique – qui, rattachée à la psychanalyse des origines, s'avère totalement désuète dans les années 1940 mais très économique sur le plan narratif –, une crise qui permet la ressouvenance d'épisodes du passé qui ont été refoulés pour protéger le psychisme d'une culpabilité ou d'un malaise.

Cat People (1942).

Comme souvent au cinéma, la méthode de l'hypnose est traitée comme un moyen thérapeutique ambigu qui vise à soumettre la patiente à la seule volonté du médecin, un personnage aux compétences reconnues mais à la morale douteuse (c'est un suborneur qui tentera de séduire la femme de son ami Oliver Reed pour la guérir de sa prétendue frigidité). La dissymétrie première du dispositif hypnotique – la femme étant réduite à l'objet d'investigation d'un homme reflétant un savoir cautionné par l'institution scientifique – se renverse alors sur le plan de la gestion du flot de l'information narrative puisqu'Irena résiste à livrer des secrets qui intéressent le Dr. Judd. En effet, elle ne se soumet pas totalement à l'emprise hypnotique, cette indiscipline pouvant être interprétée comme une forme de contestation de l'institution patriarcale qui cherche à normaliser une sexualité déviante puisque non conforme aux normes modernes de la société occidentale (on lui reproche notamment d'être prisonnière de convictions « folkloriques » implicitement jugées comme typiques de peuples archaïques).

La sexualité féminine est symboliquement dépeinte comme dangereuse, mais aussi comme dépassant les compétences du médecin qui se voit contraint d'user d'un procédé peu conventionnel dans le cadre thérapeutique : la séduction (mais il perdra la vie dans cette tentative de transgresser les barrières éthiques de la thérapie, ainsi que les barrières morales de l'adultère). L'échec de l'hypnose dans Cat People entraîne le Dr. Judd à se réfugier dans la doxa freudienne, estimant que ces créances ont leur origine dans l'enfance et qu'il suffit d'une bonne cure pour s'en débarrasser, la psychanalyse apparaissant comme une recette apte à purifier l'inconscient des scories d'une crédulité connotée comme infantile. Si la psychanalyse est investie ici du pouvoir de rétablir une Vérité perdue, elle se heurte cependant irrémédiablement au mal-être dont souffre Irena, un trouble qui, même codifié dans le registre fantastique, n'en reste pas moins une réalité irréductible à toute entreprise de rationalisation normalisatrice. Car, pour Tourneur, le surnaturel relève bel et bien du réel, malgré toutes nos tentatives de refoulement (précisément) de celui-là dans les limbes de l'improbable, du bizarre et du saugrenu.

Le triomphe du surnaturel

La fin de Night of the Demon met également en scène le dispositif « classique » de l'hypnose où un homme fort d'un savoir tente de plier la volonté d'une femme vulnérabilisée, le but étant d'atténuer le flot de paroles « oiseuses » prononcées par Joanna tenue prisonnière par Karswell dans le compartiment du train qui sert de véhicule à sa fuite. Il tente en effet d'échapper à Holden qui, ayant compris le projet de Karswell, veut rendre à son destinataire le parchemin runique qu'il a glissé dans ses papiers à son insu pour attirer à lui le monstre. La supériorité intellectuelle de Karswell et, partant, l'évidence du postulat occultiste, ne seront alors tout à fait établis que lorsque son rival John Holden renoncera à son scepticisme de principe, après avoir lui-même expérimenté la réalité du monstre satanique en frôlant une attaque fatale. S'il admet regretter son opiniâtretéà mettre systématiquement en doute les propos de Karswell, il ne s'émouvra pas pour autant de la mort de celui-ci entraînée par l'agression du monstre terrasséà son tour par les conduits et poteaux électriques du train. L'irréfutabilité de la magie noire ne s'imposera qu'au prix de la mort de son charismatique porte-parole dont on ne sait si la disparition est à comprendre comme le sacrifice nécessaire au triomphe du bien-fondé théosophique ou alors comme répondant aux exigences d'une production souhaitant un final hollywoodien, à la fois édifiant et effrayant (le producteur Hal E. Chester aurait passablement remanié la version finale proposée par Tourneur, notamment en rendant explicite la présence du monstre par des effets spéciaux).

Cette image où s'emmêlent, à la faveur d'une surimpression que Tourneur aurait certainement préférééviter au profit d'une activation du hors-champ comme espace de la monstruosité terrifiante, cette image de fin donc fait s'imbriquer les « fils » de la modernité (le train) et de l'archaïsme (la présence implicite de tendances surréelles) laissant le spectateur suspendu entre ces deux options mutuellement mises en échec relatif. En effet, si John et Joanna ont amassés, au péril de leur propre vie, toutes les preuves certifiant l'existence du démon, ils n'en détournent pas moins leur regard du spectacle épouvantable proposé par la destruction réciproque impliquée par la rencontre entre la culture (la technologie moderne) et de la surnature (l'occultisme incarné par la bête). C'est la place centrale accordée à l'hypnose nimbée d'ambiguïté et de mystère, c'est sa malléabilité fonctionnelle, sa pluralité formelle et sémantique, qui induisent l'ouverture d'un discours filmique dévolu à tous les possibles et que seul le spectateur est habilitéà infléchir en fonction d'une lecture personnelle. C'est bien cette suspension du sens qui est visée par Tourneur qui laisse au public le soin de trancher dans le débat qui déchire ses personnages entre science et croyance, tout en indiquant au passage les failles d'une pensée positiviste entièrement dévolue à une volonté de maîtrise du connu comme de l'inconnu.

- Article extrait de la revue en ligne La Furia Umana n°5 (juillet 2010).

A voir :
-Night of the Demon (Rendez-vous avec la peur) de Jacques Tourneur (1957). DVD/Blu-Ray + livre (Wild Side, 2013).

A lire :
-Cinéma et Hypnose.
-Hypnose et cinéma muet.

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SECRETS DE PALAIS

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Le recours aux forces de l'invisible se pratique dans la plupart des capitales africaines subsahariennes. Tout est ensuite une question de spécificités.

BENIN : Le pays du "çakatu"

Au Bénin, terre du vaudou, l'exercice du pouvoir est très souvent marqué par un compagnonnage avec les forces occultes. Avant de rencontrer Jésus et de découvrir la Bible, l'ancien président Mathieu Kérékou a eu son marabout durant les années 1990. Au moment de son triomphe électoral en 1991, son successeur, Nicéphore Soglo, a été foudroyé par un çakatu (« mauvais sort »). « Il souffrait le martyre et avait l'impression qu'on lui plantait des aiguilles dans le corps. C'est alors que j'ai décidé d'appeler à l'aide le ministre français de la Défense, Pierre Joxe », se souvient son fils, Lehady. Avion sanitaire de l'armée française, court séjour à l'hôpital parisien du Val de Grâce, soins intensifs... Soglo a été remis sur pied durant l'entre deux tours, mais c'est en balbutiant et soutenu physiquement par son épouse Rosine qu'il a prêté serment. Il lui a fallu plusieurs années pour s'en remettre.

Les médecins du Val de Grâce ont diagnostiqué un classique « empoisonnement », selon un haut officier français de l'époque qui a suivi ce dossier. « Mais au Bénin, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, cette attaque avait une dimension magique. Et malheur à celui qui prétendrait le contraire », explique un proche de l'ancien président béninois. Un tel épisode laisse des traces.

Un marabout du bénin.

L'actuel chef de l'État, l'évangélique Boni Yayi, toujours prompt à invoquer Dieu dans ses discours, a « envoyé des émissaires visiter les plus hautes divinités du pays lors de son arrivée au pouvoir en 2006 », assure un fin connaisseur des us et coutumes du palais de la Marina. À vrai dire, cela n'a rien de surprenant, ni de condamnable. Et c'est éventuellement plus prudent.

« Lors de chaque élection, je sais que l'on organise pour moi des sacrifices d'animaux. Je laisse faire », reconnaît un responsable politique. Plus marquant encore, la méfiance au sein du marigot. Certains caciques auraient des pouvoirs occultes. Un nom revient régulièrement... mais il est difficile de violer le secret de la confession. « Une chose est sûre, nous dînons très rarement les uns chez les autres », résume un élu de haut rang. On comprend mieux la fragilité des alliances politiques béninoises !

CAMEROUN : "Infection" au fond du couloir

Janvier 2005, contre toute attente, le nouveau directeur général s'est présenté pour la passation de service. La veille, pourtant, un gros chat blanc était tombé du onzième étage du bâtiment et était reparti sans une égratignure. Une démonstration de force supposée de son prédécesseur. Quelques mois plus tôt, le responsable d'un groupe de travaux publics avait exigé de changer entièrement le mobilier de son bureau lors de sa prise de fonctions. Idem pour ce nouveau patron de la police : le « sortant » avait placé un crâne bien en évidence dans le bureau...

Circonscrits dans les années 1970 et 1980 aux zones rurales, les faits de sorcellerie, supposés ou réels, sont de plus en plus librement évoqués dans les administrations et les grandes entreprises camerounaises, où la guerre des postes fait rage. Mais cette « immunisation » des bureaux concerne également les ministères, où elle serait systématique. Ces pratiques ont aussi cours au palais d'Etoudi, selon un habitué des lieux qui cite notamment le secrétariat général de la présidence et la passation de pouvoirs entre les présidents Ahidjo et Biya.

Autel de fétiches.

Pour l'anthropologue François Bingono Bingono, qui se présente comme « crypto-communicologue », la sorcellerie s'est démocratisée. « Personne ne veut se laisser surprendre. Chaque fois qu'une personne est appelée à de nouvelles fonctions, elle s'entoure d'un maximum de précautions. Ne pas le faire revient à s'exposer à un risque d'infection" par l'evu [« sorcellerie », en langue bétie, NDLR]. On part du principe que celui qui s'en va a laissé des fétiches destinés à asseoir sa propre puissance ou à le protéger », explique-t-il.

François Bingono Bingono, qui apprécie par « autodérision » d'être appelé« sorcier », a sa petite idée sur cette mode des actes de purification. « Les Africains prétendument cartésiens ont intégré des confréries, des loges maçonniques et des cercles esotériques fréquentés par les Occidentaux. Mais ils se sont vite heurtés au sectarisme de ces derniers et sont revenus aux fondamentaux pour leur quête de spiritualité. »

COTE D'IVOIRE : à chacun son fétiche

Ce fut l'un des premiers gestes des forces pro-Ouattara : détruire les fétiches de Laurent Gbagbo. Les jours suivant la capture de l'ex-chef d'État et de son épouse Simone, le 11 avril 2011, à la résidence présidentielle de Cocody, les Abidjanais ont vu les bulldozers démolir des monuments, notamment au carrefour Saint-Jean à Cocody, à L'Indénié, à Adjamé et à Yopougon-Siporex. Selon la presse nationale, les démolisseurs y ont trouvé des écritures bibliques, des statuettes, des ossements.

En Côte d'Ivoire, les croyances sont tenaces. « C'est enraciné en nous, explique le journaliste Venance Konan. Nous avons presque tous nos fétiches, mais personne n'en parle. »À commencer par les militaires. Les FRCI, mercenaires burkinabè et chasseurs dozos, qui ont aidé Alassane Ouattara à prendre le pouvoir, sont munis de multiples amulettes, bagues, talismans, grigris et coquillages. Des fétiches censés les protéger des balles et leur assurer le succès sur le champ de bataille. Durant la campagne électorale, les deux camps ont également eu recours aux rituels de sacrifice des boeufs et des poulets.

Mercenaires burkinabè et ses multiples "grigris".

Certains politiques ne peuvent rien décider ni faire sans voir leur féticheur. Félix Houphouët-Boigny, dans les années 1950, envoyait régulièrement un de ses émissaires, Lady Sidibe, pour « consulter ». Cela arrivait notamment lorsqu'il avait une rencontre importante comme avec le général De Gaulle. Si Henri Konan Bédié ne semble pas y recourir, Laurent Gbagbo a demandé la protection mystique des féticheurs de la région du Poro, dans le nord du pays. Mais on raconte qu'en novembre 2004, après l'attaque des Sukhoi de l'armée ivoirienne sur la base militaire française de Bouaké, les vieux sont sortis et ont jeté un sort aux avions de Gbagbo. Quelques instants plus tard, le président français, Jacques Chirac, donnait l'instruction d'abattre les appareils.

GABON : Le monde parallèle

Il a été vice-Premier ministre, président du Conseil économique et social, conseiller à la présidence... Louis-Gaston Mayila, l'insubmersible dignitaire du régime de l'ancien président gabonais Omar Bongo Ondimba, a créé la surprise en posant en tenue bwitie en dernière page de L'Union, le quotidien progouvernemental. Il ne s'est jamais caché d'être un adepte de ce rite ancestral controversé, hérité des Pygmées, qui se caractérise par des incantations, de la musique et des danses très réglementées, sous l'autorité d'un nganga, maître de cérémonie et guérisseur. Cet avocat a même reconnu danser avec la photo du président Omar Bongo Ondimba.

Le Nganga.

Bwiti, vaudou, ndjobi... Ici, religions traditionnelles, sociétés secrètes et cercles initiatiques constituent un monde parallèle dont les liens avec les politiques sont à la fois complexes, étroits et souvent intéressés. Les adeptes se croisent aussi bien dans les temples maçonniques à l'entrée desquels se bouscule l'élite, qu'à la cathédrale de Libreville, où la bonne société communie le dimanche, comme si de rien n'était... À l'approche d'une échéance électorale, les parents tremblent pour leurs enfants. Des corps mutilés sont retrouvés sur les plages de l'Estuaire, dans la forêt de Nzeng Ayong, le quartier populaire de la ville, ou sur la voie ferrée de la banlieue industrielle d'Owendo. Selon l'Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), 28 enfants ont été tués en 2011. Les adultes aussi sont en danger. Selon les chiffres rendus publics par cette association, créée par Jean-Elvis Ebang Ondo, dont le fils fut enlevé, tué et mutilé en mars 2005, 20 femmes et 14 hommes ont été sacrifiés l'année dernière. Entre janvier et mai de l'année en cours, l'ALCR a attribué 32 décès aux crimes rituels (10 enfants, 7 femmes, et 15 hommes).

Les organes les plus recherchés sont la langue, les yeux, les oreilles et le sexe, prélevés de préférence du vivant de la victime, à en croire le témoignage du féticheur Pierre Allogo, dans le reportage « Les Organes du pouvoir », diffusé dans l'émission L'Effet papillon de la chaîne Canal+ en avril 2011. « Plus la personne souffre, plus le bénéficiaire sera puissant », explique-t-il. L'impunité est presque garantie. Les victimes sont souvent choisies parmi les catégories les plus pauvres. Généralement, les crimes ne provoquent même pas la saisine de la justice. Lorsqu'elle est saisie, les magistrats sont piégés par l'absence de preuves.

Les croyances du Gabon sont bien souvent au centre de la vie politique. Ainsi, pour avoir prévu d'organiser un hommage au député et président de l'Union du peuple gabonais (UPG), Pierre Mamboundou, décédé en octobre 2011, le président de l'Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama, est-il accusé par des militants de l'UPG d'avoir voulu « voler l'âme » du défunt. Des centaines de militants décident d'empêcher ce « forfait ». L'hommage des parlementaires n'a pas eu lieu.

MALI : Satan murmure à l'oreille des politiques

Pour l'état civil, il est Daouda Yattara, né vers 1982, à Markala, dans la région de Ségou. Mais pour le commun des Maliens, il est « Satan », le plus grand féticheur du pays, aussi puissant que le diable lui-même. Un sobriquet qui ne déplaît pas à Yattara, bien au contraire. Il l'a inscrit en rouge sang sur le mur d'enceinte de sa maison, gravé en lettres d'or sur sa Mercedes 500... Et pour ceux qui n'auraient pas bien compris, il répète à l'envi : « Si Dieu est en haut, moi, je suis ici ! ».

Fils d'agriculteurs, ce féticheur soutient qu'il est né avec ses pouvoirs. Et que dès l'adolescence il est parti en apprentissage chez des féticheurs maliens et guinéens. Puis il s'est installéà son compte, il y a une quinzaine d'années. C'est avec une grande fierté qu'il présente son dernier trophée, un fétiche vaudou vieux d'une centaine d'années, offert par les grands prêtres de Ouidah, au Bénin.

Daouda Yattara.

À Sitanèbougou (« le village de Satan », en bambara), sa résidence située dans le quartier populaire de Sébénikoro, à l'ouest de Bamako, le bureau de consultation ouvre trois jours par semaine. Les visites commencent dès les premières heures de la journée. Mais, depuis quelque temps, les compétences du féticheur se sont étendues à un domaine qu'il dit détester : la politique. « Je n'en ferai jamais, déclare-t-il. Parce que la politique, c'est le mensonge. » Il n'empêche qu'il accepte volontiers de consulter les fétiches, « quand il sent quelque chose de bien chez quelqu'un », explique Étienne Dembélé, l'un de ses assistants. Députés, chefs de parti, ministres, directeurs d'administration... Ils se dépouillent volontiers de leur titre - et de leur prestige - pour se soumettre aux exigences du sorcier.

« Ils viennent de partout, ajoute Étienne Dembélé. Mali, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Gabon, Cameroun... »« Je reçois des chefs de guerre aussi, confie Yattara. Ils viennent se préparer pour les combats. » Bagues d'invisibilité et invincibilité aux balles sont les demandes les plus fréquentes. Des « traitements » pour lesquels il vaut mieux s'installer quelque temps chez le féticheur, dont la maison d'un étage a suffisamment de place pour accueillir une quinzaine de « patients ». Sur demande des fétiches, boeufs, boucs, poulets ou chiens sont immolés au cours de cérémonies parfois spectaculaires. Demandent-ils des sacrifices humains ? « J'ai plus d'une soixantaine de fétiches, dont certains sont très vieux, élude Yattara. Et puis, ce ne sont pas des choses dont on parle au téléphone... » Hors de question non plus d'obtenir des noms. « C'est l'un des grands principes de mon métier, ne jamais livrer les secrets des gens, déclare-t-il. Ils me connaissent, je les connais, ça suffit ! »

En mars 2012 cependant, la presse sénégalaise avait largement commenté son séjour à Dakar, entre les deux tours de la présidentielle. Le féticheur, lui, se contente de dire qu'il se rend souvent dans la capitale sénégalaise, « où il compte beaucoup d'amis ». Combien coûtent ses services ? « Rien. Il suffit de faire un don, en fonction de ses possibilités », dit-il, en précisant toutefois qu'il ne vaut mieux pas le rétribuer en deçà de ses moyens financiers. « Je peux toujours annuler mon travail... » Pas de tarifs fixes, donc. Mais s'il suffisait d'évaluer la puissance d'un marabout à son train de vie, Daouda Yattara serait sans aucun doute le meilleur. Son parc automobile compte une demi-douzaine de voitures. Fin juin, il terminera la construction du premier étage de Sitanèbougou, sa résidence principale, tandis qu'une deuxième maison est en cours de construction quelque part à Bamako. Et bien qu'il refuse de dresser une liste complète de ses biens, Yattara avoue qu'il n'a pas à se plaindre : « Une chose est sûre : aujourd'hui, je peux vivre sans travailler jusqu'à ma mort. »

SENEGAL : Maraboutisme dévoyé

Corniche ouest de Dakar, février 2012. Maodo Malick Pouye, un garçon de 6 ans, a été retrouvéégorgé, le corps lacéré, le visage défiguré. Les premiers éléments de l'enquête privilégient la thèse du sacrifice humain. La famille de la victime également. « Le corps de Maodo était méconnaissable avec un gros trou dans le dos, des traces de couteau visibles sur son visage », précise Ndèye Michel, la tante du défunt, la voix étouffée par les sanglots. La méthode est connue des initiés. D'après Oulèye Diaw, une « voyante », « les organes humains, surtout ceux des enfants, sont utilisés dans des rituels de sorcellerie ».

Marabout sénégalais.

Pour la famille du jeune Maodo, ce n'est pas un hasard si la tragédie s'est produite dix-huit jours avant le premier tour de l'élection présidentielle du 26 février. Autre découverte macabre, à seulement deux semaines du second tour : un corps amputé de ses membres inférieurs et de sa main gauche laisséà l'abandon sur une plage de Guédiawaye, en banlieue de Dakar.

La recherche discrète d'organes humains pour des rituels mystiques se poursuit jusque dans les hôpitaux. « On nous demande souvent des prépuces d'enfants circoncis, du placenta, des têtes de bébés mort-nés moyennant une forte somme d'argent », confie un infirmier qui officie dans un grand hôpital de Dakar.

Le fétichisme et la sorcellerie sont à différencier du « maraboutage », très répandu au Sénégal. « On ne réclame pas d'organes humains », précise le président des jeunes marabouts du Sénégal, Sérigne Modou Bousso Dieng. « Les pratiques occultes sont interdites par l'islam et, contrairement à la sorcellerie, le maraboutage se fait sur la base du Coran », ajoute-t-il.

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G. de THORCEY

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Avant de se lancer dans le sentier mystérieux de la magie, notre ami G. de Thorcey a, naturellement, et comme tant d'autres, fait autre chose.

D'abord peintre en miniature — art distingué— il se sentit bientôt des dispositions musicales et se découvrit une voix qui éveillèrent en lui le bien légitime désir de cultiver ces dons heureux. Malheureusement, quelque temps avant d'entrer au Conservatoire, la perte de sa voix vint mettre un obstacle définitif a la réalisation de ce projet. Ce fut très certainement une perte pour l'art lyrique, car avec son goût raffiné de musicien, son intelligence, son éducation et ses avantages physiques, de Thorcey n'eut pas manqué de fournir une belle carrière et de devenir une des plus brillantes étoiles du firmament artistique.

Le sort en décida autrement, de Thorcey quitta le théâtre et dans un avatar dont la genèse se perd dans la nuit des souvenirs, il se jeta, était ce de désespoir, à corps perdu dans la prestidigitation, au tour de laquelle, tout bien servi qu'il était par un talent avéré et une présentation de haut style, il devait plutôt louvoyer, si j'ose ainsi dire, et se livrer à différents labeurs, dont l'heureuse connexitéà notre grande satisfaction, le maintenait cependant parmi nous.

C'est ainsi qu'on le vît d'abord en compagnie d'Isidore Bonheur, parcourir une grande partie de la France et de complicité avec ce magnétiseur célèbre, étonner les populations en remplissant ce rôle bizarre que je qualifierai de véritable faux sujet magnétique, dans lequel il obtint constamment des succès mérités.

Puis le cours de cette carrière spéciale se trouve brusquement interrompu par de patriotiques obligations et, pendant un temps, c'est dans la bonne ville de Valence qu'il fît un séjour au cours duquel, sans trop d'enthousiasme, je crois, il dut se livrer à l'étude d'une balistique bien comprise, sous prétexte que sa situation d'artilleur l'y contraignait impérieusement.

Libéré enfin de ces occupations martiales, mais peu rétribuées, il s'associa en 1879 avec Donato, le bien connu et également célèbre magnétiseur, avec qui il resta trois années, au cours desquelles, en plus de sa coopération artistique, il commença à donner des preuves de sa science, de la réclame et de la publicité. Ayant ainsi pris, au contact de Donato, le goût des sciences que je ne vois aucun inconvénient à qualifier d'occultes, il se lança hardiment dans l'arène magnétique et pendant des années les apôtres de l'hypnotisme tels que les Verbeck, Pickmann et Donato lui-même, eurent à compter avec un redoutable et « successful » concurrent.

C'est en 1887 qu'il donna à Reims, dans la cage aux lions du cirque des frères Pianet, cette fameuse et sensationnelle séance. Jamais entreprise aussi hardie n'avait été tentée ni même conçue. Le record de l'extraordinaire, en fait de magnétisme (bien animal cette fois), était décidément détenu par de Thorcey et son gracieux et courageux sujet. La création de ce numéro sans égal produisit une vive sensation à Paris, lorsqu'on 1887 il fut présenté aux Folies-Bergère. Il fit ensuite son tour d'Europe et poussa plus tard jusque dans l'Amérique du Sud.

Avant de connaître Inaudi avec qui il a naturellement fait les nombreux et lointains voyages indiqués précédemment, de Thorcey avait déjà fait le tour du monde. Il a actuellement à son actif quarante-sept traversées dont certaines se comptent par des trente-deux et même quarante jours de mer. Encore un record.

Je suis trop son ami pour m'employer ici à le couvrir de couronnes qu'on pourrait croire tressées par la main de l'exagération, si je puis me permettre cette figure. Je me bornerai, pour cette raison, à exposer que, grâce à son intelligence très ouverte, et à son instruction très soignée, tout semble pour lui d'une assimilation facile. Il fut, en effet, tour à tour, directeur de cirque, de théâtre, de concert, puis conférencier, mnémotechnicien, acteur, chanteur, compositeur et même, circonstance aggravante, comme il dit plaisamment lui-même : prestidigitateur.

Laissons lui la responsabilité de cette boutade par laquelle, et avec trop de modestie, il semble s'excuser de tant de travaux dus à son activité mentale et matérielle ainsi qu'à son entente des affaires auxquelles préside toujours la plus franche loyauté. Enfin, puisque je suis entrain de l'accabler, j'ajouterai à sa charge, qu'à l'âge de quarante ans, il s'est mis tout tranquillement à l'étude des langues et qu'aujourd'hui il parle couramment les plus usitées. Ce qui peut être considéré comme un exploit intellectuel peu banal. Actuellement « manager » et présentateur d'Inaudi. C'est encore un titre ça. N'en jetons plus s'il vous plaît ! Il me faut, d'ailleurs, terminer cette esquisse crayonnée un peu à la course. Très préoccupé de dépeindre l'artiste, je n'ai encore rien dit de l'homme. Ce sera facile : C'est le meilleur de tous.

E. Raynaly

Notes de Didier Morax

De Torcey : Albert Ferdinand Guyot néà Paris le 26 avril 1853 et décédéà Champigny (94) le 15 aout 1937. Robertson (Colson) le remplaça comme manager d'Inaudi.

Tout d'abord précisons que le portrait est fait par celui qui a été remplacé auprès d'Isidore Bonheur. De Thorcey, Torcy ou de Thorcy a aussi été l'imprésario de Arnould. D'après une publication de 1896 dans un journal d'Orléans, il tenait la baraque foraine dans laquelle eu lieu le premier incendie de cinéma lors de la foire du mail (juin 1896). La baraque appartenait à Inaudi et Méliès.

Documents : Collection Didier Morax et Akyna.

HALLO / Martin ZIMMERMANN

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Concept, direction et scénographie : Martin Zimmermann

Martin Zimmermann avait déjà présentéÖper Öpis aux Théâtre des Abbesses avec son complice Dimitri de Perrot, mais c'est la première fois, à 45 ans, qu'il se lance dans un solo. Créée en 2014, cette pièce absolument muette, est soutenue par la remarquable musique au piano souvent répétitive et obsédante, et les bruitages de Colin Callon.

Grand et mince, le visage assez émacié, en collant noir et T-shirt blanc, il est seul, sauf, à un moment précis, quand il est aidé par un complice qui lui renvoie l'image d'un double obsédant, façon Tadeusz Kantor. Il commence par faire un tour de scène, avec des chaussures noires qui émettent un grincement insupportable mais qui deviennent absolument silencieuses, dès qu'il revient. Des murs/châssis circulent tout seuls et/ou s'abattent d'un coup, légers comme une plume. Lui, disparaît pour réapparaître un peu plus loin.

La scénographie, qu'il a aussi conçue, faite de châssis rectangulaires, est une remarquable merveille de rigueur, de beauté et d'intelligence plastique qui doit beaucoup à l'art minimal américain, en particulier à Don Judd, et il a sans doute eu de bons profs à l'école de décorateurs suisse dont il est sorti. Avant de rejoindre le Centre National des Arts du Cirque à Chalon en Champagne où il a aussi visiblement beaucoup appris.

« Cette scénographie, dit-il, est liée à mon premier métier : décorateur de vitrines de grands magasins ! Bien que non réaliste, cette vitrine évoque le monde et la consommation, de la mode, ou encore les thèmes de l'apparence et du désir de reconnaissance. »

Il joue avec une chaise, enfin plutôt avec un cadre de chaise en inox qui a des allures de fantôme, prêt à resurgir d'on ne sait où. Ou s'adresse avec un interlocuteur qu'on ne verra jamais, enfermé et surgissant d'une trappe éclairée. Illusion magique… où des mécanismes parfaitement au point donnent à Martin Zimmermann, la liberté de faire ce qu'il veut sur le plateau.

D'une gestualitéétonnante, il est toujours là où on ne l'attend pas, et semble s'affranchir des lois de la logique en s'enfermant dans une grande boîte de contre-plaqué dont les côtés vont se démultiplier. Puis, il se moque de la pesanteur quand il monte en équilibre instable à quelques mètres sur un parallélépipède qui se déforme, de gauche à droite, puis de droite à gauche pour redevenir absolument plat, et dont il redescend parfois depuis une trappe, ou en se laissant couler.

Visage absolument impassible, corps élastique d'acrobate, qu'il maîtrise à la perfection, aucun temps mort : on pense souvent à Buster Keaton sur sa General. Comme chez lui, tout ou presque est imprévisible, et il sert de sa formation de circassien, pour créer un curieux personnage, plein d'humour glacé, et rompu aux lois de la magie et de l'illusion. Il y a bien, dans cette petite heure, des gags qui se répètent trop, et quelques longueurs ou baisses de rythme mais qu'importe, les enfants comme les adultes ont fait un accueil triomphal absolument méritéà ce spectacle hors normes mais délicieux.

- Source : Le Théâtre du Blog.

Crédit photos : Augustin Rebetez. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

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