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Bernard PRAS

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Éparpillés à même le sol, perchés sur des tiges de bois, accrochés aux murs ou suspendus au plafond, les objets s'amoncellent de toutes parts en un joyeux bazar : paquets de bonbons bardant tout un pan de mur, voiturettes jaune poussin, bananes en plastique, mouettes gonflables, roses artificielles, vieux panneaux de signalisation, paniers à salade rouge clinquant... Bienvenue dans l'atelier de Bernard Pras (né en 1952) , au royaume de la récupe et de la fantaisie. A première vue, l'espace de travail du « peintre » ressemble à un espace encombrée de toutes ces choses dont on attend de se débarrasser au cours d'un vide-greniers, jouets en plastique, ustensiles ménagers, vieux vêtements. Cet amoncellement d'objets, aux couleurs souvent vives, intrigue. A y regarder de près, ils sont assemblés en familles « marabout-bout-de-ficelle » (par association de sujet ou de couleur, de matière ou d'univers), puis collés, ou tenus par des fils, ou bien montés sur des supports, formant des multitudes de saynètes dans lesquelles chacun peut piocher des souvenirs ou inventer des histoires.

Inventaire 58 Wonder woman

On s'approche de ce que l'artiste désigne, dans un coin de la pièce, comme sa dernière installation : un canapéà demi renversé constellé de roses, d'oiseaux, de paquets de rouge à lèvres, d'abat-jour rose bonbon, de stylos argentés, d'une grande enseigne LOVE. On tourne autour, on varie les angles ; on croit bien deviner un couteau entre les dents d'une bouche pulpeuse, mais pour le reste non, de quoi s'agit-il on aurait bien de la peine à le dire. Le mot de l'énigme ne viendra qu'avec l'invitation à se pencher sur l'appareil photo placé au seul point précis d'où la magie opère, d'où les objets éparpillés en trois dimensions s'assemblent brusquement en une figure médusante : Wonderwoman nous fondant dessus à toute allure, poitrine conquérante et bouche dévoreuse. C'est la révélation : l'apparent chaos prend du sens et l'œuvre apparaît : un tableau en trompe-l'œil où les objets hétéroclites deviennent, par la magie du phénomène optique, un morceau de nez, une oreille ou bien une mèche de cheveux.

Inventaire 55 Tom Murphy

Bernard Pras utilise les objets comme il fit jadis avec les tubes de couleurs (il fut peintre « avec pinceau » avant de changer de palette). Tout comme les peintures d'Arcimboldo en son temps, les anamorphoses du XVIe siècle et la technique impressionniste, ses Inventaires maniéristes et baroques (commencés en 1997) à mi-chemin entre la sculpture, la peinture et l'installation, offrent une fascinante mise en abyme de l'homme moderne, aujourd'hui encombré, ou peut-être bien rassuré, par les objets de consommation qui l'entourent.

« Je suis un peintre dont les démarches m'ont amenéà la photo. J'ai derrière moi 20 ans de peinture, donc je me considère plus comme un peintre. D'ailleurs les problèmes que je soulève par mes photos sont des problèmes de peintre. »

Bernard Pras s'approprie les images de multiples icônes issues de l'histoire de l'art et de la société contemporaine (Edward Munch, Salvador Dali, Van Gogh, Francis Bacon, Marilyn Monroe, Che Guevarra, Albert Einstein, Mickey…). La couleur et la touche deviennent objet, la composition devient une installation ponctuée de dizaines de prises de vues et la pérennisation de l'oeuvre devient une photographie. Sans la photo, les installations d'objets qui dessinent et emplissent l'espace resteraient le privilège de quelques-uns, uniques spectateurs de cette métamorphose, où la récupération devient art. Sans ce point final qu'est la dernière prise de vue ponctuée par un flash lumineux, où l'artiste transforme les trois dimensions en seulement deux, l'oeuvre de Bernard Pras ne pourrait exister.

ENTRETIEN avec l'artiste (Propos recueillis par Aurélie de Lanlay et Sylvain Prudhomme)

Vous avez longtemps peint avant de réaliser vos premières installations d'objets. Comment en êtes-vous venu à cette technique ?

Bernard Pras : C'est très difficile à expliquer. Cela a mis vingt ans. Expliquer une démarche de vingt ans en cinq minutes, ce n'est pas facile ! En plus les explications sont un peu comme les installations, c'est-à-dire qu'elles ont plusieurs points de vue. Selon le point de vue où je me place, je peux donner une version à chaque fois un peu différente. En gros, je suis passé de la peinture de portraits à la peinture d'objets. Et à partir du moment où j'ai peint des objets plutôt que des gens, ç'a été une étape. Pour les portraits, on dépend des modèles ; pour les objets, on en dépend moins. Et à ce moment je me suis rendu compte que ce que je voulais exprimer, c'était surtout l'espace qui existait entre deux toiles. C'était le vide qui m'intéressait, plutôt que le plein. Cette envie de vide est au fondement de mon esthétique. J'ai essayé de voir si je pouvais exprimer cette chose-là en une unité, sur un support et non pas deux. C'est facile à exprimer sur deux supports, par un dispositif en diptyque. Mais ce qui m'intéressait c'était de le faire en une seule fois. Cela m'a jeté dans une espèce d'errance picturale. Je suis passé tout près du renoncement à la peinture. Et puis la solution est venue lorsque j'ai commencéà installer des objets. Parce que les installations d'objets me permettaient de proposer une double lecture : celle de l'objet lui-même, et celle du rapport entre l'objet et l'image dessinée par le montage tout entier.

Inventaire 33 La méduse

C'est paradoxal de parler de vide à propos de vos œuvres, qui sont si foisonnantes...

Ce que j'appelle vide, c'est l'espace qui permet au regardeur de projeter son imaginaire. Quand les gens regardent un de mes montages, ils créent des rapports entre les objets qu'ils voient et l'image que les objets assemblés composent. Il y a toutes sortes de rapports : des rapports symboliques, des rapports uniquement formels, des rapports qui n'en sont pas... Les gens réinventent beaucoup de rapports que je n'avais pas prévus. C'est ce que je voulais donner au spectateur : un espace où puisse s'exprimer son imaginaire. Chaque installation est une espèce de miroir où les gens projettent des tas de choses.

Inventaire 35 Femme qui pleure

Il y a deux étapes dans vos installations : la disposition des objets dans un espace en trois dimensions, selon un agencement qui peut d'abord paraître très arbitraire ; puis l'assemblage proprement dit, à savoir la photographie de l'installation d'un point de vue très précis, qui ramène le désordre apparent des trois dimensions à une image en deux dimensions parfaitement identifiable.

Oui, le but est qu'on fasse d'abord une première lecture de l'installation, avec tout un mécanisme de références qui se mettent en branle par rapport à ce qu'on voit, et puis que dans un deuxième temps on se rende compte qu'on a été dupé, qu'il y avait autre chose à voir, quelque chose qu'on n'avait pas vu et qui fait douter tout à coup de la véracité de la première lecture... C'est là que commence la seule chose que j'ai envie d'exprimer : cette espèce de vide dont je parlais au début, cette double lecture, ce mécanisme qui fait qu'on part dans une direction puis qu'on se rend compte que finalement ce n'était peut-être pas la bonne direction. C'est l'expérience personnelle que j'avais le plus envie de transmettre.

Inventaire 133 Bugs Bunny

De fait on aurait pu imaginer un mode d'assemblage beaucoup plus simple, avec des objets à plat, sur un seul plan... D'où est venue cette idée d'utiliser les trois dimensions et la perspective ?

C'est spécifique au regard du peintre, ça. Le peintre part de trois dimensions et les traduit en deux dimensions. Son regard est un regard qui naturellement analyse les trois dimensions et les retransmet en deux dimensions. C'est-à-dire qu'on a l'habitude de voir les choses à plat même si elles sont en volume. J'essaie dans mes installations d'exprimer la manière dont voient les peintres, et donc dont je vois, moi.

Cela évoque la camera oscura des peintres du XVIIème siècle à laquelle votre appareil-photo ressemble d'ailleurs beaucoup...

Oui, c'est toute la problématique des images en peinture. Mais ce n'est pas seulement vrai de la peinture et des images de représentation. Même si on forme une image mentale, il y a cet exercice de transformation, on traduit trois dimensions en deux. Et comme la nature a horreur du vide, la troisième dimension est toujours recréée d'une autre manière, une manière poétique.

Inventaire 77 Arcimboldo

On compare souvent vos installations aux toiles d'Arcimboldo. Elles évoquent aussi le travail d'artistes contemporains : Felice Varini, Georges Rousse, et leur réflexion sur la perspective.

Je dois beaucoup à Georges Rousse ainsi qu'à Sandy Skoglund : ce sont eux qui m'ont orienté vers la photo. Quant à Arcimboldo, c'est flatteur, car c'est un peintre que j'aime beaucoup. Je ne suis pas très à l'aise dans ce genre de comparaisons, je crois que ce n'est pas à moi de les faire, mais oui, bien sûr, lorsque j'ai réalisé mes premières installations, je pensais à Arcimboldo. Je ferai un Arcimboldo un jour, c'est sûr. J'ai déjà fait un Dali , et Dali aussi est un enfant d'Arcimboldo, il est évident que je lui dois beaucoup.

Lorsque vous vous attaquez à un nouveau montage, vous commencez par quelle partie du visage ?

Je pars de masses, de gros volumes qui vont orienter la lumière et l'espace. C'est comme pour un tableau : on commence par le fond et les grandes masses. C'est toujours très bizarre : il n'y a rien et puis on ramène des objets pour essayer : un gros frigidaire pour faire un visage. On essaie... et parfois on se dit : « Hou la la, ça ne va pas marcher, tu ne vas pas y arriver » ! Ça se fait petit à petit.

Inventaire 74 Le Cri

Les jambes de Barbie pour les lèvres de Pierrot, la gousse d'ail pour la narine de Vénus... Le choix des objets est toujours motivé ?

Dans le cas de la gousse d'ail, le rapport est sans doute avant tout formel. Mais c'est souvent difficile d'expliquer précisément les choix. On a un rapport très inconscient avec les objets. On s'exprime presque autant en disposant des objets dans son environnement, chez soi, qu'avec des mots, mais ça n'est pas codé, donc on ne s'en rend compte que si on y fait vraiment attention. Dans mon atelier, je dispose les choses de façon tout à fait inconsciente, mais lorsque je regarde un peu leur disposition, je me rends compte que cette disposition inconsciente, le fait de poser un verre ici plutôt que là, etc., on peut lui trouver un sens. L'objet est presque utilisé comme un vocabulaire.

Vous laissez donc une grande place à l'intuition dans vos choix ?

J'essaie un maximum de faire intervenir le goût, le goût dans sa dimension tout à fait arbitraire. Mais ce n'est pas toujours possible, c'est très curieux. C'est comme les rêves : plus on les analyse et plus ils se sophistiquent. C'est comme s'ils se protégeaient de la partie consciente. Le même risque existe avec les objets. À force d'habitude, de manipulations, d'analyses, leur choix peut se sophistiquer, se compliquer... Tout ça constitue une palette de possibilités dont on dispose, et que j'essaie de manipuler comme je peux. Cela va de l'installation libre et tout à fait inconsciente, à quelque chose de beaucoup plus prise de tête, où c'est un véritable affrontement entre l'objet, son sens qui veut garder une autonomie, et ma conscience qui cherche à tout prix à lui trouver une raison d'être. Le sujet définit un peu tout ça. Chaque sujet est une aventure différente. Et l'intérêt est précisément que ça se renouvelle, que ça ne devienne pas une habitude, un tic, un savoir-faire qui serait horrible et qui ferait une espèce de production artisanale qui se détériorerait au fil des fabrications.

Inventaire 44 Louis XIV

Et le choix des sujets, justement ?

Je ne sais pas. Souvent, c'est un rapport entre un sujet, des objets, et la possibilité de réaliser le sujet. C'est un flash qui me donne un point de départ et l'envie de commencer. Par exemple, pour le portrait de Van Gogh, j'avais vu des tubes de peintures et de petits objets fragmentés qui m'avaient donné tout d'un coup l'intuition qu'on pourrait reproduire la touche impressionniste. Cela m'a suffi pour démarrer. Idem pour le Louis XIV de Rigaud : c'est le côté brillant, « supermarché» du tableau, qui m'a aussitôt fait penser à un montage possible. Tout est parti de ce côté rayon de supermarché qui m'amusait. Et j'ai appris par la suite que le tableau avait été peint précisément pour vanter la production des manufactures de l'époque, donc à des fins publicitaires, déjàà l'époque !

D'un inventaireà l'autre, vous convoquez des univers parfois très différents : la mer avec Vénus, les rayons de supermarché avec Louis XIV, etc. Cette variété correspond-elle à une exigence esthétique ?

Ça n'est pas une volonté. Je suis enclin naturellement à faire le contraire de ce que j'ai fait la fois précédente. Le contraire, ou quelque chose de complémentaire. C'est comme des positionnements dans l'espace. On arrive dans une pièce, on va instinctivement se mettre à un endroit. Puis une fois qu'on est dans la pièce, la fois d'après, on va essayer de se mettre à un autre endroit... pour regarder l'endroit où on s'était mis par exemple. C'est comme pour le choix des objets, ça se fait au coup par coup. Il y a bien sûr des règles, un vocabulaire, des codes que je me suis inventés. Mais ces codes ont leurs limites, et l'idée est de faire évoluer ces limites, de les pousser, d'agrandir le territoire d'expression pour avoir le plus d'air possible. C'est très naturel, ça suit quelque chose que tout le monde a en commun, l'envie d'espace, l'envie de découvrir, de s'agrandir, de se développer. On est un peu tous comme ça, on est comme des plantes. Et puis on peut subir des tremblements de terre, à force de vouloir s'agrandir on peut découvrir un truc qui fasse que tout casse, il faut tout reconstruire. Ce sont des choses très naturelles, qu'on ne peut pas maîtriser, car on ne sait pas sur quoi on va tomber en essayant de s'agrandir. On peut tomber sur un truc catastrophique, un virus ! C'est ce qui fait que c'est vivant.

Inventaire 53 Dali

La dimension de vos installations varie aussi beaucoup. L'un de vos deux Christ est exclusivement fait d'objets très petits...

C'est par contraste avec le premier Christ que j'avais réalisé. Il avait été fait dans une casse et était très grand, plus de trente mètres de champ. Je me suis dit : ce serait amusant de prendre la même image et de faire un second montage, tout petit. C'est intéressant de les mettre l'un à côté de l'autre : c'est exactement la même image mais bizarrement le petit paraît plus fort que le grand. Quand l'installation est immense, les objets sont plus petits puisqu'ils sont vus de plus loin, il y en a beaucoup plus, et donc ils ont moins de présence, moins de force. Quand on fait des choses petites, il y a moins d'objets, mais ils sont beaucoup plus forts, plus présents, plus gros dans la surface, et ça paraît plus costaud. C'est presque un truc à savoir en fonction du sujet qu'on veut représenter et du traitement qu'on veut lui donner.

Inventaire 25 Albert Einstein

Le choix de certains objets, pour le petit Christ, est surprenant : un CD pour figurer l'auréole, une seringue pour l'un des bras, un filet de haddock fumé pour les jambes et le suaire. Il y a une visée iconoclaste derrière ces choix ?

Non, je n'ai pas pour propos de dénoncer quoi que ce soit. Globalement, je fais n'importe quoi... La seringue exprimait à mes yeux la douleur, c'est tout, le rapport se fait facilement. Pas besoin de chercher des heures pour trouver ça !... Je fonctionne avec une espèce de fonds commun, comme tout le monde. Je n'ai pas de culture particulière, je ne suis pas spécialiste de quoi que ce soit. J'ai simplement un fonds commun. J'arrive à marcher dans la rue, à fermer les yeux, à manger, à mâcher, à faire des trucs un peu comme tout le monde... Voilà, j'utilise ces trucs-là, c'est basique.

On a souvent l'impression que vous jouez à rapprocher les objets les plus contradictoires. Dans la Vénus, par exemple, il y a de vrais poissons, mais aussi de faux, de la porcelaine naturelle, de la porcelaine industrielle, du bleu mais aussi du rouge sang...

Je pense que c'est naturel chez moi. Je crois que la vie est comme ça : quand on marche on met le pied gauche, et puis on se dit « Tiens si je mettais le pied droit ». On est toujours en train de mettre le contraire, de mettre l'autre. L'idée de départ était de faire le portait de ma mère avec l'univers de Spoerri, et ses fins de repas collés. J'ai commencé avec des fruits et des légumes, mais c'était une catastrophe, parce que ça séchait, ça se transformait tous les jours, je n'arrivais pas du tout à représenter ma mère. Alors j'ai eu cette idée de la Vénus, et ça a marché, ça ressemble à ma mère. Par des chemins détournés, mais ça lui ressemble, et elle le sait, elle sait que c'est son portrait.

Inventaire 96 Christ de Loudun

A quel moment considérez-vous qu'il y a assez d'objets, que l'installation est terminée ? Qu'est-ce qui fait que tout d'un coup vous arrêtez l'accumulation ?

C'est un peu arbitraire. On le sent.... Mais parfois je me trompe, il y a des trucs en trop. Parfois je me rends compte après coup que je me suis complètement planté ! Je ne dirai pas pour quelles pièces, je laisse aux gens le soin de s'en rendre compte eux-mêmes, mais cela arrive.

Vous passez beaucoup de temps à collecter vos objets ?

Quand je travaille, oui. Autrement, j'hésite... J'ai un rapport tellement bizarre avec les objets que même si certains objets me plaisent, j'hésite à les prendre, parce que je sais qu'il va falloir que j'en fasse quelque chose... Je suis fainéant ! Mais quand je suis pris dans le boulot, alors là oui. Quand je suis pris, il faut que j'aille jusqu'au bout absolument, et tous les moyens sont bons. Et puis l'expérience joue aussi : je me rends compte que souvent, lorsque je ne prends pas un objet, après je regrette de ne pas l'avoir pris, je découvre qu'il y avait une utilisation à laquelle je n'avais pas pensé tout de suite et ça me manque... Cela me pousse à les prendre le plus souvent, même si j'en n'ai pas très envie... parce que ces objets, c'est souvent des bêtises, des trucs qui inondent mon atelier et que je n'aime pas vraiment ! Ce sont des trucs horribles, que je ramasse un peu partout, dont les gens ne veulent pas...

inventaire 136 le pont japonais

Vous travaillez de plus en plus souvent à l'étranger, en Afrique, en Amérique Latine, aux Antilles. C'est l'occasion de rencontrer des objets que vous ne trouviez pas en France ?

Plus ou moins... Il n'y a qu'en Afrique qu'on est vraiment surpris. Maintenant c'est fou... Je ne sais pas si vous avez vu le film L'histoire du chameau qui pleure, qui se passe au fin fond de la Mongolie, dans un endroit absolument désertique. Eh bien le peu d'objets qu'ils ont, ce sont des objets chinois, pareils à ceux qui ont inondé la planète partout ailleurs, des réveils, des machins... Je vais là-bas dans l'espoir de trouver des choses exotiques, mais c'est difficile. Trouver de l'exotique, des objets vraiment singuliers, ça devient de plus en plus rare. Il faut vraiment les chercher ! Alors il existe toujours des objets un peu communs, mais avec des différences propres à chaque lieu... Je suis allé au Pérou, on trouve sur les marchés des tas d'objets qui sont un peu les mêmes que partout ailleurs, sauf que ce n'est pas le même langage, pas les mêmes couleurs : le soleil a détérioré les objets de façon différente... Sinon, même pour les objets un peu artisanaux, ils ne sont pas très différents de ce qu'on peut retrouver à Paris, les calebasses gravées, les trucs en laine...

Il y a quand même des différences entre ce que vous faites à l'étranger et vos installations antérieures.

Oui, il y a quand même quelque chose. Ne serait-ce que la lumière du coin... Il y a quelque chose d'un peu authentique, quand même ! En particulier l'installation du Pérou : j'avais été sur un marché très pauvre, où les gens mettent des trucs à vendre sur des papiers journaux par terre, des trucs qu'ils trouvent dans des poubelles, vraiment rien, des trucs qu'on ne se baisse même pas pour ramasser, des feutres qui ne marchent plus, des tubes de médecine vides... C'est assez beau, car toute la place est recouverte de ces objets qui sont malgré tout très bien disposés sur les papiers journaux auxquels le soleil donne une couleur très spéciale, une espèce de jaune comme ça, c'est très beau. Pour moi, quand je suis arrivé sur ce marché, c'était comme une de mes installations géantes. J'ai racheté le stock complet d'un type et je l'ai remonté dans l'endroit où je devais faire l'installation, presque à l'identique, pour faire mon portrait de Péruvien. Tout ça, il est évident que je n'aurais jamais pu le faire sans aller au Pérou.

Inventaire 37 Geisha

Il vous arrive sans doute d'être pris en défaut, de ne pas trouver l'objet adéquat pour telle ou telle partie du visage que vous êtes en train de représenter. Comment faites-vous ?

Je suis mal !... Il y a toujours la possibilité de faire quelque chose, au pire avec un truc sans intérêt, un bout de papier ou autre chose. Mais là où c'est vraiment intéressant, où on a l'impression d'être en phase avec des forces qui nous dépassent, c'est quand on trouve véritablement l'objet probant : quand l'objet a vraiment sa lecture d'objet, réellement forte, et en même temps rentre parfaitement dans le propos de la représentation. Là, c'est vraiment super, c'est des rencontres magiques. Quand j'ai fait la Geisha, je traînais partout pour trouver de quoi faire sa bouche, je ne trouvais pas. Et puis je suis tombé dans un magasin sur des petits coquillages rouges, exactement de la forme et de la couleur que je voulais. Je ne savais pas que ces coquillages existaient, ce ne sont pas des coquillages que j'ai peints, ils étaient comme ça. Et là c'est magique, parce que c'est des lèvres très spéciales, très petites, et les coquillages faisaient exactement ça. Eh bien là, c'est un grand plaisir. Dans la Vénus aussi, pour faire les lèvres, j'avais trouvé un petit objet un peu ridicule, une espèce de petit livre avec des oiseaux, un objet complètement improbable, auquel on n'aurait pas fait attention en temps normal. Vu sous un certain angle, cela faisait exactement la lèvre des sculptures grecques, avec la lumière qu'il fallait, avec même une petite tache noire pour faire le creux des lèvres.

Est-ce qu'avec l'habitude vous trouvez plus vite ?

Non, parce que j'ai toujours de nouvelles exigences. Je suis moins vite satisfait de l'objet. Et puis ça reste toujours dur. Il est possible que l'objet que je cherche soit juste à côté de moi, et que je ne le voie pas pendant trois jours. C'est désespérant, c'est terrible. Et le moment où on trouve... c'est un peu comme la philosophie du mec qui porte la pierre pendant des heures, comme ça, et qui trouve qu'il est heureux quand il la pose !...

A voir :
-Le site de l'artiste.

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GEORGES MELIES, la magie et les fantômes

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Au tournant du XXe siècle, les spectateurs, à la fois, des spectacles de magie, des pratiques médiumniques et du cinématographe partagent un certain nombre de caractéristiques communes liées au régime de croyance activé par des images (ou des faits) ressentis sur le mode de l'illusion de réalité. La figure du spectateur sidéré permet, en effet, d'articuler le spiritisme, l'illusionnisme et le cinéma des origines qui postulent, chacun à leur manière, un sujet percevant placé face à une représentation qui exerce sur lui des effets particuliers de fascination. Plusieurs auteurs ont déjà souligné la proximité historique et épistémologique entre le magnétiseur des champs de foire, le prestidigitateur et le film (1), qui développent à l'endroit du sujet une influence se traduisant par une forme d'anesthésie des sens et (en partie) de la conscience. D'un point de vue psychophysiologique, ces différents dispositifs induisent des (pseudo)hallucinations qui soulèvent la question des affinités électives entre ce sujet stupéfié et le névropathe circonscrit dans la littérature médicale et paramédicale contemporaines. Ce motif de la sidération doit donc être envisagée relativement à cet arrière-fond contextuel tissé par les discours, les pratiques et les représentations portant sur les phénomènes d'absorption et d'envoûtement d'un sujet qui est souvent pensé en fonction d'un modèle psychopathologique (2).

À une époque séduite par le spiritisme, les prestidigitateurs et les cinématographistes sont appelés à exercer leurs compétences afin de dépister les « fraudes médianiques » (3), les médiums étant régulièrement blâmés de n'être que d'habiles escamoteurs trompant un public impressionné par des prouesses attribuées aux dons surnaturels de l'opérateur. Certaines branches de la magie, regroupées sous le nom de « mentalisme », pastichent précisément les phénomènes spirites, indiquant du même coup la possibilité de truquer l'apparition d'un spectre ou la divination de la pensée (4). Les polémiques sur la validité scientifique des faits occultistes placent donc le monde du spectacle et de l'illusionnisme au carrefour de la science et de la parapsychologie, tel que l'illustre le « débat sur les fantômes » (5) dans lequel Georges Méliès va officier à titre d'expert, révélant combien les exploits de certains spirites capables d'entrer en communication avec des esprits et, parfois, de leur prêter corps, ne sont que pures mascarades. Raynaly et Arnould, les prestidigitateurs du célèbre Théâtre Robert-Houdin dirigé par Méliès dès 1888, vont à plusieurs reprises être sollicités par des comités constitués majoritairement de docteurs et hommes du monde dans le but d'authentifier des expériences paranormales, celles-ci étant placées, soit du côté de la « science » dont se réclament les spirites en quête de légitimité, soit du côté du spectacle, donc du truc, du trucage et de la supercherie pour ceux qui partent en guerre contre les simulations occultistes.

Les spectres et le manoir du diable au Théâtre Robert-Houdin en 1889, sous la direction de Georges Méliès.

Comparée à un spectacle de magie, la séance de spiritisme est accusée, par ces derniers, d'induire une fascination qui brouille le jugement du public via une forme de suggestion collective, jetant l'équivoque sur la véracité de réalités prétendument suprasensibles. Alors que la manipulation est pleinement assumée par les prestidigitateurs comme ressort essentiel de leur art, les occultistes se défendent de fabriquer des fantômes par le biais de procédés artificiels. Que ce soit dans ses spectacles de magie ou dans ses féeries (films à trucs) mettant en scène des charlatans (6), Méliès ne cessera, en vertu de son statut de spécialiste des trucages illusionnistes, de dénoncer des méthodes exploitant la crédulité du public impressionné par des « visions » extravagantes et mensongères. Ainsi, le cinéma des origines, associéà une longue tradition spectaculaire revendiquant un jeu sur l'illusion de réalité des images animées, participe pleinement à ces réflexions sur le sujet stupéfié par le merveilleux, la figure de Méliès opérant comme un point de jonction entre les sciences et les arts.

Rémy et Méliès : « Spirites et Illusionnistes »

Tournant ses premiers films à trucs en 1896, Méliès inscrit son œuvre dans la série culturelle de spectacles illusionnistes recourant aux ressources de l'optique, de la chimie, de la mécanique et de la physique pour créer des effets spéciaux dotés d'un très fort degré de réalisme. Considéré comme le fils spirituel et le successeur de Robert-Houdin, spécialiste en France des spectacles de spectres vivants, Méliès connaît parfaitement tous les trucs mis à disposition par l'art de la prestidigitation pour créer à volonté des apparitions et des disparitions de toutes sortes, des métamorphoses, des déplacements, des lévitations d'objets ou de personnes (7). Bénéficiant d'une réputation de prestidigitateur sans failles, Georges Méliès va combattre le spiritisme par différents moyens comme la parodie dans le cadre de ses activités artistiques, la lettre de lecteur envoyée aux éditorialistes de journaux ou l'organisation de conférences, se faisant ainsi l'écho de querelles entre partisans et opposants de l'occultisme.

En 1907, Méliès invite Monsieur Rémy, membre honoraire de la Chambre syndicale des Illusionnistes de France qu'il préside, à donner deux conférences au Théâtre Robert-Houdin sur le thème «Spirites et Illusionnistes» (8). Afin de conquérir son auditoire en majorité acquis à la cause de la « théorie sceptique », l'orateur commence par mettre en garde contre les dangers du spiritisme qui peuvent atteindre autant les médiums privés de leur libre-arbitre puisque à disposition totale de l'esprit qui les visite, que les assistants aux séances qui souscrivent aveuglément à des manifestations à la réalité discutable. Pathologisant la croyance qui anime les adeptes du spiritisme, Rémy signale que « beaucoup sont des sujets plus ou moins névrosés ou hystériques, exaltés encore par la tension d'esprit qu'ils s'imposent, suggestionnés d'ailleurs par le milieu dans lequel on opère [...] (9) » . Nombreuses, en effet, seraient les personnes vouant un culte sans limites à des dogmes s'appuyant sur des procédures falsifiées, la population des médiums se divisant assez équitablement, selon lui, en « charlatans » et en « vrais spirites » (10). La séance spirite se compose alors, dans le pire des cas, d'une assemblée à« l'imagination hallucinée » (11) par des médiums rusant pour produire des « effets merveilleux » inspirés de la prestidigitation (12). La responsabilité du discrédit jeté sur le spiritisme se répartit ainsi sur les deux groupes humains qui le composent, le premier tirant profit de la faiblesse mentale du second, voir de sa débilité. C'est ce que sous-entend sa réflexion stigmatisant cette partie de la clientèle des médiums jugée comme dépourvue de discernement, manipulable, inculte, et donc aisément impressionnable. Ce texte contient en effet toutes les représentations attachées à l'hallucination pathologique comprise avant tout comme la conséquence d'une suggestion exercée par des « névropathes » sur leur audience. Pour l'auteur, « les rapports entre la médiumnité et les accidents nerveux sont donc incontestables et l'on peut dire que les médiums appartiennent à la famille névropathique » (13). Toutefois, son exposé change bientôt de ton pour évoquer la possibilité que certains faits spirites ne souffrent aucune remise en cause, en vertu, à la fois, de la fiabilité des témoins et de l'explication rationnelle qui peut en être tirée. Adoptant un point de vue médian entre les deux postures extrêmes, il invite son auditoire à accueillir avec bienveillance « les phénomènes du vrai spiritisme » qui « sont de nature à exercer tous les courages, toutes les intelligences, toutes les perspicacités » (14). Il prône ainsi la probité et la tolérance des uns et des autres afin de pouvoir opérer la distinction, nécessaire à la connaissance objective, entre les faits spirites avérés et leurs caricatures trompeuses.

Méliès et ses collègues magiciens faisant léviter une table à la manière des spirites.

En 1911, ces conférences feront l'objet d'une publication accompagnée de photogravures illustrant le dernier grand spectacle de prestidigitation réalisé par Méliès au Théâtre Robert-Houdin, démarrant en septembre 1907 sous le titre « Revue rétrospective et moderne des phénomènes spirites », puis, dès septembre 1910, rebaptisé« Les Merveilles de l'occultisme » (15). Ces photogravures qui représentant les grandes scènes composant ce spectacle destinéà railler le spiritisme, montrent le magicien Jules-Eugène Legris aux prises avec des spectres, des apparitions en tout genre et des tables en lévitation, images réalisées par le biais de « nouveaux “trucs” vraiment peu ordinaires » (16) qui ne sont autres que les procédés de la double exposition ou de la surimpression dont Méliès se dit être l'inventeur dans le champ du langage filmique.

« Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ? »

Méliès ne cessera de répéter la nécessité de maintenir le public dans l'ignorance, non pas de la nature artificielle des numéros exécutés, mais des procédés qui visent précisément à produire l'illusion et à dérouter le spectateur bluffé par l'agilité de l'opérateur. Car l'illusionnisme, loin de mobiliser des forces surnaturelles, est un métier laborieux qui exige dextérité, finesse et intelligence afin de parvenir à créer chez le sujet percevant de véritables hallucinations, qu'il s'agisse de lui faire voir ce qui n'existe pas (hallucination positive), ou de lui cacher la vue de ce qu'il a sous les yeux (hallucination négative). Ces préceptes sont d'ailleurs considérés comme le fondement de tout tour de magie, comme l'enseigne l'analyse psychophysiologique d'Alfred Binet qui fait appel notamment aux théories sur les illusions perceptives de James Sully (17). Tenant son spectateur en très haute estime, Méliès, comme tous les prestidigitateurs combattant la crédulité facilement exploitée par les marchands de fantômes, prendra à plusieurs reprises la peine de rappeler combien « la divulgation des procédés secrets de fabrication à un public de profanes est la plus lourde faute qu'il soit possible de commettre » (18).

En avril 1908, répondant dans la revue Phono-Cinéma-Revue, à Gustave Babin qui, dans l'Illustration aurait révélé quelques secrets sur les procédés cinématographiques, Méliès rappelle en effet les règles déontologiques d'une activité associée à la tradition des fantasmagories et affiliée au tabou du « débinage » des trucs (19). Le texte de Méliès, riche en enseignement autant sur sa conception de la magie que du cinéma, insiste sur l'indispensable part de discrétion et de mystère à préserver afin de s'assurer l'émerveillement du public : Cela va de soi, jamais un bon prestidigitateur n'ira, après avoir travaillé 20 ans pour acquérir l'adresse nécessaire, expliquer le secret d'un tour au public. Dès que le public sait comment cela se fait, toute idée de difficulté d'exécution disparaît pour lui et il se borne à dire : ce n'est pas malin, cela se fait comme cela. Or dans le Cinématographe il en est exactement de même. Rien n'est plus difficile d'exécuter d'une façon parfaite et artistique tout ce qui est vue bien truquée (20) .

L'enjeu pour Méliès réside d'abord dans l'apologie d'une profession encore sujette à bien des critiques de la part d'une élite intellectuelle doutant des qualités artistiques requises pour réaliser des vues cinématographiques – réserves par ailleurs déjàémises quelques décennies auparavant à propos de la photographie considérée par ses contempteurs comme une machine reproduisant bêtement la réalité avec une intervention humaine minimale. Il s'agit ensuite de s'attribuer la paternité d'un genre, « la cinématographie fantaisiste et fantastique » qui aurait « sauvé d'une mort certaine » un divertissement destinéà« un public ayant été très vite fatigué des simples vues en plein air » (21). L'efficacité donc du spectacle cinématographique dépend du « tour de main » de l'artiste, qui comme celui du prestidigitateur, « ne s'explique pas, il faut l'avoir » (22). Concluant qu'il ne peut « admettre qu'on veuille faire passer comme enfantine une profession difficile » (23), Méliès mène ici deux batailles de front, l'une contre les adversaires du cinéma restreint à un divertissement puéril, l'autre contre tous ceux qui usent du cinéma et de la magie à des fins contestables, comme dans le cas des séances spirites.

Dessin de Méliès (1930) rassemblant les différents épisodes des Phénomènes du spiritisme sur la scène du Théâtre Robert-Houdin.

La même année, Jean Caroly, directeur du journal L'Illusionniste et habile praticien, informe régulièrement ses lecteurs de la lâcheté des spirites au moment de se confronter aux compétences des prestidigitateurs. Dans deux articles intitulés « Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ? », Caroly revient sur les polémiques suscitées par les exhortations des savants aux médiums (24), soulevant la question de la présence indispensable de professionnels de la magie dans les comités évaluant les aptitudes des spirites. Dans le cadre des ces mises au défi, Caroly souligne un trait récurrent des sympathisants du spiritisme consistant à battre en retraite dans les moments de « vérité». Il semblerait, en effet, que la lutte entre partisans et opposants de l'occultisme se résume à une longue suite de rendez-vous manqués, les premiers omettant de convier les seconds qui se contentent d'attendre poliment une invitation du camp adverse comme preuve de courage et de rectitude morale. La bataille fait alors rage dans la grande presse, comme Le Matin ou L'Éclair, qui publient des lettres de personnalités offrant de coquettes sommes d'argent à ceux qui parviendraient à prouver scientifiquement leur qualification, tantôt de médium, tantôt de prestidigitateur (25). C'est le cas de Gustave Le Bon qui, menant campagne contre divers ignorantismes, propose de récompenser le spirite qui parviendrait à convaincre de sa faculté de lévitation (26), sans avoir recours au trucage ou à la suggestion du public (27). Dans son ouvrage Les Opinions et les croyances (1911), Le Bon soulève un point essentiel, à savoir les qualités requises pour pouvoir soupeser les faits spirites, les prestidigitateurs étant mieux placés que les savants qui s'avèrent être « les hommes les plus faciles à tromper » (28). Ainsi, si les gens de spectacle sont estimés exercés dans l'art de fabriquer des fantômes et des mirages – et donc jugés aptes à les identifier comme chimériques –, les scientifiques doivent se limiter à en étudier la teneur et la véridicité.

Le « Débat sur les fantômes »

Traversant un semblant d'accalmie les années suivantes, la dispute entre spirites et illusionnistes reprend une nouvelle vigueur dans les premiers mois de l'année 1912, bien que les modalités de l'affrontement soient strictement analogues aux épisodes précédents : un médecin met au défi par voie de presse un « croyant » censé lui prouver la réalité des capacités surnaturelles d'un médium qui finit par se rétracter pour éviter la sentence proférée par les illusionnistes. Le « Débat sur les fantômes » reporté dans les pages de L'Illusionniste réunit encore une fois une série de notables cherchant à percer les mystères occultistes qu'aucune expertise n'est parvenue à dissiper de manière sérieuse. Cette fois-ci, le Dr. Albert Charpentier exige d'un certain M. Girod (assisté par Fabius de Champville, directeur de la Revue scientifique de l'occultisme) de le persuader des dons de la médium Mary Demange qui prétend pouvoir déplacer des objets à distance et sans contact (29). D'après le compte-rendu que Caroly donne de cette affaire, d'abord fixée sur la création d'un fantôme, le degré de difficulté s'abaissât fortement lorsque Mme Demange, prit connaissance des préalables drastiques dictés par la commission d'étude (30). Constatant la nullité des progrès réalisés en matière « d'exhibition de spectres […] depuis les apparitions jadis suscitées par Robin » (31), Caroly déplore également l'absence de prestidigitateur dans le panel des figures choisies pour jauger la médium (32). Cependant, il aura l'occasion de rectifier le tir d'une conclusion trop hâtive en publiant une lettre de Georges Méliès destinée à rétablir la véritéà propos de l'évincement supposé des prestidigitateurs. Le Dr. Charpentier aurait bien contacté un illusionniste pour compléter sa commission, ce qui permet à Caroly d'attribuer la défection des spirites à la peur d'être confrontés à un redoutable spécialiste de l'illusion, à savoir Georges Méliès. Dans une lettre datée du 27 février 1912 (33), ce dernier confirme avoir été consulté par le Dr. Charpentier afin jouer le rôle de contrôleur de l'expérience, mais au vu des conditions très sévères posées par lui-même, celle-ci n'aura finalement pas lieu, malgré sa proposition d'organiser une « séance projetée dans l'obscurité complète» (34) .

Affiche du Théâtre Robert-Houdin où l'on présente les American spiritualistic mediums et Le décapité récalcitrant, une farce spirite.

Cette affaire confirmera combien les véritables adversaires des spirites s'avèrent être, en première ligne, les illusionnistes eux-mêmes, et non pas tant les scientifiques dont le scepticisme souffre de quelques lacunes en matière de tours de passe-passe, et surtout en matière de dispositif spectaculaire. Méliès, en effet, aborde dans sa lettre la problématique essentielle du dispositif employé pour vérifier les performances des médiums œuvrant le plus souvent dans une relative obscurité, avec l'aide d'un ou plusieurs assistants, et en prenant soin de tamiser la perception des spectateurs par différents moyens connus des magiciens. Dès lors, ce n'est pas un hasard s'il souligne une défection portant y compris sur une séance totalement assombrie qui semblerait favoriser l'apparition de spectres et autres prodiges paranormaux, les médiums ayant une prédilection pour les ambiances ténébreuses, propices, bien évidemment, à la mascarade et à la dissimulation. En 1936, Méliès évoquera à nouveau cette question du dispositif à propos de son spectacle Les Phénomènes du Spiritisme (35) introduit comme suit : « Lévitation, catalepsie, ectoplasmes, matérialisation et dématérialisation, tous les soi-disant “mystères” des médiums réalisés en pleine lumière, et sous contrôle effectif des spectateurs» (36). Permettant de mesurer l'investissement des milieux de la magie dans les affaires de spiritisme, cet article vise surtout à valoriser la prestidigitation de « vrais » professionnels qui se soucient de la qualité des illusions produites, réduisant les spirites à de vulgaires débutants. Constatant la vanité des tentatives visant à corroborer l' « absence de sincérité» des spirites et de leurs adeptes, Méliès met en contraste la magie et le spiritisme autour des stratégies d'éclairage qui servent à orienter, voire à perturber la vision du public (37). Or, il s'agit précisément pour lui d'opposer deux dispositifs symétriquement inverses, la scène de la magie baignant dans une luminosité synonyme d'intelligibilité, alors que celle du spiritisme se limbe dans une pénombre révélatrice de son opacité et sa duplicité. Les spectateurs sont pris à partie pour renforcer la fiabilité d'un dispositif dévolu à fabriquer de faux fantômes dont la vraisemblance prodigieuse risquerait, toutefois, de les sidérer : « Il est vrai, précise Méliès, que nous les prévenions longuement, dès le début, que tout qu'ils allaient voir n'était qu'illusion, et qu'il ne fallait pas croire un seul mot des mensonges qu'en notre qualité de médiums nous allions leur prodiguer » (38). Le péril, en effet, que ces « merveilles » ne se retournent contre les illusionnistes par trop talentueux imitateurs des spirites, était à envisager, sinon à craindre. Aux précautions oratoires prises lors du spectacle, les opérateurs ajoutent l'exhibition du parfait hermétisme d'une scène encadrée d'une tenture de velours noir « d'une seule pièce, sans aucune ouverture », munie d'un sol sans trappes, et dépourvue de panneaux masquant la vue d'objets à faire apparaître ou disparaître. Les spectateurs étaient, de plus, invités à inspecter la scène pour s'assurer de la probité du magicien (39). Partant, la complicité des spectateurs est sollicitée à plusieurs niveaux, autant sur le plan logistique du dispositif matériel et technique, que sur le plan métapsychologique du dispositif de croyance, le spectateur étant dûment avisé d'une duperie qu'il va cependant accréditer par une forme de dénégation typiquement fétichiste (40). Car le plaisir spectatoriel réside, non seulement dans l'éblouissement procuré par l'ingéniosité du magicien et des effets spéciaux, mais aussi dans l'acte de se prêter au jeu de la tromperie.

Le truc et la féerie cinématographique

Ce qui frappe dans cette juxtaposition de deux pratiques contraires, c'est la ressemblance du dispositif illusionniste avec celui du dispositif cinématographique que Méliès connaît parfaitement dans son activité« parallèle » pour ne pas dire « jumelle ». Comme la salle du Théâtre Robert-Houdin, la salle de cinéma se compose également d'une scène baignée de lumière puisque remplie par un écran lumineux sur lequel sont projetées des images donnant l'illusion de réalité du perçu à une assemblée occupant un espace assombri qui focalise l'attention sur la représentation. Parenté structurelle et scénographique des dispositifs, donc, renforcée par la translation homothétique du domaine de la magie à celui du cinéma, du procédé principiel et structurel générateur de féerie : le truc. Dans les deux modes spectaculaires, le truquage vise les mêmes effets d'enchantement du spectateur, tout en dissimulant la mécanique sous-tendant la logique de l'illusion. Or, dans son fameux texte « Les vues cinématographiques » publié en 1907, Méliès rappelle les fondements d'un art qui, en s'exprimant à travers ses « vues fantastiques », est mis au service du phénoménal et de l'inouï (41). Le truc consiste justement à déjouer la perspicacité du spectateur qui s'interroge sur la faisabilité des prodiges certifiés par la nature indicielle d'une réalité photographique qui majore l'exploit performé par l'artiste-cinématographiste d'un supplément d'impensable. Ainsi, le spectateur décrit par Méliès est un sujet proprement sidéré, stupéfié par la beauté d'un spectacle hors du commun et ébranlé dans ses certitudes perceptives. Qu'il prenne place dans ses spectacles de prestidigitation ou dans les salles itinérantes du cinéma, ce sujet percevant apparaît comme un spectateur à la fois candide, car capable de retrouver une naïveté enfantine, et conscientisé par un discours signalant le tour de force d'un créateur industrieux et astucieux.

L'Évocation spirite (1899).

Cette supériorité du magicien sur le spirite est thématisée sans ambages dans un de ses films à truc, L'Évocation spirite (1899), qui tourne en ridicule les pratiques occultistes en appliquant le procédé de la double exposition pour reproduire l'apparition de « spectres »– un Belzébuth, le buste d'une femme, et le double du « spirite » lui-même –à l'intérieur d'une couronne suspendue dans le vide (42). Méliès, comme à l'accoutumé, y joue le rôle de l'opérateur qui, en tant que médium, performe la même gestualité attachée traditionnellement à l'art de la prestidigitation, bien qu'il ne manie pas la baguette magique destinée à gérer la vigilance des spectateurs. Singeant l'action d'un médium qui ressemble furieusement à un prestidigitateur, cette séance se déroule à l'intérieur d'un dispositif scénique qui réduit le spiritisme à un simple tour de magie, annexant visuellement et sémantiquement le phénomène de la survenance de fantômes à un spectacle d'illusion que le cinéma à la fois vient exprimer, soutenir et attester en tant que fraude.

Notes :

1- Cf. Marie-Georges Charconnet-Méliès et Anne-Marie Quévrain : « Méliès et Freud, un avenir pour les marchands d'illusions ? », in Madeleine Malthête-Méliès (dir.), Méliès et la naissance du spectacle cinématographique, Paris, Klincksieck, 1981, p. 230. Ainsi que : Rae Beth Gordon, « Les pathologies de la vue et du mouvement dans les films de Méliès », in Michel Marie et Jacques Malthête (dir.), Georges Méliès, l'illusionniste fin-de-siècle ?, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne-Nouvelle, 1997, pp. 263-283.

2- Rae Beth Gordon, « Les pathologies de la vue…», ibid, p. 264 ; Voir aussi le chapitre 5 de son ouvrage : Why the French Love Jerry Lewis : From Cabaret to Early Cinema, Standford Cal., Standford University Press, 2001.

3- Il s'agit d'une expression empruntée à Julian Ochorowicz. « La question de la fraude dans les expériences avec Eusapia Paladino », Annales des Sciences psychiques, 1896, 6ème année, pp. 79-123.

4- Cf. Jean-Eugène Robert-Houdin, Comment on devient sorcier, Paris, Omnibus, 2006, p. 450.

5- Jean Caroly, le directeur de la revue L'Illusionniste. Journal secret des Prestidigitateurs, Amateurs et Professionnels, intitule ainsi une série d'articles qui rendent compte des affrontements entre spirites et illusionnistes. « Débat sur les fantômes », février 1912, n°122, pp. 124-125 ; mars 1912, n°123, pp. 136-137.

6- Cf. Thierry Lefebvre, « Méliès et la physiognomonie. La stigmatisation des personnages “fabriqués”», in Michel Marie et Jacques Malthête (dir.), Georges Méliès, l'illusionniste fin-de-siècle ?..., op. cit., pp. 253-262.

7- Laurent Mannoni, « Méliès, magie et cinéma », in Jacques et Mannoni, Laurent, Méliès. Magie et cinéma, Malthête, Paris, Paris Musées, cat. d'expo. Espace EDF Electra, 26 avril-1er septembre 2002.

8- Ces conférences sont à rattacher à ses positions tenues dans le journal L'Illusionniste. « Conférences sur le spiritisme », n°65, mai 1907, pp. 277-279 ; n°66, juin 1907, pp. 289-291 ; n°68, août 1907, pp. 311-314.

9- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, ibid., p. 47.

10- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, ibid., p. 50.

11- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, id.

12- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, ibid., p. 55.

13- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, id.

14- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, ibid., p. 78.

15- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, ibid. Voir tout particulièrement le chapitre « Le spiritisme au Théâtre Robert-Houdin », pp. 245-254.

16- M. Rémy, Spirites et Illusionnistes…, ibid., p. 253, note 1.

17- Alfred Binet, « La Psychologie de la prestidigitation », Revue des Deux Mondes, t. 25, 64ème année, 1894, pp. 903-922. Je remercie Anne-Marie Quévrain et Rae Beth Gordon pour leurs pertinentes suggestions. Sur les liens entre Méliès et la psychopathologie, voir Rae Beth Gordon (« Les pathologies de la vue…», op. cit.), et sur Méliès et Binet, voir mon étude : « Alfred Binet, entre illusionnisme, spiritisme et cinéma des origines », Recherches & Educations, n°1, 2008, pp. 199-204.

18- Georges Méliès, « Les coulisses de la Cinématographie. Doit-on le dire ? », Phono-Cinéma-Revue, n°2, avril 1908, p. 2. Que Jacques Malthête soit remercié pour m'avoir communiqué cette référence et donné une copie de l'article en question.

19- Le rapprochement ici entre Méliès et Robertson n'est pas fortuit puisque tous les deux garderont jalousement le secret de leurs arts respectifs. Voir Laurent Mannoni, Le Grand art de la lumière et de l'ombre. Archéologie du cinéma, Paris, Nathan Université, 1995, p. 164.

20- Georges Méliès, « Les coulisses de la Cinématographie…», op. cit., pp. 2-3.

21- Georges Méliès, « Les coulisses de la Cinématographie…», op. cit., p. 2.

22- Georges Méliès, « Les coulisses de la Cinématographie…», op. cit., p. 3.

23- Georges Méliès, « Les coulisses de la Cinématographie…», op. cit., p. 4.

24- Jean Caroly, « Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ? », L'Illusionniste, mai 1908, pp. 52-53 ; juin 1908, pp. 62-63 ; juillet 1908, p. 76.

25- Lettre publiée le 29 avril 1908 dans L'Éclair et offrant cinq cents francs au magicien qui saura au mieux imiter les médiums. Reproduite par Caroly, ibid., mai 1908, p. 53.

26- Gustave Le Bon, Les Opinions et les croyances. Genèse, évolution, Paris, E. Flammarion, 1918 [1911], pp. 210-211.

27- Gustave Le Bon, Les Opinions et les croyances…, ibid., p. 211.

28- Gustave Le Bon, Les Opinions et les croyances…, ibid., pp. 213-214.

29- L'Illusionniste, février 1912, n°122, 11ème année, p. 124.

30- Caroly, « Débat sur les fantômes, suite et fin », L'Illusionniste, mars 1912, n°123, p. 136. La création d'un fantôme semble toujours être le degré de difficulté suprême dans les exploits performés par les spirites.

31- Jean Caroly, « Débat sur les fantômes », février 1912, n°122, p. 124.

32- Jean Caroly, « Débat sur les fantômes », ibid., p. 125.

33- L'Illusionniste, mars 1912, n°123, p. 136.

34- L'Illusionniste, ibid., p. 137.

35- Geo Méliès « Un grand succès du Théâtre Robert-Houdin » (1936), Bulletin de l'association « Les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès », n°27, 2ème e semestre 1995, pp. 43-44 ; n°28, 2ème semestre 1996, pp. 33-35 ; n°29, 2ème semestre 1996, pp. 35-36 ; n°30, 1er semestre 1997, pp. 41-43 (aussi publié dans Journal de la Prestidigitation, n°90, juillet-août 1936, p. 326 et suiv.).

36- Geo Méliès « Un grand succès du Théâtre Robert-Houdin »…, ibid., n°27, p. 43.

37- Geo Méliès « Un grand succès du Théâtre Robert-Houdin »…, id.

38- Geo Méliès, « Un grand succès du Théâtre Robert-Houdin »…, ibid., n°27, p. 44.

39- Geo Méliès, « Un grand succès du Théâtre Robert-Houdin », ibid., n°28, p. 33.

40- Processus résumé dans la fameuse formule du psychanalyste Octave Mannoni, « Je sais bien, mais quand même…», Clefs pour l'Imaginaire ou l'Autre Scène, Paris, Seuil, 1968, pp. 859-870.

41- Georges Méliès, « Les vues cinématographiques » [1907], texte publiéà l'origine dans l'Annuaire général et international de la photographie, et reproduit dans Lumière et Méliès, Georges Sadoul, Paris, Lherminier, 1985, pp. 203-218, et dans André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, 2008, pp. 195-222. Mes citations sont tirées de l'ouvrage de Sadoul.

42- La photographie dite spirite s'appuie sur les mêmes procédés pour falsifier l'apparition de spectres. Clément Chéroux (et al.), Le Troisième Œil. La photographie et l'occulte, Paris, Gallimard, 2004.

-« Georges Méliès, la magie et les fantômes : le spectateur sidéré», Texte publié dans l'ouvrage Les Âmes errantes. Fantômes et revenants dans la France du XIXe siècle, Stéphanie Sauget (dir.), Paris, Créaphis, 2012, pp. 131-142.

Bibliographie :
-Cinématographe, invention du siècle de Emmanuelle Toulet (Découverte Gallimard, 1988).
-Georges Méliès, l'illusionniste fin de siècle ? de Jacques Malthête et Michel Marie (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997).
-Pour une histoire des trucages de Thierry Lefebvre (Revue 1895 AFRHC n°27, 1999).
-Méliès, magie et cinéma de Jacques Malthête et Laurent Mannoni (Fondation Electrique de France, Paris musées, 2002).
-L'oeuvre de Georges Méliès par Laurent Mannoni (Editions de La Martinière, 2008).
-Georges Méliès l'enchanteur de Madeleine Malthête-Méliès (Editions La tour verte, 2011).

A Lire :
- Le dossier Méliès, L'homme orchestre.
- La présentation de Méliès par Caroly.
- Le compte rendu de l'exposition Méliès, magicien du cinéma.
- Le dossier Magie et cinéma.
- Le compte rendu du spectacle Méliès, Cabaret magique.
-Méliès et le Théâtre Robert-Houdin.
-Méliès Mage.
-Méliès, lettre manuscrite.
-Méliès par Scorsese.
-Les effets pyrotechniques chez Méliès.

A voir :
- Le DVD Georges Méliès, l'intégrale !
- Le DVD Méliès, 30 chefs-d'œuvre.
- Le DVD Méliès, le cinémagicien.
- Le DVD Méliès, Encore.
- Le DVD collector George Méliès, à la conquête du cinématographe. Livre réalisé en partenariat avec les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès, contenant les 2 DVD précédents de Fechner productions + un DVD de films inédits (novembre 2011).

A visiter :
-Les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès.

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Le Commandeur Marius CAZENEUVE

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Le Commandeur Cazeneuve au Palais de Kassar-Saïd (Promeneur de Tunis, 12 février 1904)

Le grand salon était éclairé, samedi soir, d'une façon féerique comme dans les Mille et une Nuits. Le commandeur Cazeneuve avait été appeléà présenter ses expériences scientifiques devant S. A. le Bey et son auguste famille ; y assistaient également les officiers de sa maison.

La séance a commencéà six heures et ne s'est terminée qu'à neuf heures et demie. Il serait difficile d'énumérer toutes les expériences qui ont été présentées ; il nous suffira de dire que ce fut un véritable triomphe pour Cazeneuve et sa nièce Reine Desolange. Ce qui A paru le plus frapper Son Altesse et son entourage, ce sont surtout les expériences scientifiques pour lesquels les Cazeneuve n'a pas d'imitateur.

Les mathématiques transcendantes ont vivement excité l'admiration, et la suggestion a obtenu un réel succès, d'autant plus que ce que pensait le Bey était immédiatement dépeint ou exécuté par le sujet Reine Desolange. Nous citerons, entre autres, ceci : Son Altesse demanda à Cazeneuve si son sujet pourrait interpréter directement sa pensée, et cela sans la communiquer au magnétiseur ; la réponse fut affirmative et, après avoir établi un fluide de communication de Son Altesse au sujet, Cazeneuve l'abandonna. Sitôt la main du Bey toucha la main du sujet : ce dernier changea rapidement de physionomie et joua d'une façon impeccable toute une scène des Femmes savantes de Molière ; c'était, en effet, la scène pensée.

Voulant réitérer l'expérience, le Bey pensa de nouveau, et le sujet nous fit, par sa description, assister à une scène d'un cheval qui s'emballe ayant son cavalier sur le dos. Cette scène fut admirablement dépeinte. C'était un incident de la vie de Son Altesse. Ensuite, chaque membre de la famille voulut se rendre compte par lui-même et chaque scène pensée fut fidèlement exécutée par Madame Reine Desolange.

Un des assistants, prenant un livre, se plaça derrière le sujet et celui-ci, sans-hésitation, récita à haute voix ce que le prince lisait mentalement, et cela à l'insu de Cazeneuve, qui était resté près de Son Altesse. Nous citons ces quelques expériences parmi les nombreuses qui furent représentées par Cazeneuve et son sujet. Nous devons également citer celle-ci : on apporta un revolver et des balles qui furent visitées et marquées par Son Altesse et son entourage. Un officier supérieur fut désigné pour faire feu sur Cazeneuve, et ce dernier arrêta les balles au passage. Après l'expérience, les balles furent reconnues par les personnes qui les avaient marquées.

Nous nous résumerons en disant que la soirée d'hier marquera comme succès éclatant dans les annales de Cazeneuve, et si son départ de la Tunisie est proche, il emportera un des meilleurs souvenirs de l'accueil chaleureux que Tunis et toute la Régence ont fait à sa science émérite et à son talent.

Le Commandeur Cazeneuve à la résidence (Promeneur de Tunis, 27 février 1904)

M. le Résident général et Madame Pichon avaient invités hier soir quelques amis privilégiés à assister à une séance du commandeur Cazeneuve et de sa nièce, Reine Desolange, qui sous peu doivent partir pour la France. Comme d'habitude, Cazeneuve a tenu pendant plusieurs heures son auditoire sous le charme de sa parole sobre et correcte ; ses expériences, d'un caractère scientifique et amusant, ont émerveillé les invités.

M, et Madame Pichon ont manifestéà plusieurs reprises leur admiration et ont félicité le commandeur pour la simplicité et la franchise avec lesquelles il présente ses surprenantes expériences de combinaisons merveilleuses, où la science et l'adresse jouent le plus grand rôle, tout en écartant le charlatanisme.

Reine Desolange a enthousiasmé son auditoire et s'est montrée, comme toujours, la tragédienne inimitable dans ses manifestations magnétiques de suggestion mentale, de lecture à travers les corps opaques et tous les phénomènes d'hypnotisme, dans le domaine psychologique ou physiologique. Elle a prouvé une fois de plus la réalité de ce fluide encore inconnu qui fait que l'âme semble se dégager du corps, comme l'a si bien écrit Camille Flammarion, pour voyager dans les régions éthérées, et revenir ensuite, par la puissance du magnétiseur, ranimer de nouveau le corps qui, un instant avant, était complètement anesthésié.

Un des spectateurs disait, après la séance : Le commandeur Cazeneuve n'a pas de rival parce qu'il réunit en lui une grande habileté, une mémoire extraordinaire, une érudition profonde ; de plus, c'est un mathématicien, qui jongle avec les chiffres comme avec les cartes, un savant dans les sciences occultes, un travailleur infatigable, ses nombreux travaux astronomiques le prouvent, un peintre, un écrivain et poète ; rien, enfin ne lui paraît étranger.

On comprend qu'après cette élogieuse appréciation, nous n'ayons rien à ajouter, si ce n'est que nous souhaitons à M. Cazeneuve, ainsi qu'à sa nièce Reine Desolange, de revenir parmi nous après qu'il aura publié l'ouvrage qu'il vient de terminer sur la Tunisie et qui fera suite à ceux déjà publiés sur ses impressions de voyage au Paraguay, à Madagascar, en Sibérie et chez les Peaux-Rouges de l'Amérique du Nord. II n'oubliera pas qu'il laisse en Tunisie de nombreux amis dans les divers milieux français ou indigènes.

Biographie

La collection biographique de l'Illusionniste ne serait pas complète s'il y manquait la grande figure du commandeur Cazeneuve, que ses cinquante-quatre ans de pratique ont sacré doyen des prestidigitateurs.

Ce n'est pas seulement en France qu'il fit connaître et apprécier son talent, quoique déjà en 1863, après avoir été mandé aux Tuileries par l'Empereur Napoléon III, il était classé parmi les célébrités magiques. Ses pérégrinations à travers le monde entier : de la Sibérie à Madagascar, de l'Egypte au Japon, furent pour lui autant de triomphes ainsi que le prouvent les centaines d'attestations, de distinctions et titres honorifiques qui lui furent conférés par tous les souverains que ses curieuses expériences émerveillèrent.

On peut dire que Cazeneuve est le prestidigitateur le plus universellement connu et le plus magnifiquement décoré. Mais il est aussi un savant dont les intéressantes découvertes et les travaux archéologiques, astronomiques, mathématiques et médicinaux sont depuis longtemps appréciés. Il a cependant toujours ramenéà son art favori, la prestidigitation, tout le meilleur de ses recherches. Secondé par son élève et sujet, Mlle Reine Desolange, il a combiné des séances dans lesquelles la magie antique et moderne, la mnémotechnie, le magnétisme et l'hypnotisme sont supérieurement représentés.

L'épisode le plus remarquable de la vie de Cazeneuve est son séjour à Madagascar. Il réussit à prendre un grand empire sur l'esprit de la Reine Ranavalo. Sous le titre : Magie et Diplomatie, il a publié un ouvrage dans lequel il narre ses aventures dans l'île africaine. Les exemplaires de ce livre se sont enlevés rapidement, ils sont aujourd'hui introuvables.

Disons enfin que Cazeneuve est anti-spirite et qu'il s'est donné la mission de combattre l'erreur et les préjugés par la vulgarisation de la science exacte. Le portrait que nous reproduisons ici a été publié dans le Monde Illustré en 1878 ; mais, trentre ans plus tard, c'est toujours le même commandeur Cazeneuve que nous retrouvons avec, en plus, l'auréole de sa longue et brillante carrière.

Nécrologie

La Magie vient de faire une perte considérable en la personne du commandeur Cazeneuve, le célèbre prestidigitateur français, décédé le samedi 12 avril 1913, dans sa villa de la grande Rue St- Michel à Toulouse. C'est dans cette ville qu'il avait vu le jour le 12 octobre 1839, au numéro 20 de la rue des Blanchers. Bien peu de nos confrères ont eu une carrière aussi brillante et aussi bien remplie que celle de Marius Cazeneuve qui, avant de s'éteindre doucement au milieu des siens et près de son berceau, avait récolté des lauriers dans tous les coins du monde. A 15 ans il débutait à Toulouse au théâtre Moncavrel, aux côtés du fameux Bosco et, de suite, il se lançait à corps perdu dans la prestidigitation, n'entrevoyant certainement pas alors, malgré l'exaltation de son cerveau de jeune méridional qui avait dû faire bien des rêves fantastiques. Le chemin rempli d'aventures merveilleuses qu'il allait parcourir en triomphateur.

Son nom fut connu du monde entier, il était le prestidigitateur français ayant le plus voyagé et aussi le français le plus décoré ; car ce petit homme à l'oeil vif, aux manières affables, savait se faire agréer partout et, dans chaque capitale, il trouvait le moyen d'être appelé devant le souverain. Nous avons souligné dans ce journal l'importance de son rôle près de la reine Ranavalo, avant la conquête de Madagascar, se montrant un utile et dévoué auxiliaire de notre ambassadeur, Le Myre de Villers.

Rentréà Toulouse, il fut un moment candidat au Conseil municipal, puis fondateur ou membre influent d'un grand nombre de sociétés locales. Il devint vite populaire ; aussi ses concitoyens lui ont ils fait de belles funérailles dont nous trouvons le récit suivant dans la Dépêche de Toulouse :

Derrière le corbillard, chargé de fleurs et de couronnes, ont pris place les membres de l'Association des anciens combattants de 1870-1871, les Vétérans des Armées de terre et de mer, les Hospitaliers- Sauveteurs avec leurs porte-drapeaux. Puis venaient les pupilles, fillettes et garçons, et les délégués de la Vaillante Toulousaine et des Gavroches Toulousains.

Signalons encore les délégations des Toulousains de Toulouse, de la Société d'Astronomie Populaire et l'Escolo Moundino, du théâtre des Variétés, de la presse toulousaine. Et dans le cortège : MM. Camille Ournac, sénateur de la Haute Garonne ; Raymond Leygue, ancien maire de Toulouse, sénateur de la Haute-Garonne ; Paul Feuga, conseiller général ; Bringuier, peintre et félibre ; Moutangérand, astronome de l'Observatoire de Toulouse ; Rossard, secrétaire de la Société populaire d'astronomie ; Charouleau, Eugène Reynis, publicistes ; Gayraud- Hartmann ; Presseq-Rolland, représentant la direction De La Dépêche ; J. Rozes ; François Tresserre, mainteneur des Jeux Floraux ; Audoui, directeur du théâtre des Variétés ; Boyer, Baldochi, sculpteur ; Gaubert, chef de division à la mairie ; Senescail, juge de paix, etc.

Quatre belles couronnes avaient été envoyées par les Anciens Combattants de 1870-71, les Vétérans, la Vaillante Toulousaine et la Société d'astronomie. L'absoute a été donnée a l'église Saint Exupere, et sur tout le parcours du cortège se pressait une foule, curieuse assurément, mais des plus recueillies.

Le deuil était conduit par les neveux du défunt, et par Mme Alice Cazeneuve, les soeurs du commandeur, et sa nièce, Reine Desolange. Au cimetière de Terre-Cabade, le cortège s'est arrêté devant le dépositaire, où le cercueil sera placé en attendant l'inhumation prochaine dans un caveau.

Quatre discours ont été prononcés alors : M Breitenstein, vice-président de la Société des Anciens combattants de l'année terrible, a retracé de façon émouvante le rôle patriotique joué par Marius Cazeneuve et sa fidèle compagne, décorée, elle aussi, de la médaille de 1870, car elle fut une ambulancière intrépide et dévouée.

M. Romestin a adressé au disparu le salut suprême des Vétérans et des Hospitaliers-Sauveteurs. Puis M. Broquière, président de la « Vaillante Toulousaine », et à son tour, M. Philippi, chef de section de cette société, ont dit avec beaucoup d'émotion et d'éloquence le bien que chacun pense du bon Toulousain qui n'est plus, et qui, aux mérites qu'on s'est unanimement plu à lui reconnaître, joignait les meilleures qualités du coeur. Enfin, M Charouleau, vice-président de la Société populaire d'astronomie, sut mettre discrètement en relief le côté scientifique qui n'est pas le moins curieux ni le moins intéressant de l'oeuvre du prestigieux et féerique illusionniste emporté par la mort. Qu'ajouter, après de tels éloges si parfaitement mérités, sinon que l'admirable carrière du commandeur Cazeneuve doit être le modèle que chacun de nous ne peut qu'envier ? Après une jeunesse qu'on pourrait dire aventureuse dans la plus noble acception du mot, passer l'âge mûr en parcourant le monde et récoltant tous les succès ; puis, après une douce vieillesse dont on a partagé le temps entre la science, l'art et les oeuvres philanthropiques, s'éteindre dans son pays natal, entouré de l'affection des siens, de l'estime de ses compatriotes et de l'admiration de ses confrères, ne serait-ce pas dignement réaliser, comme l'a fait Cazeneuve, nos aspirations les plus douces et les plus élevées !

J. C.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Jérôme THOMAS / FoResT

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Conception et interprètation : Jérôme Thomas. Avec Jérôme Thomas, Aurélie Varrin et Jean-François Baëz. Mise en scène : Aline Reviriaud et Agnès Célérier. Compositions musicales : Jean-François Baëz. Costumes : Emmanuelle Grobet.

Nous entrons dans le minuscule et très intimiste châpiteau du cirque Lili, une singulière structure autoportée créée en 2001 ressemblant à un manège de bois fait de toile rouge. FoResT, la dernière création de Jérôme Thomas, joue à guichet fermé pour cinq représentations.

Jérôme Thomas est une figure majeure du jonglage contemporain et le créateur des premiers solo de cette discipline exigente. Il fonde en 1992 l'ARMO (Atelier de Recherche en Manipulation d'Objets) et la Compagnie Jérôme Thomas. Personnage controversé, il interroge à chacunes de ses créations les frontières de son art en lui faisant subir des métamorphoses surprenantes. Il n'hésite pas à convoquer le théâtre, la danse où le théâtre d'objet pour repousser les limites de la jonglerie et confronter sa discipline a de multiples influences artistiques. Parfois, le résultat est mitigé voir prétentieux ; mais quand il réussit son coup et que l'alchimie opère, celà devient sublime.

Chez Jérôme Thomas, la prouesse technique cesse d'être l'unique critère de construction du spectacle, qui a sa propre dramaturgie. Il y a une vraie extension du domaine de la jongle, qui ne se contente plus d'additionner les massues mais serre les nœuds d'un scénario. Le jonglage se fait minimaliste, des objets non codifiés (plumes, boules de pétanque…) apparaissent entre les mains du praticien, qui peut aussi manipuler des objets invisibles, s'inspirant du mime et de la danse.

FoResT (création 2013)

Une fois les spectateurs disposés en cercle autour de la piste, le chapiteau s'éclaire d'une centaine d'ampoules qui flottent au dessus de nos têtes. Apparaît un accordéonniste qui commence à jouer de son instrument dans une ambiance tamisée qui voit deux silhouettes descendrent de leurs mats silencieusement et entamer une étonnante chorégraphie avec une plume. Celle-ci lévite comme par magie autour d'eux avec grâce. C'est ensuite une plume de paon qui tient en équilibre sur la main, les doigts, l'épaule et même la langue des jongleurs.

La scénographie du chapiteau est toute entière imprégniée d'une ambiance ouatée où la manipulation des objets est soumise à une sorte de langueur et d'apesanteur poétique. Le plateau circulaire est recouvert de paillis de bois, ce qui donne un côté charnel indéniable au spectacle, d'autant plus que les deux interprètes évoluent pieds nus.

L'humour est présent avec l'apparition d'un pivert mécanique qui descent le long d'un mat du chapiteau en provoquant un bruit tonitruant.

Les deux jongleurs-danseurs performent en symbiose en manipulant des cannes et en les faisant tourner telle une hélice autour de leurs doigts avec une dextérité digne d'un prestidigitateur et cela dans des conditions extrèmes. Debout jusqu'à la station couchée, ils font passer la canne d'une main à l'autre ainsi que sur leurs pieds !

Des solos époustouflants

Au-delà de la complicité affichée par les deux interprètes, FoResT laisse la place à des « performances » en solo à couper le souffle.

-« Le sac plastique ». Jérôme Thomas découvre sous les paillis de bois un sac plastique qu'il va manipuler grâce à une canne dans un jeu ludique qui produit des effets sculpturals inédits. Rires garantis.

-« Les baguettes chinoises ». Aurélie Varrin se saisit de deux baguettes chinoises qui lui servent à maintenir son chignon pour nous proposer un singulier tableau entre jonglerie et manipulation où la dextérité et la performance sont transcendées.

-« Les balles ». Jérôme Thomas prend place au milieu du plateau et s'assoie sur un tabouret tournant. Au rythme exacte de l'accordéon, il va frapper ses balles sur le sol, en tournant sur lui-même. Un séquence hypnotique et virtuose magnifique.

Conclusion

FoResT est un formidable moment de créativité qui distille une profonde ampathie de part la symbiose parfaite des interprètes avec les éléments de la scénographie. Tels des maîtres manipulateurs, Jérôme Thomas et Aurélie Varrin s'approprient avec panache des objets qui sortent de l'ordinaire pour les transfigurer et transformer leur rapport au monde. Nous remontons aux sources du jonglage avec cette question qui parcourt la pièce : Qu'est-ce que jongler ?

A noter qu'aucunes fausses notes ne viennent ponctuer la représentation. L'angoisse du jongleur (et la notre) est de voir tomber un objet, ce qui équivaux à voir « le truc » dans un tour de magie. Qu'on le veuille ou non, cette « fatalité» nuit énormément à l'impression générale d'un numéro ou d'un spectacle ; la jonglerie est le plus ingrat des arts du cirque ; l'erreur est souvent fatale ! Alors pour cette performance parfaite : un grand BRAVO aux interprètes de FoResT, un spectacle à ne pas rater.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Pierrick SORIN

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Vidéaste français depuis la fin des années 1980, Pierrick Sorin (né en 1960) est une figure incontournable de l'art contemporain. Méconnu du grand public et évitant le star système, en vogue dans le milieu de l'art, il se met en scène comme un personnage clownesque dans des films où il s'impose au quotidien des contraintes ridicules. Il apparaît ensuite sous forme d'hologramme dans des petits théâtres d'images où chaque saynète plonge le spectateur dans un imaginaire fantaisiste et burlesque. Il explore également les installations vidéo, le montage photographique, les dispositifs audiovisuels interactifs et la scénographie théâtrale.

« J'explore deux pistes dans mon travail. La première est guidée par une vision assez pessimiste de la société, exprimée sous une forme humoristique, sans doute pour rendre cette vie absurde plus supportable. La seconde suit une fascination pour la magie visuelle doublée d'une critique ironique pour les artistes qui se prennent trop au sérieux : l'artiste est aussi un amuseur. » P. Sorin

Dans le travail de Pierrick Sorin la dérision et le premier degré sont de mise, et les rires provoqués par ses saynètes vidéo contrastent avec le trop grand sérieux et l'hermétisme, souvent à l'œuvre, dans l'art contemporain. On retrouve dans ses films tous les ingrédients classiques du divertissement : le déguisement, le comique de répétition et le gag de music-hall, ce qui les rend d'autant plus familiers et accessibles pour le spectateur. Au-delà de l'abord cocasse, ludique et plaisant de ses œuvres, Sorin ne trahit pas son point de vue critique et désabusé sur le monde contemporain. Il passe à la moulinette la banalité du quotidien, les nouvelles technologies, le cinéma et la télévision, la psychanalyse et surtout l'art contemporain et la figure de l'artiste.

A première vue, Sorin se donne comme un entertainer de proximité, un bon petit gars près de chez vous, qui ressemble aux autres et qui peut faire rire. On se tromperait lourdement si on croyait à ce point avoir tout dit ! Entre autofictions et narrations schizophréniques, l'artiste collectionne les identités et devient une sorte d'anti-héro comico-tragique, brocardant tour à tour la société, les modes de vie, les médias et les institutions culturelles. Cet amuseur public explore et questionne au final le sens de l'existence utilisant des dispositifs illusoires dignes des plus grands prestidigitateurs. Vidéaste insolent et facétieux, Sorin a conquis non seulement les collectionneurs et les doctes penseurs de la modernité, mais aussi un public plus large de spectateurs.

« Ma démarche artistique interroge sur le sens de l'existence. Mais, parfois, j'imagine un truc qui me fait marrer sans que j'y sente un sens profond. Alors j'hésite, car je ne veux pas tomber dans le simple spectaculaire. Puis, finalement, j'y vais quand même, car j'aime quand c'est drôle. » P. Sorin

L'héritage Méliès

L'exposition Méliès, présentée précédemment au TNT de Toulouse, est un parcours « très animée » en hommage au cinéaste/prestidigitateur. Les œuvres exposées ont été choisies en fonction des connexions qui relient Sorin àMéliès. C'est aussi l'occasion pour Pierrick Sorin de réaliser une rétrospective de ses travaux depuis les années 1990 avec quatre installations vidéo, huit films, dix théâtres optiques, deux créations interactives, quatre clips musicaux et deux performances.

Il y a bien des points communs entre le cinéaste du Voyage dans la Lune et son lointain héritier truqueur. Comme Méliès, Sorin fait tout : scénariste, décorateur, machiniste, truquiste, dessinateur, figurant ou acteur principal. Comme lui enfin, il a construit son propre studio pour mettre en scène ses films.

« J'ai découvert Méliès tardivement, je devais avoir 28 ans. J'avais déjà réalisé un certain nombre de petits films super-8 dans lesquels j'usais parfois de quelques trucages bien connus. J'ai étéépaté de voir comment, au tout début du XXème siècle, ce prestidigitateur-cinéaste réussissait à réaliser des effets spéciaux qui n'avaient guère à envier aux techniques modernes du cinéma ! J'admire l'inventivité de Méliès, mais ce qu'il dit m'intéresse moins. J'ai été formé aux Beaux-arts, j'ai besoin que mon travail sous-tende un discours intellectuel. » P. Sorin

LES OEUVRES

La belle peinture est derrière nous (1989)

Cette installation vidéo implique le visiteur qui participe involontairement à l'œuvre en étant filmé par une caméra cachée. Il est pris à parti par l'artiste par jeu d'images interposées : « Poussez-vous ! Je suis en train de regarder la belle peinture qui est derrière vous... »

C'est mignon tout ça (1993)

Grâce à un dispositif vidéo basique, un homme partiellement vêtu en femme, s'excite à la vue de ses propres fesses filmée par une caméra et diffusée devant lui... Une des œuvres majeures de Pierrick Sorin qui met en relief le dispositif vidéo dans un jeu de « point de vue » osés qui interroge le côté voyeuriste du spectateur.

Pierrick et Jean-Loup (1994)

Quatre courts-métrages : un samedi avec Jean-Loup, Jean-Loup et les jeux vidéo, Pierrick et Jean-Loup font de la musique et Pierrick et Jean-Loup font du foot.

Cette série d'autos filmages a été produite pour l'émission de Bernard Rapp sur FR3 My télé is rich. Pierrick Sorin y met en scène les aventures banales de deux frères jumeaux, joués par lui-même. Les deux garçons, en proie à l'ennui, se livrent à des activités où se mêlent la bêtise, la créativité et l'agressivité dans un style précurseur annonçant vidéo Gag. Cette série interroge à la fois l'image de la télévision et l'art. Hilarant !

« Lorsque j'étais enfant, j'adorais les grosses farces. De plus, je continue à penser que la magie du cinéma existait déjà dans les films muets. Je reste très attaché au cinéma burlesque américain, que j'ai connu enfant. Mais c'est plus le style de ces films qui est important à mes yeux, la caméra fixe, les gags visuels, les images saccadées et fragiles - tout ceci est plus important pour moi que la personnalité des acteurs. » P. Sorin

Une vie bien remplie (1994-2009)

En passant par les coulisses de la maison des arts, le spectateur arrive sur la grande scène du MAC par l'entrée des artistes face aux fauteuils vides. Plongés dans le noir, une dizaine d'écrans géants sont suspendus dans l'air. Ils y projettent en boucle ses autos filmages : Sorin transportant des tonnes de linge sale, versant trop de vin dans son verre, remplissant et vidant sa valise au moment du départ, etc. Cet ensemble d'attitudes et d'automatismes quotidiens et absurdes fait partit de ses premiers travaux narratifs hérités directement du slapstick. Sorin nous montre l'angoisse de l'artiste, déployée sur grands écrans, face aux actes stupides et répétitifs qui envahissent l'existence.

« Ce qui m'a influencéà mes débuts c'est l'univers de la bande dessinée, le caractère des héros des films américains et aussi l'énigme existentielle du personnage, absolument à côté de la plaque, et du monde, d'un M. Hulot de Jacques Tati... » P. Sorin

Les théâtres optiques

Depuis 1995, dans un dispositif de fabrication artisanal, l'artiste se met en scène sous forme d'hologramme virtuel faisant son apparition au milieu de décors miniatures et d'objets réels. « Le petit Sorin » se donne inlassablement en spectacle dans des saynètes ironiques et graves à la fois, en référence au cinéma muet.

« Je reconnais que la simple magie visuelle dans laquelle je me vautre volontiers en réalisant des théâtres optiques me fascine et me rapproche de l'inventeur d'autrefois. Cela me plaît bien, à l'époque des nouvelles technologie, de travailler selon des méthodes du XIXe siècle en théâtre pour créer l'illusion. C'est un peu comme des hologrammes. » P. Sorin

Ses théâtres optiques sont comparables aux boîtes d'optiques du XVIIIème siècle montrées dans les rues par des bonimenteurs. Des formes brèves basées sur les effets de répétition, les effets comiques, la reconnaissance de formes familières à travers l'imitation et le caricature ou le dédoublement et le travestissement. L'effet doit être instantané sur le regardeur.

Le dispositif de trucage mis en place par Sorin est pris dans une double fonction : produire de l'illusion et montrer ses principes de production. Offrir de l'enchantement et du désenchantement en faisant entrer le procédé mystificateur au cœur de la représentation. Les effets visuels sont obtenus par l'utilisation d'un miroir sans tain qui reflète une image dont la source est hors de vue du spectateur. Le système de miroir, inspiré du professeur John Pepper, permet de voir simultanément le reflet d'une image et le décor réel situé derrière ce miroir.

-143 positions érotiques (1999)

Un personnage nu prend des poses vaguement érotiques sur un lit avec, pour partenaire, un polochon. Pastichant les films érotiques, le vidéaste se livre à une série de poses très drôles sur un véritable lit miniature recouvert de fourrure.

-Sorino le magicien (1999)

Avec la complicité de son assistante Karine Pain, Sorino effectue divers tours de magie un peu dérisoires, dans lesquels le pain est l'accessoire privilégié. En incarnant un magicien ringard, le vidéaste livre une critique de l'artiste qui fait un peu n'importe quoi pour se rendre intéressant ! Les tours de passe-passe à connotation érotique dispensent une ambiance malsaine, que l'utilisation des accessoires renforce par leurs symbolismes sexuels (baguette, miches et poireau !).

Ce magicien, c'est une certaine critique de l'artiste qui fait un peu n'importe quoi pour se rendre intéressant. P. Sorin

-Chorégraphie d'aujourd'hui (2001)

« Je me mets toujours dans la peau de quelqu'un d'autre qui regarde et je me dis : est-ce qu'il va bien comprendre ? Je ne vois jamais mes films que du point de vue d'autrui. » P. Sorin

Trois « petits Sorins » holographiques répètent un spectacle de danse. Ils sont en immersion dans un véritable aquarium, entourés de poissons rouges. Le dispositif est constitué de trois moniteurs, un aquarium et des poissons vivants.

-Quelques inventions remarquables (2004)

Démonstrations d'inventions du futur, tirées par les cheveux, dont le visualiseur personnel d'images mentales, le téléporteur d'objets vivants et l'opérateur personnel de chirurgie faciale.

« Je suis l'artiste qui permet de donner des points de repères à un grand public en jouant sur l'humour et les effets magiques. Aussi, peut-être, parce que j'ai crée un personnage attachant. » P. Sorin

-Titres variables (1999)

Titres variables est un terme générique pour désigner un ensemble d'œuvres indépendantes conçues sur un principe identique. Chaque œuvre, sous la forme d'un théâtre optique, montre un personnage (image virtuelle dans l'espace) qui court sur un véritable disque vinyle qui lui même tourne sur un vrai pick-up. L'ensemble des œuvres constitue une sorte de famille de personnages. Une bribe de chanson provient du disque, mais celui-ci est rayé et tourne à l'envers. Le fragment de chanson se répète sans être compréhensible. Pourtant, au bout d'un moment, le spectateur peut avoir l'impression de comprendre quelque chose. C'est toutefois une interprétation subjective qui varie d'un spectateur à l'autre. La phrase que chacun croit entendre devient le titre possible de l'œuvre.

L'homme qui a perdu ses clefs (1999)

Dans cette installation vidéo, un homme cherche frénétiquement ses clefs. La mise en espace des images fait de lui un lilliputien stressé qui s'agite devant une image en grand format : des gros plans de ses propres mains fouillant ses vêtements et son visage inquiet...

Prototype de cheminée virtuelle

Le visiteur pénètre dans l'espace assombri de la salle d'exposition. Il voit une cheminée dans laquelle brûle un amas de composants électroniques : les restes d'un ordinateur dont le clavier, dévoré de chaleur, se change en un coulis de lettres molles. Les flammes ne sont que des images qui s'échappent des entrailles réelles de l'engin.

Nantes projets d'artistes (2000)

Encore une fois, Pierrick Sorin se met lui-même en scène pour incarner sept artistes européens aux projets tous plus loufoques les uns que les autres. Il y questionne la légitimité des artistes, dénonce leur posture et d'une façon plus générale il déconstruit leur travail au cours des quarante dernières années : photo, peinture, danse, sculpture, musique, cinéma, vidéo ...

« Pour moi le rire est un déclencheur d'émotions pour le spectateur. Il permet de l'accrocher, de l'emmener ailleurs, de lui mettre sous les yeux une réalité humaine à partir de laquelle il y a matière à s'interroger. Le rire c'est finalement très pédagogique ! » P. Sorin

Nantes : projets d'artistes est un vrai-faux documentaire sur la commande publique. Renouant avec le goût de la fiction, Pierrick Sorin endosse tous les rôles – du présentateur télé aux sept artistes invités –, et livre avec beaucoup d'humour une réflexion sur la figure de l'artiste et l'acte de création. Sorin revient sur son itinéraire artistique : son irruption dans le champ de l'art, sa pratique très personnelle de la vidéo et la création d'un univers banal et singulier animé par des personnages fictifs mais bien réels. Dans un second temps, différentes lectures possibles de « Nantes : projets d'artistes » sont abordées afin de montrer que ce film est une œuvre de rupture dans la filmographie de l'artiste.

C'était bien du coulis de tomate (2005)

Ce court-métrage muet et en couleur de vingt-quatre minutes, réalisé pour accompagner un grand spectacle de rue de la compagnie Royal de Luxe, raconte un drôle de voyage dans le temps. Une histoire d'éléphant au pays des mille et une nuits, ou comment la supercherie et l'illusion peuvent intéresser le pouvoir politique.

« Pour moi, la technique est une forme de poésie, donc elle doit être visible. Une création qui fait appel à peu de moyens et à un esprit malin est plus belle à mes yeux que les meilleurs effets spéciaux des films à gros budget. Pour cette raison également, je préfère le muet. » P. Sorin

Switch on the Light

Dans une boîte surmontée d'un luminaire sphérique, on voit un « petit Sorin » holographique juché sur un vélo d'appartement qui déclenche son mouvement de pédalage à l'injonction du visiteur qui doit lui crier : « Switch on the Light » (« allume la lumière »). Au rythme des coups de pédales, l'intensité lumineuse du luminaire varie. Une œuvre/gadget Magique et poétique pour salon ou chambre à coucher.

With Michel (vacances 2008)

Cette série de photos montage met en scène Pierrick Sorin et son ami Michel(lle) le moustachu (figuré par le vidéaste), à la plage, au safari africain ou taquinant la saucisse du barbecue. Les clichés renvoient aux vacances du Monsieur Hulot de Jacques Tati et à nos propres souvenirs de vacances dans les endroits les plus « beaufs » de France comme le montre une photo d'un trio musical au camping de Saint Jean de Mont !

Dégoulinures n°1 (2009)

Dans cet hommage à Méliès et à la peinture, Pierrick Sorin reprend le motif de l'affiche du Voyage sur la lune, véritable icône du cinéma. L'installation, inspirée des travaux de Tony Oursler, mélange de technique « pointue » et de simple effet d'optique : traitée à la palette graphique, la tête de l'artiste déformée en lune baveuse de morve psychédélique est projetée sur la rambarde en verre surplombant le bar, tandis qu'un incrustateur de couleurs produit le même résultat sur une autre tronche de lune sculptée par l'artiste.

« Les jeunes d'aujourd'hui auraient utilisé des images en 3D, moi je reste attachéà ce genre d'effets. C'est beau et c'est un peu dégueulasse en même temps. J'aime jouer sur ce genre d'ambiguïté. L'installation me permet de balader des films dans le décor en direct et de montrer le procédé qui permet de montrer une image. Ce qui se passe dans les coulisses est aussi intéressant que le résultat final. » P. Sorin

Warming seat (2009)

A l'entrée d'une grande boîte un cartel précise : « Avec des moyens modernes, l'artiste prolonge les expériences fantasmagoriques de Robertson ». Le spectateur entre dans un espace où se trouve un siège et des moniteurs. Il suit alors un mode d'emploi :

- Asseyez-vous sur le tabouret
- Positionnez-vous de manière à bien voir l'écran de la borne
- Appuyez sur le bouton rouge tout en regardant l'écran. Une photo de votre visage va être prise.

A l'extérieur, sur un écran géant, la prise de vue, en différé, s'affiche sur un grand écran. Il ne s'agit pas de « photo » comme l'indique le cartel mais bien de vidéo. Un montage automatique et aléatoire montre des séquences prises plus ou moins récemment, qui alternent avec des prises de vue du visage du spectateur.

Ce dispositif participatif est un petit piège diabolique car au moment de la prise de vue, lorsque le spectateur appuie sur le bouton rouge, un feu s'allume sous ses fesses et les yeux de Satan brillent dans une vision fantasmagorique.

BILAN

Après avoir parcouru tous les recoins de la maison des arts de Créteil, nous ressortons enchanté de cette exposition/parcours, le sourire au bord des lèvres. Heureux d'avoir (re)découvert le travail d'un artiste qui ne se prend pas au sérieux, qui démystifie l'idée même de l'exposition d'art et des institutions qui l'accueil.

Rares sont les œuvres d'art accessibles qui nous renvoient, en plus, à notre propre intelligence. Par la cohérence et la diversité de son travail plastique, le magicien Sorin à réussit le même tour de force que son illustre prédécesseur Méliès : nous envoûter tout entier pour notre plus grand plaisir.

A voir :
- L'exposition Pierrick Sorin, Méliès s'est déroulée du 13 au 24 mai 2009 à la maison des arts de Créteil.
-A travers mon petit trou. VHS (1999). 27 petits films ou constats d'installation des premiers autofilmages aux installations réalisées en 1999. Avec les commentaires de l'artiste.
-Nantes, projets d'artistes. DVD (2001).Court-métrage de fiction.
-Pierrick Sorin 261 Bd Raspail. DVD (2001) Un auto-documentaire sous forme de fausse émission TV, sur l' exposition à la Fondation Cartier.

A lire :
-Pierrick Sorin de Pierre Giquel (2000). Editions Hazan.
-Pierrick Sorin, Petits théâtres optiques et vidéos comédies (2005). Edité par le Musée départemental d'art ancien et contemporain à Epinal.
- Dossier "Magie et cinéma".
- Dossier Méliès.

A écouter :
-L'interview de Pierrick Sorin sur son exposition-parcours Méliès.

A visiter :
-Le site de l'artiste.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

HEGEL / L'artiste est un illusionniste

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L'art, dit-on, est le règne de l'apparence, de l'illusion, et ce que nous appelons beau pourrait tout aussi bien être qualifié d'apparent et d'illusoire. [...]

Rien de plus exact : l'art crée des apparences et vit d'apparences et, si l'on considère l'apparence comme quelque chose qui ne doit pas être, on peut dire que l'art n'a qu'une existence illusoire, et ses créations ne sont que de pures illusions.

Mais, au fond, qu'est-ce que l'apparence ? Quels sont ses rapports avec l'essence ? N'oublions pas que toute essence, toute vérité, pour ne pas rester abstraction pure, doit apparaître. Le divin doit être un, avoir une existence qui diffère de ce que nous appelons apparence. Mais l'apparence elle-même est loin d'être quelque chose d'inessentiel ; elle constitue, au contraire, un moment essentiel de l'essence. Le vrai existe pour lui-même dans l'esprit, apparaît en lui-même et est là pour les autres. Il peut donc y avoir plusieurs sortes d'apparences ; la différence porte sur le contenu de ce qui apparaît. Si donc l'art est une apparence, il a une apparence qui lui est propre, mais non une apparence tout court.

Cette apparence, propre à l'art, peut, avons-nous dit, être considérée comme trompeuse, en comparaison du monde extérieur, tel que nous le voyons de notre point de vue utilitaire, ou en comparaison de notre monde sensible et interne. Nous n'appelons pas illusoires les objets du monde extérieur, ni ce qui réside dans notre monde interne, dans notre conscience. Rien ne nous empêche de dire que, comparée à cette réalité, l'apparence de l'art est illusoire ; mais l'on peut dire avec autant de raison que ce que nous appelons réalité est une illusion plus forte, une apparence plus trompeuse que l'apparence de l'art. Nous appelons réalité et considérons comme telle, dans la vie empirique et dans celle de nos sensations, l'ensemble des objets extérieurs et les sensations qu'ils nous procurent. Et, cependant, tout cet ensemble d'objets et de sensations n'est pas un monde de vérité, mais un monde d'illusions. Nous savons que la réalité vraie existe au-delà de la sensation immédiate et des objets que nous percevons directement. C'est donc bien plutôt au monde extérieur qu'à l'apparence de l'art que s'applique le qualificatif d'illusoire. [...]

Il est vrai que, comparéà la pensée, l'art peut bien être considéré comme ayant une existence faite d'apparences [...], en tout cas comme étant, par sa forme, inférieure à celle de la pensée. Mais il présente sur la réalité extérieure la même supériorité que la pensée : ce que nous recherchons, dans l'art comme dans la pensée, c'est la vérité. Dans son apparence même, l'art nous fait entrevoir quelque chose qui dépasse l'apparence : la pensée.

Julius FRACK

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Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?

J'ai commencéà faire des spectacles de magie pour mes parents à l'âge de 7 ans, mais c'était bien plus tard que j'ai redécouvert la magie dans un projet d'école quand j'avais 15 ans. J'ai fait mon premier spectacle avec des manipulations de boule de billard que j'ai appris en seulement 5 jours. Je me souviens parfaitement de ma représentation, mes mains tremblaient, mais j'adorais le sentiment d'être sur scène et de voir les boules de billard disparaitrent et apparaitrent entre mes mains. Je savais que la magie était ce que j'ai toujours voulu faire sans le savoir avant. Depuis, pas une seule journée ne passe sans penser à un effet, une illusion ou un aspect de la magie.

J'ai eu la chance de rencontrer Eberhard Riese (Ebs) un grand « entraîneur » de magie, ainsi que Topas et d'autres membres de la Magic Circle Stuttgart, en tant que conseillers. J'ai perfectionné mes manipulations et incorporé une routine de dés. J'ai ensuite commencéà travailler sur le numéro du tailleur fou basé sur une idée de Ebs. Nous avons créé un numéro dans lequel, pour la première fois dans l'histoire de la magie, la manipulation de déà coudre avait un sens parfait. Nous avons travaillé dur sur le sujet, pensé aux effets qu'un tailleur pourrait effectuer. J'ai étudié les possibilités pour le personnage, fait des recherches sur le costume, la musique, etc. j'ai montré toutes les parties que j'avais travailléà Ebs, Topas et d'autres magiciens de Stuttgart et j'ai changé ce qu'ils ont critiqué.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?

Dans les premières années, j'ai collecté une tonne d'informations comme une éponge, tout ce que j'ai appris par d'autres, ce que j'ai appris par des livres, des conférences. Ce procédé est toujours à la base de mon travail quotidien d'illusionniste. J'ai pris des cours de pantomime et de danse. J'ai travaillé sur la dextérité de mon corps et je n'ai jamais abandonné malgré des déboires, malgré des spectacles qui ont mal tourné ou des accessoires que j'avais construit qui n'étaient pas assez bons pour faire partie du numéro.

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l'inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?

Le meilleur conseil que j'ai reçu et la meilleure chose à faire était de participer à des compétitions magiques. Il n'y a pas plus créatif et plus efficace que les mois précédant une compétition. Vous travaillez totalement concentré, fixé sur une certaine date et il n'y a pas d'excuses. Vous devez être prêt à montrer votre numéro à des magiciens et à des spécialistes expérimentés dans ce domaine.

Lors de la préparation pour les concours, j'ai deux règles : enchaîner mon numéro 7 fois d'affilés et avoir du temps supplémentaire pour travailler sur les détails. J'ai aussi montré mon numéro à d'autres personnes à chaque fois que je le pouvais et écouté attentivement leurs avis et remarques, peu importe qu'ils étaient magiciens ou profanes.

Dans quelles conditions travaillez-vous ?

La première table que j'utilisais dans le numéro du tailleur, je l'ai construite dans le garage de mes parents pendant un hiver glacial. Ensuite, je me suis retrouvé dans une résidence d'étudiants où je pouvais utiliser un atelier et une vraie scène. Après cela, j'ai toujours loué des studios où je construisais des prototypes, où je stockais mon matériel et où je répétais mes numéros.

Quelles sont les prestations de magiciens ou d'artistes qui vous ont marqué ?

Un des premiers numéros que j'ai vu était la routine de manipulation de Topas. Je me rappelle encore de tous les mouvements par cœur. J'ai étudié les styles des grands noms de la magie scénique des années 1990 : David Copperfield, Jeff Mc Bride, Greg Frewin, Christopher Hart, Goldfinger & Dove, Vito Lupo, Nicolas Night, Makha Tendo, Amos Levkovitch, Tina Lennert…

Et des classiques comme : Cardini, Paul Daniels, Channing Pollock, James Dimmare, Norm Nielsen, Shimada, Doug Henning, etc. Je ne savais pas que je ferais un jour des galas avec certains d'entre eux ! Je ne l'aurais pas cru si quelqu'un me l'avait dit.

Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?

Pour moi l'idée de « l'École de Stuttgart » est un exemple sensé et parfait. Pour être un artiste stylé et moderne, pas le gars poussiéreux avec ses lapins, il faut venir avec de nouvelles idées et créer de nouvelles routines, explorer les possibilités de nouveaux accessoires et ne pas copier d'autres personnes, d'autres routines et d'autres affects qui sont uniques et personnels.

Quelles sont vos influences artistiques ?

Tout d'abord : la musique. Si vous regardez la musique de façon idéale, elle peut stimuler les différentes émotions d'un être humain. Elle est capable de vous faire atteindre un modèle parfait des capacités de l'art. Commencer par un morceau de musique est un excellent moyen de construire et de travailler une routine ou un numéro.

Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?

Lors d'une conférence mon meilleur ami Amos Levcovich a répondu à la question : « Que doit-on faire pour devenir un meilleur magicien ? » Sa réponse : « Soyez un bon gars ! ». Je dis souvent à mes étudiants que, outre leurs études en magie par la pratique et la recherche littéraire, qu'ils doivent travailler sur une bonne éducation dans leurs manières de s'exprimer, par l'écrit et l'oral.

Dernier point, comme le dit la vieille delphique « Gnothi seauton », autrement dit le « Connais-toi toi-même », est très important dans l'art de la magie. Il implique non seulement le devoir de développer un personnage de scène qui correspond à l'être authentique de l'artiste, mais aussi de trouver la manière de créer de nouvelles idées, de nouveaux effets et des numéros novateurs.

Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?

Si je regarde les numéros des années 1990, quand j'ai commencéà faire de la magie, jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu un grand développement dans la pratique. La plupart des illusionnistes copient le style de David Copperfield et n'atteignent même pas la perfection qu'il avait à l'époque. De nos jours, Il manque l'utilisation de la technologie moderne et un développement dans la manière de penser un effet magique.

Depuis quelques années, les magiciens allemands sont très forts dans la création de nouveaux thèmes et de nouveaux accessoires. De nos jours, les magiciens asiatiques, et plus particulièrement les Coréens, reviennent aux « bons vieux » accessoires à l'ancienne en utilisant par exemple des balles et des cartes pour amener la magie à un nouveau niveau avec des effets convaincants et incroyables basés sur la perfection technique de leur manipulation.

Vos hobbies en dehors de la magie ?

Ma famille. Nous avons quatre enfants et ils aiment tous la magie. Chaque fois qu'ils le peuvent, ils viennent avec moi en spectacle. Une de mes filles, qui a quatre ans, attend avec impatience de venir sur scène pour saluer avec moi à la fin du show. Je suis sûr, qu'un jour, elle sera sur une scène de son propre chef.

- Interview réalisée en septembre 2014.

A visiter :
-Le site de Julius Frack.

A voir :
-https://www.youtube.com/watch?v=4Bs...

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Jean-François RAUZIER

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Jean-François Rauzier, photographe depuis plus de 30 ans, crée des paysages immenses peuplés de détails insolites comparables à des fresques. Un monde imaginaire dans lequel l'infiniment grand et l'infiniment petit se marient au cœur d'une même vision, dans un monumental format de plusieurs dizaines de mètres carrés appeléhyperphoto. Avec ses « méga-panoramiques » en ultra-haute définition, il a obtenu le prix Arcimboldo 2008, pour la création numérique en France.

Archéologue du futur et « peintre virtuel », Rauzier bâti des architectures improbables au milieu de nulle part. En regardant plus attentivement ses œuvres, on respire une atmosphère étrange qui éloigne le spectateur du monde réel pour le happer dans un univers d'une amplitude étourdissante à l'image des figures fractales : chaque hyperphoto existe par la prise de vue au téléobjectif de centaines de clichés puis par leur assemblage manuel sur un écran d'ordinateur via un logiciel de retouche. Chaque image est recomposée, « repeinte », adaptée au monde onirique voulu par le photographe. Un monde intérieur incrusté de secrets dans une immensité universelle. Devant le gigantisme de ces photos, les interprétations sont infinies et fourmillent d'énigmes fascinantes. La photographie n'est pas qu'un miroir du monde reflétant sa réalité objective, mais aussi le miroir de l'âme de celui qui capte ou construit une composition dans la pure tradition du photomontage.

En photographiant et en assemblant des milliers de gros plans d'un lieu donné, l'artiste tente de le voir et de le saisir à la fois dans sa totalité et dans ses détails les plus intimes. Explorant ainsi les limites du formidable pouvoir de captation du réel qu'offre la photographie et de son rapport à l'illusion. Comme un reporter, l'artiste réinventé l'espace dans un jeu totalement truqué par les outils numérique où l'image contient plusieurs images dans une juxtaposition de points de vue. Il pénètre ainsi l'intimité de plusieurs univers pour arriver à l'image finale. C'est à travers cette dernière que se fait le passage de l'intime au tout, du dedans au dehors. Rauzier aime également entrainer le spectateur à travers un scénario, une énigme et un jeu de piste.

ENTRETIEN avec Jean-François Rauzier

Comment avez-vous découvert la photo numérique ?

Avant, le numérique était capable de traiter le son mais en ce qui concerne l'image, cela semblait impensable (lorsque j'ai commencé la photo, nous étions épatés de découvrir les premières calculettes et montres à quartz). La photo était donc argentique (ce terme vient du fait que la photo est un procédé d'impression par la lumière de sels d'argent).

Tout photographe prenait le plus de plaisir à faire de la photo N&B. Indépendamment de ses qualités, c'était la seule technique dont nous pouvions avoir la maîtrise totale : prendre la photo, développer la pellicule puis tirer la photo sous l'agrandisseur en maquillant la lumière, avec différentes sortes de papiers de surface, couleurs et contrastes différents. On pouvait ensuite retoucher l'image au pinceau, la virer dans des teintes sépia par exemple. Tout cela était très manuel et magique. Pour beaucoup, c'était cela la photo et rien d'autre.

Concernant la couleur qui constituait tout de même la majorité de la demande dans le domaine professionnel, c'était beaucoup plus compliqué : le développement qui nécessitait des machines trop coûteuses pour le photographe était assuré par des laboratoires professionnels. On ne faisait pas de tirages, uniquement des films inversibles (Ektachrome). En effet le tirage sur papier entraînait trop de pertes de qualité et ne permettait de toute façon pas l'interprétation du tirage N&B. C'est le photograveur qui travaillait l'image pour l'optimiser pour l'impression. Pas toujours en concertation avec le photographe… d'où de mauvaise surprises et la sensation de trahison.

Concernant le montage photo on faisait appel à un photographe pour une nature morte, un autre pour un personnage, une photothèque pour le ciel et le laboratoire montait le tout. Frustrant. Ces montages qui faisaient appels à plusieurs spécialistes dans le labo étaient complexes et coûteux à réaliser. J'en ai fait car j'ai travaillé dans un de ces laboratoire a mes débuts : c'était extrêmement fastidieux, méticuleux et long.

Qu'est-ce que c'est être « hyperphotographe » ?

Ma démarche consiste à créer une image factice et riche en détails à partir d'une multitude d'éléments réels. Je me considère comme un photographe plasticien. Même si avant tout je suis photographe : je suis issu de l'ENS Louis-Lumière et j'ai commencé ma carrière en tant que photographe publicitaire.

Ma démarche est devenue un concept au fil du temps. En deux mots, il s'agit d'appréhender le réel sous toutes ses facettes, temporelles comme spatiales, pour réinventer un monde "onirique". Néanmoins, je ne veux pas faire des images trop systématiques ou m'enfermer dans la forme, je cherche à ce que chaque nouvelle image soit une surprise par rapport à la précédente. Je suis assez dépendant de l'outil informatique et mon travail évolue avec lui. Je n'aurais pas pu il y a quelques années faire ce que je fais aujourd'hui.

Comment sont réalisés vos montages ?

Je commence par créer des blocs à partir des images que j'ai prises d'un lieu. Je suis un boulimique d'éléments, je suis capable de réaliser une centaine de photos d'un immeuble en 5 minutes à main levée. Au début, je les assemblais à la main, cela me prenait des mois ! Aujourd'hui, j'utilise un logiciel qui fait cela automatiquement : Autopano Pro. Ces blocs, qui constituent les éléments principaux de l'image, peuvent compter jusqu'à 200 images.

Je me suis constitué une bibliothèque d'éléments que j'exploite au fil de mes créations. Mais malgré cela, j'ai toujours besoin d'en refaire. La vie est tellement complexe qu'une photothèque n'est jamais complète, et heureusement !

Je dispose de plusieurs ordinateurs, cela me permet de gagner du temps. Certaines transformations peuvent prendre un quart d'heure de calcul. En attendant, je me mets à travailler sur un autre projet. Et puis cela m'évite de me lasser. J'ai parfois envie de passer à la photo suivante avant même d'avoir terminé, cette manière de travailler me le permet.

Quel outil logiciel utilisez-vous pour vos retouches ?

J'utilise Photoshop, mais seulement pour les outils de base : déformation, transformation, réflexion. Je n'utilise pas les filtres, toujours dans l'optique de rester dans un certain réalisme. Les reflets font exception : je suis obligé d'utiliser des filtres particuliers pour restituer les effets de vagues et d'ondes. Il me faut simplifier mes modifications pour alléger le travail. Je garde simplement les calques de réglage « courbes » et « teinte / saturation » pour le réglage du ciel.

J'ai appris quelques astuces pour gagner du temps avec l'outil numérique. Par exemple, pour détourer de l'herbe, je me suis créer une forme me permettant de découper facilement. Autre exemple quand je superpose un élément sur un ciel, il reste toujours quelques traces de couleurs en liseré. J'effectue une sélection du bord en contour progressif et j'applique une correction colorimétrique en accord avec le nouvel arrière-plan.

Comment se passe vos prises de vue ?

Dans un excès d'enthousiasme, on s'imagine que les possibilités de la retouche numérique abolissent tout le travail de prise de vue : pas du tout ! Une photo mal éclairée le restera : On peut certes éclaircir ou assombrir une zone de l'image mais si elle est trop sous-exposée ou surexposée et qu'il n'y a plus rien à voir, la seule retouche possible, c'est de tout redessiner.

On ne peut pas non plus radicalement changer la direction de la lumière, ni sa nature - directe ou diffuse - qui agit sur les ombres. Il faudrait tout redessiner et obtenir un résultat très artificiel. Autant faire une illustration !

Parfois, une photo peut n'être qu'un fond destinéàêtre totalement retravaillé au stylet pour obtenir une illustration : nombre d'illustrateurs travaillent ainsi. Mais en général, lorsque l'on fait appel à un photographe, c'est pour réaliser une photo : c'est à dire un témoignage, une preuve.

Ce qui fait son réalisme, le fait que l'on croit à ce que l'on voit, c'est la multitude d'imperfections qui la composent. Beaucoup de peintre reproduisent maintenant ces effets photographique que l'on considérait comme des défauts et qui en font la spécificité : le flou de bougé et de mise au point par exemple ; mais on ne s'y trompe pas : une photo brute se reconnaît au premier coup d'œil.

Il faut donc avant de retoucher une photo bien savoir ce que l'on veut : rester réaliste, photographique ou pas ? Déplacer lors de la prise de vue un spot, tourner un objet sur le plateau, remplir un verre de liquide, modifier le cadrage, la perspective en choisissant la focale de l'objectif que l'on utilise, la mise au point, tout cela se fait en quelques instant à la prise de vue. Essayer de le faire à la retouche demanderait des heures pour un résultat incertain et pas toujours très réaliste.

Parallèlement à ce travail de prise de vue, j'ai un réel besoin de partir en expédition faire de la chasse aux images (comme la majorité des photographes, ainsi que le nom d'un magazine Chasseur d'Images en atteste) Je crois que cette quête c'est aussi la quête de soi-même, l'exploration de son inconscient. La photographie fait appel au hasard mais l'inconscient joue une grande part dans ce que l'on retient sans avoir trop pris le temps de penser consciemment. Elle est un miroir : elle en a d'ailleurs la surface lisse et souvent brillante.

Il y a un aspect très ludique dans vos images, une sorte de jeux visuels

C'est effectivement assez amusant de voir comment les personnes qui regardent mes images s'en approchent quasiment inconsciemment pour y découvrir des éléments qui restaient jusque-là imperceptibles. Cela me fait penser aux images d'Epinal, ces sortes de devinettes visuelles où le but du jeu est de retrouver un objet ou un personnage caché.

J'adore brouiller les pistes, faire perdre le vrai du faux. Je ne suis pas dans le faux mais dans le vraisemblable. Cela m'a fait sourire quand un jour une personne m'a dit « tu as ajouté un tag sur ce mur », alors qu'il était vrai.

J'adorais les casse-têtes quand j'étais petit, comme ces fameuses illusions visuelles d'Escher, connu pour ses dessins de constructions impossibles dans lesquelles des escaliers s'enchevêtrent, les murs se tordent pour redéfinir les espaces et créer des mondes impossibles et paradoxaux. Je crois que j'essaie aussi de reproduire cela. Notre cerveau s'appuie sur des éléments de l'image pour tenter de reconstruire une réalité mais il échoue car les constructions que je propose défient les lois de la physique.

Comment s'articule la part de rêve et de réalité dans votre travail ?

Depuis toujours dans mon sommeil, j'ai fait beaucoup de rêves… Aussi, j'ai toujours adoré dormir. C'est par ces paroles que commence le film Jellyfish de Kyochi Kurosawa. Le cinéma et la photographie sont de merveilleux moyens pour exprimer les rêves. L'image a valeur de preuve, la fiction s'appuie sur la réalité et a l'apparence du vrai. La frontière entre l'illusion et la réalité est floue, j'aime m'y promener.

La réalité, sur laquelle s'appuie le rêve, je l'ai trouvé dans ces grands panoramas, des images monumentales construites chacune par l'assemblage de plusieurs centaines de photographies, microcosmes dans lesquelles on peut s'immerger et se perdre. Leur taille (Qui peut atteindre 6 mètres de large à la résolution d'un tirage photographique : 300 000 000 de pixels en moyenne) est telle que le spectateur, témoin extra lucide d'un monde figé pour l'éternité, en attente, peut s'attarder sur une multitude de détails, partir lui-même à la chasse photographique en les recadrant.

A visiter :
-Le site de l'artiste.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.


L'HOMME COUPE EN DEUX

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Ne vous offusquez pas encore même si c'est un secret de magie révélé…enfin, oserais-je dire : à moitié ! Et encore nous ne sommes même pas sûr que cela se passe comme çà.

Après avoir vu deux vidéos des numéros de Kevin James et de Criss Angel qui coupent en deux un assistant, je n'ai pu me poser qu'une seule question : « Mais comment diable font ils ? »

J'ai beau connaitre quelques un des secrets qui régissent notre métier, cette fois, çà allait au-delà de ma propre logique. Il allait falloir fouiller. Existe-t-il un trucage fabuleux, une illusion d'optique que je ne connais pas, ou tout simplement l'illusion est de cette force qu'elle n'en est pas une ? Peut-être est ce aussi simple : c'est juste une vraie moitié d'homme.

Ci dessus, Kevin James, Cut in Half Illusion / Sawed and Restored Man.

Puis m'est revenue en mémoire, une discussion que j'avais eue, il y a fort longtemps avec ma tendre maman concernant son passif d'infirmière.

Elle avait travaillé dans certains services parisiens que l'on surnommait les mouroirs à monstres : des pièces où l'on entreposait littéralement les enfants malformés.

Ici un enfant tronc posé sur une chaise, là un Spina bifida allongé sur un lit, ailleurs un hydrocéphale remisé dans un coin. Bref une honte humaine et médicale mais qui prouvait une chose : des gens différents existent et sont bien vivants.

Puis dans ma cervelle rouillée un autre souvenir s'est ravivé, cinématographique celui là. Le fameux Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning.

Un film de 1932, où une trapéziste amoureuse du Mr Hercule du Cirque se laisse séduire par un lilliputien dans le but de lui voler son héritage. Un Cirque à l'ancienne peuplé de Freaks (« Monstres ») qui décideront alors de se venger jusqu'à la transformer en ce qu'elle déteste tant : un monstre elle-même.

Ce film qui inspira beaucoup David Lynch et son Elephant Man, regorge de personnes malformées en tout genre. Hydrocéphales, lilliputiens, homme tronc et même un demi-homme. Tiens ? Un demi homme ? Cà collerait pas mal avec mon idée çà…

Et comme vous vous en doutez à l'époque, pas de trucages, ce film se veut réaliste. Tod Browning avait réuni toute une brochette de gens aux physiques ou particularités, disons, hors normes. L'homme qui nous intéresse ici, est celui en bas, au centre de la photo (ci dessus), assis sur une chaise. Enfin, posé sur une chaise est le terme qui convient le mieux !

Cet homme c'est Johnny Eck, de son vrai nom John Eckhard Jr, né le 27 août 1911 à Baltimore, Maryland et mort le 5 février 1991. Il fut précédé ce jour là, de son frère jumeau Robert, né sans particularité, alors que lui est arrivé sur terre sans jambes et avec une colonne vertébrale tronquée.

Mais loin d'être diminué par cette différence, il a accompli en une vie bien plus que beaucoup d'autres.

Il a été principalement acteur, très connu pour son rôle dans Freaks ou encore dans les Tarzan de l'époque. Il a été aussi : artiste de foire, cirque, cabaret, peintre, sculpteur, photographe, magicien, marionnettiste, gymnaste, nageur, pilote de course, conducteur de train … et j'en passe. C'est sa carrière de magicien, et plus particulièrement une illusion, qui nous intéressent ici.

Ci dessus, Johnny et son frère Robert éxécutant des tours de magie dans les années 1940.

En Décembre 1923, les frères Eck sont repérés par le magicien John Mc Asian, qui se produisait alors dans leur église locale. Lors du show, il fut abasourdi à la vue de ce garçon sautant sur la scène pour venir le rejoindre.

Il lui proposa immédiatement un contrat pour intégrer un cirque itinérant, que ses parents validèrent pour un an. Le contrat fut, semble t'il, modifié par la suite par l'ajout frauduleux d'un zéro dans la commission que le magicien se prenait. Eck effectuait un solo avec son frère qui mettait l'accent sur son physique anormal. Il mettait en avant son habileté manuelle et sa souplesse acrobatique. Puis sa carrière cinématographique prend le dessus, et il reviendra à la magie en 1937. C'est précisément cet évènement qui nous intéresse.

En farfouillant dans divers livres comme Illustrated History of Magic de Milbourne Christopher ou Mysterious Stranger : a Book of Magic de David Blaine, et grâce à internet, j'ai réussi à reconstruire un compte rendu de la prestation de l'époque.

En 1937 donc, les frères Eck intègrent la troupe du magicien Rajah Raboid après avoir découvert celui-ci dans The Vaudeville News dix ans auparavant.

Le vrai nom de ce magicien est difficile à trouver, et serait Maurice P. Kitchen, ou plus vraisemblablement Ray Boyd.

Les frères Eck démarrèrent donc dans le spectacle Miracle of 1937 où le mentaliste-magicien-hypnotiseur Rajah Raboid présentait avec eux la fameuse illusion de "la femme coupée en deux".

Cette illusion, présentée telle que pour la première fois en 1937 à Portland dans le Maine, était tellement impressionnante qu'elle provoquait un vent de panique et des malaises dans la salle.

Voilà comment cela se déroulait :

Deux versions semblent exister pour le début du tour.

Soit : Il faisait d'abord monté quatre volontaires pour présenter une séance d'hypnotisme, puis en faisait redescendre deux, et donc restaient deux hommes sur scène. Il annonçait qu'il allait faire un grand classique mais avec une nuance : la "Femme Coupée en Deux" mais avec un homme.

Soit : Il invitait une spectatrice à monter sur scène qui refusait à coup sûr quand elle découvrait que c'était pour participer à la "Femme Coupée en deux". Il faisait donc monter deux hommes sur scène pour participer.

La suite est celle-ci : il hypnotise un des deux volontaires, qui, une fois prêt, est allongé dans la boite, fermée.

Rajah Raboid commence donc à scier la boite, quand le second volontaire commence à faire des réflexions du genre : « Facile, c'est une boite truquée » ou « c'est une tour de boite, c'est elle qui fait tout ».

Rajah Raboid excédé appelle ses assistant qui sortent, démontent la boite, et ramènent le premier volontaire endormi, bien en vu sur une simple planche.

Là, il commence à le scier à vue, la lame passant bien à travers le corps, sans artifices.

Juste au moment où il finit de scier, le volontaire allongé se réveille, se pose sur ses coudes puis finalement se soulève de la table à bout de bras, se rendant compte que ses jambes ne sont plus tout à fait là, ne cessant de répéter « Je veux mes jambes ! Où sont mes jambes ? ».

Les assistants de Raboid amènent alors un marchepied et le volontaire descend de la table, marchant sur ses mains et se retrouve sur la scène.

A ce moment là : les jambes abandonnées sur la table, sautent depuis la planche sur la scène et commencent à marcher vers les coulisses. Le demi-volontaire se met alors à courir sur ses mains et part en course poursuite avec ses jambes. Au moment où il va pour les rattraper, juste au niveau du rideau menant aux coulisses, les deux assistants, l'attrapent par-dessous les bras et placent son torse sur ses jambes, lui faisant faire un rapide tour sur lui-même. Le faisant ainsi légèrement sortir de scène.

Il revenait alors immédiatement et s'arrêtant, l'homme en profitait pour demander à Raboid : « Je veux... je veux…je veux ma veste ! » Et il partait en courant dans l'allée centrale pour sortir définitivement du théâtre. Les gens qui jusque làétaient soit choqués, soit éberlués, soit riaient, lui faisaient une véritable ovation.

C'est cette hilarité qu'il retrouva lors de toutes ses représentations qui contrebalançait parfaitement le coté choc de l'illusion.

Ci dessus, une photo de l'équipe qui composait ce numéro : On y voit les deux assistants, un nain et Johnny lui-même. Son frère est absent de cette photo, mais bien sûr tout le succès reposait sur la particularité de Johnny et le fait que lui et Robert soient jumeaux.

C'était même d'ailleurs ces si grandes spécificités et leur rareté qui permirent que ce tour ne puisse être reproduit par aucun autre magicien.

Les deux frères furent toute leur vie inséparable et Johnny n'était rien sans son frère, même si ce dernier était effacé et vouait sa vie à s'occuper de Johnny.

On voit donc ici l'exploitation des jumeaux comme le firent beaucoup de magiciens, mais aussi celle de particularités dont souffrent certaines personnes.

Je ne sais si c'est véritablement une des explications du modus operandi de Kevin James et de Criss Angel, mais j'aime à le croire, quitte à me tromper.

En tout cas on se rend compte que finalement, 70 ans plus tard, on a rien inventé !

A lire :
-Freaks de Boris Henry (Rouge profond éditions, 2009).
-Les monstres : histoire encyclopédique des phénomènes humains de Martin Monestier (Editions Le cherche midi, 2007).

A visiter :
-Le site dédiéà Johnny Eck.

Crédits photos : Johnny Eck Museum/ Bughouse Tramp, Inc. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

HOMMAGES AUX ESCAMOTEURS 2

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Extrait de l'ouvrage À travers mon époque : Satires Poésies diverses du Comte de Trogoff-Kerbigoët. La question musicale (Paris Challamel aîné, 1874)

Bien répéter que la révolte est un impérieux devoir et que le bonheur se récolte. Sitôt que tombe le pouvoir, dire à la misère irascible qu'à son secours on y a venir. Et lui promettre l'impossible afin de ne jamais tenir exploiter aux heures de crise. Les colères et les douleurs, procéder toujours par surprise. Suivant l'avis des connaisseurs et faction envahissante. Que proclament les ébahis. Crier d'une voix glapissante. C'est nous qui sommes le pays ! Cacher les traits de l'égoïsme sous le masque du dévouement. Avec l'emphase du sophisme, déclarer solennellement qu'aujourd'hui le but sanctifie la conquête contraire aux lois. Que d'ailleurs on su sacrifié, en s'empara ni des hauts emplois, rendre ses actes l'antithèse de ses paroles du passé !

Se montrer despote à son aise, dès qu'aux grandeurs on s'est hissé Après avoir de ses morsures criblé les abus affligeants. Peupler toutes les sinécures de ses favoris exigeants. Confier le soin des affaires aux avides solliciteurs et faire croire nécessaires les plus grotesques dictateurs.

Improviser fonctionnaires, ceux qui savent se prélasser. Appeler réactionnaires les gens que l'on veut remplacer. Ne pas négliger la parade qui charme nos légers Français. Au vantard donner vite un grade. Gonfler chaque maigre succès. Amorcer l'homme de tout âge par les civiques oripeaux et surtout garnir l'étalage et de canons et de drapeaux.

Tandis que nos défenseurs gèlent, se préserver des aquilons. Et, dès que les balles s'en mêlent, lestement tourner les talons. Enfin, nouveau genre d'apôtres, être partout, prudent soutient, très prodigue du sang des autres. Et très économe du sien par orgueil tripler nos désastres. Et, pour étonner l'univers, tâcher de paraître désastres à l'horizon de nos revers. Aux victimes de la famine. Débiter les discours fleuris et, quand tout n'est plus que ruine, rester debout sur les débris. Voilà comment en politique, adroitement soufflant le feu, On peut, au moment pathétique, glisser les honneurs dans son jeu. Bien pratiqué, l'escamotage fait la fortune d'un parti. Que l'on me prenne pour otage si l'on prouve que j'ai menti !

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CINEMA ET MAGIE

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Les tours de prestidigitations présentés sur les champs de foire et les numéros de music-hall sont la partie visible de l'iceberg magique, de « la pensée magique » venue de la nuit des temps. Une pensée mystique et secrète qui est au fond de chacun d'entre nous, présente comme une science des mystères. L'apparition du cinéma s'est faite en restant proche de la magie sur les mêmes registres qui parlent à notre inconscient. Le cinéma et la magie convoquent l'illusion et la tromperie pour notre plus grand plaisir de spectateur.

Une rencontre

A la fin du XIXème siècle, deux entreprises humaines se rencontrent. D'une part, la mise au point d'une machine optique capable de montrer à plusieurs personnes à la fois des images qui bougent sur un écran. Et d'autre part, l'art ancien et populaire des spectacles de magie. Une rencontre de la science et du divertissement, de l'ingéniosité mécanique et de la virtuosité manuelle, de la volonté de produire des images ressemblantes et celle de fabriquer des illusions multiples et complexes.

Le cinéma serait né parce que les magiciens du XIXème siècle, rationnels et industriels, avaient besoin d'une machine et d'un espace spécifiques pour continuer à exister. Pour affirmer que leur présence était encore nécessaire, que le monde avait encore besoin d'être enchanté.

La magie et le cinéma se sont rencontrés par leur pouvoir commun d'animer les choses, de mettre les êtres et le monde en mouvement. C'est ensuite la conception d'un monde qui est double. La magie conçoit ce qui n'est pas là et le cinéma sait fabriquer des images que l'on croit présentes.

Le cinéma a immédiatement assuré la permanence de la magie parce que des cinéastes ont eux-mêmes conçu les effets d'images comme les magiciens concevaient les effets de leurs manipulations. Le cinéma comme la magie instaure une relation identique au spectateur, placé dans une position comparable à certaines expériences psychiques vécues par les voyants et les sorciers.

Premier art de masse, le cinéma fut d'emblée vouéà la popularité. Cette particularité, il la tenait notamment de son lien d'ascendance directe avec les spectacles des champs de foire que proclamaient haut et fort les bateleurs. Le cinéma comme mise en forme de récits filmiques destinés au divertissement des foules, est à son origine même, une poursuite des spectacles magiques qui l'ont précédé.

Hier, le magicien du cinéma faisait sa loi et régnait sur les images et les spectacles. Il était le maître de la création et des créatures qu'il engendrait. Le spectateur était tenu en dehors des protocoles de création. Aujourd'hui, n'importe qui peut disposer d'outils lui permettant de créer des images filmiques. De primitif, le spectateur est devenu un habitué puis un connaisseur des techniques cinématographiques. Il aurait, en quelque sorte, perdu son âme d'enfant. Mais celui-ci a conservé malgré tout l'étonnement, voire l'émerveillement procuré par le contact avec une réalité illusoire. Fait extraordinaire, la magie est toujours là, inexplicable !

La magie n'a donc pas à s'inquiéter de son devenir cinématographique pourvu que la pensée magique continue à irriguer les processus mêmes de la création d'images filmiques. L'écriture cinématographique se réalise par des procédés d'incarnation. Ce répertoire est ancien et s'établit sur une parenté des techniques de réalisation et de projection reliant la lanterne magique et le cinématographe.

Le cinéma a inventé des figures spécifiques par lesquelles la magie s'est pérennisée à travers l'art le plus populaire du XXème siècle. Ces figures, affirmant la magie comme une source d'inspiration fondamentale, sont la sorcière et le magicien. Il y a aussi le vampire qui est un formidable emblème des créatures dont le cinéma a légitimé l'existence pourtant impossible. Il y a les trucages dont la variété ne laisse pas oublier leur origine dans les tours de magie où ils peuvent se résumer à quelques gestes essentiels : l'escamotage et la prestidigitation (hérités de Méliès). Il y a aussi des objets, parmi lesquels règnent les boules de cristal et les miroirs, notamment chez Jean Cocteau et Orson Welles.

Kane erre comme une âme perdue dans son château de Xanadu dans Citizen Kane.

Le cinéma est une machine de masse doté d'un inévitable mécanisme psychique. Les effets de réels produits permettent la venue de l'irréel, de faire entrer le spectateur dans la sidération et l'effroi. A la surface de chaque image existe la possibilité d'un monde et de son double. Avec l'image de la réalité et sa confusion entre réalité et imaginaire, le cinéma crée un univers d'illusion, de magie et de prestidigitation.

Vision, voyance et croyance

Il existe une parentéévidente entre la vision des images cinématographiques et certains phénomènes psychiques liés à la voyance. Quand une voyante prend en rêve une position surplombante «à l'angle du plafond » pour voir, elle dédouble son propre corps allongé et sa vision traverse l'obstacle matériel d'un corps humain. Elle vit une expérience de « double référence ». Le cinéma l'a précédée dans cette voie. Le point de vue plongeant pour « observer » est celui d'une caméra. L'œil de la caméra, comme l'œil de la dormeuse, est capable de traverser toutes sortes d'obstacles que la vision humaine ne peut franchir. A ce propos, la première séquence de Citizen Kane (1941) d'Orson Welles en établit le manifeste. Quant au corps dédoublé, il est par excellence une figure du cinéma. Dans Vampyr (1932) de Carl Theodor Dreyer, le héros, endormi sur un banc, se dédouble et va même jusqu'à assister à son propre enterrement les yeux grands ouverts dans son cercueil.

Dédoublement dans Vampyr de Carl Theodor Dreyer.

Dès lors qu'il s'assoit devant un écran, le spectateur entre dans un régime de croyance, dans une réalité qu'il sait illusoire. Ce processus hautement nécessaire à son plaisir, conditionne la réussite même de l'expérience de spectateur comme dans un spectacle de magie. « Le cinéma (ainsi que la magie) est en nous à la manière d'une chambre ultime où tourneraient à la fois l'espoir et le fantôme d'une histoire intérieure. » Jean Louis Schefer.

Une personne sous l'emprise d'une suggestion est plongée dans un état de confusion. Quelqu'un est entré dans son esprit à son insu. Telle qu'elle lui apparaît alors, la réalité sensible n'est donc qu'une illusion. Le voyant, chargé de faire apparaître des vérités inaccessibles, intervient bien comme une interface entre l'esprit visité et l'esprit visiteur. Le sorcier joue un rôle similaire à celui du voyant, usant d'un dispositif d'envoûtement. Le cinéma n'agit pas sur le spectateur autrement que l'esprit visiteur sur le voyant et que le sorcier sur sa cible. La magie et le cinéma usent des mêmes réflexes collectifs de croyance qui conditionnent leur usage respectif. La sorcellerie existe parce qu'une partie de la collectivité reconnaît des pouvoirs magiques à certains. Cette croyance n'est pas individuelle mais fait partie d'un consensus social. Le spectacle filmique fait par nature lui aussi l'objet d'un tel consensus. La projection doit s'effectuer de telle manière que chacun aura le sentiment d'en être l'image. Ainsi le spectateur devient un voyant, le faisceau du projecteur pouvant être assimiléà un esprit de lumière qui viendrait le visiter. La cabine et l'appareil de projection acquièrent d'emblée un caractère spécial, une sorte de sacralité conforme à celle qui caractérise tous les lieux d'élaboration de rituels magiques. Le phénomène cinématographique est essentiellement un rapport de la lumière à l'ombre qui convoque le rêve, l'hallucination, la voyance et la projection dans les deux sens du terme. Le travail de l'envoûtement est une construction. Son principe essentiel (la projection) noue l'idée d'animation au phénomène de visualisation.

L'hypnose en marche dans Docteur Mabuse (1921) de Fritz Lang.

L'invisible

Chaque film réitère un commencement du monde, toujours le même. La lumière émerge des ténèbres et trouve un ordre dans l'image, de la même façon qu'à travers le récit oral, la voix émerge du silence et s'ordonne dans la parole. De la pénombre dans la salle, on passe à la lumière sur l'écran comme si, à chaque fois, s'instaurait un commencement du monde. Un phénomène lumineux qui est reprit et mis en abyme sur l'écran par l'apparition des premières images du film. Deux matières sont en jeu. L'une concrète et perceptible et l'autre immatérielle, invisible et secrète (l'équivalent du modus operandi en prestidigitation).

Les photographies ou les images filmiques ne sont que des empreintes photochimiques d'un monde invisible. De même que dans le regard des voyants s'incarnent des fantômes à eux seuls visibles, de même que la magie connaît en pensée un au-delà du monde ordinairement sensible. C'est l'idée de l'invisible qui constitue le cinéma, dans la lignée de la photographie, comme un art figuratif du réel. L'écran est destiné tantôt à montrer des images, tantôt, au contraire, à cacher des choses. L'invisible y est d'emblée un sujet de réflexion et un enjeu de création. L'essence du cinéma réside dans le système d'enchaînement qui suture l'écart entre les images et le noir des barres de montage. On peut alors supposer qu'un système esthétique de type visible/invisible se mette en place comme il existe une magie blanche et une magie noire entre lumières et ténèbres.

Méliès l'intercesseur

La naissance du cinéma s'opère grâce àGeorges Méliès qui cristallise toute les mutations à venir entre prestidigitation et cinématographe. Contrairement aux frères Lumière et à Thomas Edison, qui ne furent pas motivés par l'invention du cinéma, Méliès éleva le film au rang d'art du spectacle. Il transposa en termes de cinéma les principales figures des spectacles de magie. Apparitions, disparitions, substitutions, escamotages. Il invente ainsi des trucs de cinéma qu'il substitue aux trucs de magie. Méliès est l'inventeur du récit au cinéma et se montre un véritable auteur. En créant un film il ordonne et clôture un monde bien à lui.

Le cinéma de Méliès baigne dans un imaginaire à la fois archaïque et moderne, magique et scientifique. A ce croisement, se rencontre précisément la science-fiction. Un tel dispositif du cinéma parvient en effet à substituer à la réalité du monde tangible une illusion de réalité, inexistante comme telle et pourtant perceptible.

Sur les écrans, la magie par les trucages

« J'exerce un métier qui me démontre en permanence que je suis un magicien ».

Cette phrase du réalisateur italien Federico Fellini est restée célèbre et conforte les liens qu'entretiennent cinéastes et prestidigitateurs.

A ses origines, la magie est tout d'abord strictement religieuse. En Egypte, par exemple, les mages étaient des prêtres. Puis la magie se sécularise, dans l'occident médiéval notamment. Les magiciens remplacent les mages des temps anciens. Aux côtés de l'héritage ancestral, aujourd'hui, les deux états de la magie continuent à coexister. Le magicien capte et éblouit le public à l'aide d'effets spéciaux. Ces effets appelés « trucs » sont prodigués et mis en scène par les bateleurs et les prestidigitateurs. La dimension spectaculaire des films est fondée sur une culture du spectacle que la magie a instaurée depuis longtemps. Les films n'ont pas besoin d'être fantastiques pour qu'en eux s'accomplisse l'art de la magie qui, lui-même, atteste de la survivance de la pensée magique. Escamotage, prestidigitation, trucages : depuis Méliès, le cinéma n'a pas cessé de cultiver et de faire grandir en lui cet arsenal technico-magique qui a fait de lui un des plus grands pourvoyeurs d'illusions du XXème siècle.

Dans la descendance de Georges Méliès, le cinéma a très tôt affichéà travers son emploi de certains trucages, une grande intimité avec les principaux fondements des spectacles de magie. D'ailleurs, le mot même de « trucage » avoue sa proximité avec la magie. Tous les films ou presque sont concernés, mais certains, assument ouvertement l'héritage de Méliès élevant le trucage au rang de figure d'expression et en font la condition même d'une esthétique. Ainsi dans les trois lumières de 1921, Fritz Lang emploi un trucage limpide et élégant où un magicien fait apparaître entre ses jambes une armée de soldats minuscules. Murnau dans son Nosferatu de 1921 utilise un trucage obscur et métaphysique lorsque les portes du château s'ouvrent seules parce que le Comte Orlock a décrété en pensée leur ouverture. Dans ces films, les trucages y sont simples, visibles pour ne pas dire lisibles, parce qu'il s'agit précisément d'offrir en spectacle des mondes merveilleux dans lesquels les lois de la physique ordinaire sont provisoirement suspendues. Le cinéaste Orson Welles est le chef de fil de cette pensée. Ses films sont tissés de trucages destinés àégarer le spectateur pour le désorienter profondément. Un des trucages initiaux de son œuvre condense admirablement ce projet. La première séquence de Citizen Kane, consacrée à la remémoration de la vie du personnage devant un chalet sous la neige qui se révèle être une maquette enfermée dans une boule de verre. On ne peut rêver un tour de passe-passe plus efficace et surtout plus pétri de pensée magique.

La boule de verre dans Citizen Kane d'Orson Welles.

Pour séduire le public, le cinéma a un atout majeur. Chaque image est certes délimitée par un cadre, mais elles sont toutes en relation avec un dehors plus ou moins tangible. C'est le hors-champ contigu, le hors-champ lointain, l'image d'avant, celle d'après, les effets de montage. Le montage qui est d'ailleurs le véritable tour de magie que le cinéma a inventé de toute pièce.

Toute l'histoire figurative des films s'est construite entre deux pôles opposés : tout montrer ou bien tout cacher. Cette pensée est en relation directe avec l'activité des prestidigitateurs dont l'une des techniques principales est précisément l'escamotage. La conscience du spectateur doit être aimantée par l'idée que ce qu'il voit est moins important que ce qu'il ne voit pas. A cet égard, les films fantastiques les plus efficaces sont ceux qui se comportent de la même manière. Parmi eux Cat People (La Féline) (1942) de Jacques Tourneur et Freaks (1932) de Tod Browning. Ces films renvoient le spectateur à l'idée antique du « monstrum » : la femme/panthère et la femme/poule sont des êtres inassignables. Visibles ou invisibles, on ne sait pas ce qu'ils sont. Leur existence n'est rien d'autre qu'une impression ressentie ou une empreinte laissée dans l'esprit des gens. Tel le sentiment magique, le spectateur invente dans son esprit le monstre qu'il ne voit pas sur l'écran et se construit une interprétation subjective de la réalité qui ne s'est pas produite devant lui !

Nous parlions plus haut du montage qui était un véritable tour de passe-passe inventé par le cinéma pour provoquer, par exemple, des effets de faux raccord. Ainsi d'une image à l'autre, on peut immédiatement passer d'une réalitéà une autre. On peut faire un saut gigantesque de la préhistoire du genre humain sur la terre à une expédition spatiale sur la lune en l'an 2000 dans 2001 l'odyssée de l'espace (1968) de Stanley Kubrick.

2001 l'odyssée de l'espace, un saut dans l'espace temps par l'intermédiaire d'un os qui fait office de baguette magique.

L'esprit de synthèse du cinéma moderne, présidant au travail du montage, révèle de la prestidigitation. La première image accouche d'une seconde image, pourtant parfaitement inattendue, de la même manière que le prestidigitateur sort « de son chapeau », une par une, des choses hétéroclites que le chapeau ne paraît pas pouvoir contenir. Le montage participe ici à la création d'un ordre nouveau de visibilité des choses.

La réflexion du miroir

Les techniques de l'illusion sont déployées et renforcées grâce à une catégorie essentielle d'objets qu'utilisent de nombreuses mises en scène filmiques. Ces objets sont spécifiquement destinés à confondre des plans de réalité représentés. Le miroir en est le symbole, avec ce miroir primordial du cinéma qu'est l'objectif de la caméra.

A l'origine, magiciens et prestidigitateurs ont suggérés la présence du surnaturel en exhibant quelques reflets du monde intangible. Un monde utilisant des objets qui génèrent des images virtuelles telles les boules de cristal ou les miroirs biseautés. Dans le film Brigadoon de Vincente Minnelli (1954), le village surgit comme dans une boule de cristal. Les personnages pénètrent à l'intérieur de celle-ci comme dans un rêve.

Les miroirs sont plus visibles et plus nombreux au cinéma que les boules de cristal. Ils permettent en autre de mettre en contact l'actuel et le virtuel. N'est-ce pas Alice qui en atteste dans le récit de son aventure « de l'autre côté du miroir » ? Le miroir est bel et bien un accessoire privilégié de l'art cinématographique des apparences : il sait merveilleusement et magiquement les faire mentir.

La liste des situations réfléchissantes offertes aux objectifs des caméras est infinie. On les retrouve à l'obsession chez les cinéastes formalistes comme Fritz Lang, Jean Cocteau, Alfred Hitchcock, Orson Welles, Brian De Palma ou Dario Argento.

Dans Profondo Rosso de Dario Argento, le secret se trouve dans le miroir.

Dans La dame de Shangaï (1947), Orson Welles demande explicitement aux miroirs de propager les puissances du faux. Ce film marque en quelque sorte un point d'aboutissement de la stratégie du miroir au cinéma. La scène est construite de manière à laisser croire au spectateur, totalement égaré dans le piège des apparences, que le lieu est compliqué et contournéà la manière d'un labyrinthe.

La scène des miroirs dans La dame de Shangaï d'Orson Welles.

Dans Orphée (1950), Jean Cocteau reprend une figure déjàà l'œuvre dans son manifeste surréaliste le sang d'un poète. Il actualise la capacité des miroirs àêtre une interface instantanée et immédiate entre deux mondes. L'association du miroir et de l'eau résulte d'une adéquation parfaite avec la pensée magique. En 1987 dans Prince of Darkness, le réalisateur américain John Carpenter reprendra l'idée du miroir de Cocteau pour ouvrir le monde des vivants à celui des morts dans une scène finale magistrale.

Jean Marais s'apprêtant à traverser le miroir dans Orphée.

Dans The woman in the window (La femme au portrait) de 1944 réalisé par Fritz Lang, la contiguïté naturelle est fatale entre les miroirs et les rêves. Le miroir dans le film est à la fois matériel et imagé puisque la surface réfléchissante est une vitrine, Fritz Lang reprenant quasiment à l'identique une scène centrale de M, le maudit. Dans la scène inaugurale, Quand le personnage principal regarde le tableau derrière une vitrine, un reflet se superpose au portrait, celui de la jeune femme qui a servi de modèle et qui se tient debout derrière le héros. Ce portrait joue le rôle de l'objet pendulaire que l'on utilise pour hypnotiser les patients et faire parler leurs rêves au nom de leur inconscient, puisque la seconde visite du tableau et les conséquences qui s'ensuivent ne sont qu'un rêve. Lang crée ainsi une confusion absolument indécelable entre l'état de veille et le sommeil. Cette machination conçue par le cinéaste procède d'un escamotage très habile qui retrouve la grâce des tours de magie parce qu'elle réussit à engendrer un vacillement du sens tout ensemble imperceptible et vertigineux. Un magicien ne procèderait pas autrement.

Edward G. Robinson victime d'un faux reflet dans The woman in the window de Fritz Lang.

Il y a une autre sorte de miroirs qui reflètent non plus des doubles, mais des objets filmés destinés à faire revenir dans le présent des images du passé du cinéma. Des œuvres auto référencées et maniéristes qui convoquent les fantômes du passé pour réinvestir le présent et créer de nouvelles formes de narration et de correspondance. Une forme proche de la cinéphilie créée par les critiques/cinéastes de la Nouvelle Vague française dans les années 1950-1960. Ces films à mémoire se regardent dans le miroir du cinéma.

Ainsi, un des premiers films à opérer cette fusion est Allemagne année zéro de Roberto Rossellini qui en 1946 convoque la mémoire de M, le maudit de Fritz Lang qui pressentait avec son film une catastrophe à venir : la décomposition de la société allemande. L'œuvre de Rossellini vient en constater l'achèvement : la destruction physique du pays, la ruine sociologique, économique et morale.

La comédie musicale de référence Singing in the Rain (Chantons sous la pluie) réalisée en 1952 par Stanley Donen propose une plongée magnifiquement illusoire dans le cinéma des années 1920.

Mise en abyme dans Singing in the Rain sur le tournage d'un film muet.

Plus proche de nous, un réalisateur comme Quentin Tarantino est devenue le symbole du cinéma à références, notamment avec Kill Bill, quitte à risquer le boursouflement et l'overdose maniériste !

En ce qui concerne le maniérisme, il engage ouvertement la question esthétique. Ce cinéma n'est occupé que d'imitation du cinéma par le cinéma, une mise en abyme ultra référencée. A cet égard, l'œuvre de l'américain Brian de Palma est la référence mondiale en la matière. De Palma excelle à mettre au carré la pensée et les techniques même de l'imitation. Son maitre à pensé : Alfred Hitchcock. L'exemple en est donné avec son film Body double (1984) qui est une reprise explicite de Vertigo (1958). De Palma s'amuse ici à reprendre plusieurs sortes d'images et de séquences venues de plusieurs films d'Hitchcock. Le projet cinématographique de Brian De Palma s'édifie entièrement sur l'idée même de l'imitation. Il ne s'agit pas simplement de recopier des formes, ce qui est à la portée de n'importe qui, encore lui faut-il imiter l'esprit même de celui qui les a conçues. Les films de De Palma deviennent de grands jeux cérébraux, des moments de pure voyance. S'il s'agit d'apprécier les qualités formelles de l'imitation, le spectateur, tel un détective, doit être capable d'en identifier les modèles. Il savoure ainsi à travers l'idée de résurrection l'exercice de la reconnaissance par empathie.

La scène de la douche hitchcockienne revisitée par De Palma dans Body Double.

Les spectateurs entrent dans l'illusion

Tous les films, même les moins fantastiques, diffusent et poursuivent la fonction illusionniste du cinéma. Les formes qui se meuvent sur les écrans sont des illusions, mais elles doivent sembler vraies, comme les hallucinations ou comme les images de rêve. C'est à ce titre que la machine optique du cinéma a à voir avec l'hypnotisme qui est lui-même dépendant d'un phénomène de suggestion. On sait bien que la naissance du cinéma comme art des masses est marquée par un contexte d'hallucination originelle (Hitler se servira de ce postulat dans les années 1930 avec son cinéma de propagande dirigé par Leni Riefenstahl).

Au temps de l'illusion succède celui de l'imaginaire cinématographique. Le spectateur de cinéma n'est plus innocent et comprend une grande partie du modus operandi. Comment expliquer alors que les spectateurs continuent à s'asseoir dans les fauteuils des salles obscures ? C'est que l'individu contemporain reste en phase avec une des sources les plus archaïques du plaisir. Le spectateur du XXIème siècle n'est pas très éloigné de l'homme qui fréquentait les arènes et amphithéâtres de l'antiquité. De la magie au divertissement, tel est en condensé l'histoire du spectacle de cinéma. Etonner le spectateur, l'effrayer, le dépayser, le vouer à la contemplation et à l'adoration des icônes filmiques, l'intention n'a pas changé depuis les débuts et n'est pas prête de s'arrêter.

A lire :
-Cinéma et magie de Maxime Scheinfeigel aux éditions Armand Colin Cinéma (octobre 2008).
-Magie et Cinéma.
-L'illusion cinématographique.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

DUPERREY

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Pour la seconde fois de cette année, la mort cruelle nous oblige à lui consacrer les premières lignes de ce journal Celui qu'elle vient de frapper, Duperrey, fut un grand artiste et sa perte sera certainement déplorée par tous les prestidigitateurs qui le connurent.

Néà Londres, le 21 avril 1843, il vient de s'éteindre, dans sa retraite de Gagny, le 27 avril 1913 et repose maintenant au cimetière du Père Lachaise dans le caveau de sa famille. Ses obsèques qui eurent lieu a Paris le 30 avril, réunirent, dans un pieux hommage, un si grand nombre d'amis que l'église St-Eugène, où se célébra la funèbre cérémonie, fut trop petite pour les contenir.

Duperrey ne fut cependant pas connu du grand public comme il eut mérité de l'être ; ennemi du bluff et de la réclame, on peut dire que sa modestie égalait son talent ; mais, parmi tous ceux de sa génération, il fut certainement le prestidigitateur le plus admiré et le plus apprécié de ses confrères.

C'est ainsi que pendant sa longue période au théâtre Robert-Houdin, il ne donna pas une représentation sans compter parmi l'auditoire un professionnel de la Magie venant s'inspirer de ses procédés et tenter d'assimiler ses méthodes.

Son répertoire était relativement peu étendu, une quinzaine d'expériences seulement le composaient ; mais, chacune d'elles était une merveille tant par sa conception que par sa parfaite exécution.

Il incarnait l'artiste consciencieux par excellence, n'admettant pas les demi-mesures ; aussi, lorsque, piquéà son tour par la tarentule magique, il décida de se consacrer à la Prestidigitation, étudia-t-il cet art à fond, et c'est seulement lorsqu'il se sentit de première force qu'il se présenta au public. Tout gamin déjà il avait pourtant fait connaissance avec la Magie. Etant petit clerc à Rouen, où il fut élevé et musardant à chaque coin de rue, comme tout saute ruisseau qui se respecte, il avait appris d'un escamoteur de carrefour qui, paraît-il l'exécutait à merveille, le vieux tour des gobelets, lequel forma ensuite pour Duperrey l'appréciable noyau de tant de jolies expériences qu'il y adjoignit par la suite.

Au début de sa carrière artistique, il avait ouvert un théâtre forain, et au cours de l'une de ses tournées il s'associa avec Adrien Delille. Mais ce fut dans les salons et sur la scène élégante du Théâtre Robert-Houdin qu'il trouva le plus flatteur succès comme aussi le plus mérité.

Souhaitons que la jeune génération des prestidigitateurs, prenant modèle sur ces anciens que, de jour en jour, la mort nous enlève, s'attache à les égaler et à combler le vide, hélas ! si grand, fait dans les rangs de la Magie française par la disparition de ces admirables artistes

J.C

Document : Collection Christian Fechner / Didier Morax.

L'ATTITUDE DU MAGICIEN

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Un des aspects les plus fascinants de l'art magique, c'est le comportemental que l'artiste développe progressivement, à mesure qu'il pratique.

Les magiciens sont les maîtres du mensonge. Surtout, ils possèdent cette capacitéà maîtriser leur langage corporel.

Prenez n'importe quelle personne : en situation de mensonge, il y aura toujours un truc qui la trahira. Le ton de sa voix, son débit peut-être, sa gestuelle, la façon dont elle vous regardera. Instinctivement, on sait tous plus ou moins quand quelqu'un ment. D'ailleurs, des études très sérieuses ont montré que c'est surtout ce qu'on dit qui est le plus suspect quand on ment. En fait, un menteur, une menteuse, aura tendance a donné des détails, beaucoup de détails, à justifier ou se justifier... alors que, dans une attitude plus normale, quelqu'un qui dit la vérité ne cherche pas forcément à détailler, à convaincre.

Dans tous les cas, l'art de la prestidigitation repose sur votre capacitéà maîtriser vos attitudes. Notamment celle à faire preuve de relâchement et de détachement.

La plupart des jeunes magiciens connaissent bien ce problème : au moment de faire une passe, une manipulation, l'instant devient critique. L'attention des spectateurs, l'enjeu de cette manipulation sur la finalité du tour : tout est prétexte à créer une certaine pression sur l'artiste qui, s'il n'est pas sûr de lui, rate soit le tour, soit le détournement d'attention.

En tant que magicien ou apprenti magicien, il est donc nécessaire de travailler sur la répétition d'un effet, d'un numéro, encore et encore avant de le présenter en public.

C'est un peu comme quand vous conduisez : vous n'êtes pas en train de vous demander, au moment de freiner, si oui ou non vous devez appuyer sur la pédale de frein. Non, vous êtes en mode automatique. En magie, vous devez atteindre le même niveau de perfection.

Vous devez donc, dans un premier temps, vous assurer que vous maîtrisez parfaitement vos numéros. Ensuite, essayez toujours d'avoir plusieurs sorties. Pourquoi ? Parce qu'à aucun moment dans votre show, vous ne devez montrer le moindre trouble.

En effet, il arrive parfois que le tour ne se déroule pas comme prévu. Si, comme je l'ai parfois vu, au moment où vous "ratez", vous affichez la mine des mauvais jours, que vous vous trahissez en perdant vos moyens, que vous bafouillez par exemple, que vos mains deviennent moites, que vous tremblez : vous perdez votre public et votre crédibilité. L'impact du tour sera évidemment moindre.

Vous devez donc avoir un temps d'avance, « une carte dans votre manche » pour vous sortir de tout mauvais pas. Dominique, le pickpocket, nous racontait une anecdote il y a quelque temps. Dans son show, une fois, une personne était censée se lever dans la salle lors du tour des chaises électriques (je précise que Dominique présentait ce numéro avec des chaises normales, il parvenait à rendre complice les spectateurs sur scène). Un jour, il se trompe d'endroit dans la salle mais continue comme si tout était normal : la personne en question était de l'autre côté, dans le noir pour le coup.

Travaillez donc énormément sur le détachement : ne montrez jamais vos troubles, ne laissez jamais transparaître les moments critiques, faites toujours comme si de rien n'était : au final, vous verrez, vous deviendrez maître dans l'art de mystifier votre entourage.

- Source : Club de Magie.

ELASTIC / ARTISTO

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Clown liégeois autodidacte, Stéphane Delvaux alias Elastic est un phénomène. Touche à tout, il manie aussi bien le mime, la magie, le jonglage que la performance. Son univers se situe entre le music-hall et le cirque, entre la comédie et l'absurde, entre le burlesque et la prestidigitation. Cet artiste multicarte est connu pour son fameux saut à l'élastique horizontal. Une entrée irrésistible unique au monde !

Le saut à l'élastique

Sur une musique d'entrée des athlètes, Elastic tire un élastique de « jardin à cour » et disparaît derrière le rideau. D'un coup, il traverse la scène dans l'autre sens comme une balle. Un peu chamboulé, après avoir tiré un peu trop sur la corde, Elastic revient sur scène en rigolant bêtement pendant une bonne minute. Il mime son saut improbable à l'horizontal et termine par «…Voilà, merci ! » Le public est déjà dans le bain !

Echauffements

Elastic commence par échauffer ses doigts en les faisant craquer, puis les étirent à la façon des magiciens (phalanges pliées et pouce sauteur). Muni d'un cerceau jaune, le comique va poser les règles et les bases du spectacle « spectaculo », du public « publico » et de l'artiste « artisto ». A chaque passage dans le cerceau, le public applaudit, ce qui donne tout de suite l'ambiance de la soirée. L'artiste se permettant, au passage, quelques petites blagues pour taquiner la salle.

Le fakir troué

Sur une musique de mambo, Elastic arrive avec un panier de ballons longilignes gonflés. Pendant sa chorégraphie, les ballons se dégonflent tout seul. Il revient alors avec un second panier et confectionne, dans la traditionnelle sculpture sur ballon, un chapeau d'indien, un arc et une flèche ; qu'il lance.

Coup de gong et changement de personnage en la figure d'un karatéka, ou plutôt d'un « Karaté-Kata-Kiri » (le chapeau d'indien étant mis à l'envers). La flèche devient une épée qui est coupée en deux, sans que le ballon ne se dégonfle. Elastic se fait ensuite hara-kiri avec les deux morceaux qu'il place de part et d'autre de son buste.

Coup de gong et apparition d'« el fakir » et de la « magia ». Elastic explique qu'il va avaler un ballon gonflé, comme un sabre. Il s'exécute et sa posture est un poil raide, ce qui lui permet quelques facéties. Il essaye de redresser sa tête mais n'y arrive pas. Quand tout à coup la pointe de l'épée apparaît par un autre orifice situé plus bas !

Cette séquence de « ballonneur » détourne le coté spectaculaire du transformisme en utilisant des objets minimalistes et rudimentaires. L'artiste mise tout sur sa capacitéà camper un personnage en utilisant des gestes et des mimiques précises tel un mime.

L'élastique n°2

La musique du début revient et Elastic tire une nouvelle fois son élastique de gauche à droite. Arrivé en coulisse, l'élastique casse. On entend un brouhaha monstre et on voit réapparaître l'artiste « emmêlé» puis repartir à jardin.

Le saut de la mort…qui tue

Sur scène sont disposés deux tréteaux, une planche et dessus, une malle placée à la verticale. Elastic pose ensuite une veste en cuir sur l'installation improbable et finit par ajuster une rampe. Sur une musique du générique de Magnum, il annonce son prochain numéro : « El salto de la muerte », un frisson monte dans la salle…

Il chausse sa veste de cuir et des lunettes à un verre, ferme ses 8 fermetures éclair de son blouson une à une (irrésistible), enfile des gants troués, un casque et finit par attacher sa ceinture de sécurité… Il a le « look coco » !

Il part en coulisse. On entend alors un bruit de moto ; arrive sur scène un monocycle avec dessus, notre cascadeur du dimanche. Une image surréaliste et drôle. Elastic mime le motocycle en tenant un guidon imaginaire et en produisant des bruits de sa bouche. Il s'arrête, regarde le public, lance trois clins d'œil et repart. Tout à coup, il se casse la figure en avant, dans un beau gadin, et fait semblant d'avoir mal à la cheville. Un technicien vient lui porter secours, c'est Fabricio. L'assistant raccompagne Elastic en coulisse ainsi que la vespa (le monocycle).

2ème tentative du « saut de la mort », mais au naturel (sans accessoires) «à ne pas confondre avec le naturisme » dixit Elastic. Le public tape dans ses mains pour encourager l'artiste qui danse au rythme des applaudissements et fait tomber un des tréteaux ! Il se remet en place, franchit la rampe et monte en équilibre sur la malle, la tête en bas. Il se remet alors debout mais glisse et tombe à cheval sur la malle : « Il n'y a pas de problemo… Artisto ». On a quand même mal pour lui…

Flypo, le raton laveur

Elastic amène une boîte avec écrit dessus « FLYPO ». Il l'ouvre et en sort un gobelet en plastique rouge qu'il clipse à sa ceinture. Il sort ensuite le fameux Flypo qui s'avère être un raccoon. Celui-ci dit bonsoir au public en soulevant un sourcil. S'inspirant sans le copier du numéro déjanté de David Williamson, Flypo le raccoon va divertir formidablement le public grâce à sa vivacité.

Elastic demande à une « señorita » du public de venir donner un sucre à Flypo. Comme son nom l'indique, Flypo est complètement flippé. Il a le trac et essaye de se cacher à la moindre occasion. L'artiste l'amadoue avec du sucre, puis décide de l'hypnotiser pour le calmer. Ne parvenant pas à l'endormir, il emploie la méthode forte en le frappant contre la boîte ! Elastic panique car l'animal ne se réveille plus malgré différentes tentatives : sucre passé sous son nez et klaxon au raz des tympans ! Finalement, il le réanime, en lui pratiquant le bouche-à-bouche. Flypo se réfugie le nez dans le gobelet, puis son maître le range dans la mallette en se coinçant le pouce (gag du gros pouce).

L'élastique n°3

La musique du début revient ainsi qu'Elastic qui tire une nouvelle fois son élastique de gauche à droite. Arrivé en coulisse, l'élastique casse et par avec un bras à jardin. L'artiste revient sur scène et replace son bras à l'envers en le « revissant ». Il réalise alors un truc de magicien qui consiste à montrer un bras plus long que l'autre en position horizontale.

Le cerceau

Elastic joue de nouveau avec le public en utilisant le cerceau du début. Il passe son index dedans et le public applaudit. Il lance ensuite le cerceau sur le sol et il revient deux fois à lui. Au troisième lancé, le cercle part en coulisse et revient sur scène 5 seconde après, dans un effet de décalage. Quatre autres cerceaux défilent alors derrière lui ! Pour finir, Elastic lance le cerceau sur le pied de micro et finit par dire « Artisto ! ».

Le jongleur coincé

Elastic arrive avec une valise sur laquelle est écrit « JONGLAGE ». La valise reste sur place et l'artiste en fait le tour façon mime. Il lâche ensuite les deux mains et elle tient toute seule en lévitation, jusqu'à ce qu'un petit tabouret vienne se placer dessous magiquement.

Il sort de la valise une balle de volley et la fait tourner sur son doigt. Il jongle ensuite avec trois ballons sur une musique kitschissime des années 1980, au son d'un synthétiseur New wave. Elastic range ses trois ballons et sort une valise encore plus petite de la précédente dans laquelle se trouvent trois balles blanches de jonglage, avec lesquelles il jongle. Pour finir, il range ses trois balles et sort une minuscule valise des deux autres avec à l'intérieur, trois balles de ping-pong. Il place les trois balles dans sa bouche et jongle en les éjectant à la verticale.

Face au public, Elastic, la gueule de hamster, essaye de recracher les balles mais n'y arrive pas ! Il reste planté devant le public avec la tronche déformée et un sourire forcé ridicule. Il a un léger « piti problemo ! ». Il demande alors à un spectateur de venir sur scène l'aider et lui montre une affiche de lui-même en baragouinant quelques mots qui s'avèrent être des onomatopées incompréhensibles.

C'est alors qu'un téléphone sonne dans la salle. Elastic descend de la scène et se précipite sur un spectateur en lui arrachant son portable. Il parle à la personne au bout du fil et tape le téléphone sur sa valise, car il ne comprend rien au dialogue qui s'instaure. « Y challait cuper ! » dit-il.

Deux autres personnes sont invitées sur scène, un homme et une femme. Le dialogue est surréaliste. L'homme ne comprend rien et la femme, lorsqu'elle parvient à l'aider, est montrée en exemple à celui qui n'a rien compris. Celle-ci tient la valise du début à l'horizontale sur ses avant bras, tandis qu'Elastic prend un gourdin à l'intérieur et scotch sur le revers du couvercle deux yeux. L'image est plaisante car on voit les pieds de la femme avec un tronc et un visage fabriqué. L'homme, quand a lui, saisit le gourdin et tape sur la tête de l'artiste qui crache enfin ses balles de ping-pong ! Pour les remercier, Elastic fait applaudir les deux spectateurs en leur passant le cerceau autour de leur tête (running gag). Le cerceau est ensuite lancé autour du pied de micro.

L'haltérophile nain

Sur une musique de flamenco, Elastic disparaît derrière un petit paravent et laisse place à un petit homme bizarre. Fesses au public, une figure est dessinée sur son short représentant un haltérophile nain ! Le petit homme veut soulever une barre de poids mais n'y arrive pas. Il a alors l'idée de boire une célèbre boisson énergisante « qui donne des ailes » et soulève sans problème la barre en exécutant des équilibres impossibles avec. Le nain entame alors une danse endiablée devant le public et disparaît derrière le paravent. La séquence est un peu surréaliste, entre le kitsch assumé du personnage et le mauvais goût de la posture.

Le ballon

C'est la touche « Poesia » du spectacle comme l'annonce Elastic. Arrive sur scène un aspirateur. Imaginez de la poésie moderne avec un objet ménager ! Un ballon entre à cour avec lequel Elastic chorégraphie un ballet improbable ; dirigé et aspiré par le manche de l'aspirateur. Le petit ballon part en coulisse et revient sous la forme d'un gros ballon de baudruche. Suit une séquence muette très influencée par la scène du Dictateur de Charlie Chaplin. Le ballon éclate, ne reste plus que des lambeaux dans les mains de l'artiste ; qui place tous les bouts dans l'aspirateur. Le couvercle de la machine s'ouvre et réapparaît le ballon, qui se regonfle tout seul. La dernière image montre Elastic repartant avec la baudruche luminescente en coulisse.

L'élastique n°4

La musique du début revient ainsi qu'Elastic qui tire une dernière fois son élastique de gauche à droite. Arrivé en coulisse, l'élastique reste à l'horizontal et l'on voit défiler, à contre sens, les vêtements de l'artiste un à un : chemise, pantalon, bretelles, chaussette et slip ! Elastic revient sur scène nu comme un ver, puis se pare d'une serviette sur laquelle est écrit le mot « FIN ».

Conclusion

Pendant une petite heure, Stéphane Delvaux nous divertit avec intelligence grâce à son sens du gag millimétré. Avec du matériel réduit au minimum, il en fait des tonnes ! Ses mimiques touchent à coup sûr le plus réfractaire des spectateurs. Comment résister à son univers décalé, à son personnage sympathique et foutraque ? Artisto est ponctué d'un vrai « fil rouge », ou plutôt d'un élastique, qui revient comme un boomerang rappeler la facilité de l'artiste à passer d'un registre à un autre.

Toutes les saynètes sont à mourir de rire, même si, à la fin, le spectacle se dirige vers une poésie un peu convenue. Artisto est bel et bien un vrai spectacle populaire, unique, qui précipite les grands comme les petits dans une euphorie de rigolade. Un bon antidépresseur par les temps qui courrent…

A lire :
- Le passage d'Elastic lors du Congrés de la FFAP 2007 à Angers.

A visiter :
-le site de l'artiste.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

EUROPA / LARS VON TRIER

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Europa est un film de genre (thriller hitchcockien et mélodrame en cinémascope) au sens strict du terme, avec des codes, des contraintes, qui servent de catalyseur à une inventivité ludique, machinique, qui est celle de Lars von Trier, amateur de compositions géométriques, de songes éclatants et visionnaires. Mais il s'agit moins de pervertir les règles d'un genre (à la manière de Joël et Ethan Coen) que de les suivre jusqu'au bout. Là-dessus Lars von Trier est ferme, sait très bien où il va et où il veut nous emmener, à l'intérieur des limites qu'il a choisies. Avec une technique parfaitement maîtrisée (ses story-boards sont dignes de ceux d'Hitchcock), il annonce la couleur : format cinémascope avec un fond pris au téléobjectif et des premiers plans au grand angle, projetés frontalement en surimpression. Une technique du dédoublement, renforcé par le mixte hybride du noir et blanc/couleurs, à l'intérieur d'un même plan, qui représente visuellement le sujet du film : la dualité par excellence.

« A chaque fois, ce que je veux faire, c'est un film automatique, un film absolu. Un peu comme Monsieur Kubrick, je crois. C'est le principe de base. Pour Europa, nous avons défini une règle très simple après avoir imaginé des logiques de combinaison très complexes. Le film est divisé en trois catégories : les plans larges en noir et blanc, les plans rapprochés et les gros plans en noir et blanc et les super gros plans en couleur sur fond noir et blanc. Nous utilisions la couleur quand nous voulions focaliser l'attention du spectateur sur un élément particulier. Il y avait bien sûr aussi une recherche esthétique à la base de tous ces choix... » Lars von Trier.

Tout se tient, et tout s'enchaîne, dans une continuité sans défaut du début à la fin. Rien d'équivoque, de flou, ou de hasardeux dans un film qui traite pourtant de la déperdition de soi et de la manipulation. Tous les personnages, à l'exception du quidam Léopold Kessler (Jean-Marc Barr), se dédoublant les uns dans les autres pour se piéger, dans une fuite en avant un peu folle, étant donné que les jeux sont faits d'avance. Et même ce Léopold, jeune Américain d'origine allemande, venu travailler en 1945 comme apprenti contrôleur de train sur les lignes de chemin de fer Zentropa, en Allemagne (situation pleine d'humour puisque tout lui échappe, qu'il ne connaît ni les tenants ni les aboutissants de l'histoire et du voyage, toujours en route, mais dans quel sens ? et sans pouvoir s'arrêter, sans pouvoir comprendre), ce jeune quidam donc, est lui aussi un double... du spectateur d'Europa.

Léo, par idéalisme, veut aider à la reconstruction du pays après la débâcle. Il se retrouve coincé entre la famille Hartmann (propriétaire de Zentropa), le colonel Harris (Eddie Constantine) et son oncle qui lui apprend son métier dans les trains. Tous veulent s'emparer de lui pour des raisons diverses. Tous les metteurs en scène de la complexité, de l'énergie désirante, avec ses double-binds, ses égarements, sa part maudite sont aussi les plus rigoureux, et les plus précis qui soient. Lars von Trier n'échappe pas à la règle. Il a parlé du plaisir charnel qu'il y a dans le fait de pouvoir « transformer la celluloïd en vie réelle ». Du plaisir en effet... La seule règle du film est d'aller jusqu'au bout de ce fameux principe qui permet de se dire : « tout est possible, allons-y ».

Le scénario est entièrement retraduit dans et par la mise en scène. Tous les pièges, du film rétro au film esthétisant sont esquivés en souplesse, et on a l'impression qu'une improvisation permanente a présidé au tournage, alors que l'effet de surprise, de faux raccord permanent qui ravit le spectateur est le résultat d'un travail très élaboré (voir Kafka en littérature). Ainsi, au sein de la folie douce et mortelle, très bien soutenue par l'humour d'un acteur comme Eddie Constantine (qui perd la stature de monument du cinéma que lui donne Godard dans Allemagne neuf zéro) un refrain s'insinue : « mais au fond, quoi de plus naturel ? ».

La voix-off, maîtresse du temps et du récit, qui rappelle celle d'Orson Welles dans La Splendeur des Amberson, contribue beaucoup à rendre cette folie décisive et sans merci. C'est une voix qui ne gère pas seulement l'économie du récit, en (se) jouant de la durée, c'est aussi une voix qui tient parole. Elle ne se laisse pas séduire par les licences poétiques, ni acheter, et elle ne rachète personne. Nous sommes bel et bien embarqués : le cinéma se dédouble lui aussi en se redoublant dans une métaphore cinématographique par excellence, celle du train, du voyage. Un lieu d'expérience oùéprouver le sens du temps, de l'histoire, des actes et des prises de conscience qu'ils rendent possibles. Faire, défaire, refaire. Tourner, détourner, retourner le sens du temps et celui de l'Histoire.

« Le train est un objet idéal au cinéma. C'est en cela que je parle de film automatique ou absolu : il s'agit d'une certaine catégorie de désirs qui, automatiquement, sont liés au cinéma. Les rails, par exemple, ressemblent vraiment à un morceau de pellicule. Enormément de films se passent dans des trains et je crois que le voyage en train est, d'une certaine manière, très proche de la nature profonde du cinéma. J'ai un esprit très mécanique mais il ne faut pas oublier qu'entre chaque image, entre chaque photogramme de la pellicule, il y un noir complet qui laisse place à l'imagination. » Lars von Trier.

Nous sommes, à l'image de Léo, du film, de l'histoire du film, mis sur des rails qui traversent un pays dévasté, dont la nuit de l'après-guerre a pris possession, où les individus sont des passagers pris au piège de la machine fictionnelle qui est aussi celle de l'Histoire, avec un grand H. Fiction, Histoire, intériorité divisée des personnages c'est tout un. On peut subir des haltes forcées, nager en eau trouble, qui à l'occasion se transforme en mare de sang, mais on revient toujours sur ces satanés rails : le film va de l'avant, comme le temps, pressés par une voix-off (celle de Max von Sydow) qui ne relâche jamais sa vigilance souveraine. Ce train, on ne sait finalement s'il avance ou s'il recule, ou s'il recule en avançant, ni où il va, ni qui il transporte au juste. C'est tout l'intérêt.

Nous sommes dans un film qui interroge le sens de l'Histoire, cette machine à fabriquer de l'oubli, et des impostures. La machine filmique est bien huilée, qui fait de son apparente gratuité une force de plaisir, et non de fascination, qui voudrait se prendre au sérieux et se replier sur elle-même, jalousement. Les personnages à double jeu, et à double entente, dans un pays partagé en deux camps (les ex-nazis et les alliés américains) sont investis d'un effet de présent qui nous tient en haleine. Qui est qui ? Qui fait quoi ? Faites vos jeux. Plaisir du suspense, retrouvé et bu jusqu'à la lie. « Faites toujours ce qui vous semble juste. Ne vous laissez embobiner par personne », dit à un moment donné Max Hartmann à Léopold Kessler. Autant lui (et nous) demander de chercher une aiguille dans une botte de foin.

« La voix-off d'Europa est au service du public, pour l'aider à entrer dans le film, le préparer à cette histoire. J'ai travaillé sur l'hypnotisme avec mes acteurs pour Epidémie en particulier dans l'une des dernières scènes du film où l'on voit une fille hypnotisée. Nous l'avions vraiment hypnotisée et ce fut une expérience très forte, c'était une fille très timide et elle n'aurait jamais réussi à tourner sans être vraiment sous hypnose et, dans ses conditions, elle s'est révélée une actrice extraordinaire, elle a pleuré pendant plusieurs minutes sans arrêt jusqu'à tremper ses vêtements, je n'avais jamais vu une actrice atteindre un tel état. C'est donc un pouvoir énorme qui s'offre à nous avec l'hypnose. C'est très intéressant de faire l'expérience de sciences et de savoirs qui ne sont pas directement liés au cinéma, j'aimerais aller plus loin dans l'art d'utiliser ces pouvoirs. C'est très étrange. Il n'y a aucune raison pour que ce soit les gens de la publicité qui travaillent dans ce sens car, évidemment, ce genre de choses les intéresse énormément. Il y a beaucoup d'argent en jeu. On pourrait aller plus loin dans la recherche sur les sciences de la perception et aucun metteur en scène, à ma connaissance, ne fait cela. C'est vraiment dommage. » Lars von Trier.

La caméra complique les choses en mettant souvent en relation (par des mouvements ascendants ou descendants) deux histoires qui se poursuivent parallèlement, dans le même train, ou dans la même maison, liées par un obscur magma de nœuds familiaux et d'enjeux idéologiques. Qui est ce Max Hartmann, lavé de tous soupçons sur ses supposées accointances nazies par un juif (interprété par Lars von Trier, petite apparition à la Hitchcock mais moins gratuite) lui-même payé par le colonel Harris qui semble avoir intérêt à innocenter Hartmann ? Et surtout qui est sa fille, la belle Katharina (Barbara Sukowa) ? Léopold Kessler avec son corps traversé, manipulé des deux côtés, son visage à l'expression nue et sans défense (qui fait merveille) accomplit sa tâche vaille que vaille, animé d'une bonne volonté qui fait sourire Katharina. Il travaille dans le noir, obligé de faire appel à ce qu'il sent pour s'y retrouver.

« Je vole beaucoup de choses au passé du cinéma pour faire mes films. Voler au cinéma c'est pour moi comme utiliser les lettres de l'alphabet quand on écrit, il faut aller chercher des éléments qui serviront à se faire comprendre et ces éléments, ce sont les clichés. J'aime beaucoup Vertigo et c'est très clair, je crois, dans le film. Je vois surtout des films anciens, très peu de films récents. Je crois que le cinéma actuel peut redevenir intéressant mais il faut que quelque chose arrive qui mette fin à la reproduction généralisée des mêmes films. Ce n'est vraiment pas satisfaisant et c'est bien pour ça que j'ai envie d'expérimenter des choses nouvelles au cinéma. Il est évident qu'en travaillant à partir d'images et non d'un scénario ou d'un roman, comme le font la plupart des autres cinéastes, je suis contraint d'utiliser pas mal de clichés dramatiques, spécialement pour les personnages. Parmi les films que j'aime, beaucoup sont faits avec des clichés, comme ceux d'Orson Welles, par exemple. » Lars von Trier.

Apparaît ce premier repère qui est aussi le dernier : la sensation. Au sein de cette dualité généralisée, quelque chose de direct persiste et insiste (de même l'amour de Madeleine pour Scottie, dans Vertigo, réussissait à percer sous la fatalité du double jeu), le désir physique, qui prend, qui happe, et opère une coupure immobile dans le sol toujours mouvant et changeant de l'histoire (petite et grande). Cette réalité du désir c'est un visage, lumineux, toujours sur le point de disparaître, celui de Katharina. Le désir continue de briller quand toutes les lumières sont éteintes. Kat est toujours en couleurs dans le noir et blanc dominant d'Europa. Kat brille dans la nuit où elle se perd, en entraînant avec elle d'autres vies humaines. Couleur-signal de désespoir, de schizophrénie galopante. Les loups garous, humains le jour, et bêtes à sang froid et brûlant la nuit, entrent en piste.

« Ce serait fabuleux de pouvoir hypnotiser le public avec quelques images et de n'avoir pas, ensuite, à lui montrer un film mais juste le mot « fin » en le réveillant au bout d'une heure et demie. Ce serait vraiment ça le film absolu. » Lars von Trier.

Pour en savoir plus, voyez le film. « Si tu veux savoir j'ai vraiment l'impression que depuis le début tout le monde se fout de ma gueule », s'écrie le brave Léo qui n'en peut plus et il s'apprête à donner son avis à Katharina, arrêtée par le colonel Harris. Il est rappeléà l'ordre (ô ironie du sort) par les fonctionnaires qui lui font passer l'examen de contrôleur de chemin de fer. Ces examinateurs sont de loin (avec le personnage de l'oncle) les personnages les plus comiques et les plus fous d'Europa, rivés au règlement comme une moule à son rocher, furieusement méthodiques dans une histoire méthodiquement folle, frappés d'une cécité incroyable, servant de repoussoir à la toute-puissance du mensonge qui soutient les pouvoirs établis. Léo, à leur contact, va enfin connaître un moment de crise, un moment critique, et vivant, enfin, enfin... et la seule initiative qu'il prend pour remonter à la surface de sa conscience le conduit tout droit à la mort, dans le lit d'un fleuve. Pessimisme très éloquent de cette fin, qui donne à tout le film un sens qui court, qui court... une décharge électrique réveille les questions et éclaire soudain le film sur sa plus haute pente : contrairement aux apparences, nous sommes loin des sophismes et des jeux d'esprit.

- Texte de Amina Danton pour les Cahiers du cinéma n°449 (novembre 1991).

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Alexandre HERRMANN

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La trilogie des Herrmann, aujourd'hui disparue, comprenait Carl, Alexandre et Léon. Nous avons donné, dans le n°112, la biographie de Carl, fondateur de la dynastie. Le n° 16 de notre journal fut consacréà son neveu, Léon Herrmann, alors qu'il était encore de ce monde, et nous eûmes, depuis, la pénible tache de lui consacrer un article nécrologique en juin 1909 (n° 90). Il nous reste donc à tracer rapidement le portrait d'Alexandre Herrmann (Alexander "the Great" Herrmann), frère de Carl.

Carl, Alexandre et Léon Herrmann.

Nous avons dit que Samuel Herrmann avait eu 16 enfants, dont Carl était l'aîné. Alexandre, le plus jeune, naquit à Paris le 11 février 1843. Son père caressait l'espoir de le voir devenir médecin comme lui ; mais le désir et l'ambition d'Alexandre étaient d'être magicien et de partager les succès de Carl. Un jour, il disparut du toit paternel, enlevé par son frère, aux côtés duquel il fit sa première apparition en public, à l'âge de huit ans, à St-Pétersbourg. Si jeune, sa dextérité, son ingéniosité et sa présence d'esprit furent trouvées merveilleuses ; mais la soudaine apparition du papa Samuel dissipa les rêves de gloire du jeune thaumaturge qu'une magistrale, et sans doute postérieure correction ramena à la maison. Ses aspirations n'en restèrent pas moins tournées vers la prestidigitation, et le père céda bientôt aux instances des deux frères, à la condition, toutefois, que le retour d'Alexandre sur le théâtre ne serait pas un obstacle à son éducation.

Carl engagea donc deux éminents professeurs pour voyager avec sa compagnie et instruire le jeune prodige. Pendant six ans, les frères voyagèrent ensemble, visitant l'Espagne, la France, l'Allemagne, la Russie et les pays environnants. Ils firent leur première apparition en Amérique, à l'Opéra de New-York, le 16 septembre 1861, et, le 20 septembre 1869, Carl présentait, au public, Alexandre comme son frère et son successeur. Ils se séparèrent alors.

Au cours d'un voyage en Europe, Alexandre donna une remarquable série de cent représentations à l'Egyptian-Hall de Londres ; après quoi il visita le Brésil, l'Amérique du Sud, revint aux Etats- Unis où il obtint sa naturalisation et se fixa à Boston en 1876. Son physique avait quelque rapport avec celui qu'on se plaît à attribuer à sa majesté satanique. Il cultivait cette ressemblance et cherchait, par tous les moyens possibles, à l'augmenter, estimant que, dans la croyance populaire, cet aspect méphistophélesque devait confirmer ses pouvoirs surnaturels. En dépit de cette apparence, sa figure était agréable et ses manières toujours simples et bienveillantes.

Doué d'une véritable adresse, manuelle, il tirait également un grand parti de l'expression de sa physionomie. Si son regard lumineux se portait dans une certaine direction, tous les yeux, comme attirés par un mystérieux pouvoir, étaient contraints de s'y diriger. Il avait ainsi toutes les chances de réussir les trucs merveilleux qui faisaient l'étonnement du monde. C'est surtout dans les séances privées et dans les cercles, qu'Alexandre était félicité comme prestidigitateur.

(Document : The Harvard theater collection)

Citons quelques uns des tours qu'il exécutait dans ces circonstances :

Prenant un verre plein jusqu'aux bords d'un vin pétillant et le portant à ses lèvres, il en provoquait la disparition soudaine, feignant d'être, lui même, surpris et consterné. Le verre était retrouvé, toujours plein, dans la poche de l'un de ses voisins. Il plaçait un anneau au doigt d'une personne et, dans ces conditions, le faisait disparaître immédiatement. Une pièce d'argent d'un dollar était changée en une pièce d'or de vingt dollars. Une bouteille de Champagne escamotée était retrouvée sous l'habit d'un gentleman.

Il était excellent ventriloque et imitateur d'oiseaux ; très adroit jongleur et ombromane, mais il se dispensait d'exhiber ces talents en public. Il affectionnait particulièrement l'hypnotisme, qu'il pratiquait volontiers et auquel il attribuait un grand nombre de ses succès. Sa supériorité résidait dans les tours de cartes ; il exécutait tous les tours ordinaires et, avec beaucoup de facilité et de grâce, il lançait les cartes autour d'une salle de théâtre, les envoyant sur les genoux et même dans les mains des personnes qui les demandaient.

Programme d'Alexandre Herrmann à L'Egyptian Hall en 1872 (British Library).

Polyglotte de premier ordre, Alexandre parlait couramment français, allemand, espagnol, italien, russe, hollandais et anglais. Il avait, de plus, quelques connaissances des idiomes portugais, chinois, arabes et suédois. Il fut décoré par tous les souverains d'Europe, et beaucoup d'entre eux lui firent don de joyaux de grande valeur L'empereur Nicolas de Bussie, devant qui il venait de donner une séance, le décora en le complimentant sur son adresse et lui dit : « Je vais vous montrer un tour ». Prenant un paquet de cartes, le tzar le déchira en deux moitiés, ajoutant avec bonne humeur : « Que pensez-vous de cela ? Pourriez-vous en faire autant ? » Sa surprise fut grande de voir Herrmann prendre une des moitiés et la séparer en deux parts.

Pour tout dire, sa carrière de magicien fut un succès ininterrompu. A sa mort, les journaux publièrent des articles nécrologiques qui montrèrent qu'il était considéré partout comme un homme éminent. C'est au cours d'une tournée, pendant un voyage de Bochester à Bradfort, qu'il mourut dans son wagon personnel le 17 décembre 1896. Souhaitons à tous les magiciens une carrière aussi belle et aussi bien remplie.

Jean Caroly

Documents : Collection Christian Fechner / Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

LE CERCLE DES ILLUSIONNISTES

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Texte et mise en scène d'Alexis Michalik.

En 1984, un jeune homme, nommé Décembre, vole le sac à main d'une passagère du métro. Dans le sac, il trouve sa photo et ses coordonnées. Elle s'appelle Avril jolie. Il lui téléphone et ils se rencontrent dans un café. Il lui fait croire qu'il a trouvé, et non volé, son sac, avant de lui dire la vérité. Puis Décembre va lui raconter l'histoire de Jean-Eugène Robert-Houdin, horloger, créateur d'automates du XIXème siècle, et surtout célèbre créateur de spectacles de magie dans un petite salle à Paris, qu'il montra aussi devant toutes les grandes cours d'Europe. Il était tellement connu qu'en 1856, Napoléon III l'envoya en Algérie afin de montrer aux populations locales rebelles que la magie française était la plus puissante au monde.

On vous épargnera les méandres de cette histoire aussi charmante que compliquée qui va emmener Décembre et Avril dans les caves de la B.N.P. au n°8 du boulevard des Italiens, justement là où se trouvait le Théâtre Robert-Houdin, repris dix ans après sa mort par un jeune industriel, héritier d'un fabricant de chaussures, le grand Georges Méliès. Près dans la salle où a commencéàêtre présenté le kinétographe, avec la très fameuse Arrivée d'un train en gare de la Ciotat, tournée en 1895 par Louis Lumière qui attira des milliers de personnes, attraction qui laissa sceptique bien des gens.

Invitéà la première projection publique du Cinématographe au grand café de l'hôtel Scribe, boulevard des Capucines, donc pas très loin, Georges Méliès, lui, comprend tout de suite ce qu'il peut faire avec une telle machine et propose d'acheter les brevets des frères Lumière, ce dont l'un des deux ou leur père le dissuada : « Remerciez-moi, je vous évite la ruine, car cet appareil, simple curiosité scientifique, n'a aucun avenir commercial » ; Méliès, l'immense inventeur du cinéma de fiction, du gros plan, de fameux trucages à base de surimpression, et des actualités filmées… n'était pas un grand expert en matière de finances, et finira marchand de jouets et de bonbons à la gare Montparnasse ! Avant d'être redécouvert par les surréalistes, avant sa mort en 1938.

Alexis Michalik, qui avait connu un beau succès mérité au Festival d'Avignon avec Le Porteur d'histoire, avait compris que raconter une histoire, à travers une sorte de feuilleton, sur un plateau nu avec quelques acteurs et sans décors, pouvait être aussi la base d'un théâtre aussi intelligent que populaire, même si le poétique n'était pas toujours au rendez-vous.

Ici, il reprend les mêmes ingrédients mais cette fois avec des éléments de décor installés à vue par ses comédiens qu'il dirige avec précision et efficacité. Jeanne Arènes, Maud Baecker, Michel Derville, Arnaud Dupont, Vincent Joncquez et Mathieu Métral, sont tous excellents. Le spectacle - parfois naïf mais pourquoi pas ? - va sa vie, sans aucun à-coup et avec un bon rythme, même s'il gagnerait àêtre abrégé, comme c'est souvent le cas, d'une bonne demi-heure… Il y a dans Le Cercle des illusionnistes un nombre de vidéos pas toujours indispensables, et une dramaturgie aux côtés un peu pédago loin d'être convaincante : on passe de Robert-Houdin aux frères Lumière, et enfin à Méliès, sans que le fil rouge - l'illusion - soit bien évident, avec quelques fausses fins qu'on aurait pu nous épargner… Mais malgré ces réserves, il y a une générosité, et une véritable tendresse de Michalik pour ses personnages ; il y a aussi ces images merveilleuses de l'Arrivée d'un train en gare de la Ciotat, et de petits tours de magie, toujours délicieux à savourer qui ponctuent un spectacle, un peu brut de décoffrage qui mériterait d'être encore travaillé mais déjà attachant.

- Source : Le Théâtre du Blog.

A lire :
-Magie et Cinéma.

Crédits photos : Mirco Magliocca et Théâtre La Pépinière. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Cie RASPOSO / Morsure

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Ecriture, mise en scène : Marie Molliens. Assistante à la mise en scène : Fanny Molliens. Direction technique, scénographie : Vincent Molliens. Création musicale : Benoît Keller, Christian Millanvois et Françoise Pierret.

Avec : Marie Molliens, Luca Forte, Konan Larivière, Francis Roberge, Lennert Vandenbroeck, Damien Duchon et Nathalie Halley.

Musiciens : Benoit Keller, Christian Millanvois et Françoise Pierret.

Cie Rasposo

La Compagnie Rasposo, implantée en Bourgogne depuis 1987, s'inscrit dans le paysage du cirque contemporain depuis plus de vingt ans. Par la mise en valeur des techniques de cirque, elle fait appel à la sensibilité poétique du spectateur, en utilisant une mise en scène théâtrale dans laquelle l'audace ou la beauté des acrobaties, alliées à l'expression de sentiments, ne sont plus des démonstrations de prouesses, mais l'expression physique d'émotions vraies que l'on fait partager au spectateur.

Pendant ces vingt-quatre années se succèdent 15 créations dont la mise en scène est assurée par Fanny Molliens. Progressivement à partir de 1999, Marie Molliens, artiste de cirque, prend en charge la chorégraphie des techniques de cirque.

En 2009, pour la création du Chant du dindon, elle participe activement à l'écriture du spectacle en plus de son travail chorégraphique et circassien. Actuellement reconnue comme une artiste notoire, elle est sollicitée par de grandes écoles de cirque (le Lido à Toulouse, l'école Flic à Turin, Doch à Stockholm) pour donner des stages de perfectionnement dans sa discipline principale, le fil. De son côté Vincent Molliens, lui aussi artiste de cirque, a déjà pris entièrement en charge la création scénographique ainsi que la direction technique de la Compagnie. Faisant suite à l'évolution normale de la compagnie, déjà amorcée depuis plusieurs années, la direction artistique est désormais confiée à Marie Molliens.

Par une orientation résolument tournée vers l'avenir, Marie et Vincent Molliens, jeunes circassiens, mais forts d'une expérience d'une vingtaine d'années, apporteront au cirque contemporain leur nouvelle vision, avec l'aplomb d'un professionnalisme déjà longuement éprouvé.

« Mon travail s'apparente à un cirque-théâtre. C'est pour moi, une volonté de parler d'un intime qui n'est pas étroitement anecdotique ou égotique mais universel. C'est une façon théâtrale d'aborder le cirque pour donner sens à un mouvement inexorable (celui de la prise de risque), pour aller vers le sensible. » Marie Molliens.

Le spectacle

Ce spectacle de cirque contemporain, pour six circassiens et trois musiciens, a été accueilli dans le cadre du festival dijonnais Théâtre en mai pour cinq dates. Le public entre sous un chapiteau et découvre un plateau de jeu dans le brouillard où sont disposés un lavabo surmonté d'une glace, un praticable avec un vase dessus, une chaise et un grand tissu blanc accrochéà une structure métallique. En l'air, une rampe de suspensions en métal avec ampoules. Une musique sourde de cordes est présente en fond sonore.

« Le chapiteau est transformé en un espace intime et violent, un lieu de compassion, une arène. On amène le spectateur àêtre sensible au partage du sort, en exploration intérieure, à l'intérieur de nos vies, de nos ressemblances. Nous travaillons sur les distances, les angles de vue, le point de fuite, les effets d'optique afin que la vision du spectateur et sa perception de l'espace participent à la conscience de la transparence de son rapport à l'artiste. » Marie Molliens.

Autour du lavabo

Arrive dans l'arène un homme torse nu au rythme d'une contrebasse. Une femme (Marie Molliens) avec des fleurs fait face devant lui, prend le vase et l'éclate violemment au sol. L'homme commence une série de contorsions au sol sur des rythmes de percussions tandis que la femme le regarde impassible.

Un autre homme arrive dans un cerceau et tourne en rond sur un fond sonore de siphon de lavabo où l'eau s'écoule indéniablement. Il tourne ensuite autour du 1er homme qui remet sa chemise.

La femme place un disque 45 tours de tango sur une platine et danse avec l'homme. Ils réalisent ensemble de beaux portés et des équilibres qui sont magnifiés par l'interaction de trois autres personnes, accompagnant ou contraignant certains mouvements du duo. Cette chorégraphie très rythmée est accompagnée d'une musique live et rock qui prend le pas, petit à petit, sur le tourne disque. Le premier homme part fâché…

« Ce spectacle s'efforce de représenter, dans une volonté d'extrême exigence, la façon féroce de percevoir les noirceurs des désirs coupables et des amertumes ravalées. Par l'envie de rassembler une équipe artistique concentrée et d'excellence, nous rendrons visible la manière dont un corps peut traduire, par la dynamique acrobatique et l'intensité nécessaire aux gestes circassiens, les instants où l'individu ploie sous un écrasement existentiel. Comme une exhalaison d'essence forte qui monte brutalement à la tête. » Marie Molliens.

La barre russe

Deux hommes entourent la chanteuse-guitariste qui danse en imitant le bruit de la trompette avec sa bouche. La femme circassienne revient saoule et s'adonne à la barre russe avec deux porteurs qui s'amusent à la projeter à l'horizontal puis à la verticale à l'aide d'un « réceptionniste » (le premier homme torse nu). La femme s'accroche ensuite à la rampe de suspensions tandis que la chanteuse s'active en tenant un pommeau de douche (celui de la salle de bain). Le rythme s'accélère de plus en plus et tout le groupe, mué d'une folle énergie, danse et se provoque en « Battle ».

Le soupirant

Un deuxième soupirant fait son apparition, un petit homme blond et sautillant qui fait des équilibres et des sauts sur la barre russe. La musique change de rythme et apparaissent les sangles aériennes. Celles-ci sont tirées par les deux porteurs qui commencent à se disputer et laissent tomber accidentellement l'acrobate au sol. Celui-ci se relève et danse ensuite avec la fille sur fond de violon en jouant avec la structure métallique du fond de scène rétro éclairée. Les deux porteurs continuent à« se prendre la tête » sur un côté de la scène.

Bagarre

Les deux porteurs entrent en piste et se tapent dessus dans une forme chorégraphique entre cascades et catch. La performance est impressionnante ! Arrive alors une dame en noir et la scène se termine.

« Nous évoquons la férocité des rapports humains, ces pulsions monstrueuses et ordinaires à la fois, ces instincts sauvages qui n'appartiennent qu'à l'homme. Grâce au cirque et à ce qu'il peut laisser dévoiler, nous verrons évoluer l'homme-acrobate dans un corps brut mais au travers d'un raffinement maniériste à la façon de Wong Kar Waï. Les corps circassiens représenteront lutte fratricide, amitié trahie, obsession, réalité charnelle, à la fois sous la forme brutale de la virtuosité technique mais aussi par la violence contenue de leur incarnation. » Marie Molliens.

Sur un fil

La femme revient en équilibre sur un fil au rythme saccadé de percussions et de chants chuchotés, toute sautillante entre la vie et la mort, jouant avec le vide et les abymes de l'âme. Marie Molliens, dont l'agrès est sa spécialité, est époustouflante. Un moment exceptionnel de grâce et de fragilité qui laisse le public bouche bée devant tant de virtuosité et de dramatisation.

Caméra Cinecitta

Arrive une équipe de cinéma poussant une drôle de caméra constituée d'un ventilateur sur roulette. Celle-ci tourne autour des deux jeunes vedettes blondes : le soupirant et la femme déguisée en Marilyn Monroe portant un caniche (petit moment de dressage amusant). Le réalisateur dirige son équipe avec l'énergie d'un Fellini et met en place un numéro d'équilibre qui est « filmé»à 360°.

Pendant ce temps, la structure métallique se met en place et referme progressivement l'espace de jeu…

Pris au piège

La musique résonne de façon sauvage et les grilles entourent maintenant entièrement les circassiens. La femme se débat avec le grand voile blanc et est traquée par les autres hommes. Tout le monde se retrouve en cage telles des bêtes féroces. La femme essaie de s'échapper mais est rattrapée. Le groupe tourne en rond au son de la guitare wa wa qui imite les rugissements d'un fauve.

Un grand filet tombe du haut du chapiteau et est disposé au-dessus de la cage. Tout le groupe monte sur les grilles et réussit à passer derrière la cage en finissant de placer le filet.

La dame en noir

La femme en noir arrive vers la cage et d'un coup, un tigre fait son apparition derrière le grand miroir du lavabo. L'animal rugit puis s'allonge. La dresseuse entre dans la cage et entame un magnifique ballet sur fond de violon. Ce face à face avec soi-même, avec ses propres peurs, est mille fois plus impressionnant que la présence de dix fauves en même temps (comme on le voit tout le temps dans les cirques sur fond de musique assourdissante).

« L'identité artistique de la compagnie Rasposo a toujours été de retraduire les codes circassiens originels à travers un regard actuel, théâtral et émotionnel. Dans l'esprit de poursuivre cette compréhension des traditions circassiennes, dans le sillage des précédents spectacles, je cherchais une présence animale qui traduirait à la fois cet héritage et m'amènerait vers une nouvelle évolution, un bouleversement dans l'avancée de notre travail. L'imposante beauté de l'animal, la sauvagerie contenue mais réelle, provoquèrent sur le public un moment de grâce, de fascination et d'émotion qui s'apparentait à l'hypnose. » Marie Molliens.

Ici pas de tricherie, pas de surenchère, pas d'esbroufe, pas de performance gratuite car nous sommes en présence de l'essence même d'une peur primitive à la beauté sensuelle. Une danse de mort où la respiration et les rugissements incessants du fauve laissent place à un soudain apaisement, à un silence religieux et spirituel ponctué par un violon et une guitare sèche. Les cinq circassiens reviennent autour de la cage contempler le tableau de cette terrible beauté, puis la bête quitte l'espace scénique par le grand miroir reflet et métaphore de nos peurs.

Conclusion

Morsure est un formidable moment de cirque, un beau moment d'écriture qui agit sur le spectateur comme une catharsis. L'énergie primitive du groupe et l'osmose qui s'opère entre les circassiens et les musiciens participent à précipiter le public dans une sorte de voyage hypnotique et psychanalytique. Ce spectacle agite nos pulsions monstrueuses dans un chapiteau devenu arène, configuré comme un espace intime et risqué. Marie Molliens met en scène la férocité des rapports humains, dans une forme de cirque-théâtre traversé de manière spectaculaire par des violences et des peurs contemporaines.

A lire :
-Parfum d'Est.

A visiter :
-Le site de la compagnie Rasposo.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Charles Joseph CARTER

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Tandis que Kellar, Thurston et Blackstone obtenaient la célébrité, devenant les plus grands magiciens d'Amérique, Charles Joseph Carter choisit de gagner renommée et fortune comme maître magicien en faisant le tour du monde.

Entre 1907 et 1936, Carter « le Grand » effectua sept longues tournées autour du monde, divertissant rois et gens du peuple sur six continents, sans négliger quelques apparitions dans son pays natal. Néà Newcastle en Pennylvannie, Carter, qui, plus tard se surnomma « The World's Weird Wonderful Wizard », et le « Napoléon de la magie », fit ses débuts d'enfant magicien à dix ans et voyagea un certain temps avec le Kickapoo Indian Medicine Show, qui donnait des spectacles de magie pour attirer la foule ; la foule qui restait grâce à l'appât d'un remède en bouteille supposé merveilleux et censé guérir quasiment tous les maux. A dix-sept ans, il se présentait comme : « Maître Charles Carter, le plus jeune prestidigitateur d'Amérique ». Dès ses premiers spectacles de magie, Carter gagna assez d'argent pour s'inscrire au Rockhill College, dans le Maryland, et, en 1905, il termina ses études à l'Illinois College of Law, ce qui lui permit de développer ses compétences d'artiste doublé d'un homme d'affaires coriace.

Jusqu'à la trentaine, Carter fit des tournées de music-hall aux Etats-Unis, avec un spectacle toute la soirée, puis il s'embarqua pour une série de tours du monde qui allait absorber 90% du reste de sa carrière artistique. Compte tenu de toutes les rigueurs du voyage à cette époque, il préférait le style de vie d'un magicien à l'étranger qui pouvait jouer des mois au même endroit, devant des foules enthousiastes et vivre comme un nabab, au train-train monotone des engagements du music-hall. Bien que Carter se soit produit périodiquement en Europe, en Grande-Bretagne, et aux Etats-Unis — où il inaugura le premier théâtre permanent de magie à Broadway, et un « temple du mystère »à la Foire mondiale de Chicago en 1933 (deux aventures qui se soldèrent par un désastre financier) — il voyagea beaucoup en Orient. Cela signifiait transporter vingt-deux tonnes de « massifs impedimenta » (comme disait l'une de ses lithographies les plus colorées) d'un pays à l'autre en bateau et, même, en Inde, en char à bœufs. Carter lui-même se déplaçait en grand style, dans la tradition établie par Wills Kgniht, avec un réfrigérateur et un grand klaxon extérieur, allant du siège du conducteur jusqu'aux phares avant, en forme de vipère. En 1926, après avoir achevé cinq tournées mondiales, Carter se considérait comme « le merveilleux et mystérieux mage du monde »

Carter mourut d'une crise cardiaque le 13 février 1936 à Bombay, en Inde, pendant son huitième tour du monde. Son assistante principale, Evelyn Maxwell, estimait sa santé compromise depuis qu'un éléphant l'avait écrasé contre un mur quelques mois auparavant.

On peut se faire une idée du succès de « Carter le Grand » par des extraits de lettres qui sont maintenant dans les archives Carter à San Francisco. Harry Kellar lui a écrit un jour : « Garde ton spectacle plein d'allant, Charlie, et donne-lui un petit coup de neuf tous les ans. »

Carter en costume oriental (1926).

Le 4 février 1924, Howard Thurston alors le plus célèbre magicien d'Amérique, écrivait : « Tu es sûrement le plus grand magicien itinérant que le monde ait jamais eu. Je suis certain que ton travail te plaît et que tu es plus heureux à l'écart de la vie que je le suis en dehors de mon travail. J'espère que tu gagnes plus d'argent que moi, bien que je gagne une fortune. »

Evelyn Maxwell, assistante attitrée de Carter.

Enfin, le 12 septembre 1937, Nicola, un autre magicien globe-trotter de très grand renom, écrivait au fils de Carter, Larry : « Si seulement ils savaient à quel point votre père était supérieur à Houdini en tant que magicien, quelques-uns d'entre eux seraient surpris. Mais Charles se taisait, il continuait, gagnait argent et renommée parmi les habitués payants et ne faisait pas grand-chose pour se mettre en avant dans une compagnie d'admiration réciproque. »

Dans une autre lettre, Nicola explique : « Carter n'était pas seulement un grand magicien, mais un homme d'affaires élégant. Je le sais, parce que lui et moi, nous avons joué dans les mêmes endroits, et avons eu à faire aux mêmes régisseurs. Personne n'a jamais eu à craindre que Carter se dévalue. Son spectacle, qu'il présenta dans toutes les parties du monde, était un honneur pour notre profession. Il le montait somptueusement, l'annonçait comme un cirque, avec dignité, avec charme, et il touchait des sommes princières pour ses efforts. »

Affiches publicitaires

L'explosion de couleurs des publicités de Carter ne pouvait manquer d'attirer l'attention de quiconque. Ses immenses affiches de près de 3 mètres de haut étaient si efficaces que Carter faisait salle comble deux fois par jour durant un engagement d'un mois !

Des centaines d'affiches de 2X3 mètres étaient imprimées par l'Illinois Lithograph Company au prix de 40 cents pièce. A titre de comparaison, un billet d'entrée au spectacle était vendu entre 25 cents et un dollar. La publicitéétait indispensable à tous spectacles en tournée. Carter voyageait partout dans le monde avec des caisses remplies de ses lithographies.

Quelques tours de Carter

La main astrale (1905) était une version sophistiquée du numéro de la main spirite. Carter expliquait à son public : « Après avoir vu cette illusion, vous êtes libre d'en déduire ce que vous voulez. Appelez cela du spiritisme, de l'hypnotisme, du mesmérisme, du magnétisme, du mécanisme ou du rhumatisme. »

La lévitation (1909). Il y avait dans le spectacle de Carter une version de la célèbre lévitation de Maskelyne, « reprise » du spectacle de Kellar. Pour acquérir ce trésor, Carter engagea deux techniciens qui avaient travaillé durant des années dans la compagnie de Kellar. Ils apportèrent avec eux le savoir nécessaire pour reproduire ce chef-d'œuvre de la magie. La même méthode, d'ailleurs, avait permis à Harry Kellar d'apprendre le secret, précieusement gardé, de son dernier mystère.

La Fiancée du lionétait spectaculaire : une jeune fille était jetée dans une cage contenant un lion d'Afrique vivant et, en un instant, le lion se transformait en Carter, en costume de lion. De ce tour, Carter en tira un film : The Lion's bride (1921) unique œuvre cinématographique interprété, produit, écrit et réalisé par Charles Joseph Carter et jamais sorti sur les écrans !

Photo prise sur le tournage de The Lion's bride (1921).

La Femme vivante sciée en deux (1922) Imitation évidente de la méthode de Horace Goldin, la version de Carter avait cet élément de plus, qu'il sciait la table sur laquelle était disposée la caisse, et qu'il sciait aussi la caisse. Les portes de la caisse sectionnée étaient alors ouvertes, pour qu'on voit la partie supérieure et la partie inférieure de la femme coupée en deux.

L'armoire aux esprits (1926) était une variante de l'effet de Kellar et Les Prêtresses modernes de Delphes, un numéro de télépathie interprété par Evelyn Maxwell, sa principale assistante, qui jouait une série de questions-réponses avec le public, et de lecture de pensée dans un costume typique grecque.

La femme écartelée (1926) est une version du tour de Selbit, qui fit suite à la célèbre femme sciée de ce dernier. Une assistante était enfermée dans un billot complexe et ses membres étirés dans toutes les directions. Carter déguisé en mage oriental supervisait les opérations.

Dans le Pont fantôme, Corinne, la femme de Carter, était attachée sur une chaise et hissée à 1,80 m au-dessus de la scène. Sur un coup de pistolet, Mrs. Carter disparaissait, et la chaise vide tombait sur le sol.

Une nuit en Chine fut une partie de son grand spectacle, dans laquelle il prenait les traits d'un illusionniste chinois et réalisait des tours de magie classique et des illusions occidentales dans un style chinois. L'apparition d'une grande et lourde cuvette d'eau fut au répertoire de presque tous les grands magiciens chinois (devenue célèbre aux Etats-Unis grâce à Ching Ling Foo, un magicien de music-hall d'origine chinoise). Elle fut également réalisée par ses imitateurs pseudo-chinois, Chung Ling Soo et Okito.

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Michal BATORY, Artisan de l'affiche

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Né en 1959, le polonais Michal Batory est diplômé de la prestigieuse Ecole Nationale des Arts Plastiques de Lodz, Il s'installe à Paris à la fin des années 1980. Ayant étudié la photographie et le dessin (qu'il pratiquait six heures par jours), Il s'est naturellement dirigé vers « l'affiche », un média universel regroupant ces deux disciplines, largement diffusé et permettant de facilement communiquer avec les gens. Touche à tout, Michal Batory expérimente d'autres pratiques pour construire et finaliser ses visuels. Il maîtrise l'art du collage et du photomontage dans la pure tradition des affiches polonaises et du surréalisme. Il est également expert en retouche numérique.

Les travaux de Michal Batory sont, le plus souvent, une association incongrue de deux objets ou de deux idées qui engendrent la surprise, l'insolite, l'humour, la poésie et l'émotion.

Secrets de fabrication

Bienvenue à l'intérieur de l'atelier de l'artiste, reconstitué le temps d'une exposition personnelle. Dans cette première partie est présenté son travail de recherche préparatoire regroupant des carnets de croquis et des « maquettes-sculptures ».

Michal Batory fabrique des petits assemblages, des montages plastiques bricolés, ressemblant à une sculpture, qu'il prend ensuite en photo. Pour finaliser ses photographies, il les retouche légèrement grâce au logiciel Photoshop. C'est là que se situe le coup de maître et l'alchimie particulière qui se dégage de ses images : une retouche discrète et efficace, qui ne dénature pas le travail original mais qui le transcende comme un acte purement magique !

« Pour trouver l'idée d'une affiche je dois d'abord recueillir le maximum d'informations sur le sujet que j'ai à traiter. Je lis, je rencontre les metteurs en scène, les chorégraphes. Après ce travail de documentation, je réalise dix à quinze croquis, ce qui me permet d'éliminer les mauvaises idées. Dans le croquis, tu peux tout imaginer. Après, je choisis une ou deux bonnes pistes et je commence à les réaliser. A ce moment là une nouvelle question se pose : comment réaliser cette idée ? Est-ce la peinture, la photo, l'un et l'autre ? » M. Batory

Les commanditaires

La deuxième partie de l'exposition regroupe une centaine d'affiches illustrant, principalement, les domaines de la danse, du théâtre, de la littérature et de la musique.

La première aventure de Michal Batory avec l'affiche eut lieu en 1994 pour le Théâtre de la Colline à Paris. Une collaboration qui durera trois ans. Jusque là, habituéà travailler avec le photographe Myr Muratet et ayant des idées très claires sur les prises de vues et la lumière, il décide de faire bande à part en travaillant seul à la réalisation de ses projets à venir, pour éviter tout conflits artistiques.

De 1996 à 2002, il travaille sur les affiches des saisons musicales de l'IRCAM (l'Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) en composant des instruments hybrides à base d'éléments incongrus. Il construit des images volontairement ludiques pour essayer de réduire le fossé entre la création contemporaine et le public non averti.

De 2001 à 2008, il réalise les pochettes des disques « Signature » de la collection Radio France en faveur de la musique expérimentale et contemporaine. Il utilise la calligraphie à l'encre de chine appliquée avec les doigts.

Parallèlement Batory collabore avec la salle de spectacle l'Arsenal à Metz de 2001 à 2004 pour des affiches de concerts et de chorégraphies.

De 2001 à 2009, il signe les affiches du Théâtre National de Chaillot. Une collaboration artistique très fructueuse, et de loin son meilleur travail à ce jour. Il faut dire que l'affichiste avait l'opportunité de rencontrer chaque chorégraphe et metteur en scène pour lequel il devait réaliser le visuel. Ceci lui permettait d'être au cœur du sujet et d'enrichir ses recherches préalables de documentation, faisant alors un travail de type journalistique autour des questions de la lumière, du décor, de la mise en scène, ou encore des intentions.

« Dans chaque image, il y a une métaphore. Chaque image à un sens. C'est quand il y a du fond que l'image peut devenir un tout petit peu plus éternelle qu'une image uniquement formelle. » M. Batory

Michal Batory est capable de toutes les audaces. Lâchant ses bricolages visuels, il réalise en 2010 un objet singulier pour la chanteuse Claire Diterzi : la Kalachguitare, conçue pour le spectacle Rosa la rouge et figurant sur l'album éponyme.

- L'exposition Michal Batory, Artisan de l'affiche s'est déroulée du 20 janvier au 30 avril 2011 aux Musée des Arts Décoratifs de Paris.

A lire :
- Michal Batory, Posters and graphic works (Edition Serge Malik, 2004).

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