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LE MIRACLE MIRACULEUX

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Débutez avec un jeu emprunté qui a été mélangé par un spectateur. Eventaillez et faites choisir une carte par trois spectateurs différents. Le choix est libre, il n'y a pas de forçage. Cette manipulation classique est très difficile, et comme j'ai voulu garder ce tour exempt de telles complexités, vous comprenez pourquoi l'omission de cette passe est justifiée.

Pendant que les spectateurs prennent respectivement connaissance de leur carte, vous égalisez le jeu et vous le placez en main gauche comme montré figure 1. (Cette figure a été omise pour plus de clarté.)

Prenez ensuite les cartes l'une après l'autre, et insérez-les dans le jeu par le petit côté extérieur à différents endroits, les laissant dépasser d'environ 11/16éme d'un inch, soit 1,75cm (la carte inférieure légèrement plus en saillie que les autres).

Maintenant, tandis que la main droite se place au-dessus du jeu dans le but avoué de les enfoncer complètement, il devient évident que si vous effectuez le Contrôle Multi Digital au Mélange (Multi Digital Shuffle Shift) (de préférence sans mouvement prévisible des doigts) les cartes choisies précitées se retrouveront dans la position adéquate pour que l'auriculaire droit, aidé et soutenu par les doigts opposés de la main gauche, balance, pivote, glisse, déplace, ou transfère d'une manière ou d'une autre ces cartes choisies (d'une façon indécelable mais néanmoins remarquable) vers les doigts en attente de l'autre main.

Simultanément, le pouce et les doigts gauches profitent de l'occasion pour changer de position de sorte que la face latérale du pouce gauche soit maintenant à l'endroit où se trouvait auparavant la face latérale du doigt droit quand nous avons entamé le début de la partie de la passe mentionnée ici.

Il est maintenant d'une évidence aveuglante que, partant de cette position, le pouce droit n'a aucun effort à faire pour amener cette passe remarquable à son ultime achèvement. C'est pourquoi cette dernière étape doit aussitôt être prise en charge par les doigts maintenant parallèles qui reposent, adjacents, au coin inférieur gauche du jeu, et face à la base de son dos.

A ce stade, le moindre mouvement des mains serait catastrophique dans la mesure où elles sont supposées avoir tout juste terminé une égalisation et doivent normalement être en attente. Au début, vous rencontrerez quelques difficultés à coordonner parfaitement ces divers mouvements digitaux. Si, par exemple, vous vous rendez compte que le petit côté intérieur de la troisième carte refuse de glisser diagonalement lorsqu'il est talonné par la pression combinée et respective des index, majeurs, annulaires et auriculaires, il ne vous restera que l'alternative suivante.

1) Abandonnez la magie car vous êtes en fait trop maladroit, même pour effectuer un Mélange Suborbital. Laissez donc en paix tous ces différents Changes, Empalmages, Glissages, Enlevages, Filages, Pincements, Montages, etc. requis pour cet effet.

2) Laissez les manipulations aux autres et attaquez-vous à quelques-uns des plus subtils miracles présentés par beaucoup de nos génies magiques bien connus. Dans ce filon, nous vous recommandons chaudement (pour le véritable choc provoqué par la révélation finale) l'effet suivant intitulé :

La Divination Diabolique

Ce qui fait la beauté de cet effet, c'est l'absence de jeu, parant à la nécessité pour le spectateur de subir la répétition de mélanges et prises de cartes. Le modus operandi de ce miracle est très simple, mais nous vous suggérons d'en recopier les différentes phases jusqu'à ce que vous soyez familiarisé avec tous ses aspects.

Effet : Le spectateur pense simplement à une carte et le cartomane la nomme.

A première vue, ça ressemble juste à un autre tour de cartes. Mais quand nous réalisons qu'à aucun moment une carte est enlevée du jeu (comme on le fait généralement), ou que l'exécutant ne demande même pas si elle est rouge, qu'il n'y a pas de coup d'œil, d'empalmage, d'enlevage, de mélange ou d'échange ; nous avons là un pur miracle

Lorsque vous recherchez un spectateur pour cet effet, il est préférable de choisir une personne ayant un certain acquis en mathématique. Je ne veux pas dire par là qu'il doit être un génie dans ce domaine, mais une connaissance de la géométrie Non Euclidienne et de l'arithmétique seraient profitables.

Déroulement :

1) Priez le spectateur de penser à n'importe quelle carte du jeu. Gardez à l'esprit qu'il pense seulement à une carte et que le jeu n'entre pas en ligne de compte. Un gros effort doit être fait pour attirer l'attention des personnes concernées sur le fait qu'à aucun moment le spectateur nomme, indique, écrit, annonce sous quelque forme que ce soit, révèle ou signale d'une manière ou d'une autre le nom de sa carte. Il pense simplement à la carte qu'il veut !

2) Une fois qu'il s'est décidé, annoncez-lui négligemment que vous aimeriez qu'il fasse un petit calcul avec sa carte afin d'imprégner profondément son image dans son esprit. Souvenez-vous d'agir d'une façon désinvolte, comme si ce n'était pas vraiment nécessaire ; comme si vous vouliez seulement l'aider à mieux se concentrer. Une fois le miracle accompli, lorsque vous aurez nommé triomphalement la carte choisie mentalement, le spectateur aura complètement oublié les questions que vous lui avez posées et vous représenterez à ses yeux la preuve vivante du pouvoir de l'esprit.

3) Donc, une fois que le spectateur s'est décidé pour une carte, demandez-lui de diviser son dénominateur commun (de la carte, bien sûr) par la différence potentielle entre sa famille et sa valeur. Ce résultat est ensuite soustrait de la racine carré du nombre total de cartes d'un jeu complet (les deux Jokers non compris, bien entendu). Si le résultat est plus petit que le plus grand des deux, alors la différence est sous-tendue dans la soustraction finale, et le total donne le nombre de base (ou clé) pour les calculs proprement dits.

4) Ce nombre en tête, le spectateur est prié de diviser la différence entre ce que donnerait l'addition des deux chiffres les plus grands, s'ils faisaient moins de quatorze, avec le résultat qu'on trouverait si le reste était soustrait de la différence entre les deux autres chiffres.

5) Notez qu'après ce dernier calcul, il y a trois solutions possibles.

1° Si le résultat est plus grand que 1 mais moins que 3. Vous demandez au spectateur d'oublier sa carte et d'en choisir une autre, car ce très rare cas peut arriver.

2° Si le résultat est 5, vous savez que la carte choisie mentalement est soit une carte à points de valeur basse, soit une figure ou une carte à points de valeur haute.

3° Si le résultat est autre que les deux cas précédents, vous enchaînez les calculs suivants.

A/ Dites au spectateur d'inverser les chiffres du nombre de base (calculé au début) et d'y ajouter le résultat de la multiplication de la différence entre sa carte actuelle et celle qu'il aurait choisi s'il avait penséà une carte inférieure de deux unités.

B/ S'il vous répond que ce calcul est impossible car le résultat obtenu n'existe pas en mathématique, vous savez alors que sa carte n'est ni le Sept de carreau, ni le Deux de trèfle. Toutefois, si tel est le cas, vous devez utiliser une autre méthode de calcul. A savoir :

a) Priez le spectateur de doubler le nombre égal au double du produit de la famille par la valeur. La racine carré de ce résultat est divisée par la carte originelle et, si le résultat est inférieur à zéro, recommencez tout le tour car c'est encore une de ces rares occasions qui peut se produire.

b) Si le résultat est supérieur à zéro, nous sommes prêts à révéler avec célérité la carte du spectateur.

6) Demandez-lui n'importe quel nombre ayant un dénominateur bilatéral équivalent au résultat trouvé juste avant. S'il vous répond : « Qu'est-ce qu'un dénominateur bilatéral ? » Encore une fois, c'est un de ces rares cas qui se produisent occasionnellement. Aussi, étant prévenu, vous êtes immédiatement averti que le bagage mathématique de votre participant est insuffisamment pourvu pour ce type de problème. Dans ce cas, présentez vos excuses et recommencez avec un autre spectateur. Mais, de toute façon, vous ne devriez pas rencontrer ce genre de difficulté ; par conséquent, nous continuons les calculs.

7) Maintenant, priez le spectateur de subdiviser le résultat ci-dessus avec le plus bas chiffre unitaire divisible par le résultat trouvé phase 3. Ceci vous donne le nombre final permettant la révélation du nom de la carte (après un rapide petit calcul mental).

8) Lorsque le spectateur vous annonce le résultat, inversez les chiffres et divisez ce nouveau nombre par le résultat trouvé phase 4. Vous obtenez en fait le dernier nombre dont vous avez besoin pour commencer le calcul de base.

Mais avant cela (et pour éviter tout risque de nommer la mauvaise carte), dites au spectateur de revérifier tous ses calculs pour être sûr qu'il n'a pas fait d'erreurs. S'il vous répond : « Je suis désolé, il est tard, et je dois partir car j'ai un autre rendez-vous. » Ne commettez pas l'erreur de chercher un autre spectateur pour vérifier ses calculs à sa place. Le plus simple est de tout recommencer.

9) Si vous vous apercevez que tous les spectateurs se rendent soudain compte qu'ils ont, eux aussi, un autre rendez-vous, n'ayez pas l'impression erronée que votre public n'aime pas les tours de cartes. Il se peut que vous soyez ce genre d'artiste qui ne se produit que devant un public obligé de le regarder. Mais nous nous éloignons... Revenons à la révélation finale.

10) Divisez le résultat (que vous avez en tête) par un nombre égal à deux fois la différence entre les chiffres les plus grands et ceux les plus petits. Vous obtenez soit une fraction, soit un pourcentage, ou alors un nombre. Qu'importe le résultat, vous passez maintenant à la révélation de la carte. Et n'oubliez pas, c'est le FINAL ! Ne le ratez pas ! Chacune de vos paroles, chacun de vos gestes, doit annoncer en un crescendo le final. Mot après mot, pas à pas, vous amenez votre public ensorcelé au plus haut sommet du pinacle, d'où, réunis par le plus profond effroi mêlé de respect et de stupeur, ils vous entendent chuchoter d'une voix déformée par la tension : « Votre carte est le ...... de ...... ! »

Croyez-moi, n'essayez pas de présenter après cela d'autres tours. Vous venez de réaliser un effet impossible à reconstituer.

Si votre révélation est suivie d'un silence de mort, c'est que votre public est pétrifié de stupeur par l'ampleur de votre pouvoir (ébloui par votre intelligence supérieure, pour ainsi dire). Ou alors, vous avez fait une erreur et nommer la mauvaise carte. Ou bien, c'est encore un de ces rares cas possibles où le spectateur a choisi une carte qui ne marche pas avec cette méthode particulière. Ou c'est votre manque de sens de la mise en scène qui les a tous endormis. Ou encore, vous vous rendez compte que votre auditoire n'est composé que d'inadaptés en arithmétique.

En tout cas, mis à part ces conditions singulières qui arrivent parfois, vous venez d'ajouter un autre miracle à votre répertoire - un prodige mental qui vous élève de la multitude grouillante et vous maintient au-dessus, augmentant par cette preuve éclatante votre ESPRIT MIRACULEUX.

- Traduction : Philippe Saint-Laurent.


Dictionnaire Philosophico-Magique (N-Z)

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N

Nigaud, s. m. — Client peu sérieux, mais assuré, des astrologues et autres marchands de talismans. On dit aussi « idiot », l'expression est évidemment moins convenable, mais elle est de même valeur qualificative.

O

Obstacle, s.m. — Empêchement, opposition, difficulté. Exemple : Faire des passes de boules avec des bulles de savon, ou jouer des gobelets avec des boules de gomme.

Occulte, adj. (latin Occultas). — Caché, qui ne se voit pas... comme l'intelligence, l'esprit ou l'adresse de bien des gens. Myst. : Sciences occultes, Société occulte, coup de pied idem, etc.

Optique, s. f. — Manière de voir.

Oracle, s. m. — La plus belle expression de l'amphigourisme et de l'ambiguïté. Réponse explicative faite à une interrogation, de façon à ce que l'interrogateur n'y comprenne rien. Travail fait habituellement par les Sybilles... comme celle de Delphe, par exemple, qui servit, croit-on, à la Sybille de Cumes, de mère.

Outil, s. m. — Instrument de travail tel que cartes, gobelets, muscades et autres objets servant à récréer. C'est ce qu'on appelle, en ce cas, joindre l'outil à l'agréable.

Ordinaire, adj. — Désignation inconnue en magie. Attendu que tout ce qui se fait est extraordinaire. Voyez plutôt les affiches.

P

Pactole, s. m. — Cours d'eau de Lydie. Cette rivière peut aider à descendre le fleuve de la vie et conduire à une mer de délices, à condition qu'elle coule dans votre poche.

Palmes, s. f. — Décoration universitaire et miraculeuse qui, en un rien de temps, vous transforme le premier venu en savant érudit. On en connaît même qui savent un peu d'orthographe. Distinction, en somme, peu recherchée et très décriée... par ceux qui ne peuvent l'obtenir et qui, n'aspirant pas aux palmes du martyr, n'en subissent pas moins le martyre des palmes.

Panégyrique, s. m. — Affiche de magicien.

Passe, s. f. — Transport d'un objet d'un point à un autre. En magie, cette manoeuvre doit être faite avec discrétion et, autant que possible, avec invisibilité. De sorte que, pour bien admirer et apprécier une passe, il faut ne pas la voir quand on la regarde.

Pataquès, s. m. — Fantaisie d'élocution, le plus souvent involontaire, qui émaille parfois les boniments de certains magiciens.

Pédale, s. f. (du latin pedis, pied). — En magie, accessoire mécanique adaptéà la table des anciens magiciens, et que ceux-ci faisaient mouvoir avec leur pied, pour bien montrer l'adresse de leurs mains.

Pensée, s. f. — Voyez : Transmission.

Prestidigitateur, s. m. — Terme générique désignant les adeptes de la magie, lesquels sont plus magiques par définition qu'ils ne le sont en réalité. On dit aussi : Sorciers, Illusionnistes, Escamoteurs, Professeurs de sciences occultes ou abstraites, etc., etc. Le titre de prestidigitateur paraissant concéder au titulaire un imposant ensemble de facultés spéciales et diverses. Comme dans toute secte ou collectivité, le classement des sujets présente des difficultés et demande une telle délicatesse de touche, qu'il semble préférable de s'en tenir à une sage et prudente discrétion.

Prodige, s. m. — Marchandise de magicien.

Profane, s. m. — Celui qui ne sait pas « y faire » et qui n'est pas du bâtiment.

Q

Quibus, s. m. — Vaisselle de poche, sujette à des fluctuations parfois déficitaires. On dit aussi de la galette, du pognon, du pez, de la mouille, de l'auber, etc., etc. Expressions originales et fantaisistes, mais peu employées dans les sphères académiques.

R

Rareté, s. f. — Désignation qui s'applique spécialement aux productions magiques... surtout aux bonnes !

Récompense, s. f. — Témoignage de satisfaction. Eau bénite de concours.

S

Sabbat, s. m. — Jadis, mot désignant les diaboliques et tumultueuses réunions de sorciers et sorcières,sous la présidence de Satan. Aujourd'hui, banquet et réunion récréative de modernes magiciens, où, comme chacun sait, ne cesse de régner la plus franche cordialité, sous des présidences diverses et sympathiques.

T

Transmission, s. f. (de pensée). — Télégraphie sans fil, mais non sans ficelles.

Trésorier, s. m. (de Sociétés). — Radiateur.

Truc, s. m. — Agent secret. Providence des magiciens.

Z

Zut !— Exclamation involontaire du magicien qui vient de rater son truc. Véritable mot de la fin !

E. Raynaly

A lire :
-Revenir au début de l'alphabet.

LA GRANDE MAGIE

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Une pièce de Eduardo De Filippo, texte français d'Huguette Hatem, version scénique d'Huguette Hatem et Dan Jemmett, mise en scène de Dan Jemmett.

Du célèbre auteur/acteur/metteur en scène napolitain (1900-1984), fils naturel, comme on disait autrefois, du grand acteur Eduardo Scarpetta, on ne connaît en France que peu de pièces : Filumena Marturano, Samedi, dimanche et lundi, Sik-Sik et cette Grande Magie qui est sans doute la meilleure.

L'histoire se passe évidemment à Naples, dans les années 30, au Grand Hôtel où l'on annonce aux bourgeois en villégiature, que le célèbre magicien Otto, doit présenter le soir même un spectacle « de tout premier ordre ». Mais le pauvre Otto, accompagné de quelques compères et de sa femme plus toute jeune mais qui cherche encore à séduire, est , en fait, un artiste de dernière catégorie, condamné aux tournées minables et couvert de dettes, et qui ne mange pas tous les jours à sa faim.

C'est dire qu'il est prêt aux arrangements douteux qui pourraient lui rapporter quelques billets… Justement, cela tombe à pic : le photographe local voudrait bien se retrouver en tête à tête avec Marta, la jeune et belle épouse de Calogero dont il est l'amant. Otto, après plusieurs tours de prestidigitation un peu faciles, choisit Marta dans le public et la fait disparaître dans un sarcophage ”égyptien”, absolument authentique comme il le prétend, équipé d'une porte de fond qui permettra à Marta de se faire discrètement la belle avec son amant pour quinze minutes … Mais il ne respecte pas le contrat et part avec elle pour Venise. Sale temps pour les mouches et pour Otto… qui reste cependant impassible.

Calogero exige en effet très vite qu'il fasse réapparaître sa femme. Otto essaye alors de le persuader que le tour prend plus de temps que prévu et que… bon, on ne va pas tarder à la revoir ! Le mari méfiant, appellera un inspecteur de police à qui, très discrètement, Otto, déjà presque accusé de meurtre, dévoilera les coulisses de l'histoire.

Il y a du drame, de la comédie mais aussi une grande poésie dans cette galerie de personnages aussi fantasques qu'attachants. Quant à Calogero, Otto lui expliquera avec beaucoup de conviction et d'habileté qu'il est l'objet d'hallucinations et que c'est lui-même, le mari qui a, en réalité, fait disparaître son épouse. Au bord de la folie, Calogero s'isole chez lui, en proie à la colère de sa famille qui le trouve tout à fait dérangé mais Otto lui dit que tout cela n'est qu'une question de temps soumis à variation selon les individus… Il réussit même à lui soutirer un chèque important pour rembourser une dette en lui faisant croire que tout cela fait partie d'un jeu. Et Calogero signe sans méfiance…"Tu crois que le temps passe mais ce n'est pas vrai, le Temps est une convention ; si chacun de nous vivait sans engagements, sans affaires, je veux dire une vie naturelle primitive, toi, tu durerais sans le savoir. Donc le temps, c'est toi". La fin ? Assez merveilleuse et amère à la fois, mais on vous en a déjà trop dit…..

Là où de Eduardo De Filippo frappe très fort, c'est quand il montre « que la vie est un jeu et que ce jeu a besoin d'être soutenu par l'illusion qui, à son tour, doit être alimenté par la foi ». Effectivement, le pauvre Calogero n' a qu'un seul besoin : croire, mais croire à tout prix que sa femme ne l'a pas quitté pour un autre homme, et Otto est assez roublard et perspicace pour l'avoir bien compris depuis le début et pour l'impliquer dans cette disparition. Il arrive même à le convaincre que sa femme ou son avatar est enfermée dans une boîte qu'il ne doit jamais ouvrir… Mais la vie n'est pas si simple et Otto se trouvera beaucoup plus impliqué qu'il ne pouvait le soupçonner dans toute cette affaire. Naïf, Calogero ? Pas plus que ceux qui ne résistent pas au charme de nombreux escrocs patentés qui jouent sur l'aveuglement de leurs victimes en leur faisant miroiter des gains fabuleux à condition qu'ils leur fassent confiance.

De Filippo, qui savait observer comme personne ses contemporains riches ou pauvres, vieux ou jeunes, se révèle, ici un dramaturge de premier ordre qui sait finement jouer de la frontière entre illusion et réalité, entre folie et normalité, entre grotesque et tristesse, entre passé et avenir, en donnant vie à ces personnages qu'il devait rencontrer au quotidien dans Naples mais qu'il savait rendre exceptionnels comme Otto ou Calogero, dont on demande parfois qui manipule l'autre… Ce n'est pas pour rien, car il devait s'y retrouver, que Pirandello admirait de Filippo. Reste à donner une unitéà cette suite d'événements poétiques, et il faut de grandes qualités pour mettre en scène cette Grande Magie qui dure, dans sa version complète, plus de deux heures, comprend quelque dix sept personnages, où les tours de magie, au début de la pièce, doivent servir de fil rouge s'emparer sans manger le texte, où le rythme ne doit pas faiblir pour ne pas nuire aux nombreux rebondissements… Illusion et réalité du quotidien de l'illusionniste, pauvre bougre obligé de gagner le pain de ses compères et de sa femme. La pièce est séduisante mais pas si facile à monter !

Photo : phannara Bun.

Dan Jemmett, en tout cas, s'en est emparé avec une indéniable maîtrise, en particulier dans la direction d'acteurs. Hervé Pierre (Otto Marvuglia) atteint une perfection dans le rôle ; il a une présence singulière dès les premiers instants où il arrive sur le plateau : tour à tour, roublard, séducteur, angoissé, il décline une palette de sentiments tout à fait étonnante et son complice Denis Podalydès n'a jamais été aussi meilleur dans ce rôle de mari naïf et obsédé par son idée fixe : il en devient même parfois inquiétant, quand il a ce regard que l'on retrouve chez les patients atteints de démence frontale. Vraiment du grand art d'acteur à la fois empreint d'une technique parfaitement maîtrisée et d'une magnifique sensibilité.

Les deux sont comme deux frères embarqués dans une drôle de galère : l'un sans aucun moyen financier, a perdu la femme de l'autre qui a de l'argent et qui ne comprend absolument rien à l'histoire qu'il est en train de vivre. Il y a aussi autre chose de fascinant qui n'est pas si courant à la Comédie-Française, C'est l'unité de jeu que Dan Jemmett à réussi à donner au spectacle. On voit que les comédiens ont du plaisir à jouer ensemble et quand ils ne jouent pas dans une scène, ils sont d'une extrême attention à tout ce qui se dit sur le plateau. Et les derniers spectacles de la Comédie-Française auraient plutôt prouvé le contraire.

Photo : phannara Bun.

Jamais depuis bien longtemps la troupe n'avait su être autant à cette hauteur pour créer un spectacle d'un dramaturge contemporain ou non. Au chapitre des inévitables réserves, un début mou du collier, en partie dûà une scène d'exposition que De Filippo a eu un peu de mal à construire, une scénographie pas vraiment réussie qui reste entre le deuxième et le premier degré, des coupures qui font sauter quelques nuances du texte, et sans doute parce que Jemmett n'a pas pu faire autrement, les personnages de la fin qui sont joués par certains acteurs du début : il n'est pas évident que les spectateurs non initiés s'y retrouvent bien dans ces identités. Jemmett va même jusqu'à faire jouer l'inspecteur à Cécile Brune qui joue aussi deux autres petits rôles… ce qui n'était sans doute pas l'idée du siècle.

Reste que, malgré ces réserves, c'est une vraie, grande et belle mise en scène que peu de gens auraient été capables de faire. Ce qui ne diminue en rien les qualités de celle de Laurent Lafargue qui avait ,lui aussi ,bien réussi son coup, avec un Daniel Martin extraordinaire mais avec un jeu tout à fait différent de celui d'Hervé Pierre.

Qui a dit que le théâtre ne se portait pas bien ? Oui, sans doute quand les textes n'ont aucun intérêt, mais Dan Jemmett et Eduardo De Filippo nous offrent un spectacle à la fois populaire , jamais vulgaire et d'une grande intelligence.

- Source : Le Théâtre du Blog.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

Tony FREBOURG

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Les prestations de Tony Frebourg, sont rapides, électriques, et enflammées à l'image des attractions des fêtes foraines. Il procure au public une forte dose d'adrénaline. Il faut préciser que le jeune homme est muni d'un bagage impressionnant. Techniquement à la pointe, il pratique son art avec une virtuositéépoustouflante. Il détient le record du monde avec un jonglage à quatre et cinq diabolos. Il est également acrobate de formation avec une bonne expérience des planches et de la gestion du public car il a été meneur de Revue au Moulin Rouge. Et pour couronner le tout, il a un physique d'Apollon !

Le numéro

Tony Frebourg s'impose dès l'entrée en scène. Il est vêtu d'un costume de guerrier japonais. Il est masqué et commence son numéro par la manipulation de deux éventails. Il va chercher un premier diabolo et exécute des figures entrecoupées d'acrobaties. L'artiste enlève son masque et jongle avec deux, puis avec trois diabolos. Enfin il tente et réussit le jonglage avec quatre diabolos.

Influences et esthétisme

Le diabolo a pour origine la Chine et date de plus de six siècles. Il est remis au goût du jour dans les années 1950. La création de figures qui étaient inconcevables il y a quelques années, et la technicité parfaite des pratiquants lui ont permis d'être considéré aujourd'hui comme une discipline de jonglerie à part entière.

Tony Frebourg use en plus de tous ses atouts pour faire entrer cette fois-ci le diabolo dans l'ère du GRAND spectacle. Pour y arriver il choisit un univers remplit de mythes et de fantasmes. Il puise dans la tradition nipponne pour le costume, dans celle des guerriers du moyen âge pour la gestuelle et l'esthétisme. Le théâtre Nô lui suggère le masque et les éventails. Le jongleur remonte aussi aux origines de son accessoire. Il fait référence, dès le début, à l'Orient par l'utilisation d'éventails marqués du symbole du Yin et du Yang. L'éventail le relie à la tradition car il est un accessoire fondamental du théâtre Nô. Mais il est surtout utilisé ici comme une arme. Comme dans l'art du Kung fu il devient une arme suprême capable d'annihiler le corps et l'esprit.

Le masque et le costume

Tony Frebourg entre sur scène sous les traits d'un Shite, acteur japonais du théâtre Nô, et effectue devant nous une danse traditionnelle avec des éventails. Son masque, ainsi que son costume très élaborés reflètent aussitôt la nature du personnage, un concentré de l'essence du sujet à interpréter. Celui de notre jongleur représente un personnage blessé, avec de nombreuses scarifications ensanglantées, et un personnage vengeur, avec les yeux surlignés et la coiffure en désordre. Le costume, une jupe pantalon est inspiré des vêtements des samouraïs de l'époque Muromachi traditionnelle. Le haut est plus stylisé et plus contemporain. Le maillot, près du corps, reprend les motifs des scarifications du masque en noir et rouge, comme des coups de diabolos pris à même le torse. Cette esthétique transforme le diaboliste en diabolique vengeur masqué, en guerrier venu sur scène nous raconter sa dernière bataille.

La gestuelle

Les mouvements de Tony Frebourg s'éloignent alors de ceux du théâtre Nô et rappellent maintenant l'art martial japonais. Les baguettes du diabolo sont semblables à celle du Nunchaku et le diabolo lui-même peut représenter le Yin et Yang. En effet, celui-ci est composé de deux cônes reliés par une bague. Deux parties d'une même forme, deux entités complémentaires prisent dans le jeu de la dualité. Bardé de tous ces symboles, le diaboliste exécute une danse martiale, où chaque geste, chaque coup de fouet, qui accélère le diabolo est une libération, une thérapie : Expulser la haine, la faire éclater en plein jour pour mieux retrouver la paix intérieure. Les quelques acrobaties qui ponctuent le numéro, sont des moments de respiration indispensables. Elles donnent une légèreté et une grâce à l'ensemble.

Photo : William Condette

La technique

Au-delà d'une véritable recherche esthétique et symbolique, le numéro de Tony Frebourg impressionne également par sa technicité. Il y a une véritable progression du début à la fin. Pourtant dès le départ il place la barre très haut, car c'est une véritable gageur que de jongler avec un masque, celui-ci réduisant considérablement le champ de vision. Il va toujours plus loin en utilisant un, deux, trois, puis quatre diabolos entrecoupé d'acrobaties spectaculaires : pirouettes, équilibre, grands écarts dignes de Valentin le désossé.

Concernant la technique pure du diabolo, Tony Frebourg maîtrise à la perfection le fouet, le tourbillon, le génocide, le départ fouet « duicide » ainsi que toutes sortes de satellites, de passages du ou des diabolos entre les bras ou les jambes, de lâchés de baguettes incroyables. Enfin il est reconnu pour ses spectaculaires grands carrousels de trois, quatre voire cinq diabolos.

Fusion

En l'espace de 8 minutes, Tony Frebourg a fait voyager le spectateur à l'autre bout de la planète. Dans un déluge de virtuosité et d'esthétisme, le jeune diaboliste nous a subjugués et prit à la gorge. Ce spectaculaire numéro, qui peut être regardé au premier degré recèle, en vérité, une mine de références. Sa richesse finit par révéler le sens profond qui était caché en chacun de nous.

L'ETRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS

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Deuxième long métrage du jeune couple bruxellois Hélène Cattet et Bruno Forzani, L'étrange couleur des larmes de ton corps (2014), est un film iconoclaste et déroutant, rejetant la narration classique et élevant l'esthétisme gore aux rangs des beaux-arts ; un ersatz de film d'horreur entre cinéma expérimental et giallo.

Le premier film du duo : Amer (2009) était une revisitation d'un style tombé dans l'oubli : le giallo. Une œuvre ultra référencée avec ses figures de proue : Dario Argento et Mario Bava. Un film charnel, érotique, sensitif et sensoriel qui poussait les codes et la grammaire transalpine à l'extrême ; offrant une expérience inédite de cinéma.

Avec L'étrange couleur…, Cattet et Forzani, vont encore plus loin dans leurs délires expérimentaux. Ils relèguent volontairement au second plan la narration et la vraisemblance pour ne s'intéresser qu'aux moments de bravoure, à l'expérience que vont vivre les spectateurs à la vision de ce cauchemar visuel et sonore, entre attirance et répulsion.

« Les gialli nous ont donné beaucoup de plaisir en tant que spectateurs, proche de l'extase cinématographique ! A la fois divertissants et très créatifs. » Cattet et Forzani.

L'histoire

Une femme disparaît. Son mari enquête sur les conditions étranges de sa disparition. L'a-t-elle quitté ? Est-elle morte ? Au fur et à mesure qu'il avance dans ses recherches, son appartement devient un gouffre d'où toutes sorties paraissent exclues. Il plonge alors littéralement dans un univers cauchemardesque et violent où d'autres femmes apparaissent, ainsi que des « clones » masculins…

Le spectateur va suivre l'histoire de cet homme obsédé et possédé qui perd pied. Sa folie va se transcrire en un délire exacerbé qui va tout transformer autour de lui et brouiller la frontière entre la réalité et le cauchemar.

Une sorcellerie visuelle et sonore

L'étrange couleur… pousse les expérimentations du gialloà leurs paroxysmes. Tel un jeu maniériste, les réalisateurs « compilent » toute une série de formes et de sons ; les assemblent en virtuoses dans un souci constant du détail : prolifération de gros plan, répétitions obsessionnelles, imagerie fétichiste, érotisation, L'étrange couleur… convoque un kaléidoscope géant qui transforme toutes les images et tous les sons en une matière organique. Car le but de ce cinéma de déconstruction est de se connecter directement au cerveau du spectateur, de lui faire vivre une expérience sensorielle totale, quitte à le perdre en route… Pas de compromis, Cattet et Forzani y vont «à fond les ballons » !

Les réalisateurs sont de véritables prestidigitateurs et manient la matière filmique en alchimistes virtuoses. Il faut saluer l'extraordinaire travail de montage qui est la base ultime de cette expérience. Pour preuve, six mois auront été nécessaire pour recréer et monter le son en postsynchronisation ! C'est la relation des images et des sons qui est travaillée dans une spécificité propre à provoquer le trouble à chaque instant, puisque les images « surréelles » côtoient des bruitages hyper réalistes. Un mixte entre une surréalité et un réalisme intimiste.

Les cinéastes pilonnent le spectateur de sons stridents (à la limite du supportable) et d'images chocs, qui reviennent en boucle comme dans une expérience de « torture » qui nous rappelle une séquence d'Orange mécanique de Kubrick, où Alex est contraint, les yeux ouverts de force, d'être conditionné pour ressentir une aversion face au viol et à la torture. Différents formats et styles d'images se succèdent, passant de la couleur au noir et blanc, de la fulgurance baroque au minimaliste d'un cinéma d'animation.

« On a fait carrément un deuxième tournage, sonore uniquement, dans un studio avec un bruiteur et on a tout recréé. Le bruiteur est à la fois comédien et chef opérateur car il fait des propositions de jeu au niveau du son et en même temps il propose des idées très artistiques liées à la valeur des plans. Le bruiteur propose plein de sons et nous on choisit lequel est le plus fort pour toucher l'inconscient du spectateur. Au niveau des bruitages et du son, on a vraiment cherchéà provoquer un impact physique, on a beaucoup travaillé sur les basses et leur impact sur le corps, comme c'est une décharge qui rentre dans le corps. » Cattet et Forzani.

Le film devait initialement s'appeler Géométrie de la peur, et c'est bien de cela qu'il s'agit sur le plan formel, une succession de juxtapositions, de mises en perspective, de mise en abyme, d'inclusions, de superpositions de cercles, d'assemblage de matières, de Split-Screen et la répétition d'images récurrentes : œil, cuir, lame, trou…L'étrange couleur… est proche d'une installation d'art contemporain, une œuvre expérimentale de la reprise qui pourrait tourner en boucle dans un musée.

L'espace est construit comme un rubik's-cube, comme des poupées gigognes. Il est mouvant et liéà ce qu'il se passe dans la tête du personnage. Les pulsions, les phobies, les désirs et les fantasmes ressurgissent par des métaphores visuelles et sonores, de façon onirique, gore et grotesque. La forme labyrinthique du film sert la schizophrénie des personnages comme l'avait magnifiquement réussit Dario Argento avec Le syndrome de stendhal (1996).

« C'est un film où tu te perds, c'est un labyrinthe. Tu le prends physiquement, c'est un bombardement sensoriel, et après, quand tu as fini la séance, il décante dans ton esprit et tu fais des liens. Tu le digères et tu trouves de nouvelles choses. » Cattet et Forzani.

Dédoublement et identification

L'étrange couleur… fait partie des films mettant en abyme la relation fétichiste et métaphorique du cinéma avec son spectateur. Une œuvre dont nous faisons partie intégrante dans un jeu de dédoublement symbolique.

On ne peut s'empêcher de penser au Peeping Tom (Le Voyeur, 1960) de Michael Powell où la caméra fonctionne comme une machine / organe qui est un prolongement morbide et fatal. Filmer et regarder tue littéralement. Autre influence, le Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954) d'Alfred Hitchcock, à la différence que le spectateur n'est plus extérieur à la situation (regarder par la fenêtre / écran) mais immerger dans la matière filmique (il entre dans l'immeuble).

Les personnages paraissent tous interchangeables. L'apparition des trois femmes n'est en fait que l'incarnation d'une seule et même entité féminine : LA femme. Les trois autres personnages masculins, malgré leur différent trauma, ont un but en commun et recherche la même chose.

Une des séquences les plus saisissantes de dédoublement est celle où le personnage principal se multiplie par le biais d'un interphone. Une idée reprise du géniale Mario Bava qui faisait poursuivre son héros par son double dans Opération peur (1966).

Sidération et pulsions scopique

Le cinématographe est ici utilisé comme forme hypnotique où la pulsion scopique est au centre d'un jeu masochiste entre les images et le spectateur. D'où la recrudescence des yeux et des gros plans à l'écran, fait pour immerger le spectateur dans un état de réaction constante. Plaisir coupable entre voyeurisme et fétichisme.

Le film fonctionne comme une séance d'hypnose. Les personnages et les spectateurs vont de plus en plus en profondeur dans leurs souvenirs, jusqu'à une vision initiale qui se situe derrière une porte (psychanalyse de base). Petit à petit, au fur et à mesure que le film progresse, on s'enfonce dans des strates pour retourner à des images de l'enfance, à des aspects primitifs ancrés au plus profond de nous.

Art Nouveau versus Imitation

Tout le paradoxe du film est de s'appuyer sur une esthétique Art nouveau(1), qui est par essence l'antithèse du pastiche et de l'imitation. Il faut peut-être y voir ici une volonté pour Cattet et Forzani de se détacher de l'œuvre purement référentielle en produisant une forme originale, inventive et nouvelle d'images en mouvement. Un parallèle intéressant et subtil d'un cinéma prenant son essor, son indépendance dans une esthétique colorée aux formes courbes et organiques ancré dans les années 1970. Puisque le but est de renouer avec les instincts primaires, la sensitivité et revenir à une forme de naturalisme par l'artifice et l'ornement comme le faisait le peintre Gustave Klimt. Le mouvement de l'Art nouveau coïncide également avec les débuts du cinématographe, ce qui n'est pas innocent !

Dario Argento

On connait la vénération de Bruno Forzani pour le maître du giallo. Déjà dans Amer, sa grammaire était subtilement réinterprétée. Dans L'étrange couleur… l'intrigue policière chère au genre avec son Whodunit est tout simplement avortée au profit d'une anamorphose des principaux morceaux de bravoure argentien. A la manière d'un Brian De Palma avec la figure d'Hitchcock, Cattet et Forzani revisite Argento et sa grammaire dans un patchwork de collages, de superpositions, d'autocitations et de surimpressions propre aux grands formalistes maniéristes.

Le film le plus « cité» est sans commune mesure Suspiria (1976). L'arrivée du personnage principal en taxi sous la pluie comme Jessica Harper, la demeure Art nouveau inspirée de l'académie de danse, ses mystérieuses manifestations, ses pensionnaires inquiétants, l'entité satanique qui dirige la demeure et la mise en scène, etc.

D'autres films du maître surgissent çà et là : le mur cassé de Profondo Rosso, le tueur apparaissant derrière « le héros » dans Ténèbre, le récit éclaté de Inferno

« Inferno est un des films qui m'a fait le plus flipper étant jeune. Je n'avais pas compris pourquoi. Et quand j'ai rencontré Dario Argento, je lui ai posé la question. Il m'a expliqué qu'il avait écrit le scénario avec l'inconscient et les associations d'idées. Peut-être l'explication de mon point de vue de spectateur quant à la terreur ressentie ? C'est donc un mélange de ces deux types d'écritures que nous avons essayé de faire. On laisse des portes ouvertes, des personnages métaphoriques qui peuvent avoir plusieurs explications. » Bruno Forzani.

Conclusion

On pourra discuter longuement sur la finalité du système orchestré par Cattet et Forzani, critiquer leur formalisme faussement vain, leur fétichisme limite plagiaire. Mais on ne pourra pas leur enlever leur envie, leur incroyable amour pour le cinéma qu'ils assument entièrement sans concessions dans l'excès et le paroxysme d'un cinéma expérimental de genre. Chaque plan est pensé dans un constant souci du détail pour servir une expérience rare de cinéma faite de fulgurances fatales qui s'impriment durablement au plus profond de nous-même.

Notes :
- (1) Le film a été tourné dans différentes demeures Art nouveauà Bruxelles et à la villa Majorelle de Nancy.

A voir :
-L'étrange couleur des larmes de ton corps de Hélène Cattet et Bruno Forzani (en DVD depuis le 2 décembre 2014).

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

F FOR FAKE

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L'histoire :

F for Fake (1973) mêle deux enquêtes : L'une sur Elmyr de Hory, le faussaire anglais spécialiste des tableaux post-impressionnistes. L'autre sur Clifford Irving, journaliste-romancier, auteur, en autre, d'un livre sur Howard Hughes, le milliardaire invisible et mythique, lui même "mystificateur-né".

Dans un premier temps, le réalisateur démontre toute la dialectique du sujet et de l'objet. Tout ce qui traite des faussaires est constamment truqué.

C'est au montage qu'il fabrique tous ces dialogues. Notez que dans la première partie avec Elmyr de Hory, il n'y a jamais deux personnages dans le même plan. L'histoire des faussaires permet de développer un propos sur la fiction, l'illusion et la magie.

Dans un deuxième temps, le réalisateur engage la marche du film dans un temps où rien de faux ne devra être dit. Le film entre alors dans une pure fiction : celle de la rencontre entre Picasso et Oja Kodar. Ce peintre n'a-t-il pas autorisé lui-même toutes les supercheries, lui qui a dit « la vérité est un mensonge », « Un mensonge qui fait comprendre la réalité».

Elmyr de Hory (1906-1976)"Soixante noms, soixante personnages, soixante mensonges, mais un vrai métier : peindre des faux", dixit François Reichenbach.

Néà Ismaïlia en Egypte, ancien élève des jésuites du Caire, danseur de cabaret, agent de la CIA, hâbleur invétéré, mythomane compulsif, marié, père de deux enfants et néanmoins homosexuel persévérant, tutoyant la jet-set internationale, il avait fréquenté l'Ecole du Louvre et s'était lancé dans le commerce de l'art. Elmyr de Hory s'associa à Fernand Legros pour vendre de faux tableaux signés Modigliani, Derain, Dufy, Picasso… Avant de se suicider, en 1976, Elmyr de Hory reconnut avoir réalisé quatre vingt faux pour le compte de Fernand Legros.

Les deux hommes firent fortune. Mais après une période de connivence, chacun des compères échafauda sa version des faits, en contradiction avec celles de l'autre. Elmyr de Hory fit appel à l'écrivain Clifford Irving pour rédiger ses Mémoires, où il étala les turpitudes de Legros. Le livre de Clifford Irving, Fake ! parut en 1976.

Fernand Legros déballa le roman de sa vie sous la plume de son ami l'écrivain Roger Peyrefitte et accabla de son mépris le défunt Hory. Legros fit même interdire la traduction française de ce livre avec un argument savoureux : Irving avait été désavoué aux Etats-Unis pour une autobiographie non autorisée de Howard Hughes. Le manuscrit aurait été un faux d'après H.H.

Clifford Irving, "homme de l'année" en couverture du Time.

A qui se fier dans cette mise en abyme de poupées russes truquées à l'infini ? Pour finir, c'est Elmyr de Hory, filmé par son ami François Reichenbach, qu'Orson Welles choisit pour personnage central de son ultime opus, F for Fake (Vérités et mensonges), en 1973. Et mieux qu'une absolution, il est permis d'y voir une révérence à un maître en la matière.

Rappelons enfin pour terminer cette présentation des personnages qu' Howard Hughes (1905-1976)était un magnat de la presse, un personnage qu'aucun romancier n'aurait imaginé et qui a traversé l'histoire de l'Amérique entre autre en possédant les plus belles femmes du monde, d'Ava Gardner à Elisabeth Taylor en passant par Marilyn Monroe et une cinquantaine d'autres. Egalement producteur de cinéma, il fut aussi pilote et constructeur d'avion battant sans cesse de nouveaux records de vitesse. Après l'échec de son vol à bord du « Spruce goose », il se retira en hermite, incognito, dans un palace de Las Vegas, dans une solitude aseptisée. Il est l'aviateur qui a inspiré Scorsese dans son film The aviator.

Genèse de F For Fake :

Au départ c'est François Reichenbach qui a demandéà Orson Welles de commenter son film. Puis, O. Welles, intrigué par ce matériau, s'est emparé des interviews filmées par Reichenbach pour en tirer F for Fake. Ensuite, il entreprend de monter ces images à sa façon, en y ajoutant des scènes supplémentaires certaines tournées à Ibiza, d'autres tournées dans sa maison d'Orvilliers en France.

Orson Welles intègre également une histoire purement fictionnelle mettant en scène sa compagne Oja Kodar, « The girl watching ». Où l'on voit comment Picasso et sa fille trompent les gens avec la complicité de son grand père hongrois, interprété dans le film par le propre père d'Oja.

Analyse

Au début de F for Fake, Orson Welles apparaît dans la brume d'un quai de gare, faisant des tours de prestidigitation pour un jeune enfant. Il transforme une clé en pièce. Cette pièce disparaît et réapparait dans la poche de blouson de l'enfant, etc.

Orson Welles parle ensuite de Jean Eugène Robert-Houdin, qui définissait le magicien comme un acteur. Il s'introduit ainsi lui-même dans sa fiction comme acteur-magicien (il porte cape, chapeau et gants) et réalisateur maitrisant tous les paramètres de l'œuvre à venir. Cette présentation est celle d'un bonimenteur prestidigitateur qui à partir d'un petit tour de passe-passe donne le sens général des images qui vont suivre. La clef de la situation étant peut-être cette clef que Welles soutire du nez de l'enfant.

Aux illusions visuelles créées par les tours de magie, s'ajoute les illusions dues au montage spécifiquement cinématographique, comme cette transposition d'espaces de la gare à l'intérieur d'un studio par écran de fond interposé.

Comme par magie, le prestidigitateur Orson Welles change d'espace en un clin d'oeil.

Et bientôt la perte de repère engendrée par le montage sera globale. Orson Welles nous préviens dès le début : « Ce film parle de tricherie, de fraude, de mensonge ». Le spectateur est ainsi mit dans la confidence, prêt àêtre bousculé et à subir le grand jeu du faux, de la manipulation et de l'illusion.

Les histoires s'entrecoupent, se mêlent jusqu'à former un magma d'images, significatif du jeu que Orson Welles propose aux spectateurs. Cette chorégraphie visuelle est à l'image du réalisateur : enjouée et malicieuse. Elmyr de Hory, Clifford Irving, Oja Kodar, Howard Hughes, Picasso, Orson Welles, tous ces protagonistes se croisent, se parlent souvent indirectement par la magie du montage. Sur ce point particulier l'épisode mettant en scène Picasso et Oja Kodar est brillantissime.

Construit d'images et de photos fixes ou animées, le récit prend vie grâce au fabuleux talent de conteur de Orson Welles, et grâce à son art du montage. Notons aussi au passage l'interprétation aérienne d'Oja Kodar.

Oja Kodar, compagne et égérie du réalisateur.

Révélant la supercherie de cette fiction, l'auteur dans un dernier tour de magie, fait disparaître sous un voile le grand père d'Oja, lui qui n'a jamais existé et salue une dernière fois les spectateurs signifiant ainsi que le spectacle est terminé.

L'art du mensonge

Si le film peut sembler dans un premier temps une mosaïque difficile à regarder et à suivre, il n'en demande pas moins une attention particulière voir un deuxième visionnage tant le matériau est riche.

Orson Welles, en vrai magicien, joue constamment avec le spectateur. Il lui met sous les yeux des images qu'il orchestre magistralement. F for Fake est avant tout une remarquable démonstration de montage. Le réalisateur montre que la virtuosité de son art ne dépend pas tant de ce qui est filmé, la plupart des images n'étant pas de lui, que du mode sur lequel le montage le présente. Retenons que le film a été presque entièrement réalisé au montage.

De même qu'il importe peu de savoir l'identité exacte de l'auteur d'un tableau. Il importe seulement de dire si telle ou telle œuvre relève ou non de l'art. Il n'y a pas d'artistes, mais seulement des œuvres. Peu importe qui signe le film, seul compte le film, l'art dégagé par chaque film.

Orson Welles dynamite le récit et sa continuité. Il fige soudain l'image pour aller traquer la vérité dans un détail, monte et démonte les éléments pour en explorer toutes les facettes dans une sorte de frénésie à la Pirandello. F for Fake résume tout l'art Wellesien. Il condense toutes les obsessions du réalisateur et exprime le mensonge comme un art rattachéà tout bon illusionnisme.

« Tout s'abîmera définitivement dans la guerre et s'envolera avec les dernières cendres de l'univers, les triomphes et les impostures, les trésors et les faux... Tous nos chants seront étouffés. Mais quelle importance ? Continuez à chercher... Peut-être que le nom d'un homme importe peu, après tout ! » propos d'orson Welles dans le film.

L'œuvre tout entière d'Orson est en effet placée sous le double signe de la magie, de l'illusionnisme et de la fascination pour les escrocs et les grands mystificateurs, le personnage de Kane en premier lieu (dans Citizen Kane). Orson Welles fonda lui-même sa carrière puis sa célébrité sur une supercherie avec la guerre des mondes, comme il le montre dans le film.

F for Fake est une réflexion sur le monde de l'art et ses rapports avec la réalité menée par Orson Welles à la première personne, comme pour la guerre des mondes à la radio. Elle lui permet en plus d'évoquer sa propre carrière.

Face à ce triomphe de l'anonymat que représente la façade de la cathédrale de Chartres, nombre d'illusions s'écroulent et le film s'achève sur un testament brillantissime et désespéré sur l'inutilité de l'art. Welles s'amuse à démontrer l'absence de fondement du cinéma, son pouvoir d'illusion, son mécanisme fondé sur le mensonge et la manipulation des images.

F for Fake est un film qui traite de la mystification. Tout le monde prend la place de tout le monde. C'est une méditation sur le faux, l'illusion, et le mensonge. Une approche légère, ironique, et cynique de l'essence même du cinéma, cet art sublime de la tromperie.

A voir :
-F For Fake, Vérités et Mensonges. DVD de 85 minutes. Benj Productions.

Bibliographie :
- Dossier Orson Welles dans la revue Ecran n°33 (février 1975).
- Revue Positif n°167 de mars 1975.
-Hughes, l'Homme aux secrets de François Forestier (Ed. Michel Lafon).

A lire :
-Orson Welles, Magicien de l'ombre à la lumière.
- Dossier Magie et Cinéma.

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Alexander CALDER

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L'exposition de Beaubourg explore, pour la première fois en France, les premières années du travail plastique d'Alexander Calder (1898-1976), un des plus grands sculpteurs du XXème siècle.

Cet artiste / ingénieur américain arrivéà Paris en 1926 va révolutionner la sculpture alors cantonnée dans sa forme classique. Avec Calder, la sculpture devient « dessin dans l'espace ». De figurative elle devient abstraite. En parallèle de ses recherches sur les volumes, l'artiste élabore un ensemble de figurines miniatures qu'il fait évoluer dans le cadre d'un cirque. C'est le fameux « cirque Calder », un ensemble constitué d'une centaine de figurines réalisées à partir de matériaux de récupération et animées par des mécanismes rudimentaires.

A la fin des années 20, il élabore sa première sculpture en fil de fer, vide, linéaire et mobile qui l'amènera à concevoir ses fameuses sculptures cinétiques aux formes géométriques et aux couleurs primaires. 1933 marque la naissance de ses célèbres « mobiles » suspendus qui respirent dans l'espace et qui offre à l'artiste un statut de renommé mondiale.

Calder était un révolutionnaire. Il est le premier à avoir fait bouger la sculpture. Cela n'existait pas avant lui.

Les débuts

Originaire de Pennsylvanie, l'étudiant Calder décroche un diplôme en génie mécanique. Puis en 1923, il décide de se consacrer entièrement à l'art et étudie la peinture et le dessin à New York. Il travaille ensuite comme illustrateur dans des revues new-yorkaises jusqu'en 1926, date de son arrivée à Paris. Commence alors une période d'une remarquable effervescence artistique.

Calder's Circus

De 1926 à 1931, Calder va développer une pièce essentielle de son œuvre, une matrice, un laboratoire fait de petites expériences qui seront un tremplin vers ses chefs-d'œuvre à venir : « Son cirque ». Celui-ci va permettre à l'artiste de se distinguer, de fréquenter les ateliers et les cafés parisiens. Il va ainsi rencontrer des artistes emblématiques de l'art moderne. Parmi ceux qui auront une influence sur ses futurs travaux citons Mondrian, Léger, Miro et Duchamp. C'est en 1917 avec le ballet Parade, que Jean Cocteau et Erik Satie lancent la mode du cirque. Le tout Paris des années folles court au cirque Medrano et courtise les frères Fratellini. Calder, à son tour, s'imprègne de « la poésie artisanale » des gens du voyage pour fabriquer son petit monde.

« J'ai toujours aimé le cirque, j'ai donc décidé d'en fabriquer un, juste pour le plaisir. » A.Calder

Les éléments et les figurines du « cirque Calder » sont constitués de fil de fer, de bois, de bouchons de liège, de morceaux de cuir et de tissus cousus à la main. Chaque pièce est unique et animée par un système fait de ressorts et de ficelles que l'artiste actionne en direct.

« Mon but c'est de faire quelque chose qui soit comme un chien ou comme des flammes. Quelque chose qui ait une vie en soi. » A.Calder

Calder fabrique des jouets / sculptures interactifs emprunts d'une grande force poétique. Il fabrique également en parallèle des jouets animés pour « s'amuser ». Ses personnages sont incroyablement expressifs. Ses talents de dessinateur et caricaturiste sont à l'œuvre dans la composition de ses figurines qui ont le « trait juste », la linéarité d'un dessin dans l'espace. Trapézistes, acrobates, haltérophiles, funambules, clowns, animaux de ménagerie, tous semblent vivants et prêts à investir « la piste aux étoiles ».

« Je veux faire des choses qui soient amusantes à regarder. Avant tout l'art doit être joyeux et jamais lugubre. » A.Calder

Une fois l'ensemble réunit, Calder donne des représentations de son cirque en alliant le geste à la parole, manipulateur et bonimenteur. Dans ses représentations proches de la performance, le geste de l'artiste s'associe à la miniature pour donner vie à un petit théâtre de figurines improvisé proche du happening et du théâtre de marionnettes.

Le fil de fer

Allant à l'encontre de la sculpture traditionnelle qui utilise des matériaux nobles comme le marbre ou le bronze par exemple, Alexander Calder va prendre possession et dompter le fil de fer pour créer des figures légères et aériennes débarrassées des contraintes terrestres.

The Brass family (1929).

Calder suit un courant qui redéfinit la sculpture par le dessin comme un geste dans l'espace. Avant lui, Duchamp avait remis en cause la notion même de sculpture avec ses « ready-made » et Vladimir Tatline expérimenté des formes sculpturales suspendues dès 1915 avec Contre-relief d'angle.

Lorsqu'à son tour, Calder s'affranchit des lois de la pesanteur, il supprime dès lors le traditionnel « socle », cette « pièce rapportée » soutenant la statuaire classique. Les sculptures de Calder sont vides et légères jouant sur la présence et sur l'absence des formes.

Le spectateur est captivé devant une forme inachevée en mutation constante. Il doit reconnecter les volumes dans l'espace et ainsi reconstituer la forme originale. En effet, ce n'est pas tant la matière présente qui est importante ici, mais plutôt le vide et l'espace autour de la sculpture qui font vivre la forme dans un mouvement continu. Ce n'est pas la matière physique qui est sculptée par l'artiste, mais bien « l'air ». Car au-delà du volume sculpté c'est tout l'espace qui interagit puisque la sculpture est par nature « suspendue » ou plus précisément « flottante ». Jouant avec la lumière et les ombres portées, la sculpture devient une fascinante forme en constante métamorphose.

« Je crois que j'avais le chic pour dessiner d'un seul trait. » A.Calder

Les sculptures en fil de fer représentent des personnalités connues, des types sociaux, des sportifs et des animaux. Ses portraits constituent un ensemble remarquable de trognes légèrement caricaturées. On reste stupéfait par ses sculptures réalisées à main levée, ou la feuille et le crayon sont remplacés par une bobine de fil de fer et une paire de pinces !

Dans un petit film, on voit Calder en action en train « de tirer le portrait » de Kiki en 1929 dans une rapidité d'exécution normalement réservé au dessin. Le fil devient un substitut au trait crayonné et au dessin préparatoire.

Vers les « mobiles »

En 1930, Calder se convertit définitivement à l'abstraction. Ses sculptures abandonnent le figuratif pour composer des formes géométriques mêlées à des aplats de couleurs primaires, le tout mécanisé.

Grâce à ses expérimentations incessantes et à l'énorme influence de la peinture abstraite de Piet Mondrian, Alexander Calder va développer ce qui restera ses œuvres maîtresses : « les mobiles ». L'association de l'abstraction et du mouvement.

« Pourquoi l'art doit-il être statique ? La prochaine étape c'est l'art en mouvement. » A.Calder

En s'affranchissant de la masse sculpturale, Calder fait du mouvement un matériau à part entière. De retour aux Etats-Unis en 1933, l'artiste se lancera dans la forme définitive de ses célèbres « mobiles », qui évolueront ensuite en « stabile »à l'échelle imposante.

QUEL CIRQUE !

Parallèlement à l'exposition Calder, les enfants peuvent profiter de l'exposition sous la forme d'ateliers pédagogiques. En effet, « la galerie des enfants » du centre Georges Pompidou, toujours très active, propose un espace ludique et interactif pour découvrir en famille au travers d'ateliers / jeux, les grands thèmes travaillés par l'artiste.

A partir de la manipulation de formes colorées, de matériaux du quotidien, et à partir de mouvements mécaniques simples, les enfants abordent les notions d'équilibre, de mouvement, de composition et de dessin dans l'espace.

Au programme :

Jouer avec l'équilibre des formes pour découvrir les notions d'équilibre grâce à des jeux corporels comme ceux des acrobates et des funambules.

Dessiner dans l'espace en expérimentant le passage de la deuxième à la troisième dimension et en dessinant sans lever le crayon.

« Tous en piste » en inventant une figurine à partir de divers matériaux.

A voir :
- Les expositions « Calder, les années parisiennes, 1926-1933 » et « Quel cirque ! » se sont déroulées du 18 mars au 20 juillet 2009 au centre G. Pompidou à Paris.
- DVD «La magie Calder».
- DVD Le grand cirque de Calder de Jean Painlevé.

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ESOPE / Trompe-l'oeil de la vie

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Un vieillard craintif avait un fils unique plein de courage et passionné pour la chasse ; il le vit en songe périr sous la griffe d'un lion. Craignant que le songe ne fût véritable et ne se réalisât, il fit aménager un appartement élevé et magnifique, et il y garda son fils.

Il avait fait peindre, pour le distraire, des animaux de toute sorte, parmi lesquels figurait aussi un lion. Mais la vue de toutes ces peintures ne faisait qu'augmenter l'ennui du jeune homme. Un jour s'approchant du lion : « Mauvaise bête, s'écria-t-il, c'est à cause de toi et du songe menteur de mon père qu'on m'a enfermé dans cette prison pour femmes. Que pourrais-je bien te faire ? » A ces mots, il asséna sa main sur le mur, pour crever l'oeil du lion. Mais une pointe s'enfonça sous son ongle et lui causa une douleur aiguë et une inflammation qui aboutit à une tumeur. La fièvre s'étant allumée là-dessus le fit bientôt passer de vie à trépas.

Le lion, pour n'être qu'un lion en peinture, n'en tua pas moins le jeune homme, à qui l'artifice de son père ne servit de rien.

Cette fable montre qu'il faut accepter bravement le sort qui nous attend, et ne point ruser avec lui, car on ne saurait y échapper. Nul n'échappe à son destin et à ses tours. L'ensemble des événements est donné comme étant inéluctable et est appeléà se produire envers et contre tous. Les artifices peuvent détourner le réel un moment, mais au final, le destin aura toujours raison des hommes, en usant, lui aussi, de ruses et en laissant à ses victimes le soin de faire tout le travail à sa place !


HISTOIRE DE LA VOYANCE ET DU PARANORMAL

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Temps de lecture : 10 min

L‘auteur Nicole Edelman, maître de conférence en histoire contemporaine, nous propose une plongée dans le paranormal. Loin d'offrir des effets spectaculaires et des révélations incroyables, il s'agit plutôt pour l'historienne d'analyser et de replacer dans le temps les différents domaines du paranormal, à savoir la voyance, l'astrologie, la numérologie, la parapsychologie et le spiritisme. Ainsi chaque discipline est replacée dans son contexte en convoquant l'histoire, les sciences et les religions. Que tous ces phénomènes soient fiables ou non, n'est pas sa question. C'est en comprenant leur origine que nous pourrons forger notre propre opinion et évaluer nos propres croyances.

Chaque terme, chaque phénomène possède une signification propre et recouvre une pratique et un domaine conceptuel qui évoluent au fil du temps. Ainsi, ce que le vingtième siècle nomma « paranormal », le dix-neuvième siècle le désignait comme « sciences occultes ». De nombreux écrits attestent de l'existence de la voyance ou de la divination par l'astrologie depuis des millénaires, partout dans le monde. Toutes les civilisations ont eu recours à ces pratiques. En cela, la figure de la bohémienne qui lit les lignes de la main est le symbole de cette imagerie que la peinture de la Renaissance et de l'Age baroque ont élevée au rang de thème classique.

Dans l'Europe chrétienne, la voyance a souvent été considérée comme diabolique, relevant de pratiques magiques et de sorcellerie. De la même manière les états modifiés de conscience et toutes les formes de transes ont été largement interprétés comme phénomènes de possession jusqu'au dix-neuvième siècle. Le pouvoir politique et religieux ont brûlé les « sorcières » et tenté de guérir les possédés par des exorcismes théâtralisés.

Gravure représentant une femme accusée de sorcellerie.

Au Moyen Age, existait une large palette de techniques de clairvoyance : divination par le miroir, divination dans un récipient d'eau claire, divination par les flammes ou la lumière d'une chandelle, géomancie (divination par la terre et les cailloux). Ces thèmes et pratiques magiques mélangeaient les références culturelles et religieuses.

Au milieu du dix-neuvième siècle, la voyance devient un métier et a pignon sur rue, prenant une vraie place dans la société. Elle console, rassure, prédit l'avenir en mélangeant volontiers les pratiques du somnambulisme à un attirail folklorique (boule de cristal, marc de café). Ces voyants sont majoritairement des femmes. Elles sont nommées successivement somnambules extra-lucides, sibylles, pythonisses, cartomanciennes et … sorcières ! Elles assiègent les salons, les antichambres et les cabarets à la mode, se mêlant aux magnétiseurs, médiums et illusionnistes. En fait la frontière entre toutes ces pratiques est floue, certains allant jusqu'à tout combiner dans leur séance. Les magnétiseurs donnent des cours et des spectacles publiques et payants, les somnambules se font alors voyantes ou actrices de cirques de foire en exposant leur corps en catalepsie, totalement raidi entre deux chaises, ou en se brûlant et en se transperçant avec des aiguilles. La voyance est aussi un spectacle. Cette attraction suscite une réelle curiosité intellectuelle. Tarot et chiromancie sont les deux principaux supports des voyantes. Des traités sur la chiromancie sont rédigés vers 1840. La conviction que l'on peut lire sur des détails du corps les capacités intellectuelles et psychiques d'un être humain « s'objective » autour de différentes sciences qui naissent à cette époque : anthropologie, ethnologie et phrénologie. La chirognomonie, ou l'art de reconnaître les tendances de l'intelligence d'après les formes de la main parait recevable à certains savants crédules de l'époque. Chiromancie et astrologie se retrouvent parfois mêlées pour la dénomination des mains portant des traces de correspondance planétaire.

Au vingtième siècle, les frontières s'estompent entre voyance et astrologie qui deviennent intimement liées. Leurs supports de prédictions usent de l'ancien comme du moderne : tarot, boule de cristal, numérologie, chiromancie, graphologie et astrologie. C'est alors que la voyance s'introduit sans poser de problème dans les journaux de la presse hebdomadaire à grand tirage sous la forme de prédictions régulières et d'horoscopes. Bientôt l'astrologie trouve une place sociale importante et s'insère dans les nouveaux médias : la radio, la télévision puis internet. Elle renouvelle ses concepts et ses références en prenant appui sur la psychologie et la psychanalyse. Comme l'astrologie, la voyance n'est plus questionnée aujourd'hui, elle va de soi. Présente dans tous les médias, sa véracité est peu souvent interrogée et ce depuis des décennies. Le recours aux astres ou à la voyance est rassurant, directif, simple et subjectif, il permet de contourner les obstacles et d'éviter d'affronter les problèmes. C'est une alternative à toute réflexion critique.

Les Chaldéens sont probablement les premiers à avoir établi des horoscopes pour prédire l'avenir de l'homme. Cette astrologie gagne la Grèce. Les noms des planètes s'actualisent et se renouvellent en conservant leur liens religieux et anthropologiques : ceux de la mythologie grecque remplacent ceux des divinités chaldéennes. Cette pseudoscience se répand ensuite dans le monde gréco-romain. La mythologie devient ainsi une des composantes majeures dans laquelle prennent sens les propriétés astrales, qui demeurent jusqu'à nos jours. De religieuse et initiatique, l'astrologie devient alors profane et s'individualise. Elle s'intéresse au destin personnel.

Au Moyen Age, l'astrologie prend de l'ampleur avec l'arrivé de l'imprimerie qui permet la diffusion d'ouvrages savants. Les souverains d'alors font régulièrement appel à des astrologues pour les aider à déchiffrer les signes des temps. (NDLR : Il n'y a pas si longtemps François Mitterrand a consulté régulièrement l'astrologue Elisabeth Tessier et Leonid Brejnev suivait les conseils de la voyante Georgienne Djouna Davitchavili, dite « la Sorcière ».)

Au seizième siècle, l'astrologie est soutenue par des « médecins » qui maintiennent l'idée de l'existence de liens intimes entre l'homme et l'univers. Ainsi, Michel de Nostredame, dit Nostradamus, médecin-astrologue, prophète et poète est une des figures les plus emblématique de cette tendance. A la Renaissance, le « médecin » devient un expert dans l'art de décrypter le message des corps et des astres. Il est celui qui sait élaborer un remède au moment où la figuration du ciel lui conférera son efficacité optimale. (NDLR : Il valait mieux être bien portant !)

Michel de Nostredame, dit Nostradamus (1503-1566). Médecin et apothicaire français de la renaissance, il pratiqua l'astrologie comme tous ses confrères de l'époque. Il est connu pour ses prophéties qui sortent en éditions dès 1555.

L'astrologie, qui ne se distingue pas encore de l'astronomie, autorise un certain type de voyance, et adopte d'autres pratiques comme la chiromancie et la physiognomonie, qui apparaissent en occident dès le douzième siècle. C'est après les observations de Nicolas Copernic, affirmant une terre en mouvement de rotation sur elle-même et autour du soleil, que l'astrologie et l'astronomie commencent à se séparer irrémédiablement. Après 1660, l'astrologie ne sera plus pratiquée par des savants et de nouveaux types d'astrologues apparaissent : sorciers, devins et charlatans de toutes sortes exploitant financièrement le filon de la crédulité humaine. La révolution scientifique du dix-septième siècle rompt radicalement, jusqu'à nos jours, les liens entre la science et l'astrologie. Sous Louis XIV cette dernière avait présenté des dérives vers des pratiques magiques voire criminelles. Ces adeptes de magie noire sont alors condamnés par ordre royal comme exploitants de la crédulité publique !

Au dix-huitième siècle, la voyance se transforme. Elle est immergée dans le courant ésotérique de l'illuminisme qui prend sa source dans la découverte du somnambulisme magnétique : un état de conscience modifié mise au jour en 1784 par le marquis de Puységur formé par le médecin autrichien Mesmer, inventeur du magnétisme animal. La voyance est ainsi ancrée dans la science et plongée dans l'occulte.

En 1843, le somnambulisme magnétique est renomméhypnose par le médecin anglais James Braid. Le malade endormi parle et dialogue avec son magnétiseur. Ce sommeil lucide est une formidable redécouverte. Il met au jour un état modifié de conscience que d'autres lieux et d'autres temps ont déjà connu sous les noms d'extase, de léthargie, de catalepsie ou de transe. Cet état de pré conscience pose la question de l'énergie fluidique qui s'accorde avec les découvertes simultanées de l'électricité et de son pouvoir. Une autre théorie est avancée, celle où le magnétisé lui-même transforme seul son état physiologique, le fameux effet placebo. Hegel considère le somnambulisme comme une maladie de l'âme qui permet d'échapper au pouvoir de la conscience, et ainsi rend possible entre autre, de retrouver des voleurs, des meurtriers ou des cadavres à l'aide d'une sorte de seconde vue. Les succès thérapeutiques du somnambulisme seraient dorénavant démontrés par une pratique hospitalière, en particulier les bienfaits analgésiques et anesthésiques et la réduction de douleurs chroniques.

Vers les années 1840, avec le développement du libéralisme et de la science officielle, le somnambulisme est désavoué. Il faudra attendre la fin du vingtième siècle pour voir réapparaître un usage de ce que l'on appelle l'hypnose.

Né en France en 1857, le spiritisme est l'héritier du somnambulisme magnétique et du mouvement spiritualiste nord américain. En 1848, des esprits se seraient fait entendre à de très jeunes filles (les sœurs Fox), frappant des coups dans les murs d'une maison d'Hydesville et soulevant des pieds de tables. Bientôt un code alphabétique fut mis au point permettant de traduire les coups frappés en mots. Les deux sœurs et leur mère se donnèrent à voir et à entendre en privé puis en public après 1850.

Les formes de communication avec les esprits évoluèrent rapidement. Bientôt les médiums usèrent, sur les conseils des esprits, de tables et de guéridons dont les pieds bougeaient et frappaient le sol. Ces tables ne se mettaient en mouvement que si le médium du groupe réunissait et formait avec les autres personnes une chaîne de mains au dessus du meuble.

L'écriture automatique fait également son apparition. Les somnambules magnétiques ou médiums, placent un crayon dans leur main et attendent que l'esprit en dispose.

Une sorcière du XXème siècle, mise en scène par Tod Browning en 1925 dans le film The mystic.

Avec l'invention de la photographie, c'est tout un pan de l'invisible qui devient observable. Les conditions techniques de l'apparition de l'image sur le daguerréotype (1838) puis sur le papier (Nicéphore Niepce) sont déconcertantes en raison de leur nouveauté. Ainsi, cela crée un bouleversement dans la façon de voir les choses. Le regard est réorienté vers un ailleurs. La chambre noire devient le lieu d'apparition de l'image avant qu'elle ne soit celui de la venue des esprits, des ectoplasmes et des fantômes.

La photographie spectrale est inventée en 1860 aux Etats-Unis puis en Europe (Angleterre et France). L'appareil photo est ainsi employé dans le but de capturer l'invisible. Les trucages des plaques photographiques sont connus mais les photos floues, celles sur et sous exposées font tout de même apparaître d'étranges réalités sur le papier. Parallèlement à la photo psychique apparaît une nouvelle pratique chez les spirites, celle du cabinet noir : une véritable mise en scène théâtrale avec rideau, éclairage, et acteurs. Un coin d'une pièce est fermé par des rideaux noirs, créant un espace isolé des regards où se place le médium. Ce lieu permet la matérialisation des pseudos esprits, comme la chambre noire est nécessaire à la photographie. Les médiums produisent par la bouche, le nez, le nombril des ectoplasmes, des morceaux de corps qui sont à leur tour photographiés pour apporter la preuve de leur existence.

William H. Mumler (1832-1884). Vers 1850, on relate l'apparition inexpliquée sur des photos, de figures translucides de personnes décédées. C'est avec Mumler photographe américain qu'apparut la première photo spirite en 1861.

Arrivées en Europe puis en France, les tables tournantes furent à l'origine du spiritisme, une nouvelle religion « pseudo scientifique » dont le grand prêtre est Allan Kardec. Celui-ci publie en 1857, « le livre des esprits » qu'il prétend avoir rédigé sous la dictée d'esprits extra-terrestres.

Aux questions philosophiques, religieuses, morales et scientifiques, le spiritisme propose des réponses précises d'une grande simplicité et d'une logique apparente. Il suffit d'accepter le postulat de la réincarnation et sa conséquence : l'existence d'esprits. Le spiritisme se présente comme une révélation divine. Les médiums sont majoritairement des femmes qui deviennent alors des consolatrices qui atténuent la solitude et la souffrance.

Édouard Isidore Buguet (1840-1901). Ce photographe spirite français démontre en 1875 un phénomène télékinésique appeléeffet fluidique.

Au début du vingtième siècle, le spiritisme laisse place à une nouvelle science appelée métapsychique, qui explore l'ensemble des phénomènes mécaniques ou psychologiques dus à des forces qui semblent intelligentes, ou à des puissances inconnues. Trois grands phénomènes sont ainsi étudiés : l'ectoplasmie, la cryptesthésie et la télékinésie. C'est ainsi que la croyance d'un sixième sens serait née.

A lire :
-Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Editions du Seuil (2006).
-Phénomènes psychiques.
-Les révélations d'un magnétiseur.
-Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ?
-Télépathie.
-Cinéma et hypnose.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

CELUI QUI TOMBE / Yoann BOURGEOIS

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Conception, mise en scène et scénographie de Yoann Bourgeois.

Un long silence d'abord : la salle est plongée plusieurs minutes dans l'obscurité, ce qui oblige à faire le vide dans notre esprit. Bien vu ! Que voit-on ensuite dans la pénombre ? Une belle plate-forme rectangulaire en bois, d'environ 20m2 suspendue par quatre filins et reposant sur un axe qui va se mettre à tourner dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, comme la Terre vue au-dessus du pôle Nord.

Sur cette plate-forme, suspendue aux quatre coins et dont le bois produit des grincements (amplifiés) comme ceux d'un vieux bateau soumis à une forte houle, de jeunes acrobates/danseurs : Marie Fonte, Elise Legros, Vania Vaneau, et Mathieu Bleton, Julien Cramillet, et Dimitri Jourde.

La plate-forme va se mettre à tourner assez lentement puis plus vite : ils s'accrochent les uns aux autres, se séparent, se rejoignent entre hommes puis entre femmes et enfin en couple, jusqu'à une sorte de sarabande finale. Avec une étonnante perception de l'espace qui, on le sait, est gérée par l'hémisphère droit du cerveau qui fait fonctionner la partie gauche du corps. Ce qui expliquerait, en partie, la virtuosité quand ils vont à l'opposé du sens des aiguilles d'une montre. Mais comme ils sont tout aussi virtuoses quand ils arrivent à se diriger dans l'autre sens.

Il y a aussi quelque chose d'étonnant et qu'on appelle en japonais ki no nagare : la remarquable fluidité des mouvements et le zanshin : la vigilance qui leur permet avec une grande concentration d'avoir un merveilleux équilibre sur cette plate-forme instable et qui tourne sans cesse… Tout le public absolument silencieux, regarde fasciné, avec une rare attention, ce spectacle presque muet où il y a juste un chant à la fin.

A y regarder de près, les six interprètes adoptent une incroyable posture du corps stable et bien ancré quelque soit leur position sur ce sol mouvant, et dont leurs hanches semblent être le pivot central. En particulier quand ils remontent à contre-courant… C'est peu de dire que la proprioception, sorte de septième sens qui informe le cerveau de la position de chacun des membres par rapport au reste du corps, et dont les danseurs ont le secret, devient ici une nécessité absolue pour circuler sur cette plate-forme.

Bien entendu, ici comme le dirait bien mieux Maurice Merleau-Ponty, il semble que le corps expérimente et en même temps perçoit, et prend conscience d'une ouverture particulière au monde. Sans doute mais quel travail indispensable de répétition ! Le danseur/acrobate étant aux prises à la fois avec son corps et celui des autres dans cette mise en danger permanente, où le rapport à la perception de l'espace est la condition même de cette expérience inédite qui associe le mouvement de chacun et de l'ensemble, la rotation de la plate-forme et enfin son basculement. Avec en fond, quelques morceaux musicaux comme le célèbre Casta Diva de Norma de Bellini, ou My Way.

Cette drôle de mécanique, née d'un long travail de cheminement personnel, bien entendu comme Yann Bourgeois le dit aussi, a fort affaire avec un sens métaphysique : « J'habite en montagne, dit-il, et regarde l'architecture invraisemblable que dessinent les arbres pour trouver la lumière. Je me demande comment je fais pour tenir, sachant que pour rendre expressive la légèreté, il faut montrer la pesanteur ».

Ce qu'il fait surtout dans le second moment de son spectacle où la plate-forme va former une grande escarpolette basculant de jardin à cour avec toujours perchés dessus, ces mêmes six interprètes qui vont glisser sous cette plate-forme qui va continuer à se balancer de façon imperturbable et va passer à un mètre à peine de leurs corps allongés. Tout cela avec une virtuosité exemplaire de ces acrobates, avec lesquels Yoann Bourgois a cherché et brillamment réussi à acquérir « un point d'équilibre entre un objet, les spectateurs et tous les éléments qui entrent dans la composition d'un spectacle. C'est lui, que je cherche : ce point de suspension, à la fois sommet et infini, entre un sol mouvant et un ciel » dit Yoann Bourgeois.

Il n'y a pas tous les jours, et surtout en cette fin de saison un peu terne, de spectacle aussi dense, aussi parfait que cette union entre chorégraphie et acrobatie dans un tempo miraculeux. En soixante-dix minutes, tout est dit et poétiquement bien dit. Sans longueur, sans hésitation aucune et avec une totale humilité… Chapeau ! Le spectacle sera repris la saison prochaine au Théâtre de la Ville : surtout ne le ratez pas. C'est un des plus beaux de cette saison.

- Source : Le Théâtre du Blog.

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Mickael ROSS

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Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?

Mon premier déclic a eu lieu à l'âge de 6 ans, en effet dans mon école, un magicien de renom, était venu faire son spectacle et cela a bouleversé le cour de ma vie, j'ai encore certaines images devant les yeux, 40 ans plus tard, c'est vous dire... J'ai demandé une boite de magie au noël suivant et se fut le début d'une passion dévorante.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?

J'avais environ 14 ans, quand le centre sociaux culturel de mon quartier m'a fait confiance pour la première fois, pour un cachet de 100 francs, j'ai pu mesurer toutes les difficultés de mon métier, et me remis vite à travailler encore plus dure. Ma culture magique, je la doit essentiellement aux livres et uniquement à cela. Le livre développe énormément votre imagination et vous rend beaucoup plus créatif. Mon livre de chevet a été très longtemps La magie du XXe siècle de John Norhern Hilliard. Il m'arrive de relire des passages de ce livre encore aujourd'hui.

La chose également à ne pas oublier, c'est le fait de se retrouver souvent sur scène, cela vous rend forcement meilleur, vous pouvez affiner de gala en gala, essayer des choses.

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l'inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?

Au début ma maman m'a beaucoup aidé, en effet, il y a de nombreux moments de découragement, et le fait de savoir que vos proches croient en vous cela vous rend plus fort. Plus tard ma collaboration avec James Hodges m'a permis de franchir un cap. J'ai adoré et on ne regarde plus son art de la même façon après cela.

Tous les problèmes d'ordre privé, on tendance à vous freiner, il n'est pas facile de donner du rêve à votre public, quand vous vous êtes en plein cauchemar. Mais tout ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort.

Dans quelles conditions travaillez-vous ?

Je suis artiste professionnel depuis 28 ans, je change d'endroit pratiquement à chaque prestation, c'est l'aventure, on découvre des gens nouveaux à chaque fois et j'ai développé durant toutes ces années une grande faculté d'adaptation, c'est à ce prix qu'un artiste professionnel peut vivre de son art.

La quantité de spectateurs est variable suivant mes shows. Je peux très bien me produire en formule Close-up devant 10 personnes, et le lendemain être sur une grande scène devant 1000 ou 2000 personnes, mes prestations vont d'une valise et une personne à 3 camions et 10 personnes. De quoi s'occuper et ne pas s'ennuyer. Je pense être un artiste complet, je passe d'une formule à l'autre avec un plaisir sans bornes.

Quelles sont les prestations de magiciens ou d'artistes qui vous ont marqué ?

La prestation qui m'a le plus marqué est sans aucun doute possible celle de Vito Lupo, j'adore cet artiste et même si je ne partage pas le même univers que lui, j'adore vraiment sa magie. Et sa nonchalance. Des artistes comme Pierre Brahma ou Richard Ross chacun dans leur style, sont remarquable. J'ai eu la chance de les côtoyer. QUE DU BONHEUR.

Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?

J'ai une préférence pour la grande illusion, mais j'aime tous les styles de magie à partir du moment où cela est bien fait. Dans le domaine de la grande illusion, il y a encore plein de choses à faire. Alors oui cela à ma préférence, mais j'aime aussi les moments intimes que je partage avec le public en close-up ou avec mon numéro de transmission de pensée. Il y a un vrai échange avec le public. N'est ce pas ce que l'on demande à un artiste, de créer une émotion…

Quelles sont vos influences artistiques ?

J'essaie justement de ne pas trop voir de choses, afin de pouvoir garder ma propre identité, en effet mes shows sont proche du one man show. Ma personnalité et l'humour ont une place très importantes. Même si la technique doit être parfaite, et pour moi l'originalité compte beaucoup également. Il arrive que des spectateurs viennent me voir à la fin de mes shows et me disent ceci : je n'aime pas la magie mais j'adore ce que vous faites. Un paradoxe énorme !

Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?

Travailler, travailler et encore travailler, ne pas faire de la magie pour l'argent mais par passion et si ce jeune homme ou cette jeune femme a une vrai personnalité, alors il ou elle sera forcément récompensé. Sans oublié de ce remettre en question ; l'art évolue très vite, n'oublions pas que c'est un art vivant.

Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?

Je considère que les années 1950 resteront l'âge d'or de la magie. Mais aujourd'hui nous sommes à l'âge de platine, et je suis heureux d'en être.

Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?

L'art magique est le parent pauvre de la culture, nous sommes mal, voir pas considéré comme des artistes à part entière. A nous de démontrer aux autres disciplines artistique que c'est faux. Un artiste magicien talentueux doit avoir de multiples compétences : être un excellent comédien, un bon mime, savoir bouger, etc. S'il utilise le texte, une excellente diction, etc.

Vos hobbies en dehors de la magie ?

Le sport. Pour durer un artiste se doit d'être bien dans son corps. Je pratique le tennis à un niveau respectable, je m'entraine 2 fois par semaine minimum, je pratique également un peu la musculation, et le footing pour le fond. Pour être bien dans sa tête, il faut être bien dans son corps.

Merci de m'avoir donné la parole et sachez que je compare mon art à une femme que je me dois de séduire tous les matins quand je me lève et que je la veux toujours plus belle. Alors vive l'art MAGIQUE.
- Interview réalisée en juin 2015.

A visiter :
-Le site de Mickael Ross.

Photos : Zakary Belamy. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

HISTOIRE DES FUNAMBULES ET DE LA PANTOMIME

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Vers l'an 600, sous Clotaire II, célèbre par le meurtre de Brunehaut, les Panto-mimes, qu'on appela plus tard Funambules, commencèrent à joindre leurs jeux aux premiers spectacles qui se composaient de tournois. On désignait sous le nom de Panto-mimes, chez les Romains, des acteurs qui, par des mouvements, des signes, des gestes, et sans s'aider de discours, exprimaient des passions, des caractères et des événements.

Les Panto-mimes, qui furent les premiers comédiens parmi les français, comme ils l'avaient été chez les Grecs et les Romains, amusaient le peuple par des postures et des chansons qui prouvaient toute la grossièreté du siècle. Le roi voulant corriger ces abus, qui allaient jusqu'à la licence, déclara les histrions incapables d'être admis en témoignage contre les personnes d'une condition libre. Cette peine infamante fit tomber les Panto-mimes, qui furent remplacés par les farceurs et les bateleurs.

Au dire de Salvien, Marseille est, dans le Vème siècle, la première ville des Gaules qui ait accueilli les mimes de Rome. Les spectacles d'alors n'étaient, selon lui, que d'indécentes déclamations, un amalgame honteux de gestes et de danses obscènes. Le véritable berceau de la pantomime vraie est l'Italie. La pantomime italienne sera toujours le chef-d'oeuvre du genre. Ses principaux personnages étaient Cassandre, Gille, Pantalon, Arlequin, Colombine, etc. L'Angleterre, qui vient après, ne nous présenta que des clowns au lieu de Gille et de Pierrot.

Madame Saqui en 1820.

On a joué la pantomime aux foires Saint- Laurent, Saint-Germain, Saint Ovide ; chez Nicolet, chez Audinot. — Vers 1790, un italien nommé Lazzari devint directeur d'un théâtre construit en 1777, par un sieur Tessier, ancien acteur de province, sur le boulevard du Temple, vis-à-vis la rue Char- lot et le Cadran-Bleu (ne pas confondre le théâtre de Lazzari avec celui que fonda Frénoy-Audeville, à côté du théâtre de madame Saqui). Lazzari donna à son théâtre le nom de Variétés-Amusantes. C'est à ce spectacle que la Baleine avalait Arlequin, et, à son tour, ce qui est plus fort qu'Arlequin avalait la Baleine. Le théâtre de Lazzari subsista jusqu'en 1798, où, le 31 mai, à 9 heures du soir, il devint la proie des flammes, après une représentation de la Baleine avalée par Arlequin.

Théâtre des funambules en 1862.

On a joué la pantomime au café d'Apollon, en 1809, et enfin aux Funambules du boulevard du Temple, ouverts par tolérance en 1816. — Pour pénétrer dans la salle des Funambules, espèce de cave enfumée, exploitée primitivement par une troupe de chiens savants, il fallait descendre six marches, au bas desquelles on trouvait deux rangs de loges, puis une scène étroite. Bertrand père l'acheta et la fit reconstruire et agrandir. Pour faire concurrence au théâtre de madame Saqui, on établit un spectacle nouveau de danseurs de corde, auquel on joignit la pantomime. Les frères Laurent, qui avaient fait en Angleterre le métier de clowns, firent représenter plusieurs féeries dans le genre anglais. La Révolution de 1830 permit à Bertrand de supprimer la danse de corde, mais il eut le bon esprit de ne pas renoncer à ces pantomimes-arlequinades, où le jeu spirituel et fin de son mime, Gaspard Deburau, attira longtemps la foule et fit la fortune des Bertrand père et fils.

Gaspard Deburau par Félix Nadar (1854). Il devient la vedette du théâtre des Funambules entre 1819 et 1846.

C'est à ce théâtre que Frederick-Lemaître fit, pour ainsi dire, ses premiers pas dans la Carrière. Après avoir débuté chez Mlle Rose, où il tomba de la corde, puis au cirque, où il tomba de cheval, il signa, le 10 décembre 1826, un engagement avec Bertrand, et fit le succès d'Arimane. Le Théâtre des Funambules n'a guère eu pour directeurs que : Bertrand père, avec Fabien ; Bertrand fils, avec d'Ordan pour administrateur ; Billon ; Dautrevaux, avec de Fléchelle et Angrémy pour associés ; et enfin Dechaume, jusqu'à l'expropriation.

« Aux Funambules, il y a mille acteurs en un seul. Or, ces mille acteurs, ces mille visages, ces mille grimaces, ces mille postures, cette tendresse si prompte à commencer et à finir… tout cela n'a qu'un nom et s'appelle Deburau ! » J. Janin

Indépendamment de Deburau père, plu- sieurs artistes d'un véritable talent se firent remarquer aux Funambules du boulevard du Temple : Laplace, Charles Deburau, Paul Legrand, Alexandre Guyon, Cossard, Vautier père ; Mmes Lefebvre, Isménie, Béatrix, etc. Après la démolition des Funambules, M. Poiret ouvrit, sur le boulevard de Strasbourg, le 8 février 1862, un spectacle de marionnettes lyriques, qu'il métamorphosa en Funambules, avec des artistes en chair et en os, au mois de septembre 1866. — Ce théâtre, parfaitement situé, et fréquenté par les familles, est dirigé maintenant par M. Gondré. La salle a été restaurée, et l'activité et l'intelligence que déploie la nouvelle direction, font espérer que les petits Funambules marcheront sur les traces de leurs aînés, ou du moins ne s'en tiendront pas très-éloignés.

JOUHAUD

Crédit Photos : Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

BIAIS D'AUTO COMPLAISANCE

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«L'ingratitude et l'injustice des Hommes envers la Fortune»

Un Trafiquant sur mer par bonheur s'enrichit.

Il triompha des vents pendant plus d'un voyage,

Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage

D'aucun de ses ballots ; le sort l'en affranchit.

Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune

Recueillirent leur droit, tandis que la Fortune

Prenait soin d'amener son Marchand à bon port.

Facteurs, associés, chacun lui fut fidèle.

Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle.

Ce qu'il voulut, sa porcelaine encore :

Le luxe et la folie enflèrent son trésor ;

Bref il plut dans son escarcelle.

On ne parlait chez lui que par doubles ducats.

Et mon homme d'avoir chiens, chevaux et carrosses.

Ses jours de jeûne étaient des noces.

Un sien ami, voyant ces somptueux repas,

Lui dit : Et d'où vient donc un si bon ordinaire ?

Et d'où me viendrait-il que de mon savoir-faire ?

Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins, qu'au talent

De risquer à propos, et bien placer l'argent.

Le profit lui semblant une fort douce chose,

Il risqua de nouveau le gain qu'il avait fait :

Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.

Son imprudence en fut la cause.

Un vaisseau mal frété périt au premier vent.

Un autre mal pourvu des armes nécessaires

Fut enlevé par les Corsaires.

Un troisième au port arrivant,

Rien n'eut cours ni débit. Le luxe et la folie

N'étaient plus tels qu'auparavant.

Enfin ses facteurs le trompant,

Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie,

Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments beaucoup,

Il devint pauvre tout d'un coup.

Son ami le voyant en mauvais équipage,

Lui dit : D'où vient cela ? De la fortune, hélas !

Consolez-vous, dit l'autre ; et s'il ne lui plaît pas

Que vous soyez heureux ; tout au moins soyez sage.

Je ne sais s'il crut ce conseil ;

Mais je sais que chacun impute en cas pareil

Son bonheur à son industrie,

Et si de quelque échec notre faute est suivie,

Nous disons injures au sort.

Chose n'est ici plus commune :

Le bien nous le faisons, le mal c'est la Fortune,

On a toujours raison, le destin toujours tort.

LA VIE EST UN REVE / Pedro Calderón de la Barca

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Texte français de Denise Laroutis, mise en scène de Jacques Vincey.

Pedro Calderón de La Barca (1600-1681) - dramaturge très chrétien et favori de la cour du roi Philippe IV qui fut ordonné prêtre à cinquante et un ans - est l'auteur de quelque deux cent pièces, dont certaines bien connues en France comme L'Alcade de Zalamea, Le Prince constant, Le Médecin de son Honneur, La Dévotion de la croix, Le Magicien prodigieux et La Vie est un rêve, plus connue sous son titre habituel : La Vie est un Songe et 70 auto-sacramentales.

La pièce mythique, sans doute inspirée d'un conte des Mille et une nuits, est l'une des plus célèbres du théâtre européen, mais aussi l'une des plus difficiles aussi à monter. Avec un thème universel - Calderón est assez proche de Shakespeare - l'illusion permanente où nous vivons. C'est sans doute l'un des mots les plus fréquents de la pièce, et l'incapacité fréquente des êtres humains «à distinguer nettement la veille d'avec le sommeil ». Ce que constatait aussi René Descartes à la même époque. Incapacité aussi à trier le vrai du faux dans leur vie quotidienne alors que le monde change, que les repères basculent, et que la jeunesse s'enfuit. « Les années nous viennent sans bruit », disait déjà Ovide.

On est dans une Pologne imaginaire. Et dans une histoire de pouvoir royal qui tourne mal. Alfred Jarry connaissait-il la pièce quand il écrivit Ubu Roi ? Le roi Basile a vu dans le ciel des signes funestes, à la naissance de son fils Sigismond, et pour qu'il ne devienne un jour un tyran, il va le faire enfermer, seul, enchaîné dans une tour perdue dans les montagnes. Enchaîné, couvert de poussière et violent, il ressemble alors autant à une bête qu'à un homme Quand la pièce commence, Rosaura, une jeune fille séduite et abandonnée, est arrivée en Pologne, déguisée en homme, pour se venger de son séducteur. Sigismond que son père fait droguer et met tout d'un coup sur le trône royal comme pour le tester, en lui faisant croire qu'il s'agit d'un rêve. En effet, Basile, comme pour mieux conforter cette sensation de rêve, le fera ensuite ramener dans la tour. Et l'on viendra ensuite lui proposer de prendre le pouvoir, mais il a déjà pris assez de distance vis-à-vis de ses perceptions pour se méfier, et en effet le traitement que l'on lui fait subir, a de quoi rendre fou. Le roi va être rattrapé par son destin, ce qui est aussi un thème de la pièce. Pour compliquer encore un peu les choses - la pièce a plusieurs intrigues secondaires - Sigismond va découvrir l'amour avec Rosaura qui a réussi à pénétrer dans le palais royal où vit celui qui l'a déshonorée.

Le rêve, comme le disent bien Jacques Vincey et son dramaturge Vanasay Khamphomala, est comme chez Shakespeare ; il autorise les déferlements les plus violents et les plus bestiaux… et le surgissement de visions terrifiantes dont tout l'enjeu sera de savoir de quelle manière et à quel prix les personnages, et avec eux, les spectateurs parviendront à se libérer. D'ailleurs, écrit Calderón, « l'expérience prouve que l'homme dans sa vie rêve ce qu'il est jusqu'à son réveil. Le roi se rêve roi et vit dans cette erreur en ordonnant, en disposant, en gouvernant. Et cette gloire qu'il reçoit en prêt, il l'écrit sur du vent, et la mort le réduit en cendres : Malheur terrible ! Dire que des hommes font tout pour régner, voyant qu'ils se réveilleront dans le rêve de la mort ! Le Riche rêve sa richesse, qui l'étouffe sous les ennuis. Le pauvre rêve qu'il subit sa pauvreté et sa misère. On se met à prospérer ? Rêve ! On s'efforce, on s'agite ? Rêve ! On blesse, on fait du mal ? Rêve ! Dans le monde, en conclusion, tous, nous rêvons ce que nous sommes et aucun ne s'en rend compte. »

La langue de Calderón, foisonnante et haute en couleurs, bien traduite ici par Denise Laroutis, est l'une des plus magnifiques qu'on ait jamais écrites pour le théâtre, et plus de trois siècles après, elle continue à nous enchanter. La mise en scène de Jacques Vincey est tout à fait remarquable dans sa rigueur et sa précision - d'aucuns disaient hier soir une certaine sécheresse - et on a rarement entendu le texte de Calderón sonner aussi bien, même si on peut avoir quelques réserves.

Vincey a intelligemment imaginé une seule pièce où toute l'action se passe, ce qui évite des changements de décors approximatifs. Mais Matthieu Lorry-Dupuy, lui, a construit un décor dont les portes s'abattent en avant, dans la poussière et le bruit pour laisser entrer les personnages. Chic et choc, mais pas très malin, puisqu'ensuite les dites portes, une fois par terre, gênent la marche des acteurs, dont l'unité de jeu, par ailleurs, n'est pas toujours évidente.

Avec, d'un côté, trois vieux routiers du théâtre qui connaissent bien leur métier : Philippe Duclos impeccable (Clotalde), Morier-Genoud (le Roi) tout aussi impeccable mais qui en fait parfois un peu beaucoup, Vieux, tout à fait étonnant dans le rôle du fou Clairon. Et une bande de jeunes comédiens énergiques et pleins de vie : Antoine Kahan (Sigismond), Florent Dorin (Astolphe) qui se tirent bien de rôles pas faciles, Noémie Dujardin (Etoile), Estelle Meyer, disons plus… inégales. A leur décharge, il faut dire que l'on se demande comment elles peuvent respirer, enfermées dans des bustiers très laids. Les autres costumes - un mélange bizarre d'armures et de vestes d'aujourd'hui imaginés par Olga Karpinsky - ne sont pas non plus des plus réussis.

Malgré ces réserves, le travail de Vincey est brillant et savoureux. Même si le début est un peu lent et si le spectacle - sans entracte en deux heures et demi - a quelques creux, on écoute fasciné par la fable de Calderón sur les valeurs trompeuses auxquelles obéit toute vie humaine.

- Source : Le Théâtre du Blog.

Photos : Pierre Grosbois. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

Gilles DELEUZE / L'art du faussaire

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La formation cristalline renvoie dans l'œil à une fonction voyante. Cette image-cristal, autre nom pour la formation cristalline, contient le défilé ou la série des faussaires (autre nom pour la puissance du faux).

- 1er niveau : l'art de la description (avec la description organique, qui pose son objet comme indépendant via la décidabilité du réel et de l'imaginaire, et la description cristalline, qui se substitue à son objet).
- 2ème niveau : l'art de la narration (la narration véridique qui repose sur la décidabilité du vrai et du faux et la narration falsifiante qui pose l'indiscernabilité du vrai et du faux).

Aux niveaux du dire et du faire s'ajouteront, deux niveaux supplémentaires, cette fois philosophiques. Ils nous amèneront à donner deux autres définitions, à l'aveugle à présent, du faussaire ou de la puissance du faux.

Le problème brut ou mal préparé, à la fin de la précédente séance, est que des auteurs comme H.G Wells, Alain Resnais (accessoirement Alain Robbe-Grillet) posent dans le même mouvement la série des puissances du faux et se heurtent au problème du temps dans l'image.

On se préparait à un problème et on bute sur un autre. Le temps pousse et élève les problèmes à la puissance du faux. Pourquoi ? Parce que le temps est la plus profonde mise en question du concept de vérité ? C'est quelque chose d'enfantin. Non parce que dans le temps la vérité varie, il n'y a aucun intérêt à cette variabilité du contenu puisqu'on ne s'élève pas à la puissance du faux et à la forme du temps comme vide et pure. La vérité ne concerne que les essences c'est-à-à-dire ce qui est soustrait au temps. Le problème des futurs contingents est l'expression ou la petite histoire qui marque l'affrontement de la forme du temps et des malheurs qui sortent du concept de vérité : est ce qu'il y aura des vérités d'existence (l'existant étant le futur contingent).

On ne peut sauver le principe de non-contradiction qu'en apparence et au prix d'un formidable effort qui consiste d'abord à l'appliquer à l'un, membre de l'alternative (par exemple il y aura une bataille navale demain ou il n'y aura pas une bataille navale demain) sans contredire à une autre forme du principe de non-contradiction à savoir que du possible on ne peut pas faire sortir l'impossible. Or Deleuze et le stoïcien Chrysippe soutiennent la thèse paradoxale (classique dans sa forme) que du possible sort l'impossible. Si le principe de contradiction s'applique aux vérités d'existence c'est-à-dire à la forme du temps (le passage du futur au passage) alors vous perdez ce que vous avez sauvé d'une main.

Le paradoxe (ou argument) du dominateur posait la question de savoir si les actes du lendemain étaient dominés par le principe de non-contradiction et donc la nécessité. Un autre stoïcien de la première génération prenait le problème par l'autre bout pour sauver le principe de non-contradiction : seule l'alternative des propositions futures est nécessaire, il y a de nombreux inconvénients dont le principal consiste à limiter le principe de non-contradiction par une logique trivalente du vrai-faux-possible. Seul passé est nécessairement vrai or, paradoxe, du possible sort l'impossible. En niant que le passé soit nécessairement vrai, pour dire que le impossible ne sort pas de l'impossible, Cléante distingue le nécessaire et le fatal et fait que le passé n'est plus nécessaire mais fatal. Pour sauver le principe de non-contradiction et donc pour concilier la vérité et le temps, il devait nier qu'une proposition portant sur le passé soit nécessairement vraie. L'événement passé n'est pas nécessairement vrai, il est fatal.

On peut alors donner quatre définitions du faussaire :
- Le faussaire constitue des formations cristalline par opposition au grand créateur des formes organiques à savoir Dieu (l'homme de la description cristalline).
- Le faussaire fait que dans la narration on ne sait plus qui parle et de quoi ça parle (l'homme de la narration falsifiante).
- Le faussaire c'est celui qui du possible fait sortir l'impossible (prestidigitateur).
- Le faussaire c'est celui qui, du passé, fait quelque chose qui n'est pas nécessairement vrai (hypnotiseur, magnétiseur).


DONATO ET L'HYPNOTISME THEATRAL

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DONATO (Alfred-Edouard D'Hont), magnétiseur belge, néà Chénée, province de Liège, le 9 mars 1845, mort à Paris, 18 rue Oudinot (VIIe), le 14 novembre 1900 ("Ceux qui ont eu un NOM dans la Magie" ) Nous lisons dans le Larousse Illustré du XXe siècle : « II a rénové les découvertes de James Braid et les a popularisées par l'emploi de procédés qu'il inventa sous le titre de « fascination ». Après avoir parcouru une partie de l'Europe, il vint à Paris en 1876 et son succès suscita les expériences du docteur Charcot sur les hystériques à la Salpêtrière. » Sans commentaires !

ROBELLY

C'est Donato — le premier de ce nom — qui est vraiment le créateur de l'hypnotisme théâtral. A vrai dire, Donato, qui apprit l'hypnotisme à l'école de Charcot, devint un adversaire passionné de ce dernier. Ils avaient l'un et l'autre sur la question, des idées tout à fait opposées.

Charcot prétendait que l'hypnotisme ne pouvait s'adresser qu'aux grands névrosés, c'est-à-dire aux hystériques à crises, aux épileptiques, aux malades atteints de danse de Saint-Guy. Donato, au contraire, affirmait que n'importe qui, la première personne venue, était hypnotisable et qu'il pouvait faire sur elle des expériences, contre sa volonté. C'est sur ce point, justement, que nous devons insister pour montrer comment Donato pouvait aisément réussir en public, ou, tout au moins, donner l'illusion de la réussite.

Les expériences de Donato eurent énormément de vogue, parce que Donato connaissait à merveille l'art de suggérer la foule. Il connaissait déjà cette fameuse suggestion commerciale, que l'on étudie maintenant fort heureusement, et qui, judicieusement utilisée, est l'un des éléments principaux du succès. Donato possédait déjà, dis-je, l'art d'organiser ses séances. Il faisait accourir le public et enregistrait de grosses recettes. Lorsqu'il allait dans une ville, ses affiches étaient posées en temps utile, bien avant son arrivée. Il se servait également de la presse. Mais ce n'était là, pour Donato, qu'un moyen très éloigné de préparer son auditoire. Il lui fallait, mieux, et il le fit.

Donato, donc, arrivait dans une ville, précédé par sa réclame tapageuse faite sous forme d'affiches et par la voie des journaux. Mais il lui fallait prouver ce qu'il avançait, à savoir qu'il pouvait endormir n'importe quelle personne et produire sur elle, malgré sa volonté, des expériences captivantes. Eh bien ! Cela lui était très facile.

Donato, en arrivant dans une ville, s'inquiétait immédiatement de trouver ces fameux sujets qu'il allait influencer sur la scène. Il arrivait quelques jours avant la séance ; il se rendait aussitôt dans les grands magasins, allait voir les vendeurs, gens connus de beaucoup de personnes et il leur demandait de vouloir bien se prêter à quelques expériences d'hypnotisme. Il payait le dérangement, naturellement ; il le payait largement.

Charmeur, ayant une parole aisée, il arrivait à convaincre les jeunes gens qu'il n'y avait aucun risque et qu'en outre, la séance serait des plus amusantes. Il arrivait toujours, dans la quantité, à décider une quinzaine, une vingtaine de jeunes gens ou de jeunes filles. Il leur donnait rendez-vous et essayait sur eux l'hypnotisation. Lorsqu'il se trouvait en présence de personnes influençables, il avait bien soin de leur dire :

« Surtout, venez à ma séance et soyez dans la salle. Vous vous mettrez à n'importe quel endroit et, quand je demanderai des personnes pour subir l'hypnotisation, vous vous présenterez spontanément et vous direz que vous ne me connaissez pas. »

Aux personnes réfractaires à toute influence, eh bien, il leur demandait tout simplement de venir, de simuler des phénomènes et il leur offrait, comme aux bons sujets, une somme pour leur dérangement. Donato avait souvent sur la scène 10, 20, et quelquefois 30 personnes qu'il avait fait semblant de prendre au hasard dans la salle. Il arrivait alors à produire les états classiques du sommeil provoqué : états suggestif, cataleptique, somnambulique, léthargique. Ou ces états étaient vrais, ou ils étaient simulés.

Donato affirmait que ses sujets dormaient réellement, et personne ne pouvait le contredire. D'ailleurs, si quelqu'un se présentait pour constater un phénomène, l'insensibilité, par exemple, il avait soin de faire l'expérience sur un véritable sujet dont il connaissait d'avance les facultés. Pour donner plus d'apparat à ses expériences, Donato intensifia les procédés d'hypnotisation.

Vous savez que Charcot, à la Salpêtrière, employait des procédés très violents. Il projetait brusquement dans les yeux une lumière oxhydrique, ou bien il plaçait son sujet dans une pièce noire, et, brusquement, il faisait jaillir une grande source de lumière électrique. Sous l'influence de cette commotion, le sujet avait une dépression nerveuse, d'où sommeil, sommeil d'autant plus profond, que le sujet était plus nerveux et plus entraînéà ces expériences.

Donato augmenta encore l'intensité de ces procédés, en créa de nouveaux, comme la fascination qui est une manœuvre brutale, extrêmement dangereuse. Vous savez que lorsqu'on veut acquérir cette maitrise personnelle vers laquelle nous devons tendre, il est utile de posséder un regard que nous appelons « regard magnétique ». Mais ce regard magnétique est tout à fait différent du regard fascinateur qu'employait Donato.

Donato ne cherchait, par ses regards, qu'à fatiguer outre mesure et rapidement, les yeux du sujet qu'il désirait influencer. Il se plaçait, par conséquent, très près de lui, les nez se touchant presque. Il priait son sujet de le regarder très fixement dans un œil ou à la racine du nez, et lui, le regardait très fixement.

II déterminait ainsi ce qu'on appelle en médecine un strabisme convergent, c'est-à-dire le fait de loucher en rapprochant les deux regards. Que des personnes nerveuses essayent de loucher, en regardant, par exemple, l'extrémité de leur doigt et en l'approchant très près des yeux, elles éprouveront bientôt une gêne, une fatigue oculaire désagréable.

La fascination amène un état congestif du fond de l'œil du à la tension du regard, et la personne, après l'expérience, a la tête lourde, congestionnée. C'est justement là le grand danger des expériences faites par Donato, danger qui s'est produit sur de grands nerveux et qui a fait interdire l'hypnotisme en représentations publiques.

Donato fit un jour, comme d'habitude, avec grand renfort de réclame, des expériences dans une ville de Belgique. Il hypnotisa une personne. Lorsque Donato l'eût fixé quelques instants, le sujet était tellement subjugué, qu'il suivait Donato sans pouvoir opposer la plus petite résistance.

L'hypnotiseur venait-il à se déplacer vivement, le sujet courait après lui ; il était véritablement attachéà son regard. Donato pouvait faire cesser cette hypnotisation quand il le voulait ; il n'avait qu'à fermer les yeux du sujet et à lui donner la suggestion : «Éveillez-vous, vous êtes calme », et le sujet se réveillait se déclarant tout à fait calme. Ce calme n'était qu'apparent. Il est établi que la répétition des expériences augmente la sensibilitéà l'hypnotisme.

Ce sujet, que Donato avait hypnotisé brutalement sur la scène vit donc sa faiblesse nerveuse augmenter et dans les rues de la ville où il se trouvait, il fut bientôt fasciné par les feux lancés par les phares des automobiles. Il ne pouvait plus sortir le soir sans être la proie des sources de vive lumière. La fascination avait augmenté sa névrose et il fallut le soigner. La justice informa, il y eut des enquêtes, des expertises, et finalement un projet de loi, et l'hypnotisme fut interdit en Belgique en représentations publiques.

La France, elle aussi, a interdit les séances d'hypnotisme faites en public. Seules sont autorisées les expériences faites devant une société d'études légalement constituée. Mais, me direz-vous : « Comment ! Les expériences d'hypnotisme sont interdites en représentations publiques ! Mais on en voit journellement dans les foires et dans les cafés ». Certes, mais c'est simplement parce que les lois, les arrêtés sont si nombreux que la police ne peut tous les connaître.

D'ailleurs, les hypnotiseurs de scène se sont ingéniés à tourner la difficulté. Et voici le « truc » qu'ils ont imaginé : ils sollicitent de la Préfecture de Police une autorisation en déclarant que les expériences sont simulées. Et ce n'est certes pas l'inspecteur, vraisemblablement peu au courant de la question, qui aura peut-être pour mission de venir contrôler les expériences, qui pourra les contredire. Ce truc a fait ses preuves. Donato, qui avait été poursuivi pour infraction à cette loi, plaida dans cet esprit : « La personne qui me sert n'est pas un sujet ! C'est un compère. Prouvez- moi qu'il dort réellement ! » On ne peut faire la preuve que le sujet dormait et Donato fut acquitté.

La gravure ci dessus représente le célèbre Donato hypnotisant les foules. A la fin du siècle dernier, le fameux « magnétiseur » en fit cadeau à son élève Dalmoras, et la veuve de ce dernier, Mme Mariska, eut la générosité de nous offrir ce document inédit pour les lecteurs de L'Escamoteur.

Les hypnotiseurs professionnels qui font des tournées théâtrales savent qu'une mise en scène bien présentée est un grand élément de succès. Ils prennent des titres ronflants : le fameux Un Tel, le célèbre X..., le « Mage de l'Himalaya », le « Médium » le plus puissant du monde, un « Phénomène télépathique », la « Merveille du siècle », etc., etc.

Cela fait en province, et même dans Paris, beaucoup plus d'effet qu'on ne pense. Un peu de publicité habilement rédigée dans les journaux les plus répandus, des affiches éclatantes exposant le portrait de l'illustre maître et le programme incomparable (tous les programmes sont incomparables) de la séance sont également d'un puissant effet. La foule, qu'il faut avoir étudiée pour connaître à fond sa suggestibilité, est déjà médusée, la bataille est déjà gagnée avant d'avoir commencé.

Quant à la séance, sa présentation est soignée. Si l'opérateur est aussi conférencier — ce qui manque à la plupart — la conférence est un moyen de préparer mieux encore l'attention émerveillée du public. Ce qui fit le succès de Donato, c'est surtout qu'il s'exprimait avec aisance, qu'il pouvait engager des discussions, des polémiques avec les personnes instruites de l'auditoire, sur l'hypnotisme et la suggestion qu'il avait assez approfondis.

H. DURVILLE

A lire :
-Le Magnétisme animal : études sur l'hypnose d'Alfred Binet et Charles Fere. Ouvrage publié en 1887 et réédité en 2006 aux Editions L'Harmattan.
-Cinéma et Hypnose de Mireille Berton.
-Hypnose et cinéma muet.
-Les révélations d'un magnétiseur.

ETRE CREATIF EN MAGIE

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«Étendre la magie dans différentes directions, réappliquer les vieux principes et rechercher de nouvelles inspirations, est une part essentiel de l'art. Tous les magiciens devraient aspirer à de nouvelles idées et réfléchir de manière créative à la magie qu'ils font, et la magie qu'ils voudraient faire dans le futur. » Jim Steinmeyer, The Dog & the Hoop (Strange Power, 1992).

Combien de fois avez-vous entendu ces charmants mots «être créatif », ou « créativité», utilisés incorrectement ? Comme « individualité» et « développement personnel », ils sont devenus des slogans qui reflètent notre époque et nos valeurs. Ils sont répétés à chaque occasion, bonne ou mauvaise. Dans un livre dont le titre était Dessins créatifs où il suffisait de relier des points numérotés ; Est-ce là la création ? Si vous recherchez dans le dictionnaire, vous pourrez lire que « créer » vient du latin et qu'il veut dire « commencer, inventer ».

Lorsque je connecte les points pour faire un dessin, je « construit » le dessin, mais je ne crée pas une nouvelle image. Je ne fais que « reproduire » quelque chose qui existe déjà. Dans le scénario le plus positif, si j'utilise des couleurs autres que celles suggérées, je peux « modifier » l'image, mais pas en « créer » une nouvelle.

Ceci ne veut pas dire que l'on ne parle de « création » que lorsque quelque chose est créé sans aucune relation avec ce qu'il l'a précédé. Au contraire, si vous les examinez de près, les nouvelles idées sont basées sur quelque chose qui existe déjà. C'est le rapprochement de nouvelles connexions autant que les combinaisons originales d'idées qui existaient déjà que l'on appelle généralement « créativité» ou même « idées ».

Dans la discussion ci-après nous verrons que lorsque l'on veut accroître la créativité, on est dépendant d'un certain nombre de choses complexes :

- La manière de penser. Plus on permet de mouvement et de libertéà la pensée, et plus on s'en remet à notre inconscient, et plus c'est facile.
- Connaissance. Plus on connaît de chose, et plus c'est facile.
- Honnêteté. Plus on est ouvert aux autres, à leurs critiques, à leurs idées non traditionnelles, et plus c'est facile.

Notre raisonnement conscient est basé sur le fait que notre cerveau sélectionne et organise nos pensées. De cette manière, les pensées qui nous viennent à l'esprit sont réduites à celles que nous sommes capable de traiter. Cela peut aisément être comparé au mécanisme de perception de nos sens. Par exemple, dans un endroit bruyant, nous pouvons entendre la personne avec laquelle nous parlons, parce que nous écoutons consciemment. Le bruit de la rue se dissout dans l'arrière-plan, même s'il est plus puissant que la conversation. Si notre attention est attirée par le chant d'un oiseau, nous l'écoutons de manière active, bien qu'il fût, juste auparavant, complètement caché de notre perception consciente (En psychologie, ce phénomène de perception sélective est appelée « Théorie de la filtration »).

L'importance du « processus de filtration » sur notre perception peut être vue sur les autistes. Ils souffrent d'une perturbation du filtre de perception et enregistrent tout leur environnement, non filtré, dans un ratio de 100%. Cela amène un déluge de stimuli, que les malades autistes tentent instinctivement de gérer en se coupant du monde extérieur. Tenter de réduire cet environnement conscient (par exemple en se cachant sous une table) ou présenter une réaction de substitution (par exemple se balancer d'avant en arrière) sont des actions naturelles à ce type de surcharge de stimuli. (1)

Il y a aussi un filtre pour nos pensées, qui est similaire au filtre de la perception sélective. Faisons une comparaison mécanique : On peut imager une « valve » entre le « conscient » et l' « inconscient » qui régule le transfert et l'échange de fragments de pensées entre les deux. Dans ce processus, les pensées sont gérées selon leur degré d'utilité. La taille de la valve détermine la quantité l'ampleur des pensées qui peuvent y transiter, c'est à dire les associations dont nous avons conscience. Les associations qui ne sont pas utiles sont éliminées avant d'entrer dans notre champ de conscience. Ces valves sont souvent de tailles différentes suivant les domaines. Certaines personnes ont, comparativement, une petite valve dans le domaine visuel, et elles ont du mal à trouver des associations pour les images abstraites, d'autres ont un potentiel énorme dans le domaine des mathématiques et sont plus créatifs dans cette activité.

Bien que l'on puisse définir le concept de créativité, penser de manière créative et être créatif ne peuvent être définis. En examinant plusieurs personnes, on peut déterminer certaines similarités dans le processus créatif, mais il n'y a pas de règles qui garantissent la réussite en augmentant notre propre créativité. D'un autre côté, il y a des « exercices » qui peuvent aider à modifier notre manière de penser dans un sens plus créatif. On donnera un exemple de cela à la fin de ce chapitre. Si je veux être créatif, je dois d'abords s'avoir « où». Dans notre cas, le domaine où doit s'exercer notre créativité est la magie. Je pense qu'il y a trois domaines, dans la magie, où la créativité est importante. Ces domaines sont : l'« effet », la « technique » et la « présentation ». Les trois sont liés mais commençons par les examiner séparément.

L'EFFET

Dans « effet », je sous-entends «événement magique ». L'effet pur, indépendant de la présentation. Dans un tour de cartes, par exemple, une carte est choisie, signée, remise dans le jeu. Elle disparaît pour réapparaître à un autre endroit. Lorsque je pense à un nouvel effet, j'essaie de le faire, non seulement de manière indépendante de la présentation, mais aussi en m'affranchissant des limitations techniques. Je compare la construction d'un effet magique au Thalic-circle en géométrie :

Le point A est la réalité et le point B est notre rêve magique, l'effet souhaité. Si nous pouvons connecter les points A et B avec une ligne droite, alors nous pourrons montrer de la vraie magie. Si on est obligé d'ajouter un point X (le point faible du tour, mais c'est le prix à payer lorsque nous voulons créer une illusion), alors la ligne devient un triangle. Suivant les différentes techniques que nous souhaitons utiliser, on peut déplacer le point faible entre A et B. Cela ne veut pas dire que l'effet sera meilleur si le point faible est plus proche de A ou de B, même si le triangle est plus plat. Quelque soit la position du point X, l'angle en X sera toujours de 90° et représentera toujours le même point faible. La position de X démontre seulement que l'on peut modifier le point focal d'une méthode secrète conformément à nos besoins personnels dans le but de trouver la méthode qui nous convient le mieux pour réaliser l'effet.

LA TECHNIQUE

La technique est importante. On peut se rendre compte de cela par le fait qu'il est possible de faire des effets aujourd'hui, que l'on ne pouvait pas faire dans le passé. C'est vrai pour les techniques manuelles, les manipulations, aussi bien que pour les technologies, que ce soit mécanique, électrique ou électronique. Un bon exemple du développement créatif dans les techniques mécaniques est donné par les tours de la société japonaise Tenyo.

La créativité est importante d'un point de vue technique dans les deux domaines suivants :

- Dans la phase de préparation, seul dans votre bureau. Il s'agit d'une créativité analytique qui est particulièrement intéressante pour nous.
- Dans la phase de représentation, par exemple lorsqu'on travaille de table en table. Ici, c'est la créativité spontanée qui est souvent nécessaire afin de répondre aux attentes spécifiques du public. On pourrait parler de créativité ad-hoc ou spontanée.

1- La phase de préparation

Plus un magicien a de connaissance, et plus il est facile pour lui de créer de nouvelles idées. Je parle des connaissances de base en termes de manipulations et de techniques, en absence de contexte (d'effets). Ce n'est qu'en les regardant individuellement que l'on peut utiliser cette connaissance de base dans un sens créatif. Certains magiciens pensent qu'une grande connaissance des méthodes magiques n'est pas nécessaire. Sans ce fardeau hérité qu'est cette connaissance, on est forcé d'aller dans de nouvelles directions et de trouver des solutions nouvelles et créatives. Ce point de vue ne peut être totalement rejeté. Un exemple de cela est donné par les magiciens d'Extrême Orient. Ils ont été forcés - résultat de leur isolement - de développer de nouvelles techniques. Les magiciens occidentaux ont toujours été impressionnés par cette autosuffisance créative. Ceci était dû au fait que les « nouvelles » techniques étaient dans beaucoup de cas, inconnues à l'Ouest et pouvaient ainsi tromper plus facilement. Tromper le spécialiste est digne d'éloge (et très peu de gens vivent de cela), mais cela ne garantit pas que la meilleure méthode pour réaliser un effet a été trouvée.

En cherchant la méthode idéale, une analyse détaillée du problème ainsi qu'une approche ludique sont d'une grande importance. C'est seulement quand je sais ce que je veux, et quand je veux y aller, que je peux trouver. Comme Jim Steinmeyer a dit : « Tout problème contient et révèle sa propre solution ... Avec les meilleurs et les plus parfaits tours de magie, l'effet et la méthode forme un ensemble harmonieux ». Une grande connaissance des choses de base ainsi que l'analyse du problème peuvent être avantageux dans ce cas. Plus on peut puiser dans un nombre important de méthodes et plus il sera facile de trouver la technique idéale. (2)

Amélioration par la simplification

Un moyen de trouver la technique idéale est de la modifier et (ou) la simplifier. Cela peut être fait de deux manières :

- la complexité réelle d'une manipulation est réduite (le magicien en est heureux)
- La manipulation reste (malheureusement) difficile et complexe, mais apparaît plus simple, plus naturelle donc plus réaliste et meilleure (Le spectateur pourrait être heureux de cela).

Ce travail ne doit pas être sous-estimé. On doit comprendre une manipulation ou un ensemble de manipulations (par exemple, une disparition de pièce) afin d'être capable de la voir d'un certain point de vue. Et seulement avec cette distance qu'il est possible de reconnaître les points faibles et de les éliminer. (3)

C'est comparable à la peinture abstraite. Bien qu'une personne sur deux qui regarde une peinture abstraire maintienne qu'elle pourrait en faire autant, il est étonnant que la plupart des œuvres abstraites soient créées par des artistes qui ont étudiés les techniques de peinture classique et qui ont copiés les artistes classiques pendant des années avant de développer leur propre style abstrait (ex : Kandinsky, Picasso).

La création de nouvelles techniques

Il est possible que l'on ne trouve pas une technique appropriée pour réaliser un effet. Lorsque les conseils des collègues magiciens (pour augmenter le savoir de base) ne sont d'aucune utilité, j'ai quelquefois fait ce qui suit : Je parcours l'histoire de l'effet sans faire le tour jusqu'à ce que je trouve un point dans la procédure qui semble plausible pour une technique. Ensuite je tente d'aller dans cette direction jusqu'à ce que je trouve une manière d'utiliser cette technique. J'ai appelé cette manière de faire : « Prendre les choses de l'intérieur ». (4)

Si je ne trouve aucune idée à travers le scénario, j'écris en détail tous les mouvements nécessaires pour l'effet et tente analytiquement de découvrir une technique pour le tour, mais de l'extérieur. Le moment précédent le début de l'effet doit être pris en compte, puisqu'une partie du tour peut être préparée avant la présentation. Si, finalement, je trouve plusieurs solutions pour la technique du tour, je les joue toutes dans l'ordre pour trouver la meilleure.

2- La phase de représentation

Les techniques de créativité dont je parle ici trouvent leur application dans le travail de table en table. Pour la magie de scène, le programme se déroule normalement suivant un scénario fixé et les corrections spontanées dans la technique ne sont nécessaires que lorsque quelque chose se déroule mal. Lorsque l'on travaille de table en table, la distance nous force àêtre préparéà ce qu'un spectateur interfère, en ne remettant pas sa carte dans le jeu, ou en expriment d'autres souhaits. Une tentative de réalisation de ces souhaits peut être très dangereuse car beaucoup de spectateurs essaient de forcer à la limite de ce qui est techniquement possible. Si l'on accepte le défi et qu'on les relève correctement, cela devient une démonstration convaincante de nos capacités magiques, et cela met l'artiste sur un piédestal.

Une autre manière de « coller » aux circonstances est décrite par Daryl sous le titre de « Jazz-Magic ». Durant la présentation d'une routine de carte ambitieuse par exemple, Daryl sait exactement par quelles manipulations il commence et il termine. Cependant, suivant la situation et suivant l'humeur du public, il peut modifier l'ordre des manipulations. La présentation devient très commerciale car elle colle idéalement à chaque public. (5) Même là, ce qui a été dit reste valide : Plus on connaît de méthodes et plus on peut trouver un moyen de s'en sortir. Cependant, dans ce cas, les « méthodes » doivent être bien maîtrisées, ce qui n'est pas forcément le cas pour le travail de recherche fait chez soi puisqu'une connaissance « passive » est suffisante dans un premier temps.

LA PRESENTATION

Pourquoi les spectacles très originaux (en supposant aussi une technique parfaite) restent dans le mémoire plus longtemps que les autres ? A mon avis, cela a à voir avec l' « histoire » sur laquelle le spectacle est basé. Au départ, lorsque vous développez une histoire, la magie peut être négligée, mais ensuite, vous devez trouver la manière de travailler avec les effets. Cette procédure augmente les chances de développer quelque chose qui donne, du point de vue du spectateur, une « signification »à la magie, plutôt que simplement quelque chose à part. Cela nous force à aller dans de nouvelles directions et de trouver des solutions créatives afin de les combiner pour former un programme. Le traitement et l'histoire ne doivent pas paraître artificiels.

Beaucoup de magiciens ont des difficultés à développer une histoire et une présentation originale. Dans beaucoup de cas, c'est parce qu'ils ne se sont pas assez entraînés. Malheureusement, beaucoup de magiciens se considèrent eux-mêmes comme étant talentueux dans tous les domaines et ne s'occupent pas de la dramaturgie, des costumes, de la musique, etc. Le fait est que très peu de gens en connaissent assez sur ces différents domaines pour arriver à un résultat professionnel dans chacun d'eux. Pourquoi ne pas profiter de l'aide d'autrui (magiciens, metteurs en scène, acteurs, etc.) afin de dépasser nos propres limitations ? Notre groupe, les Flicking Fingers est basé sur le fait qu'un groupe de 10 têtes pense plus loin que 10 personnes isolées.

Le développement de l'histoire et les idées de présentation qui s'y rapportent évitent de faire l'erreur de ne montrer que vos tours favoris, simplement les uns après les autres. Les effets individuels sont souvent le résultat de la surprise. Lorsque vous faites un effet après l'autre, vous avez une collection de surprises, chacune d'entre elles peut être bonne, mais la structure entière de la présentation n'atteint souvent pas le degré de tension dramatique voulu. Darwin Ortiz maintient que souvent on se soucie trop peu du suspense et trop de la surprise. Le suspense naît lorsque le spectateur sait ce qui va se passer mais est captivé par « la manière de faire ». Cependant, ce n'est pas parce qu'il suspecte ce qui va se passer, qu'il sait comment fonctionne le tour. Parce que le spectateur suspecte correctement ce qui va arriver, il a aussi cette satisfaction, en plus de la magie. (6)

Hitchcock appelait « suspense », la connaissance de la fin. Truffaut a décrit en détail comment Hitchcock travaillait avec le suspense et la surprise : Le public voit la bombe sous la table d'un couple de personnes dans un restaurant. Les deux personnes discutent de manière détendue. Le public a un temps d'avance par rapport au couple et voudrait l'avertir du danger. De cette manière Hitchcock créer une tension constante qui contribue plus à la scène qu'une bombe explosant soudainement sans avertissement. (7)

Les effets et les histoires ne doivent pas être trop complexes. Nous passons beaucoup de temps à travailler notre spectacle, mais le public doit être capable de le comprendre dès la première fois. Une présentation qui est élaborée de cette manière aide non seulement à intensifier l'effet, dans le meilleur cas, elle peut aussi supporter la technique, ou même la remplacer. Un exemple de cela est un effet de Juan Tamariz dans lequel il nomme plusieurs couleurs dans sa routine de canifs, que l'on en a effectivement vu et que les spectateurs croient avoir vu. C'est un effet qui pourrait être réalisé par un échange secret des canifs. Pour comprendre l'effet, on peut reprendre la théorie du triangle nommé plus haut : Le point X peut être déplacé en choisissant des techniques diverses, mais aussi en choisissant la bonne présentation (8). Nous reconnaissons que ces domaines individuels (effet, technique, présentation) interagissent fortement les uns avec les autres et, ensemble, construisent une unité. Cela doit être pris en compte encore et encore dans le processus de création.

APPRENTISSAGE DE LA CREATIVITE

En mentionnant la « valve » entre conscience et inconscience, je sous-entends que vous pouvez influencer votre pensée créatrice par la pratique et la technique. Il y a plusieurs manières de changer l'efficacité de la « valve » afin d'améliorer votre maîtrise du potentiel associatif des pensées inconscientes.

- Brainstorming. Traduction libre : être assis ensemble dans une chambre d'hôtel lors d'un congrès de magie, tard dans la nuit, et échanger des idées. On est assis confortablement avec d'autres (la formation d'une « atmosphère créative et décontractée » est utile) pour discuter sur un sujet et tout le monde peut dire ce qui lui passe par la tête. Les participants ne peuvent critiquer ou éliminer une idée. Tout est permis et toutes les idées sont notées et quiconque a de nouvelles associations les exprime. C'est seulement à la fin que l'on tente de trier les idées qui ont été jetées en vrac sur le papier, pour sélectionner celles qui peuvent être utilisées.

- Hypnotisme, méditation, rêves. Briser les limites causées par les « valves fermées » de l'inconscient et la perception de celui-ci peut aussi être réalisé par l'hypnotisme, la méditation (comme le yoga), et les rêves. En se relaxant et en s'isolant des distractions, il est plus facile d'entendre la « voix intérieure » du subconscient. Avec des exercices spéciaux, cela peut être influencé consciemment afin d'augmenter votre potentiel créatif. Par exemple, on peut influencer les rêves en réfléchissant au « problème » sur lequel on travaille, plusieurs fois dans la journée et reprendre ces idées justes avant de s'endormir. Les rêves étant souvent le reflet de ce qu'il s'est passé dans la journée, il y a de bonnes chances pour que l'effet magique soit repris et développé plus profondément pendant les rêves. Personnellement, je n'ai jamais réussi à faire cela, mais dans la littérature sur la psychologie et l'ésotérisme, de multiples tentatives réussies sont décrites.

L'ERUPTION SPONTANEE

L'effet « Gummi-Bear Penetration » traite un cas dans lequel l'idée pour un effet a littéralement jailli de la situation. Même s'il semble que l'étincelle de créativité soit venue de nulle part, elle est souvent précédée d'un long travail. Souvent on travaille sur une idée et il devient impossible d'aller plus loin. On se trouve dans un cul-de-sac. Lorsqu'on arrive à une telle situation, on devrait s'arrêter de travailler sur le problème pour aller sur des choses complètement différentes. Lorsque le corps et l'esprit sont distraits, ou (mieux) décontractés, le problème est souvent étudier plus profondément par le subconscient jusqu'à ce qu'il trouve une solution. Comme la décrit de manière pittoresque Thomas Fraps : De la même manière que les virus, une idée a besoin d'un délai d'incubation, le temps que l'on devienne infecté et cela prend du temps pour qu'une idée se développe. (9)

JEUX D'ASSOCIATION

De tels jeux sont plus faciles lors d'une session de brainstorming, mais on peut aussi y jouer tout seul. Il y a de nombreuses possibilités. J'ai penséà un jeu qui est décrit ci-dessous, sous le titre « Brainstorming/Brainwarming... ». Amusez-vous avec.

BRAINSTORMING/BRAINWARMING/BRAINWORMING/BRAINBORING

Le jeu est simple : Prenez un effet bien connu comme point de départ et modifiez son nom utilisant des mots ou des associations, mais aussi des variations quant à son contenu. En fait, tout est possible, mais pour éviter des milliers de combinaisons, le mieux et de déplacer sa penser suivant les associations de mots et de contenu, pour atteindre doucement des lieux nouveaux. Continuez jusqu'à trouver une nouvelle idée d'effet. Ceci implique que vous avez à vérifier la faisabilité de nouvelles créations de temps en temps.

Un exemple :
- Carte au plafond. Notre point de départ Card on dealing ...
- Carte dans le plafond. La carte s'incruste dans le plafond.
- Carte sous le plafond. Sans doute "plancher"
- Carte sur le sol. La carte est trouvée sur le sol, derrière les spectateurs ? Carte sous la table
- Carte sous un pied de table pourrait être excellent dans un restaurant. Table volante dans la mauvaise direction. Carte dans le pied de table.
- Carte sous la peau ...
- Carte caoutchouc. Melting card. Salvador Dali. Carte liquide
- Carte glacée
- Glaçons. Des glaçons ayant la forme des symboles des cartes, le nombre de glaçons donnent la valeur. Utile ? Bingo !

Avec quelques modifications voici le résultat nommé : L'effet glaçon

Vous êtes assis au bar avec un verre et vous êtes en train de montrer vos derniers tours de cartes. Mais, durant un tour, vous n'arrivez pas à trouver la carte sélectionnée. Perplexe et irrité, vous videz votre verre d'un trait. Soudain, vous constatez quelque chose dans le verre vide et dites : « Je vois votre carte. Regardez ! ». Le spectateur ne voit rien au début, mais dès que vous versez les glaçons sur le bar, il reconnaît trois cubes de glace dont la forme ressemble à des « carreaux » : Trois de carreaux ! La carte sélectionnée doit, bien sûr, être le trois de carreau.

ENFIN

Même si le travail créatif est difficile, Thomas A. Edison, a dit un jour : « Une idée consiste en 1% d'inspiration et 99% de transpiration ». Attendre le baiser de la muse peut vous prendre un temps fou, mais croyez-moi, lorsque la Muse vient, elle embrasse très bien.

Bibliographie :

- Garfield, Patricia : Dreaming Creatively, Ansata, Switzerland 1993.
- Gunthert Gottlieb : Seven Golden Rules For Developing Creativity, Scalo Zurich 1994.
- Hofstadter, Douglas R. : Metamagical Themas : Questing for the Essence of Mind and Pattern, Basic Books 1996.
- Elliot, Russel-Clark, Willich : A Process in Creativity ? RCA, London, 1993.

Notes :

- (1) The Man Who Mistook His Wife for a Hat : And Other Clinical Taies, Oliver Sacks (1987).
- (2) Jim Steinmeyer, The Dog and the Hoop, in Strange Power (1992).
- (3) I just spoke with Thomas and Helge about the topic "basic knowledge" and they both stared at me with this "Do-you-know-what-you-are-talking-about" look. Why do I sometimes feel so misunderstood ?
- (4) Mind Movie by Tommy Wonder in The Books of Wonder Vol.I, p.53, Wonder and Minch (1996).
- (5) Scratching the Surface in Lecture Notes to Convention session No.l by Daryl (1982).
- (6) Darwin Ortiz, Stronger Magic in MAGIC magazine (October 1995).
- (7) Hitchcock - Truffaut, 1985.
- (8) Rainbow of Knives in Sonata, Tamariz (1993).
- (9) The Psychology of Invention in the Mathematical Field, p. 12, Jacques Hadamard, Dover Books (1954).

- Traduction du texte Being Creative with Magic de Jörg Willich (des Flicking Fingers).

A lire :
-La créativité en magie.
-Fondations de Eberhard Riese (Editions Magicdream, 2008).
-Stong Magic de Darwin Ortiz (Editions Magicdream, 2012).
-Créativité magique par Duraty.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

MAGICAL / Annie DORSEN et Anne JUREN

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Sur scène, un rideau blanc s'ouvre sur un cube. Celui-ci bouge tout seul au son d'une bande de répondeur téléphonique. Le rideau se referme un temps et s'ouvre sur « une scène de ménage ».

La parfaite ménagère

Une femme habillée en ménagère modèle nous fait face. Elle est placée derrière une table où se trouve différents ustensiles de cuisine : saladier, hachoir, gobelet, casserole, couteau, etc. Par des gestes répétitifs et assimilés depuis des générations, la ménagère nous présente ses « outils » de travail un à un sur le mode d'un répertoire magique.

Ainsi, un gobelet est mit dans une casserole qui est remplit d'eau. L'eau disparaît pour réapparaître dans le gobelet. L'opération « cup/pot/water » est répétée plusieurs fois d'affilé. Le gobelet rempli d'eau est ensuite placé dans un sac en papier, puis celui-ci disparaît quand le sac est écrasé.

La ménagère passe ensuite en revue différents accessoires : batteur, fourchette, grattoir, presse à hamburger, pic à glace, presse citron, couteau, louche, etc. Elle verse ensuite du sel sur la table d'où elle produit un œuf. L'œuf disparaît dans une serviette et réapparaît. De l'eau est versée dans un entonnoir. Celui-ci est ensuite placé sur le sein de la femme et en ressort du lait. Vient ensuite l'apparition d'un soutien gorge d'une boîte. Pour finir, la ménagère craque une allumette, s'immole la main et jette ce feu dans la casserole qui disparaît instantanément dans un éclair.

Dans ce premier tableau, la prestidigitation est utilisée de façon symbolique et renvoie à une certaine naïveté de l'objet. C'est pourquoi, les techniques choisies sont volontairement basiques. Cet inventaire d'ustensiles de cuisine est à la fois drôle et tragique dans sa répétition même. La mise en scène théâtrale et kitsch accentue le côté malsain des saynètes à l'opposée des imageries de la parfaite ménagère, femme modèle et moderne des années 1960.

Check your body

Le rideau s'ouvre sur un deuxième tableau encore plus subversif. La femme nous revient habillée en robe de soirée, armée d'une paire de ciseaux. Celle-ci commence à découper sa robe, petit bout par petit bout, en fixant le public dans les yeux. Finissant en sous vêtements, elle continue à couper son soutient gorges et sa culotte pour finir nue. Elle pointe alors la paire de ciseaux sur son avant bras qui saigne et passe ensuite la lame sur son poignet ensanglanté. Une autre femme nue (Annie Dorsen), arrive sur scène pour ramasser les affaires et les accessoires.

La femme couverte de (faux) sang, place le reste de la robe sur son visage et entame une danse tribale interminable de 10 minutes sur une musique rythmée et dissonante. Plus l'exposition de ce corps nu et meurtri dure, plus le malaise et l'écoeurement nous gagne. La femme devient un objet sans identité (visage « voilé»), un morceau de chaire blanche jetée au voyeurisme du public sous la lumière crue de la scène.

D'un coup, la musique déraille et produit des sons psychédéliques stridents. Elle se transforme en rock électrique. Sur cette bande son orgasmique recréée par Christophe Demarthe, reprenant une chanson de Led Zeppelin, le corps de la femme effectue des mouvements robotiques de break dance, puis reprend ses spasmes saccadés jusqu'à s'écrouler par terre, « morte » de fatigue.

En parallèle, une performance vidéo de Carolee Schneemann est projetée sur le rideau de scène. Il s'agit de Meat Joy (1964), un rite dionysiaque et érotique faisant référence à l'excès, l'indulgence, et la célébration de la chair comme outil de travail, où poissons, poulets crus, saucisses et plastique transparent sont utilisés.

L'origine du monde

Le rideau s'ouvre sur le troisième et dernier tableau. Sur une musique d'ascenseur, le corps nu conventionnel et aseptisé d'Anne Juren, revient sous une attitude joviale et décomplexée. Elle va nous présenter un « numéro » façon « cabaret coquin ».

Elle exécute devant nous la fameuse disparition du foulard rouge, un classique de la prestidigitation, ultra débiné depuis. Ainsi, le foulard disparaît de son poing pour se retrouver successivement dans son oreille, son nez, sa bouche, ses fesses et son vagin. Cette présentation nous rappelle le numéro de cabaret Hanky Panky de l'écrivain et actrice britannique Ursula Martinez, mêlant strip-tease et prestidigitation, en détournant de façon surprenante l'utilisation du FP.

Le foulard se transforme ensuite en ruban Multicolore. Celui-ci n'en fini plus de sortir du vagin de la femme ! Une longueur impressionnante comme dans les productions de Ruban à la bouche, la subversion en plus.

La femme s'allonge ensuite sur une estrade et sort de son sexe deux piles alcalines modèle LR20 (comme pour faire fonctionner une poupée modèle géant), et une guirlande de diodes lumineuses façon D'lights. Elle effectue ensuite le tour du foulard Kellar qui lévite. Apparaît alors une image sur le foulard. On se rend compte que cette image est projetée depuis son sexe par un minuscule projecteur vidéo ! Cet « oeil féminin » diffuse la performance Meat Joy de Carolee Schneemann, sur le rideau de scène puis dans la salle. « Je suis à la fois l'artiste à l'origine de l'image, et l'image même » dira Carolee Schneemann.

La femme disparaît ensuite derrière le rideau et revient en robe de soirée, en nous lançant des cotillons comme à la fin d'un numéro magique de manipulation. La chorégraphe Annie Dorsen rejoint Anne Juren sur scène pour saluer le public.

Le dessous des cartes

Magical : sous ce titre, passe partout et ultra connoté, se cache une réinterprétation de cinq performances fondatrices réalisées dans les années 1960 et 1970 par quatre artistes devenues emblématiques : Martha Rosler, Yoko Ono, Marina Abramovic et Carolee Schneemann. Des actes féministes rattachés au mouvement artistique du Body art qui mettaient en jeu le corps féminin dans des actions kamikazes, pour mieux dénoncer les fausses évidences.

Le tableau de « la parfaite ménagère » est inspiré de la vidéo de Martha Rosler, Semiotics of the Kitchen(1975), qui passe en inventaire, les différents ustensiles d'une cuisine.

Le tableau de « check your body » est inspiré des performances de Yoko Ono, Cut piece (1965) qui abandonnait ses ciseaux au public, laissant à celui ci la responsabilité de découper ses vêtements, de la dénuder ou non. Et de Marina Abramovic, Freeing the body (1976), qui dansait jusqu'à l'épuisement.

Le tableau de « l'origine du monde » est inspiré de Carolee Schneemann, Interior Scroll (1975), où un discours extrait de son vagin est lu par la performeuse.

« J'ai envisagé le vagin de plusieurs façons : physiquement, sur le plan conceptuel, comme une forme sculpturale, un référent architectural, une source du savoir sacré, l'ecstasy, le passage de la naissance, de la transformation. Je vois le vagin comme une chambre translucide dont le serpent serait un modèle vers l'extérieur, animé par son passage du visible à l'invisible, une spirale entouré de la forme du désir et du mystère. Les attributs sexuels des deux pouvoirs féminin et masculin. » Carolee Schneemann

Le rôle de la magie

Dans Magical, la prestidigitation a un rôle prépondérant, car elle accentue le côté théâtral, kitsch et décalé de la représentation. Elle apporte un second degré spectaculaire, au sens de l'esbroufe. Elle convoque aussi et surtout l'emprise de l'homme sur la femme, car historiquement l'art de la prestidigitation est misogyne. Le magicien « killer » est le plus souvent entouré d'une ou de plusieurs assistantes (sexy ou très dévêtues) qui ont un rôle de potiche. Elles flattent l'œil et détournent l'attention du spectateur.

Dans Magical, ces conventions sont poussées jusqu'à l'extrême. Le corps féminin se donne à voir dans sa nudité crue et l'attention du spectateur est hypnotisée par cette présence subie. L'assistante devient le magicien et brouille les repères établis.

En choisissant volontairement un répertoire de tours classiques, le magicien-conseillé Steve Cuiffo et Annie Dorsen, ont pu faire travailler Anne Juren sur la présentation et la gestuelle stéréotypée d'une démonstration plutôt que d'un acte purement magique.

L'autre fonction de l'illusion est de ne pas mettre le corps en danger contrairement aux performances exécutées dans les années 60-70. Nous sommes donc bien dans un « divertissement trash ».

Un constat sans appel

La chorégraphe Annie Dorsen et la performeuse Anne Juren proposent avec Magical, une relecture décontextualisée de performances inspirées, à la base, par les mouvements féministes et gauchistes visant une portée politique. En déplaçant les enjeux sociaux à des enjeux purement spectaculaires, le duo réinterroge subtilement la place de la femme dans la société de consommation et du spectacle, en mettant en place un dispositif scénique d'une froideur conceptuelle. Après des décennies de combats féministes, que reste t-il de l'imagerie et du rôle de la femme dans la société capitaliste ?

Instrumentalisée, comme la figure potiche de l'assistante du magicien, exposée et exhibée à tous les regards, la figure féminine reste dans une position de marchandise soumise à la loi des hommes, même si celle-ci à l'illusion d'être libérée et de prendre son autonomie en main ! Un constat terrible qui est plus que jamais d'une actualité brûlante.

Crédit photos : Roland Raushmeir. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

BERGSON / "Déjà vu"

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L'illusion sur laquelle nous allons présenter quelques vues théoriques est bien connue. Brusquement, tandis qu'on assiste à un spectacle ou qu'on prend part à un entretien, la conviction surgit qu'on a déjà vu ce qu'on voit, déjà entendu ce qu'on entend, déjà prononcé les phrases qu'on prononce - qu'on était là, à la même place, dans les mêmes dispositions, sentant, percevant, pensant et voulant les mêmes choses - enfin qu'on revit jusque dans le moindre détail quelques instants de sa vie passée. L'illusion est parfois si complète qu'à tout moment, pendant qu'elle dure, on se croit sur le point de prédire ce qui va arriver : comment ne le saurait-on pas déjà, puisqu'on sent qu'on va l'avoir su ? Il n'est pas rare qu'on aperçoive alors le monde extérieur sous un aspect singulier, comme dans un rêve ; on devient étranger à soi-même, tout près de se dédoubler et d'assister en simple spectateur à ce qu'on dit et à ce qu'on fait. Cette dernière illusion poussée jusqu'au bout et devenue « dépersonnalisation », n'est pas indissolublement liée à la fausse reconnaissance ; elle s'y rattache cependant. Tous ces symptômes sont d'ailleurs plus ou moins accusés. L'illusion, au lieu de se dessiner sous sa forme complète, se présente souvent à l'état d'ébauche. Mais, esquisse ou dessin achevé, elle a toujours sa physionomie originale.

[…] Mais voici que, relisant les observations recueillies par M. Bernard-Leroy, nous avons trouvé dans l'une d'elles le même mot : « J'assistais à mes actions ; elles étaient inévitables. » En vérité, on peut se demander s'il existe une illusion aussi nettement stéréotypée. Nous ne comprendrons pas dans la fausse reconnaissance certaines illusions qui ont tel ou tel trait commun avec elle, mais qui en diffèrent par leur aspect général. M. Arnaud a décrit en 1896 un cas remarquable qu'il étudiait depuis trois ans déjà : pendant ces trois années le sujet avait éprouvé ou cru éprouver, d'une manière continue, l'illusion de fausse reconnaissance, s'imaginant revivre à nouveau toute sa vie. Ce cas n'est d'ailleurs pas unique ; nous croyons qu'il faut le rapprocher d'un cas déjà ancien de Pick, d'une observation de Kraepelin, et aussi de celle de Forel. La lecture de ces observations fait tout de suite penser à quelque chose d'assez différent de la fausse reconnaissance. Il ne s'agit plus d'une impression brusque et courte, qui surprend par son étrangeté. Le sujet trouve au contraire que ce qu'il éprouve est normal ; il a parfois besoin de cette impression, il la cherche quand elle lui manque et la croit d'ailleurs plus continue qu'elle ne l'est en réalité.

Maintenant,à y regarder de près, on découvre des différences autrement profondes. Dans la fausse reconnaissance, le souvenir illusoire n'est jamais localisé en un point du passé ; il habite un passé indéterminé, le passé en général. Ici, au contraire, les sujets rapportent souvent à des dates précises leurs prétendues expériences antérieures ; ils sont en proie à une véritable hallucination de la mémoire. Remarquons en outre que ce sont tous des aliénés : celui de Pick, ceux de Forel et d'Arnaud ont des idées délirantes de persécution ; celui de Kraepelin est un maniaque, halluciné de la vue et de l'ouïe. Peut-être faudrait-il rapprocher leur trouble mental de celui qui a été décrit par Coriat sous le nom de reduplicative paramnesia et que Pick lui-même, dans un travail plus récent, a appelé« une nouvelle forme de paramnésie ». Dans cette dernière affection, le sujet croit avoir déjà vécu plusieurs fois sa vie actuelle. Le malade d'Arnaud avait précisément cette illusion.

Plus délicate est la question soulevée par les études de M. Pierre Janet sur la psychasthénie. À l'opposé de la plupart des auteurs, M. Janet fait de la fausse reconnaissance un état nettement pathologique, relativement rare, en tout cas vague et indistinct, où l'on se serait trop hâté de voir une illusion spécifique de la mémoire. Il s'agirait en réalité d'un trouble plus général. La « fonction du réel » se trouvant affaiblie, le sujet n'arriverait pas à appréhender complètement l'actuel ; il ne sait dire au juste si c'est du présent, du passé ou même de l'avenir ; il se décidera pour le passé quand on lui aura suggéré cette idée par les questions mêmes qu'on lui pose.

[…] Alléguera-t-on que la perception d'un objet extérieur commence quand il apparaît, finit quand il disparaît, et qu'on peut bien désigner, dans ce cas au moins, un moment précis où le souvenir remplace la perception ? Ce serait oublier que la perception se compose ordinairement de parties successives, et que ces parties n'ont ni plus ni moins d'individualité que le tout. De chacune on est en droit de dire que son objet disparaît au fur et à mesure ; comment le souvenir ne naîtrait-il que lorsque tout est fini ? Et comment la mémoire saurait-elle, à un moment quelconque de l'opération, que tout n'est pas fini, qu'il reste encore quelque chose ?

Plus on y réfléchira, moins on comprendra que le souvenir puisse naître jamais s'il ne se crée pas au fur et à mesure de la perception même. Ou le présent ne laisse aucune trace dans la mémoire, ou c'est qu'il se dédouble à tout instant, dans son jaillissement même, en deux jets symétriques, dont l'un retombe vers le passé tandis que l'autre s'élance vers l'avenir. Ce dernier, que nous appelons perception, est le seul qui nous intéresse. Nous n'avons que faire du souvenir des choses pendant que nous tenons les choses mêmes. La conscience pratique écartant ce souvenir comme inutile, la réflexion théorique le tient pour inexistant. Ainsi naît l'illusion que le souvenir succède à la perception. Mais cette illusion a une autre source, plus profonde encore. Elle vient de ce que le souvenir ravivé, conscient, nous fait l'effet d'être la perception elle-même ressuscitant sous une forme plus modeste, et rien autre chose que cette perception. Entre la perception et le souvenir il y aurait une différence d'intensité ou de degré, mais non pas de nature. La perception se définissant un état fort et le souvenir un état faible, le souvenir d'une perception ne pouvant alors être que cette perception affaiblie, il nous semble que la mémoire ait dû attendre, pour enregistrer une perception dans l'inconscient, que la perception se fût endormie en souvenir. Et c'est pourquoi nous jugeons que le souvenir d'une perception ne saurait se créer avec cette perception ni se développer en même temps qu'elle.

[…] Le souvenir d'une sensation est chose capable de suggérer cette sensation, je veux dire de la faire renaître, faible d'abord, plus forte ensuite, de plus en plus forte à mesure que l'attention se fixe davantage sur elle. Mais il est distinct de l'état qu'il suggère, et c'est précisément parce que nous le sentons derrière la sensation suggérée, comme le magnétiseur derrière l'hallucination provoquée, que nous localisons dans le passé la cause de ce que nous éprouvons. La sensation, en effet, est essentiellement de l'actuel et du présent ; mais le souvenir, qui la suggère du fond de l'inconscient d'où il émerge à peine, se présente avec cette puissance sui generis de suggestion qui est la marque de ce qui n'est plus, de ce qui voudrait être encore. À peine la suggestion a-t-elle touché l'imagination que la chose suggérée se dessine à l'état naissant, et c'est pourquoi il est si difficile de distinguer entre une sensation faible qu'on éprouve et une sensation faible qu'on se remémore sans la dater. Mais la suggestion n'est à aucun degré ce qu'elle suggère, le souvenir pur d'une sensation ou d'une perception n'est à aucun degré la sensation ou la perception mêmes. Ou bien alors il faudra dire que la parole du magnétiseur, pour suggérer aux sujets endormis qu'ils ont dans la bouche du sucre ou du sel, doit déjàêtre elle-même un peu sucrée ou salée.

[…] Toute description claire d'un état psychologique se fait par des images, et nous venons de dire que le souvenir d'une image n'est pas une image. Le souvenir pur ne pourra dès lors être décrit que d'une manière vague, en termes métaphoriques. Disons donc, comme nous l'expliquions dans Matière et Mémoire,, qu'il est à la perception ce que l'image aperçue derrière le miroir est à l'objet placé devant lui, L'objet se touche aussi bien qu'il se voit ; il agira sur nous comme nous agissons sur lui ; il est gros d'actions possibles, il est actuel. L'image est virtuelle et, quoique semblable à l'objet, incapable de rien faire de ce qu'il fait. Notre existence actuelle, au fur et à mesure qu'elle se déroule dans le temps, se double ainsi d'une existence virtuelle, d'une image en miroir. Tout moment de notre vie offre donc deux aspects : il est actuel et virtuel, perception d'un côté et souvenir de l'autre. Il se scinde en même temps qu'il se pose. Ou plutôt il consiste dans cette scission même, car l'instant présent, toujours en marche, limite fuyante entre le passé immédiat qui n'est déjà plus et l'avenir immédiat qui n'est pas encore, se réduirait à une simple abstraction s'il n'était précisément le miroir mobile qui réfléchit sans cesse la perception en souvenir. […] Ce qui se dédouble à chaque instant en perception et souvenir, c'est la totalité de ce que nous voyons, entendons, éprouvons, tout ce que nous sommes avec tout ce qui nous entoure. Si nous prenons conscience de ce dédoublement, c'est l'intégralité de notre présent qui nous apparaîtra à la fois comme perception et comme souvenir. Et pourtant nous savons bien qu'on ne vit pas deux fois le même moment d'une histoire, et que le temps ne remonte pas son cours.

[…] Plusieurs ont parlé en effet d'un sentiment d'automatisme, et d'un état comparable à celui de l'acteur qui joue un rôle. Ce qui se dit et ce qui se fait, ce qu'on dit et ce qu'on fait soi-même, semble « inévitable ». On assiste à ses propres mouvements, à ses pensées, à ses actions. Les choses se passent comme si l'on se dédoublait, sans pourtant qu'on se dédouble effectivement. Un des sujets écrit : « Ce sentiment de dédoublement n'existe que dans la sensation ; les deux personnes ne font qu'un au point de vue matériel. » Il entend sans doute par là qu'il éprouve un sentiment de dualité, mais accompagné de la conscience qu'il s'agit d'une seule et même personne.

[…] La fausse reconnaissance serait donc enfin la forme la plus inoffensive de l'inattention à la vie. Un abaissement constant du ton de l'attention fondamentale se traduit par des troubles psychologiques plus ou moins profonds et durables. Mais il peut arriver que cette attention se maintienne d'ordinaire à son ton normal, et que son insuffisance se manifeste d'une tout autre manière ; par des arrêts de fonctionnement, généralement très courts, espacés de loin en loin. Dès que l'arrêt se produit, la fausse reconnaissance arrive sur la conscience, la recouvre pendant quelques instants et retombe aussitôt, comme une vague.

Concluons par une dernière hypothèse, que nous faisions pressentir dès le début de notre travail. Si l'inattention à la vie peut prendre deux formes inégalement graves, n'est-on pas en droit de supposer que la seconde, plus bénigne, est un moyen de se préserver de l'autre ? Là où une insuffisance de l'attention risquerait de se traduire par un passage définitif de l'état de veille à l'état de rêve, la conscience localise le mal sur quelques points où elle ménage à l'attention autant de courts arrêts : l'attention pourra ainsi se maintenir, tout le reste du temps, en contact avec la réalité. Certains cas très nets de fausse reconnaissance confirmeraient cette hypothèse. Le sujet se sent d'abord détaché de tout, comme dans un rêve : il arrive à la fausse reconnaissance aussitôt après, quand il commence à se ressaisir lui-même. Tel serait donc le trouble de la volonté qui occasionnerait la fausse reconnaissance. […]

PROPAGANDE ELECTORALE

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Vous me voyez aujourd'hui, chers lecteurs et non moins chers confrères, absolument navré du résultat des dernières élections, surtout en ce qui me concerne personnellement. Comme, en résumé, l'événement que je déplore le plus amèrement, n'a eu qu'un retentissement plutôt discret, je crois bon de faire savoir ici, à ceux qui l'ignoraient, que je m'étais porté candidat aux dernières élections.

En raison des quelques connaissances que je possède en prestidigitation, je me croyais très qualifié pour les délicates fonctions que j'ambitionnais de remplir. Les électeurs en ont décidé autrement, ils m'ont carrément renvoyéà mes chères études. Que ma défaite leur soit légère.

Je veux cependant, à titre de protestation, mettre sous vos yeux l'éloquente profession de foi que, selon l'usage, j'avais fait afficher partout, et même ailleurs. On verra par l'excellence de la pièce ci-dessous, combien il faut que les électeurs soient peu soucieux de leur propre intérêt pour avoir préféré donner leurs suffrages à un tas de gens qu'ils ne connurent, en somme, pas plus que moi. Enfin ! Voici le morceau :

« Chers Concitoyens, au moment où la France frémissante va, d'une main ferme, élever sa puissante voix, je viens vous demander les vôtres.

C'est avec un oeil fixé sur le passé et l'autre sur l'avenir, que je regarde le présent, pour vous exposer ma manière de voir. Ayez confiance en moi. Tout est la !

Ne croyez pas, qu'à l'instar de mes nombreux concurrents, je viens ici vous débiter d'audacieux boniments et chercher à faire passer avec subtilité la muscade de ma candidature sous le gobelet de la simulation, pour escamoter vos suffrages en essayant de vous donner le change sur mes véritables intentions.

Ce n'est pas avec l'aide de tels procédés que je veux entrer en scène, pour y jouer avec quelque prestige le rôle qui m'incombera dans la représentation nationale.

Assez d'autres sans moi chercheront à vous tromperà ce sujet. Chacun d'eux a son petit drapeau avec lequel il cherchera à vous empaumer et à vous entraîner dans la trappe de leurs fallacieuses promesses.

Ils ont certainement plus d'un tour dans leur sac à malices. C'est un mystère qui n'est un secret pour personne. Mais vous ne vous laisserez pas faire la carte forcée, ce serait une mauvaise charge.

Aussi, grâce à vous, et malgré toutes leurs ficelles, il y aura du tirage. Leur élection ne tiendra même pas à un fil si vous manipulez avec adresse votre carte d'électeur et savez la lancer avec dextérité, afin de les faire filer au plus vite.

Si, comme j'en suis certain, vous mangez autre chose que du trèfle, et savez agir en hommes de coeur, vous les obligerez à rester sur le carreau, autrement ils vous feraient des lois qui seraient fichues comme L'as de pique.

Il ne faut pas, citoyens, vous laisser hypnotiser par la magie des grands mots qu'ils emploieront pour arriver à l'enlevage de vos votes. Tout ce qu'ils disent n'est pas l'exacte transmission de leur pensée. Ils opèrent trop facilement la substitution de leurs promesses. Les différentes idées qu'ils émettent ne constituent qu'un faux mélange destiné a vous produire de perfides illusions.

Mais je pense, citoyens, que vous n'êtes pas des automates. Ma confiance en vous est assez profonde pour que je sois assuré du succès. Il suffira pour cela que vous vous en Méliès sérieusement.

Et nous réussirons, car avec moi, citoyens, il n'y a rien de préparé. Ma candidature n'est pas àdouble fonds. Je ne prétends pas faire des miracles, mais soyez certains que je saurai faire marcher le gouvernement à la baguette sans jamais reculer devant la multiplication de mes efforts. C'est pourquoi j'espère que ma candidature sera prise en considération. Je veux être le fidèle Servant de la République et ne permettrai jamais qu'elle soit traitée en Servante.

Soyez aussi persuadés, citoyens, que je ne passerai pas mon temps à la buvette, à faire sauter la coupe de Champagne à la santé de mes électeurs et vous apprécierez, j'espère, cette qualité aussi morale que physique.

Je songerais plutôt à l'apparition d'une ère nouvelle, à la diminution des impôts, ne pouvant, hélas, espérer leur complète disparition. En ce qui concerne les fonds publics, je n'admettrai jamais aucune espèce de prestidigitation, c'est là un jeu que je ne saurais tolérer, et au lieu de contribuer à faire sortir indument les pièces de monnaie de vos poches, je veux au contraire y faire entrer une pluie d'or.

C'est alors que je pourrai sans feinte m'écrier avec quelque fierté : Vous le voyez Messieurs, l'expérience a parfaitement réussi ; et la meilleure preuve, c'est que grâce à moi vous n'aurez jamais vu maquiller un aussi beau truc ! »

Eh bien, ils m'ont blackboulé. Pas de commentaires, n'est-ce pas ? Ah ! Ils sont jolis les électeurs, je les retiens. Si encore je faisais un peu d'alchimie, je pourrais au moins les utiliser comme fourneaux.

E. Raynaly

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