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DARYL EASTON

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Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?

Un ami de notre famille, qui était un magicien amateur, m'a montré une simple routine avec le jeu Svengali quand j'avais sept ans. J'étais tellement surpris qu'il m'a donné le jeu comme cadeau. J'aimais la façon dont il travaillait et j'ai commencéà acheter d'autres tours pour voir comment ils marchaient. Finalement, j'ai commencéà les montrer pour mes amis de l'école et je suppose que j'ai grandi avec cela.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?

J'ai commencéà apprendre la magie quand j'avais sept ans et j'ai appris la majorité de mes tours dans les livres de bibliothèque.

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l'inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?

Je suis très chanceux d'avoir voyagé partout dans le monde. J'ai littéralement appris de centaines de magiciens comme Dai Vernon, Ed Marlo, Slydini, Fred Kaps, Alex Elmsley, ou Juan Tamariz.

Dans quelles conditions travaillez-vous ?

Je suis très heureux de dire que je peux travailler dans pratiquement toutes les conditions. Mes conditions préférées sont le close-up et les soirées privées. Soit à une table entouré de gens ou debout devant un groupe relativement restreint. La condition la moins favorable pour moi est de me retrouver sur scène devant une centaine de personnes, voire des milliers.

Quelles sont les prestations de magiciens ou d'artistes qui vous ont marqué ?

Mes magiciens préférés sont (ou étaient) Fred Kaps, Slydini, et Penn & Teller.

Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?

Ma magie préférée est simple, propre, et facile à comprendre. Je n'aime pas les tours qui sont si compliqués qu'il est difficile de savoir quels sont les effets. Je suis d'accord avec Dai Vernon quand il dit que la magie doit apparaître comme 100% naturelle.

Quelles sont vos influences artistiques ?

Musicalement, Django Reinhardt est mon préféré mais j'aime beaucoup d'autres musiciens comme The Beatles, Talking Heads, The Beach Boys, Frank Sinatra, Billie Holiday, Eartha Kitt et Edith Piaf.

Mon artiste préféré est probablement M.C. Escher. Il trouva un excellent moyen de créer de la magie sur page blanche.

Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?

Voici un bon conseil ! Il vaut mieux effectuer un tour simple parfaitement que d'effectuer un tour difficile de façon mauvaise.

Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?

Aujourd'hui, j'aime toujours la magie autant que je l'ai aimé il y a plus de cinquante ans. L'inconvénient est que beaucoup de nos secrets les plus chères sont maintenant facilement disponibles. Cette tendance a pour effet de diminuer la valeur et le respect que l'on a de notre discipline.

Vos hobbies en dehors de la magie ?

Je joue aux jeux de casino et au Blackjack.

- Interview réalisée en juin 2015.

A visiter :
-Le site de Daryl.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.


LE DEBINAGE EST-IL L'ENNEMI DE LA MAGIE ?

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Si vous prenez n'importe quel dictionnaire, et que vous y cherchez la définition de "débinage", vous tomberez sur "critiquer une personne de façon malveillante" ou "dénigrer quelque chose" mais rarement sur la définition qui intéresse les magiciens, à savoir : "dévoiler le secret de quelque chose".

On a donc coutume de dire que, lorsqu'un magicien révèle un secret, il "débine"... et par extension, "il met en danger toute la profession".

Le débinage n'est pas nouveau. Il a toujours existé. De tout temps, la population a voulu savoir comment les magiciens s'y prenaient pour créer leurs illusions. Connaître leurs secrets. Aujourd'hui plus que jamais, l'information est omniprésente. Notamment sur Internet. Plus que jamais, les magiciens se sentent menacés : ils ont conscience que, pour la première fois à grande échelle, leur patrimoine est mis à la disposition du grand public. Pire, des chaînes de TV diffusent à une heure de grande écoute des émissions où un magicien, masqué ou non, révèle le truc des plus grandes illusions connues ou tout simplement un principe magique.

Personnellement, je suis nettement moins "gêné" par ce type d'évolution de l'art magique. Pourquoi ? Parce que j'estime que le principe même de l'art magique est bien de surprendre et de divertir ; et non pas de convaincre. En d'autres mots, le magicien s'intéresse avant tout au moment présent. C'est-à-dire que notre devoir est de bluffer tel ou tel public pour tel ou tel moment. Qu'ensuite il comprenne ce qui s'est passé, qu'il trouve une solution, ça n'est pas grave. Le magicien n'a jamais prétendu posséder tel ou tel pouvoir, si ce n'est celui de divertir et d'étonner.

La plupart des magiciens qui craignent pour leur art s'appuient nécessairement sur le secret. Le secret est-il le truc ? Le truc n'est-il pas ailleurs ?

A titre personnel, je crois qu'il ne faut pas confondre le mystère et le secret. Depuis plus de 20 ans que je pratique l'art magique, je continue d'être bluffé et étonné. Je fais d'ailleurs probablement parti du premier public qui se déplace pour voir un spectacle de magie. Et j'en ressors souvent étonné, diverti. Même si parfois j'ai compris le truc... qui n'est au final qu'une composante de l'art magique.

En 2009 Juan Tamariz, est revenu en France lors du Congrès FFAP de Vannes. Je crois bien que, fort de ses 60 années de pratique, il a donné mal à la tête à la quasi totalité des magiciens présents ce jour là. Je n'ai d'ailleurs toujours pas la moindre solution à la plupart de ses tours. Comme quoi, malgré des centaines de lectures, des milliers d'heures de pratique, le mystère peut être entier.

Les magiciens se doivent d'innover. Leur réelle capacité, c'est de détourner certaines lois physiques à leur avantage. De créer des illusions visuelles pour renforcer les illusions cognitives. C'est une démarche sans fin. C'est pour cette raison, à mon avis, que le débinage n'a pas de réel impact.

Tout au plus, il assouvira la curiosité de certains qui se diront : "ah, je savais bien qu'il y avait un truc". Pour d'autres, ça sera peut-être une révélation, une vocation qui naîtra.

Comment doivent se comporter les magiciens face au débinage ? Prendre les gens à contre-pied en créant une autre façon de réaliser la même illusion est une première solution. Solutions qui pourraient bien vous déconcerter car le principe même de la magie est de vous faire perdre tout raisonnement. De fermer les portes qui vous guideraient vers la solution. David Copperfield l'a d'ailleurs bien compris, lui qui sait que ses spectateurs sont aussi composés de magiciens, débutants ou confirmés : il crée des illusions qui bluffent aussi bien le grand public que les magiciens.

Les illusionnistes qui débinent ne sont pas tous mangés à la même sauce. Alors que Valentino le magicien masqué a été très critiqué, l'improbable et hilarant duo Penn et Teller a, bien avant lui, "démocratisé" l'art magique. J'écris "démocratisé" car il semblerait que, pour certains magiciens, il y a débinage et débinage…

Alors évidemment, tout est question de perception : le duo Penn et Teller, complètement déjanté, offre une image bien plus sympathique que le magicien masqué. C'est là aussi un vrai tour de magie au final : là où le duo apparaît comme "pédagogue", le magicien masqué incarne le mal absolu : celui qui révèle les trucs ! Au final, Penn et Teller révèlent les trucs également... mais avec la manière, l'humour, la dérision ! Et ça marche ! Même les magiciens les adorent !

Ce n'est pas parce que vous connaissez un truc de magicien que vous savez ce qu'est la magie. La prestidigitation est un art de longue haleine. On ne finit jamais d'apprendre.

Ce qui peut vous arriver de pire si vous vous lancez dans cette passion, c'est de vous enfermer dans le secret. Ne croyez pas que le secret et le truc sont la magie. C'est bien votre personnalité, votre mise en scène, votre talent qui fera la magie. Le reste n'est qu'accessoire. Mais pour comprendre tout ça, il vous faudra quelques années de pratique...

- Source : Club de Magie.

A lire :
-Le débinage.
-La divulgation du secret.
-Cinq secrets.

MURMURES DES MURS / Victoria Thierrée-Chaplin

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Conception et mise en scène de Victoria Thierrée-Chaplin. Avec Aurélia Thierrée-Chaplin, Jaime Martinez et Antonin Maurel.

C'est un spectacle créé en 2011 par la conceptrice qui a imaginé avec Jean-Baptiste Thierrée de magnifiques et savoureux spectacles, depuis 1971 déjà, avec Le Cirque Bonjour devenu ensuite Le Cirque imaginaire puis Le Cirque invisible. Avec, à chaque fois, un mélange étonnant de grâce et de poésie.

Sur la grande scène du Rond-Point, une jeune femme est assise parmi des cartons de déménagement ; un jeune homme arrive pour lui signifier qu'elle doit partir. Un flot de poussière blanche tombe des cintres. Elle emballe ses chaussures, un parapluie et un vase qu'elle doit casser pour qu'il entre dans le carton trop petit. Elle prend soin de ne pas oublier de s'emballer elle-même, entre dans un carton puis ressort intacte d'un autre carton quelques mètres plus loin.

On la voit aussi enlever soigneusement plusieurs couches de papier peint comme autant de mémoires anciennes d'un passé révolu. Les références à l'art contemporain, notamment àSupports/Surfaces et à Jacques Villeglé sont évidentes. Puis brutale surprise : une sorte de monstre l'enlace presque amoureusement puis la serre pour la manger.

Il y a aussi, montées sur patiences (et circulant un peu trop souvent !) de charmantes maisons vénitiennes peintes sur toile, vétustes et poétiques avec un petit balcon où, très gracieuse, Aurélia Thierrée arrive comme enchantement, avant de revenir encore plus vite par la porte d'entrée. Elle danse aussi le tango et esquisse quelques pas de claquettes.

Bref, on l'aura compris, il y a des images souvent réussies, avec de l'acrobatie et de la magie dans l'air. C'est un travail d'une précision absolue, parfaitement synchronisé qui doit beaucoup aux techniciens du plateau et auquel participent de bons comédiens comme Jaime Martinez et Antonin Maurel. Mais il manque tristement le fil rouge d'une solide dramaturgie à ce spectacle sans paroles. N'est pas Bob Wilson (celui des années 1970) qui veut, et il ne suffit pas d'entasser de belles images pour faire sens…

Bizarrement, ce n'est pas Victoria mais Aurélia qui parle dans la note d'intention et à la question : « Victoria Thierrée-Chaplin signe la mise en scène et les costumes… Quelles sont vos autres influences, vos autres sources d'inspiration ? » La comédienne semble alors botter en touche et ne répond pas vraiment : « C'est très (trop) personnel comme question. Victoria pourrait y répondre mieux que moi. » Mais alors, qui fait quoi dans ce spectacle, alors que Victoria en est indiquée comme la conceptrice ? Comprenne qui pourra… On reste donc sur sa faim, le compte n'y est pas, dommage…

- Source : Le Théâtre du Blog.

Crédit photos : Richard Haughton. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

MESSMER, le fascinateur

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Précédé d'un tapage médiatique télévisuel sans précédent, nous avions hâte de découvrir l'hypnotiseur canadien en live et juger son spectacle qui tourne dans toute l'Europe. Messmer, l'homme qui a hypnotisé 60 000 personnes en 25 ans de carrière.

Dès notre entrée, une énorme scène nous fait face. Elle est accessoirisée d'écrans géants, de chaises et d'une structure futuriste surmontée d'une boule sur laquelle sont projetés des effets visuels. Le tout est baigné d'une lumière bleue spectrale.

Le show commence par la diffusion d'extraits d'émissions dans lesquelles Messmer est passé lors de sa campagne médiatique en France, mais aussi au Canada. Il a notamment réunit plus de 250 000 spectateurs avec une série dont il est le « héros », diffusée sur la chaine québécoise TVA.

Fin des extraits vidéo et apparition de Messmer sur scène dans un délicat nuage de fumigènes. Une voix off introduit le spectacle : « Votre subconscient va être transporté dans le rêve et l'imaginaire. » sur une musique intitulée « Irresistible Force ».

Plein feu dans la salle ; Messmer scrute attentivement le public tel un prédateur ! Il énonce d'amblée les expériences qu'il va réaliser avec le public. « Le subconscient est éternel et intemporel. Je n'ai pas de dons particuliers. J'utilise simplement la science, le transfert d'énergie, la force du magnétisme et le pouvoir de suggestion pour arriver à des résultats ».

L'hypnose est donc une modification de l'état de conscience qui permet d'avoir accès à nos ressources personnelles pour nous permettre de modifier certains de nos comportements.

Messmer dit avoir été initiéà l'hypnose à l'âge de 7 ans par son grand-père, qui lui a donné un livre de Jean Filiatre sur le sujet datant des années 1930 (Hypnotisme et Magnétisme). Il étudie alors les différentes techniques d'hypnose, le magnétisme, le transfert d'énergie, le somnambulisme, la suggestion et la télépathie. Parallèlement à ses performances scéniques, Messmer a pratiqué l'hypnose thérapeutique en cabinet dans les années 1990 jusqu'en 2000. Depuis, il utilise son savoir à des fins de divertissement pour amuser et « fasciner » les gens. Il adopte alors le nom de Messmer (en y ajoutant un S), en l'honneur de l'un des pionniers du magnétisme, l'illustre médecin autrichien du 19e siècle, Franz-Anton Mesmer.

« Certains d'entre vous seront hypnotisés et seront envahis par un sentiment de bien-être, de nirvana, d'euphorie, de béatitude. Quinze minutes d'hypnose est l'équivalent de 3 heures de sommeil profond. Bienvenue dans un spectacle dont vous êtes le héros ! »

Le test

Arrive sur scène Sinclair, l'apprenti de Messmer depuis 25 ans, pour le premier test de « réceptivité» dans la salle. Messmer demande au public de mettre leurs mains au-dessus de leur tête. Au compte de trois, il ordonne que les paumes restent collées et soudées sur la tête.

Il fait constater alors qu'il existe 3 types de personnes : ceux dont les mains se sont décollées facilement, ceux qui ont réussi à séparer leurs mains avec un effort et ceux qui ne sont pas arrivés à décoller leurs paumes. Ce dernier type de personne est le plus intéressant et le plus réceptif pour continuer l'expérience sur scène. Au total, seul une quarantaine de spectateurs participeront de manière active à la représentation de ce soir.

Une quinzaine de personnes montent alors sur scène. Certains ont encore leurs mains collées ! Messmer procède alors à une deuxième série de tests. Les « sujets » sont priés de fermer leurs yeux, de coller leurs deux pieds et de mettre leurs deux mains sur la tête. Au compte de trois leurs mains sont censées se coller entre elles : « vos mains sont coincées, collées, soudées ». Mots répétés par Messmer sans cesse. « 1, 2, 3, Séparez vos mains maintenant ! ». Ce test marche sur la majorité des « sujets » ; certaines personnes non réceptives, sont priées de regagner la salle.

Catalepsie

Messmer isole un spectateur et lui soumet un troisième test. « Collez vos pieds et tendez un bras devant vous. Votre bras devient maintenant de plus en plus raide, on ne peut pas le bouger. »

« Maintenant, j'influence votre subconscient et je vous programme comme un ordinateur. C'est maintenant votre corps entier qui se raidit, vos jambes se coincent, votre colonne, votre cou. Il vous est impossible de bouger ! »

Deux assistants placent le spectateur, raide comme un piquet, sur deux tréteaux et Sinclair s'assoie sur lui. « Cette catalepsie est possible grâce à un déplacement de l'adrénaline ».

Retour vers le passé

Dernier test en ligne sur les personnes qui sont montées sur scène. Messmer prévient qu'il ne tentera pas le test sur les femmes enceintes. Il va tenter de faire atteindre, à la chaine, un état de sommeil en moins de 10 secondes, à chaque personne. Il est impressionnant de voir les « sujets » tomber comme des mouches un à un (un caméraman film les réactions sur scène, diffusées sur les écrans de part et d'autre de la scène). Messmer prenant bien soin d'accompagner au sol chaque personne dans un mouvement de mimétisme. D'autres s'endorment sur leur chaise… Messmer prévient les spectateurs de la salle que « ces volontaires » sont tout à fait conscients et qu'ils entendent ce qui se passe autour d'eux. Ils ne peuvent simplement plus bouger. « Dans cette hallucination visuelle et auditive, leurs corps va bouger à l'aide d'un rêve. »

Messmer prend le contrôle des « hypnotisés » et leur demande de prendre place dans leur lit, de replacer leur oreiller et de remonter leur couette. Ce qu'exécutent réellement les « sujets ».

« Le temps n'existe plus dans le subconscient. » Les personnes sont alors invitées à revenir à une forme embryonnaire, de reprendre place dans le ventre de leur mère, en position fœtale.

« Maintenant, vous tirez sur votre cordon ombilical et vous faites un lasso avec, comme dans un western ! Vous sentez alors une contraction et vous vous faites le plus mince possible. Vous plongez maintenant du ventre de votre mère et pleurez. Vous tétez le sein de maman. » Le caméraman film les différentes « transformations » et on voit précisément les gens pleurer et téter.

Dans une logique de progression, le nouveau-né grandit par étapes jusqu'à ses 1 an.

« Vous avez maintenant 6 mois et vous touchez vos dents avec vos doigts, vous gazouillez. Vous avez 9 mois et vous vous asseyez. Maintenant, vous vous déplacez à quatre pattes. Vous dites votre premier mot à maman. C'est vos 1 an, le jour de votre anniversaire ; vous soufflez votre bougie et dansez pour fêter l'occasion. Il est l'heure de se coucher. Des éclairs et un orage retentissent ; vous avez peur. Vous retrouvez vos amis et vous vous collez à eux. Maintenant, au compte de 3 vous vous réveillerez. Réveillez-vous maintenant ! »

Messmer demande alors aux personnes de s'asseoir. Celles-ci sont encore sous l'emprise de l'hypnotiseur, dans le monde du subconscient.

La préhistoire

« Restez droits dans vos chaises et fermez les yeux. 1, 2, 3, Vous dormez maintenant ! Vous êtes dans un monde de rêve. Bougez dans votre chaise et ressentez le monde autour de vous. »

« En 1966, La série Star Trek mettait en scène des effets de transportations. Le niveau somnambulique dans lequel se trouvent mes sujets d'un soir est une distorsion entre le rêve et la réalité. Ils peuvent donc vivre n'importe quelle situation et se retrouver, par exemple, en pleine ère préhistorique ! »

Les gens sur scène commencent à scruter les spectateurs dans la salle. Ils les touchent, étudient leur comportement, cherchent des mouches dans leur cheveux. Messmer les avertit de l'arrivée d'un mammouth et le groupe remonte immédiatement sur scène en criant. Les « sujets » piétinent ensuite le mastodonte et dansent autour de lui. Ils font ensuite un vêtement avec la peau de l'animal et se pavanent devant la salle comme pour un défilé de mode, collection automne-hiver…

Messmer ordonne un arrêt dans le temps et tout le monde s'immobilise. Il fait jouer le rôle de Monsieur et Madame Cro-Magnon à deux hommes en leur demandant de « repeupler » leur tribu et de consommer leur amour devant tout le monde ! Une situation comique et cocasse qui se termine par les contractions et l'accouchement de madame. L'enfant est de couleur noir. « Vous êtes cocu ! » demande Messmer. « Qui a pu faire ça ? », l'autre tribu bien sûr ! (en éclairant la salle).

Messmer compte alors jusqu'à trois et réveille le groupe. Les souvenirs du subconscient remontent jusqu'au conscient. Les gens hypnotisés se souviennent alors très bien de l'expérience et de tous les détails !

Le casque électromagnétique

Un « sujet » se place sous un pseudo casque électromagnétique ayant appartenu à Einstein. Il se nomme et dit où il habite. Messmer lui demande de dormir et, sous l'effet du prétendu casque, il accélère le phénomène pour connecter son cerveau au sien. Par un bel effet de lumières et de sons, la machine disjoncte et le patient a l'air cuit.

« Marchez vers moi et dites-moi votre nom et ou vous habitez. » L'homme invente un prénom et un nom qui ne sont pas les siens : Franck Einstein et dit habiter Clermont-Ferrand au lieu de Dijon. « Vous êtes venu avec votre femme ? » Réponse affirmative de l'homme qui se contredit avec elle sur son identité. « Au compte de trois vous vous réveillerez et serez fier de vous comme le public ».

French cancan

Pour finir la première partie en beauté, Messmer hypnotise à nouveau son groupe et les « téléporte » en 1913 à Paris au Moulin Rouge pour une séance de cancan. Tout le monde danse frénétiquement sur scène. Avant de faire regagner leur place dans le public, Messmer ancre dans le subconscient des « sujets » de danser à chaque fois qu'ils entendront la musique du cancan au cours de la soirée. A peine revenu dans la salle, la musique joue et ces personnes dansent au milieu des spectateurs ! La musique s'arrête, c'est l'entracte.

Réceptivité

Début de la 2ème partie du spectacle.

« Il y a différents niveaux de réceptivité. L'énergie varie selon les sujets et il faut trouver le bon cobaye. Il y a quatre niveaux de conscience : le BETA qui est l'intellect, l'ALPHA qui correspond au subconscient et au somnambulique, le THETA qui correspond au sommeil profond et le DELTA qui correspond au sommeil très très profond. »

Messmer parle de ses premières expériences d'hypnose quand il avait 16 ans, quand tout à coup retentit la musique du french cancan : les gens dansent sans se poser de questions.

L'hypnotiseur va maintenant choisir un dernier groupe de personnes en réalisant un nouveau teste de réceptivité dans la salle. Il demande à tout le monde de croiser les mains et de déplier les index. « Petit à petit vous sentez que vos index se collent entre eux, vous ne pouvez plus les décoller. Maintenant vous dormez et vous levez votre bras droit. Vous vous levez et restez debout en équilibre. »

Messmer se balade dans la salle et va choisir ses derniers « sujets ». Il ancre le mot rhododendron dans le subconscient de quelques personnes sur scène et leur ordonne de crier quand ils entendront ce mot.

Messmer ordonne à une personne d'aller aux toilettes, ce qui provoque un gag.

Phobie

Messmer endort ses « sujets » sur scène (dans la salle quelques personnes dorment également !) « Bougez, prenez contact avec vos voisins. »

Il se produit alors un incident imprévu dans la salle. Une femme est prise de panique. Messmer court vers elle, débranche son micro et la rassure.

« Les gens se créent des peurs tout seul. Certains ont même des phobies… Je vous présente mon rat domestiqué ! »

L'hypnotiseur choisit la personne ayant peur des rats, la met sous hypnose et lui retire sa phobie pour un moment. Messmer fait passer le rat pour un écureuil et la spectatrice va jusqu'à le caresser et lui faire un bisou ! Une fois réveillée, la femme se souvient de tout, horrifiée.

« Vous voyez que l'on peut libérer certaines phobies par l'hypnose, l'hypnothérapie, la sophrologie ou la PNL. »

Messmer prononce alors le mot rhododendron et le groupe de gens se met à crier.

Comme au Cinéma

Après une introduction vidéo sur les débuts du cinéma et de l'illusion que ce nouveau média provoqua (L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat, Méliès, Chaplin), Messmer décrit le cinématographe comme un art de masse qui a façonné durablement la façon de voir les choses et qui est intimement liéà l'hypnose. C'est le seul média qui arrive à entrer aussi bien dans l'inconscient collectif.

C'est parti pour une expérience de cinéma « mimé». Bienvenue dans les films dont vous êtes le héros !

On commence par Top Gun. Les « sujets » prennent place à bord du jet, vérifient le tableau de bord, mettent leurs casques, attachent leurs ceintures, mettent le moteur et décollent (l'écran du fond diffusant des extraits du film). Le metteur en scène Messmer « commande » une attaque ; l'avion est touché et s'écrase au sol. Sur terre c'est la guerre, il y a un jeune homme blessé qui a perdu sa jambe ! Il faut lui faire du bouche à bouche (Messmer arrête la scène avant qu'elle ne dégénère). « 1, 2, 3 réveillez-vous ! Mesdames et messieurs, ils ont vécu Top Gun. »

Messmer demande à l'homme qui s'est fait amputer dans le film de se lever et celui-ci boite. Il a l'impression d'avoir une jambe plus courte que l'autre après sa greffe ! L'hypnotiseur contrôle maintenant sa jambe à distance et la fait bouger dans tous les sens.

Dans Top Gun, les deux personnages principaux s'appellent Iceman et Maverick. Ils sont amoureux de la même femme. Et bien ce soir, ils vont s'aimer sur scène en dansant ensemble un slow. « A chaque fois que cette musique jouera, vous danserez ». Les deux hommes restent coincés sur scène collés entre eux, les mains sur les fesses, puis se « réveillent ».

Messmer prononce alors le mot rhododendron pour la troisième fois et le groupe de gens se met à crier.

Deuxième séance avec un film de James Bond. Cette fois ci c'est Messmer qui mime la prise d'un pistolet pour endormir un à un les « sujets »à distance. Il confie ensuite l'arme invisible à un « cobaye » qui le place dans sa bouche ! Les gens sont prêts à faire n'importe quoi sous l'emprise de quelqu'un…

Troisième séance avec le film E.T.« Vous avez un long doigt et un long cou, les joues gonflées. Vous prenez contact avec Elliot. Vous êtes maintenant dans la peau d'Elliot et vous faites du vélo, vous pédalez et vous vous envolez dans le ciel. C'est la fin du film, vous faites vos adieux à E.T (« les sujets » pleurs). Au compte de trois vous vous réveillerez. Vous vous souvenez de tout et vous pouvez êtes fiers de vous car nous, nous sommes fiers de vous ! »

Quatrième séance avec le film Rocky. Messmer prend un « sujet » qu'il va « transformer » en boxeur mythique. « Nous sommes en 1976, vous êtes Rocky Balboa, vous faites de la corde à sauter, vous faites des pompes. C'est l'heure du grand match. » Messmer joue le rôle de l'arbitre et le caméraman joue le rôle de l'adversaire Apollo Creed dans un jeu de caméra subjective avec la salle. « Le sujet » se bat dans le vent face à la caméra. C'est un échange de coups et de K.O à distance. Les autres « sujets » fêtent leur nouveau héros en le portant.

Une fois « réveillé», le héros d'un soir explique les sensations qu'il a vécu, légères comme dans un rêve. Pour finir, Messmer le fait parler en japonais.

Music collection

Messmer propose aux spectateurs dans la salle une dernière expérience, sans quitter leur siège. « Les meilleurs sujets en hypnose sont ceux qui se laissent aller, qui s'abandonnent, qui ne réfléchissent plus. Fermez les yeux, abandonnez-vous, dormez maintenant ! Au compte de trois vous danserez le twist puis le rock psychédélique de Woodstock., On continue avec le disco des Y.M.C.A pour finir par du hard rock avec Métallica. Maintenant vous vous réveillez ! »

La musique de Top Gun retentit et les deux « sujets » se lèvent de leur siège pour se rejoindre et danser ensemble. Iceman et Maverick se sont retrouvés.

Conclusion

2H30 de show et pas un seul temps mort dans ce spectacle extrêmement bien rôdé. Messmer est sûr de lui, maître de la situation en toutes circonstances. Il est véritablement un maître dans son domaine. Il s'exprime clairement et ne laisse aucune place à l'improvisation. Son discours est direct et percutant. Chaque mot participe à la mise en condition des spectateurs. Un système efficace qui laisse une trace indélébile dans la mémoire des gens.

Intelligemment construit, Intemporel parle au plus grand nombre dans une forme de « propagande » de spectacle où le « sujet » n'est jamais ridiculisé par l'hypnotiseur, mais mis en valeur : « un spectacle dont vous êtes le héros ». Messmer est respectueux des gens qui montent sur scène. Il ne les met pas en danger et conserve une certaine éthique. Il garde constamment le contrôle et surveille ses « volontaires » d'un soir. Même si on sourit et on rigole énormément, ce n'est pas pour se moquer des gens, mais bien parce que les situations sont cocasses et jamais vulgaires.

L'hypnose de spectacle fonctionne grâce à une combinaison de facteurs psychologiques, à la sélection des participants grâce à des tests de réceptivité, à la fixation de l'attention, à la suggestibilité, à l'ancrage, à la scénographie, mais aussi à l'aide de compères occasionnels. Nous avons légitimement des doutes sur certaines interventions de personnes qui, pour renforcer la ligne dramatique du spectacle, exagèrent leurs comportements. Les compères sont nécessaires à un spectacle d'hypnose, ces « entraineurs » amplifient judicieusement certains effets et conditionnent le public pour donner du rythme. Il faut simplement savoir les utiliser avec parcimonie et intelligence. Dans le cas de Messmer, seul quelques personnes suffisent...

Messmer arrive à« fasciner » un spectateur, entre autres, grâce au désir de celui-ci d'être le centre d'attention. La grande force du spectacle est d'être une expérience collective et non une démonstration d'un certain savoir-faire. Messmer utilise finement les différentes « ressources » des participants, leur capacitéà se transcender sur scène, à oublier leur peur, leur inhibition pour servir au reste du public un moment drôle et cocasse. Un spectacle à voir absolument.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

CRITIQUE CONSTRUCTIVE

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MAGNETISME

Ceux de mes confrères qui voyageaient il y a quelque quinze ou dix-huit ans, se rappellent sans doute que, pendant une période assez longue, il n'y avait de succès en province que pour la Transmission de pensée. Le bruit qu'on avait fait autour du nom de Donato, les controverses et discussions soulevées par les partisans ou les détracteurs de ce Maître du puffisme avaient ému l'opinion publique à tel point que pour pouvoir continuer à exercer son Art, le prestidigitateur était obligé d'ajouter à son programme, au moins un numéro de cette science.

La première question des tenanciers d'établissements où nous avons l'habitude de nous produire, était celle-ci : Faites-vous de la transmission de pensée ? Si oui, vous pouvez compter sur une réussite. Dans le cas contraire, inutile d'essayer une séance, elle serait nulle. Le public ne se dérange plus pour voir un prestidigitateur !

Encore, la présentation de la dite Transmission de pensée nécessitait-elle un effort intellectuel. Il fallait apprendre ou créer un vocabulaire spécial ou un télégraphe optique qui permettaient à l'opérateur de communiquer avec son sujet à l'insu des spectateurs. Et si nous admirons et applaudissons de tout coeur certains couples d'artistes, qui, par un travail opiniâtre, sont arrivés à présenter un numéro hors de pair, nous déplorons que l'introduction d'une femme présentée comme sujet dans les séances, ait pu faire naître dans l'esprit de certains individus peu scrupuleux, et déjà coutumiers de l'exploitation féminine l'idée de dissimuler sous une étiquette artistique, leur véritable profession.

Ainsi, tel, qui surveillait les promenades nocturnes et productives de sa compagne, dans les contre-bas des allées célèbres d'une grande cité du Midi de Ia France, s'est revélé tout à coup manager d'une Pythonisse. Cet autre, après avoir changé son nom patronymique, qui aurait pu faire croire qu'il se vendait lui-même, contre un pseudonyme qui ne signifie rien, opérait avec deux sujets, et pour prouver qu'il avait eu l'imprimeur de cette idée, il s'était érigé leur metteur en pages. Celui-ci, vers 1889, périgrinait, pour le plus grand bonheur des chercheurs de conquêtes faciles, avec une adorable troupe, composée de six à huit filles, qu'il semait à droite et à gauche, dans les différentes villes, où il leur faisait adjoindre des poses plastiques à la Transmission. Puis, lorsqu'il se trouvait démuni de sujets, retournait en chercher d'autres qu'il acceptait sur la simple présentation de leur carte, pourvu qu'elles soient girondes ; au chef-lieu du département de ce nom. Celui-là, que l'ancien Président du Conseil des Ministres, aurait fait expulser rien que pour son nom, avait un peu plus de pudeur, et laissait les coudées franches à son sujet mais tout en prélevant la dime obligatoire sur ses séances particulières, afin qu'on ne puisse soupçonner en lui un mari complaisant, la présentait comme sa nièce. Enfin, par contraste, certain qui exécutait ses espériences avec un sujet mâle, n'osait se targuer d'être son oncle et se contentait de devenir sa tante.

Or, plus ça change, et plus c'est la même chose. Aujourd'hui, la transmission est devenu vieux jeu. On fait du Magnétisme, de l'Hypnotisme, non plus avec un sujet à soi, mais avec les spectateurs. Si les prestidigitateurs célèbres, Houdin (1), Bosco, Brunet, Alfred de Caston, et tutti quanti revenaient sur terre, et que, désireux de connaitre leurs successeurs, ils veuillent assister à une séance de prestidigitation annoncée par une affiche dont le dessin ne varie pas et représente invariablement un monsieur en habit noir, qui tient à la main un chapeau d'où s'échappent des cartes, une montre, un pistolet, une cage, des vases à poissons, des oiseaux, etc., etc., etc. ; ils auraient la vue et l'audition du spectacle suivant :

Un monsieur, dont l'habit noir est le seul point de ressemblance avec celui de l'affiche, après avoir installé dans un coin de la salle une petite boite recouverte d'une étoffe quelconque, annonce, en un langage qui n'a rien d'académique, qu'il va avoir l'honneur d'exécuter quelques expériences de physique amusante pour commencer la séance, et qu'il passera ensuite à la partie scientifique de son programme. Puis après un tour exécuté avec des cartes biseautées, l'inévitable apparition des petits drapeaux, avec distribution entrainant la quête pour les seuls bénéfices de la séance, le chapelet de ma grand-mère présenté sous le titre ronflant de cordons du Fakir, il annonce à nouveau la partie de Magnétisme, mais avant, place sa tombola, très courte, qui chez quelques-uns, dure de une heure et demie à une heure trois quarts.

Enfin, après avoir tiré la quintessence numéraire de la bourse des assistants, la fameuse deuxième partie commence. L'opérateur se propose d'hypnotiser, d'aucuns disent "hynoptiser", ceux des spectateurs qui voudront bien se prêter à ce genre d'exercices. Presque toujours, un assistant se dévoue et alors sont mises en jeu les passes magnétiques. Surtout s'il a peu ou prou l'élocution facile, l'hypnotiseur fait une conférence sur les moyens à employer pour obtenir le sommeil magnétique. Il se sert alors de mots à effet, dont il ne connait pas lui-même la signification et qu'il a puisé dans quelque bouquin traitant de sciences occultes. Souvent même, le Professeur, prenant le Pirée pour un homme, applique à l'effet le nom de la cause, ou réciproquement. Nous avons entendu un de ces Professeurs prononcer dix fois le mot cataleptie en donnant au T de la dernière syllabe la prononciation phonétique normale. Ce même Professeur se permet quelques fois des citations latines, (à moi Virgile !) à faire dresser les cheveux sur la tête de l'abbé Delille, qui pourtant était affligé de la plus cruelle calvitie.

Mais revenons à notre Magnétiseur qui, après quelques essais infructueux et voyant que le sujet ne marche pas, le déclare réfractaire au magnétisme et passe à un autre. Même répétition, même résultat. Si cependant le Magnétiseur a la bonne fortune de tomber sur un loustic, qui, tant pour s'amuser de la crédulité de ses camarades, que pour faire montre de la nervosité extraordinaire que l'opérateur a eu grand soin de réclamer de son sujet, alors, les choses les plus hétéroclites sont exécutées. On suggère au sujet de manger une pomme de terre crue pour un fruit délicieux, on le fait passer sans transition d'une chaleur tropicale (l'opérateur dit quelques fois "trop piquante") à un froid Sibérien, etc., etc.. On peut varier à l'infini, pourvu que les exercices terminés, le magnétiseur offre généreusement à son sujet une consommation. Il arrive aussi que le magnétiseur se fait suivre de quelques compères qui sont au courant des exercices à présenter, et alors, le succès est certain. Chaque opération réussit à merveille, et le bon public satisfait consacre alors la science magnétique de l'opérateur.

Ce moyen ne peut cependant être employé qu'à Paris. Il serait en effet trop onéreux pour le magnétiseur de faire voyager avec lui des compères, à moins que comme certaine sommité magnétique, auquel un système pileux très développé donne un certain toupet, il n'existe que par la réclame, et qui se moque carrément du public, en donnant ses séances dans les salles de théâtre ; à moins, disons-nous, que l'administrateur de la tournée artistique qui précède de plusieurs jours le magnétiseur, n'ait pu trouvé dans la ville quelques voyous qui, moyennant finance, se prêteront aux exercices demandés.

Or, c'est seulement contre les magnétiseurs ou soi-disant tels, opérant avec l'affiche du prestidigitateur et qui donnent leurs séances dans les cafés que nous levons le bouclier. En effet, les compères dont nous parlons plus haut, après avoir prêté leur concours à un certain nombre de séances, et constaté que la bétise humaine est une mine insondable, veulent à leur tour l'exploiter et troquer la blouse ou le tablier contre l'habit noir. Mais n'ayant de l'artiste que le nom et les affiches qu'on leur vend en bloc, en leur fournissant même un pseudonyme, ces individus sont comme opérateurs invariablement exécrables, et chaque maison où on leur accorde l'autorisation de donner une séance est à tout jamais fermée à qui que ce soit.

Eh bien, malgré cela, nous voyons encore tous les jours ces faits se produire par la faute de certains professionnels, très habiles prestidigitateurs (nous ne parlons pas de magnétisme) qui, pour l'appât du gain de quelques explications techniques, et du pourcentage qui leur est fait sur la recette qu'ils font faire à certain fabricants d'instruments de physique, augmentent la corporation de quelque qualité négligeable comme artiste, et préjudiciable au point de vue corporatif. Il est vrai que pour vulgariser la science magnétique, ces mêmes confrères, piqués par la tarentule littéraire poussent l'outrecuidance jusqu'à publier leurs œuvres !!! et ont trouvé le moyen en compilant, compilant, compilant... un peu partout et même au-delà de l'Océan, de faire élaborer de petits opuscules qu'ils ont signé et dans lesquels ils s'intitulent modestement le plus grand...

Ce qui nous laisse rêveur, c'est que ces professeurs qui parlent et écrivent le français comme une génisse d'Estramadure, ont eu la chance de faire présenter leurs ouvrages aux lecteurs par des gens véritablement lettrés, et dûment pourvus de diplômes académiques. Mais le plus joli, c'est qu'en récompense de cette complaisance, ils leur font une concurrence acharnée en guérissant tous les maux de l'humanité sans qu'Hypocrate ou Galien puissent dire ni oui ni non, puisqu'ils opèrent par suggestion !!

Nous aurions pour notre compte personnel plus de confiance en leurs facultés curatives s'ils daignaient traiter par l'analyse des évacuations liquides du corps humain, dont ils ont été appelés à transvaser une si grande quantité avant de s'improviser Professeur ! Magnétiseur ! Hypnotiseur !!!

Enfin, pour nous résumer, le magnétiseur de séances de café est, croyons-nous, aussi préjudiciable à la prestidigitation, que le débineur de trucs et nous terminerons ce trop long article par un cri d'alarme :

Prestidigitateurs, mes frères, le magnétiseur, voilà l'ennemi !!

Norbert Thiels.

LETTRE OUVERTE à M. Norbert Thiels

Très grand cher Maître.

Quoique très économe de mon temps, je me résigne à le perdre pour vous rappeler, non seulement à vos devoirs statutaires, mais encore à ceux qui sont généralement la base des purs principes du syndicalisme. ll est inutile de dire que vous croyez, dans votre for intérieur, avoir accompli un tour de force supérieur, sans doute, à ceux qui font de vous un manipulateur hors ligne. Si vous pensez ainsi vous avez tort. Tort, d'abord, parce que si vous savez manipuler ou escamoter, vous ne savez pas écrire, ou du moins écrire lisiblement même pour les « Voyantes ». La compilation littéraire que le papier, victime innocente de votre prosodie a dû supporter dans le dernier numéro du journal auquel vous collaborez si magistralement, prouve que vous avez dû vous presser le front pour périphraser sur ce que vous ne connaissez pas, hélas ! et surtout sur ce qui appartient à un esprit autre que celui qui vous anime.

Laissons de côté les grossièretés adressées au corps des magnétiseurs truquant et abordons le principe. La catégorie des illusionnistes serait-elle d'une essence supérieure pour ne pas toucher à ce qui vous offusque tant ? Ou pensez-vous que ce serait déshonorer les sciences hermétiques que de les présenter en un café parmi des buveurs venus pour voir ou boire ou jouer à la manille ?

Si telles pensées vous animent, rien ne s'oppose à ce que vous laissiez le champ libre aux fils de Mesmer ou tout autre fumiste, et que votre tatent, brillant d'un éclat extra divin, ne subisse que le regard pur des gens venus spécialement pour assister aux séances offertes par le descendant direct du si célèbe Bosco.

Je me demande ce que vous allez faire dans cette galère tabagique puisque vous n'ignorez pas que presque tous ceux qui auront à vous apprécier savent d'avance ce que vous y ferez, la bi dextérité n'ayant pas plus que la musique ajouté une note à son répertoire ! Je me demande ce que vous allez faire en ces endroits où tous les garçons se sont affranchis, grâce au peu d'amour-propre que mettent certains de vos confrères à débiner leurs trucs, sous prétexte de faire le bon enfant ou l'épateur !

Je me demande enfin pour quelles raisons un physico ne saurait être hypnotiseur lorsqu'un hypnotiseur peut être un parfait physico. Je sais que rien ne gêne plus un opérateur qu'un autre qui lui est supérieur, mais est-ce un motif pour exprimer sa haine ou démasquer son âme jalouse ? Je ne le pense pas, et beaucoup d'autres ainsi. La haine des préjugés doit suffire à nos peines, point n'est besoin de la haine professionnelle pour alourdir notre existence déjà si difficile. Le coup de massue que vous donnez par une critique trop rigoureuse aux camarades qui vivent de l'aléa des soirées hasardeuses, ne changera rien aux besoins de l'artiste ambulant. Il ne servira qu'à prouver que, contrairement à la solidarité d'une catégorie d'hommes ayant les mèmes besoins, ces hommes sont bien au-dessous des lois sociales en vigueur chez les nègres du Soudan.

La critique peut offrir à votre plume un autre ordre d'idées. Elle peut, cette plume si acerbe pour les humbles et les pauvres diables vivant de votre profession, servir contre l'autocratie bureaucratique qui elle, au moins, se sert les coudes pour vous rappeler que vous n'êtes que des saltimbanques et que, tels des coquins, vous êtes sous la surveillance de la haute police par le fait du dépôt de votre carnet d'artiste au bureau de police. C'est là, croyez-moi, et ailleurs que vous trouverez de quoi épandre votre bile. Là seulement vous ferez oeuvre utile et vous aurez de tous vos lecteurs une appréciation autre que celle provoquée par votre si digne article.

Je ne veux pas croire que notre organe syndical puisse servir d'autres intérêts que ceux pour lesquels il est dévolu, sans cela les syndiqués pourraient croire qu'il a un but non avoué, et de làà penser qu'il veut étouffer une profession au détriment d'une autre, il n'y a qu'un pas. Et ce pas accompli il ne restera dans le syndicat que l'exemple de l'aberration pour laquelle vous avez cru devoir donner un éclat si vif par votre immixtion discordante.

Je pense, Monsieur, que vous ne verrez dans cette lettre qu'une réponse syndicaliste et de bon ordre et que vous saurez mettre fin a ce qui n'aurait jamais dûêtre discuté dans le journal.

Agréez, Monsieur, mes salutations.

B. D. Ordonoff.

(1) Jean-Eugène Robert-Houdin.

LON CHANEY

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Temps de lecture : 28 min

Le cinéma contemporain a un mal chronique à regarder vers le passé. Il est pourtant essentiel de remonter aux sources de cet art populaire qui a vu naitre une multitude d'icônes. Les premières stars furent celles du muet. Quand on demande au grand public de citer leurs noms, en ressort les inévitables Charles Chaplin et Buster Keaton.

Il y a pourtant une autre star qui est tombée dans l'anonymat le plus total. Un acteur qui était une véritable légende dans les années 1920. Un acteur, qui par son jeu unique, a influencé des générations de comédiens jusqu'à nos jours. Son nom : Lon Chaney, « l'homme aux mille visages », « l'acteur des acteurs ».

Aujourd'hui, il est urgent de redécouvrir Lon Chaney, de le sortir du ghetto où il a été enfermé pendant des décennies. Parce que Chaney est une figure essentielle de l'acteur et un modèle d'opiniâtreté. Parce qu'il a révolutionné le transformisme et le rôle de la pantomime au cinéma.

Sur ses cent cinquante six films tournés, seulement quarante et un ont survécus. Si Lon Chaney est connu c'est surtout pour ses performances de « monstres » dans le Bossu de Notre Dame et Le fantôme de l'Opéra. On l'a réduit, à tort, à un acteur de films d'épouvantes alors qu'il était un acteur dramatique complet. Redécouvrons ensemble le parcours singulier de Lon Chaney et les films qui l'ont rendu immortel.

LE THEATRE

Fils de parents sourds-muets, Lon Chaney (1883-1930) de son vrai nom Leonidas Frank Chaney apprend tout naturellement à utiliser ses mains et son corps pour s'exprimer. Il est ainsi obligé de s'initier au langage des signes et à la pantomime pour communiquer avec sa famille.

Pour divertir les siens, Lon Chaney avait coutume de s'aventurer dans la ville et d'observer les gens. De retour à la maison, il jouait de petits sketches silencieux en mimant les citoyens de la ville et les événements passés.

En 1895, il rejoint son grand frère au Colorado Springs Opera House et travaille comme accessoiriste, machiniste et peintre de décors. Dès 1901, il devient acteur de compagnies de théâtre itinérantes et obtient son premier rôle à l'âge de 19 ans.

Chaney (à gauche) dans ses premiers rôles au théâtre.

En 1905, il se marie avec Cleva Creighton (1889-1967) et divorce en 1915. Ils eurent un fils : Creighton Chaney (1906-1973) qui tentera d'atteindre la gloire de son père sous le nom de Lon Chaney Jr. Suite à une histoire à scandale au sujet de son divorce avec la mère (alcoolique) de son fils, Lon Chaney est contraint de quitter les planches pour intégrer le 7ème art.

LE CINEMA

En 1912, aidé par son ami Lee Moran, Lon Chaney intègre les Studios Universal créés la même année par le producteur Carl Laemmle. Ce nouvel emploi va permettre à cet acteur de théâtre de se familiariser avec les tournages marathons et expérimentaux de la nouvelle industrie du cinéma muet.

Les débuts du tout jeune Chaney aux studios Universal.

C'est en 1913 que Chaney débute au cinéma dans le film The ways of fate. Il va ensuite jouer dans des comédies (slapstick), des mélodrames et des westerns où il prête le plus souvent ses traits à des rôles de traître. Parallèlement à ses interprétations, l'acteur s'intéresse de très près à l'art du maquillage. Avec ses rôles de comique, bandit, aventurier, escroc ou jeune premier amoureux, il acquiert une réputation de comédien à la très large palette grâce à un maquillage approprié qui lui permet d'incarner le personnage dont la compagnie a besoin. Tel un caméléon, Lon Chaney est capable de se glisser dans n'importe quel rôle et d'interpréter une multitude de figures.

Ici en Pirate.

Rapidement, Chaney se fait remarquer grâce à sa formidable capacitéà se transformer. Il sait rendre ses personnages réalistes et non stéréotypés en utilisant des gestes précis pour donner de la texture et une profondeur inédite à« ses figures ». Son talent de maquilleur autodidacte lui permet de gravir rapidement les échelons et de prétendre à des rôles de plus en plus importants.

Pendant cinq ans, il tourne près de 107 films de courts et moyens métrages aux studios Universal dont seulement 11 ont survécu. Il écrit également en parallèle des scénarios et réalise six courts métrages dans l'année 1915.

Lon Chaney (à gauche) dans Quits de 1915.

En 1918, il obtient sa première chance grâce à William Hart qui lui propose un rôle de méchant face à lui dans le western Riddle Gawne. Avec ce film Lon Chaney reçoit des éloges pour sa performance et est choisi pour interpréter le personnage de « The Frog » dans un mélodrame appeléàêtre une gloire retentissante : The Miracle Man de George Loane Tucker.

Chaney (à droite) en cowboy dans Riddle Gawne.

The Miracle Man (1919)

Dans The Miracle Man, Chaney joue un contorsionniste qui se sert de la crédulité des fidèles pour faire fortune en faisant croire à un miracle qui lui permet de remarcher après avoir simulé la paralysie. C'est l'occasion pour Chaney de montrer ses dons d'acteur, et d'apparaître comme un maître du maquillage et de la pantomime. Il jouera un double rôle similaire en 1923 dans The Shock et surtout en 1926 dans le magnifique The black Bird. Une critique élogieuse et une recette de plus de deux millions de dollars le propulse au rang de l'acteur de genre le plus important des USA.

Après plus d'une centaine de films chez Universal, Chaney quitte ce studio pour devenir un acteur indépendant.

The Penalty (1920)

Dans ce mélodrame, Lon Chaney alias Blizzard joue un criminel des bas fonds de San Francisco. Etant jeune homme, celui-ci a été victime d'un accident d'automobile, et s'est fait amputé, à tort, des deux jambes par un charlatan. Il grandit dans la violence et l'aigreur en se vengeant sur les riches et les puissants, et en particulier sur le médecin qui l'a mutilé…

Chaney obtient enfin le premier rôle dans un film dont il est la vedette. The penalty est le premier film tourné pour Samuel Goldwyn à la MGM.

Le réalisateur Wallace Worsley, voulait utiliser des angles de caméra truqués pour que Chaney ressemble à un cul-de-jatte. Celui ci refusa et conçu un harnais de cuir qui liait ses jambes, derrière lui, contre ses cuisses. Il marchait ainsi sur ses genoux. Ce fut une épreuve très douloureuse, qui réduisait la circulation de ses jambes entraînant des ruptures de vaisseaux sanguins. Ce trucage physique n'était que secondaire par rapport à l'interprétation rageuse de Chaney.

«L'illusion était si complète que le public halluciné par cette création extraordinaire, se demanda si oui ou non Lon Chaney était amputé des deux jambes !» John Crawell.

Cela a été le premier des nombreux rôles pour lesquels Chaney a subi une auto-torture atroce pour obtenir l'effet désiré, et qui a abouti à sa réputation de masochiste. Ce genre de contorsion deviendra très vite sa marque de fabrique : il incarnera à merveille les êtres défavorisés par la nature, les infirmes, les estropiés, les aveugles avec une prédilection pour le grimage pittoresque.

Avant de devenir une star internationale, Chaney jouera le rôle d'un délicieux vilain dans Victory (1920) de Maurice Tourneur et perfectionnera son art du maquillage avec un double rôle de pirate dans L'Île au trésor (1920) et un rôle de vieux juif dans Oliver Twist (1922).

Chaney dans L'Île au trésor.

Le Bossu de Notre Dame (1923)

Pour sa troisième collaboration avec Wallace Worsley et sous la commande d'Irving Thalberg et de Carl Laemmle, Lon Chaney va devenir une star mondiale grâce à cette deuxième adaptation du roman de Victor Hugo à l'écran. Ce film deviendra aussi la marque de prestige que les studios Universal attendaient.

Carl Laemmle, chef d'Universal, autorisa un budget de 1,5 millions de dollars, un record pour l'époque ! Il fera construire, un des plus couteux décors du cinéma muet en reconstituant le parvis et la façade de la cathédrale Notre Dame en studio. Un plateau gigantesque de 186 sur 280 mètres verra défiler plus de deux cents figurants.

Le jeune producteur Irving Thalberg deviendra, quand à lui, une des personnalités les plus influente du cinéma muet et sera surnommé« le merveilleux garçon d'Hollywood » et offrira, par la suite, à Lon Chaney des rôles sur mesure.

Lon Chaney s'impliqua dans toutes les étapes du film. De la production au scénario. Il collabora à l'adaptation du roman qu'il connaissait sur le bout des doigts et qu'il voulait porter à l'écran dès 1920. Il fut également concerté pour le choix du réalisateur et dirigea quelque scène pendant le film.

Pour son rôle de Quasimodo, Lon Chaney suivi la description de la créature à travers des notes confidentielles de Victor Hugo. L'acteur portait sur son dos une bosse en caoutchouc pesant vingt cinq kilos attachée à un harnais de cuir reliée à un grand plastron. Avec cet accoutrement Chaney était incapable de se tenir debout. Son torse était recouvert d'une peau tendue, couleur chair en caoutchouc, recouverte de poils d'animaux. La chaleur à l'intérieur du costume était insupportable et l'acteur était toujours trempé de sueur. Son visage était également recouvert d'un masque en caoutchouc d'une seule pièce qui déformait son œil droit. Un énorme travail fut effectué sur sa dentition et sa mâchoire inférieure après l'essayage de plusieurs prothèses. Après quatre heures de préparation chaque jour, cette transformation soumettait son corps aux pires souffrances. Lon Chaney voulant au final, ressentir physiquement la douleur de Quasimodo.

He Who Gets Slapped (1924)

L'histoire : Le professeur Baumont (Lon Chaney), grand scientifique, subit l'humiliation de sa vie : alors qu'il vient d'achever le chef d'œuvre de sa carrière, son ami le Baron le lui vole pour en retirer tous les bénéfices. Devant une audience de barbus universitaires, Baumont tente de se défendre en expliquant qu'il est bel et bien l'auteur de la découverte. Le Baron le traite alors de fou et le gifle en public, ce qui provoque l'hilarité générale de l'assistance. Meurtri, humilié, Baumont retourne péniblement chez lui pour découvrir que sa femme le trompe avec le Baron. Elle décide alors de le quitter. Plusieurs années après, Baumont est devenu clown dans un cirque, un clown connu sous le nom de « Celui que l'on gifle » et qui amuse les foules en se ramassant des baffes de la part de soixante clowns rieurs. Arrive alors Consuelo, jeune et belle écuyère dont un jeune cavalier et Baumont tombent amoureux. Quant au Baron, venu rire aux pitreries de « Celui que l'on gifle », il sympathise alors avec le père de Consuelo, un homme plus soucieux de son compte en banque que de sa fille…

Ce classique du cinéma muet est la toute première production de la Metro-Goldwyn-Mayer (Irving Thalberg associéà Louis B. Mayer) et l'un des premiers succès commercial et critique du studio. Une réussite totale, un chef d'œuvre qui est du aux talents combinés du réalisateur suédois Victor Seastrom, de son acteur principal Lon Chaney et du duo légendaire Thalberg / Mayer.

Dans cette dramatique histoire d'amour, Chaney fait une démonstration saisissante de son talent pour retranscrire les émotions de son personnage brimé et humilié. Roulement des yeux, grimaces, froncements de sourcils, chacune de ses apparitions est fascinante. Avec ses surimpressions saisissantes, He Who Gets Slapped est d'une grande beauté plastique qui s'adresse autant à l'œil qu'à l'âme des choses.

Le film se termine de façon tragique et brutale, lorsque Baumont lâche un lion sur le Baron et le père de Consuelo qui se feront dévorer vivants. Un acte de vengeance ultime qui permet enfin à Baumont de renverser la situation et de rire du mal de celui par qui son malheur arriva, avant de s'écrouler devant son public à cause d'une blessure mortelle infligée par le père de sa bien aimée. Déchirant.

Le Fantôme de l'Opéra (1925)

Cette adaptation du roman de Gaston Leroux est une remarquable réussite grâce à son casting et à sa réalisation confiée à Rupert Julian. Le film deviendra, au fil des décennies, la version ultime de l'adaptation du roman à l'écran.

Parmi les séquences les plus marquantes :

- la scène du grand escalier où le grand lustre, de douze mètre de diamètre pesant 8000 kilos, s'écrase sur les spectateurs de l'opéra.
- l'arrivée du fantôme déguisé avec un masque de mort.
- la scène où la jeune fille (Mary Philbin) se glisse derrière le fantôme et enlève son masque. Un des grands moments du cinéma d'horreur.

Comme pour Le Bossu de Notre Dame, le maquillage de Chaney était un exercice d'auto-torture. Il avait mit au point un dispositif inséré dans son nez qui se propageait dans ses narines pour en relever la pointe. Il s'inséra de fausses dents en saillie auxquelles étaient rattachés de petites broches reliées aux coins de sa bouche. Pour finir, des disques de Celluloïd placés dans sa bouche étaient utilisés pour faire ressortir ses pommettes. Le maquillage de Lon Chaney fut une source d'inspiration pour beaucoup d'autres maquilleurs et notamment pour le créateur de Batman, Bob Kane qui s'est inspiré d'Erik pour concevoir son Joker.

Erik le fantôme qui hante l'Opéra de Paris est probablement le personnage le plus célèbre et certainement le rôle le plus horrible joué par Lon Chaney. Produit par Carl Laemmele au sein d'Universal (le studio qui se spécialisera dans les films d'horreur dans les années 30), le film a été mit à l'écart pendant près de deux ans, et a été soumis à d'intenses rafistolages. D'autre part, de grosses tensions entre Chaney et Julian n'ont pas facilité le tournage. Alors que beaucoup s'attendait à une catastrophe, le film se révéla être un énorme succès commercial et critique.

Après Le Fantôme De L'Opéra, Irving Thalberg engage définitivement Chaney comme acteur à la Metro-Goldwyn-Mayer. Durant les cinq dernières années de sa carrière cinématographique (1925-1930), Chaney travailla exclusivement sous contrat avec la MGM. C'est pendant cette période qu'il offrit ses interprétations les plus remarquables sous la direction de Tod Browning.

Lon Chaney pouvait changer de visage sans maquillage comme l'atteste ses rares photos !

TOD BROWNING

«J'ai la chance d'avoir à ma disposition un artiste comme Lon qui adopte les apparences et les déguisements des plus grotesques. Plus ils sont grotesques, plus Lon les aime. Sa souffrance pendant certains de ses trucages, ce n'est pas de la publicité ! Il est capable de faire n'importe quoi par amour envers un film.» Tod Browning.

Lon Chaney fut l'acteur fétiche de Tod Browning qu'il rencontra la première fois en 1919 sur le tournage de The Wicked Darling, le premier long métrage de Tod Browning dans lequel Chaney joue le rôle d'un truand. En 1920, Browning refait tourner Chaney dans Outside the Law qui le voit déjà endosser un double rôle : celui d'un fidèle serviteur chinois et d'un cruel truand américain. Chaney développera par la suite une panoplie impressionnante de figures d'asiatiques se concrétisant par Mr Wu en 1927.

Outside the Law, premier double rôle de Chaney chez Browning.

Mais ce n'est que cinq ans plus tard, en 1925 que les deux hommes deviendront d'inséparables amis et collaboreront dans une symbiose totale que seule la mort de l'acteur interrompra. Ensemble, ils tourneront huit films qui confirment leur goût commun pour la description des êtres en marge : The unholy three, The black bird, The road to Mandalay, The unknown, London After Midnight, The big city, West of Zanzibar et Where east is east.

En grand amateur de cirque et des phénomènes de foire, Tod Browning offre des rôles de composition à Lon Chaney jouant toujours un malfrat, un bandit, un gangster, un hors la loi ou un rebelle. Le cinéaste s'intéressa moins à l'art du maquillage de son acteur qu'à l'extraordinaire agilité de son corps, à la plasticité de son visage et à sa capacitéà refléter les émotions les plus extrêmes. Dans les films de Browning, l'acteur y fait étalage d'un jeu qui transcende le caractère répulsif de ses personnages, les rendant attachants. Déguisé en vieille femme criminelle dans The unholy three (1925), borgne dans The road to Mandalay (1927), le voici manchot dans The unknown (1927) avant de jouer les vampires aux yeux exorbités dans London After Midnight (1927).

Chaney alias Singapour Joe dans The road to Mandalay.

Lon Chaney sera toujours l'homme délaissé par la femme qu'il aime en raison de son infirmité. Un personnage tordu, difforme, paralysé, borgne, sans bras et torturé moralement par les affres d'un amour impossible. Dans tous ces rôles mélodramatiques, le comédien parviendra toujours à rendre son personnage attachant et même parfois déchirant, par sa sincérité et sa puissance.

Avec Lon Chaney, Tod Browning dévie la représentation classique du monstre. Ici, nuls effets, nuls oripeaux, nuls trucages. L'acteur doit trouver, au fond de son corps, la marque d'une probable difformité. Le maquillage n'est là que pour soutenir la prouesse monstrueuse, il n'est pas l'instrument qui va faire « croire ». Chez Browning, le corps seul est l'instrument de la déviation, et pour parler du handicap, il filme les potentialités de ce même corps. C'est bien l'incertitude qui traverse le corps de Lon Chaney dans les films de Browning, l'incertitude non pas sur ce qu'il devient, mais sur ce qu'il est devenu, l'incertitude non pas sur ce qu'il est, mais sur ce qu'il était. À l'encontre des comédiens qui jouent le handicap et pensent le jouer vraiment, « L'homme aux mille visages » a suivi son cinéaste sur le versant autrement plus fantastique de la contamination pour délivrer, grâce à ces incarnations monstrueuses, l'insondable secret lovecraftien. En chacun de nous, en notre corps se profile un monstre.

Chaney alias Echo et sa marionnette Nemo dans The Unholy three.

A l'époque où les sentiments qui traversaient un personnage n'étaient exprimés que par le corps de l'acteur, Lon Chaney, disait vouloir avant tout «examiner l'âme et le cœur du personnage que je joue». Mais, ajoutait-il, «puisque le visage d'un homme reflète souvent l'état de son âme et de son cœur, j'essaie de le montrer à travers mon maquillage, qui n'est que le prologue. »

Tod Browning rejoignait Chaney dans sa vision de l'acteur et du personnage. Dans ses films, les péripéties narratives découlent de l'état physique et psychique d'un individu extraordinaire, greffe d'irréalité (le personnage) et de chair (l'acteur). La fiction se soumet ainsi au personnage et à l'acteur, et non l'inverse. C'est sur le corps de Chaney que la fiction s'identifie.

The Unholy three (1925)

L'histoire : Le ventriloque Echo (Lon Chaney) et ses camarades Hercules et Tweedledee le nain, décident de mettre sur pied une arnaque machiavélique. Ils montent une oisellerie afin de vendre des perroquets doués pour la parole. Mais les talents d'orateur de ceux-ci ne sont en réalité qu'un subterfuge réalisé grâce au talent de ventriloque d'Echo déguisé en vieille grand-mère, Mrs O'Grady, à la bonté infinie. Les clients déçus de ne pas pouvoir taper la discussion avec leurs perroquets, appellent la grand-mère à la rescousse. Celle-ci rend alors visite à ses clients avec une poussette contenant son petit-fils, Tweedledee déguisé en bébé. Et pendant que grand-mère parvient à faire parler l'oiseau incriminé, bébé procède à des repérages en vue d'un futur cambriolage... Les affaires marchent, jusqu'au jour où l'un de leur casse tourne au drame et laisse un mort derrière eux.

Le nain, le géant et le ventriloque.

C'est le producteur Irving Thalberg qui est à l'initiative du projet et qui fait se rencontrer Browning et Chaney. Dans cette production luxueuse de la MGM, Tod Browning met en scène, comme souvent, des personnages marginaux qui lui tiennent à cœur. Ici, les artistes de foire sont les criminels et ils paieront au final leur crime. Seul Echo parviendra à s'en sortir.

Irving Thalberg en compagnie de Lon Chaney et d' Harry Earles.

Chaney effectue un véritable tour de force en interprétant deux rôles. Le personnage du ventriloque est à la base une doublure. La marionnette Nemo est le double d'Echo le ventriloque, une projection de lui-même. A travers Nemo, Echo semble démontrer ce que Lon Chaney fait avec son propre corps : l'animer de gestes et suggérer une voix.

Chaney en Mrs O'Grady dans The Unholy three.

Sa prestation en grand-mère trapue est remarquable, surtout quand Echo, caché derrière une porte, imite par la pantomime et la voix « off » Mrs O'Grady. Caché dans cette arrière boutique, l'acteur nous donne à voir ses gestes simples au moment où il prépare son rôle comme s'il était dans sa loge. Le jeu de ses expressions faciales reste toujours un élément de fascination majeure, que ce soit pour exprimer la cruauté, le dédain, la tristesse ou l'appréhension. L'éventail ainsi déployé est d'une immense richesse, surtout que Tod Browning pousse son acteur à jouer avec les éléments sonores du réel.

The Black Bird (1926)

L'histoire : L'Oiseau noir (Lon Chaney) est un truand notoire qui porte son dévolu sur Fifi, une jeune et jolie française qu'il rencontre dans le cabaret qu'il fréquente régulièrement. Également courtisée par Bertie, escroc de son état lui aussi, Fifi succombe aux avances et au charme de ce dernier. Ensemble, ils décident donc de rendre visite à l'Evêque, frère jumeau estropié de l'Oiseau noir, en vue d'une future union. Mais ce qu'ils ignorent, c'est que l'Évêque et l'Oiseau noir ne sont en réalité qu'une seule et même personne, l'identité du premier servant de couverture au second. Et si la supercherie fonctionne aussi bien, c'est que l'Oiseau noir possède la faculté de se déboîter la hanche et l'épaule afin de se donner un véritable air d'handicapé.

Dans The Black Bird, Lon Chaney incarne tour à tour l'Oiseau Noir et l'Évêque, deux frères, moralement et physiquement dissemblables. Si l'un est un individu louche et malfaisant, droit et bel homme, l'autre, d'une bonté sans égale, est marqué dans sa chair, estropié. Très rapidement, le spectateur comprend que ces deux personnages ne font qu'un : l'Évêque se transforme en Oiseau Noir, nouveau docteur Jekyll et mister Hyde, couvre et absout les crimes de son « frère ». Le repaire de l'Oiseau Noir est aussi la loge de l'acteur, où le passage d'un personnage à un autre se réalise. Lors des transformations les deux rôles cohabitent dans un même corps tandis que les voix maintiennent l'illusion de deux corps (comme Echo dans The Unholy three).

Ce mélodrame atmosphérique est une perle rare, un joyau presque invisible (pas de diffusions, ni d'édition DVD existante), un trésor que l'on découvre et que l'on garde jalousement. Cette boîte de pandore renferme la transformation ultime de Lon Chaney. Et cette transformation nous est montrée étape par étape. Tod Browning explose les limites corporelles de son acteur fétiche et propose au spectateur la primeur de ces transformations. Par deux fois, il filme ce passage d'un état à un autre, de la normalitéà la déviance. Nous restons bouche bée devant tant de virtuosité, où la douleur se mélange avec la terreur et la beauté. Un moment de cinéma d'une rare intensitéémotionnelle qui vaut toutes les transformations de « monstres » au cinéma. C'est unique car nous touchons à l'essentiel même de la mutation à l'intérieur même du corps sans artifice et tricherie. Cette mise à nu provoqua chez Lon Chaney des douleurs éprouvantes dont la moindre erreur lui était interdite. A la fin du film, les deux frères sont définitivement confondus dans le même corps de l'acteur. Le personnage réel (l'Oiseau Noir) meurt emporté par son frère imaginaire (l'Évêque) et ainsi emporte son secret dans sa tombe.

The Unknown (1927)

L'histoire : Dans un cirque, Alonzo (Lon Chaney) l'homme sans bras, est éperdument amoureux de la belle Nanon (Joan Crawford), elle-même courtisée par Malabar, l'homme fort du cirque capable de tordre des barreaux de fer à mains nues. Mais Nanon a horreur des mains d'homme qui se baladent sur son corps, ce que Malabar ne parvient évidemment pas à comprendre. Cette phobie est alors saluée par Alonzo qui est en réalité un faux manchot cachant son identité de criminel identifiable grâce à sa main à deux pouces. Par amour pour sa belle, Alonzo décide de se faire amputer des deux bras...

The Unknown est le sommet du tandem Chaney/Browning, un chef d'œuvre macabre dans lequel Lon Chaney fait preuve d'un talent saisissant dans le rôle de ce manchot utilisant ses pieds comme des mains C'est au travers de son visage hautement expressif que le film fascine.

The Unknown avait tout pour tomber dans la bluette romantique, mais le film présente subtilement le triangle amoureux le plus macabre que l'on puisse imaginer. Tod Browning nous sort de son chapeau un conte cruel dont l'ahurissante trame mélodramatique est exacerbée jusqu'au pathologique. The Unknown se termine en horrible tragédie avec un happy end de rigueur qui n'en reste pas moins amer.

Ce faux film d'infirme, développe le thème de l'autocastration et de la frigidité. Le film devient une étude universelle sur la sexualité comme mise en scène. Simulant la castration pour mieux posséder Manon, Alonzo est à la fois acteur, spectateur et metteur en scène fixant les rôles de chacun pour contrôler la situation en sa faveur. Ce qui importe pour lui est le contrôle et le spectacle. En déshabillant Manon d'un pistolet puis la cernant de couteaux, il se croit maître de son corps dans la magnifique séquence d'ouverture, tel une valse du désir, un cérémonial où tout est artifice.

La scène de déshabillage d'Alonzo est le « twist » de l'histoire et une magnifique mise en abyme du travail de l'acteur Chaney. Lorsque Cojo le nain enlève les diverses couches vestimentaires d'Alonzo et nous montre l'étrange attirail (un corset) qui garde prisonnier le torse de l'acteur, nous jurons assister à un documentaire. Au-delà du canular, Chaney semble d'une habileté extraordinaire pour parvenir à se servir de ses pieds comme s'il n'avait plus de bras, puis il devient le plus grand des acteurs lorsqu'il réussit à nous faire croire qu'il a vraiment fini par les perdre.

London After Midnight (1927)

L'histoire : Depuis la mort mystérieuse du riche M.Balfour des choses étranges arrivent, ce qui a incité Scotland Yard et l'inspecteur Edmund Burke (Lon Chaney) à enquêter. Pendant un temps, il semble que Burke soit aussi perdu que les autorités locales, surtout lorsque l'héroïne Lucy Balfour (Marceline Day) est confronté au « cadavre vivant » de son père. Burke et Lucy travaillent ensemble dans l'élaboration d'un canular pour piéger le meurtrier de son père. Le meurtrier est prit au piège. Le masque tombe et révèle Edmund Burke sous les traits du vampire !

London After Midnight est la plus fascinante perte du tandem Chaney/Browning. Le film a obtenu au cours des années un statut légendaire. Les nombreuses critiques des années 1930 le considèrent comme une œuvre majeure, nettement supérieur à son remake de 1935, Mark of the Vampire. C'est le film du tandem qui a fait le plus d'entrée, le plus populaire aussi. Inspiré par l'adaptation récente du Dracula de Bram Stoker à Broadway, le scénario est transposé dans le brouillard londonien.

London After Midnight est sans doute le premier film de Browning où le rapport entre la vérité de la douleur et la facticité de la fiction s'inversent et se déséquilibrent. Ici, tout paraît artificiel, dévalorisé et dévalué par l'artifice. De l'attitude guindée des acteurs à l'éclairage frontal, jusqu'au choix des accessoires. Par le travail de la lumière, le réalisateur tire le plus souvent les silhouettes vers la statuaire, l'effet, la figurine. Il n'y a plus que des maquettes désertées par le sentiment ou par l'affect. La fiction de fantômes permet à la vérité d'éclater et au meurtrier d'être démasqué.

Pour obtenir des yeux exorbités, Chaney utilisait un appareil qui lui creusait les paupières.

Lon Chaney interprète deux personnages : l'enquêteur et le revenant halluciné. Voir ces deux personnages extrêmes c'est se confronter à la dualité de l'acteur. D'un côté le visage presque nu de l'enquêteur comme s'il s'agissait du visage de Chaney à l'état naturel, et de l'autre un visage-masque de spectre marquéà l'excès, une figure parodique et grotesquement effrayante.

West of Zanzibar (1928)

L'histoire : Sous le pseudonyme de Phroso, l'illusionniste Flint se produit à Londres dans un numéro de substitution à l'intérieur d'un cercueil, avec son épouse Anna. Mais celle-ci s'enfuit avec Crane, qu'elle croit aimer. Au cours d'une violente dispute dans les coulisses, Crane précipite son rival par-dessus une rambarde. Quelques mois plus tard, ayant perdu l'usage de ses jambes, Flint recueille Maizie, la fille d'Anna, qui vient de mourir... Dix-huit ans ont passé. Devenu « Dead legs », et vivant au Congo belge à la lisière de la jungle, Flint, en compagnie de ses trois complices Doc, Tiny et Babe, exploite par ses tours la crédulité des indigènes et vole l'ivoire de Crane, qui est devenu un trafiquant. Il fait revenir dans son antre Maizie, élevée grâce à ses soins dans un bourg de Zanzibar…

La transformation de Phroso, le magicien, en « Dead legs », l'infirme, est un passage accidentel et une révélation pour le personnage qui en profite pour se rebaptiser. Il se donne un nom qui honore l'apparence corporelle que l'accident a créée pour lui, et quitte le monde qu'il habitait. Chaney abandonne le beau visage de Phroso, aux sourcils et aux lèvres soulignés par un maquillage pour apparaître sous les traits vieillissants de « Dead legs » qui respire la souffrance morale. Ce n'est pas seulement le visage, mais tout le corps qui est prit par un sentiment. Plus de masque, ni de déguisement, ni de duplicité mais une souffrance se prolongeant du visage jusqu'au corps.

«Je voulais rappeler aux gens que ceux qui se trouvent au plus bas de l'échelle de l'humanité peuvent avoir en eux la ressource pour l'abnégation suprême. Le mendiant raccourci, difforme des rues peut avoir les idées les plus nobles. La plupart de mes rôles depuis Notre-Dame de Paris ont eu pour thème l'abnégation et le renoncement. Voilà les histoires que je souhaite faire.» Lon Chaney.

Ses autres rôles marquants

Si les films tournés par Chaney ne sont pas tous bons, ses performances le sont toujours !

Chaney dans The monster, un navet de 1925.

Le plus grand succès public de Chaney fut Tell It to the Marines (1926) où il incarna le sergent O'Hara, un personnage héroïque qui deviendra le prototype d'une « armée » de soldats à venir, le genre d'officier brutal au cœur d'or. Stanley Kubrick s'en souviendra pour son film Full Metal Jacket en confiant à Vincent D'Onofrio le rôle d'un odieux marine. Chaney prouva avec Tell It to the Marines qu'il pouvait tenir un rôle, au-delà du grimage et de la pantomime, par son pur talent d'acteur et son charisme. Un de ses rôles préférés.

Dans Mr. Wu (1927) Chaney joue deux rôles de chinois comme auparavant dans Outside the Law (1920), Bits of life (1921) et Shadows (1922).

Six heures de maquillage furent nécessaire pour le personnage du grand-père dans Mr. Wu. La plus longue préparation de Lon Chaney pour un rôle.

Laugh, Clown, Laugh (1928) surf sur le succès de He Who Gets Slapped (1924) et en reprend la trame initiale. Lon Chaney joue le rôle d'un clown meurtri par l'amour qu'il porte à sa fille adoptive. Un clown qui masque son propre malheur en faisant rire les autres jusqu'à la tragédie.

UNE FIN DOULOUREUSE

Il ne fait aucun doute que les plus exténuantes performances de Lon Chaney ont affectées sa santé. Quand celui-ci à porté des lentilles de contact, pour simuler la cécité, il a été par la suite obligé de porter des lunettes. Plus grave, les différents harnais qu'il portait pour modeler son corps ont endommagé sa colonne vertébrale irréversiblement.

Chaney et la marionnette Nemo dans The Unholy three.

En 1929, Chaney commença à avoir des problèmes avec sa gorge. Sur le tournage de Thunder de William Nigh, une histoire de chemin de fer dans la neige d'Amérique du Nord, un morceau de neige artificielle s'introduisit dans sa gorge. Il est de suite transféréà l'hôpital et ses amygdales lui sont retirées, mais sa gorge est fragilisée. En 1930, malgré d'extrêmes douleurs, il tourne son premier film parlant sous la pression d'Irving Thalberg. Ce sera The Unholy Three, un remake de la version muette de 1925. Chaney était contre le parlant, non seulement parce qu'il avait mis fin à la carrière d'autres acteurs dont la voix silencieuse avait déçu le public, mais aussi parce qu'il signifiait la fin de sa spécialité : la pantomime. Contre toute attente, le public et les critiques furent impressionnés par la polyvalence de sa voix (une voix de baryton modulable) comme ils l'ont étéà celle de son corps. Durant le film Chaney n'imitait pas moins de cinq voix : celle d'une vieille femme, d'un ventriloque et de son mannequin, d'une fille, et même d'un perroquet. Pour le prouver, il avait dû signer un certificat qui a été reproduit dans la jaquette publicitaire envoyée avec le film.

De nombreux projets lui sont alors soumis. Tod Browning songa à lui pour le personnage de Dracula qu'il préparait, mais se sera Bela Lugosi qui reprendra le flambeau. Le destin ne devait pas lui permettre de concrétiser ce projet. Moins de deux mois après la sortie du film, le 26 août 1930 à l'âge de quarante sept ans, il décède d'un cancer de la gorge qui lui fit perdre l'usage de la parole. Un sinistre et ironique coup du sort, pour cet enfant de sourds et muets qui a été forcé de revenir à la langue des signes pour communiquer avec ses proches à la toute fin de sa vie.

DE L'HOMME AUX MILLE VISAGES

Le parcours de Lon Chaney restera un exemple de persévérance entourée de mystère. Cet homme discret, qui refusait les interviews et les séances de signatures, a su bâtir sa carrière sur des rôles atypiques et singuliers en dehors des modes. Il a démantelé son physique à partir de personnages aux corps difformes. Il a joué sur tous les plans l'acteur qui joue un monstre. Déformé, détourné, le corps de Lon Chaney a suscité ample curiosité et provoqué, paradoxalement, chez le spectateur, une sorte de sadisme. Le regard s'attarde, s'acharne sur ce corps en souffrance. Car à chaque prise, l'acteur se courbe, se contorsionne, et met en danger son corps. L'incomparable élasticité de son visage et la capacitéà endosser des rôles qui mettaient en péril son propre corps lui ont valu une mention très spéciale dans l'histoire de la métamorphose au cinéma. Si l'acteur a utilisé le corps monstrueux pour se cacher, il n'a pu, en revanche, en sortir indemne.

Chaney en pleine séance de maquillage. Le biographe de Chaney, Michael Blake, considère la trousse de maquillage de celui ci comme la pièce centrale de l'histoire du maquillage de cinéma. « L'homme aux mille visages » n'a pas dévoilé ses secrets. Cependant, Lon Chaney écrivit l'article sur le maquillage dans l'Encyclopedia Britannica.

«Lon Chaney était quelqu'un qui extériorisait notre psyché. D'une certaine façon il pénétrait à l'intérieur des ombres qui se trouvaient en nous ; il était capable d'épingler certaines de nos peurs secrètes et de les restituer à l'écran.» Ray Bradbury.

Filmographie sélective :

-The Miracle Man de George Loane Tucker, 1919 (film perdu)
-The Penalty (Satan) de Wallace Worsley, 1920
-Le bossu de Notre Dame de Wallace Worsley, 1923
-He Who Gets Slapped (Larmes de clown) de Victor Sjöström, 1924
-Le fantôme de l'opéra de Rupert Julian, 1925
-The Unholy three (Le Club des Trois) de Tod Browning, 1925
-The Black bird (l'Oiseau noir) de Tod Browning, 1926
-The Unknown (L'Inconnu) de Tod Browning, 1927
-London After Midnight de Tod Browning, 1927 (film perdu)
-West of Zanzibar (Le Talion) de Tod Browning, 1928

Bibliographie :

-The Man Behind the Thousand Faces de Michael F. Black. Editions Vestal Press (1990).
-A Thousand Faces de Michael F. Black. Editions Vestal Press (1995).
-Tod Browning, fameux inconnu de Pascale Risterucci. Cinémaction (octobre 2007).

Vidéographie :

- Le Biopic Man of a Thousand faces (1957) de Joseph Pevney avec James Cagney dans le rôle de Lon Chaney. DVD chez Carlotta films.
- Le documentaire A Thousand Faces (2000) de Kevin Brownlow sur la carrière de Lon Chaney.

A lire :

-Tod Browning
-Magie et Cinéma

Photos : Bettmann/CORBIS, Elias Savada, David J.Skal. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

Bill VIOLA

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C'est la plus importante rétrospective jamais consacrée au pionnier de l'art vidéo, regroupant ses tableaux en mouvement, ses installations vidéos et retraçant le voyage spirituel d'un artiste devenu une icône.

« Sculpter le temps » : telle est la définition que donne Bill Viola de son art. « Le temps est la matière première du film et de la vidéo. La mécanique peut en être des caméras, de la pellicule et des cassettes, ce que l'on travaille, c'est du temps. On crée des événements qui vont se déplier, sur une sorte de support rigide qui est incarné par une cassette ou de la pellicule, et cela constitue l'expérience d'un déroulement. En un sens, c'est comme un rouleau, qui est une des formes les plus anciennes de communication visuelle. » Un temps que Viola aime faire durer, répéter, ralentir à l'extrême, comme pour en montrer toutes les lignes et les formes.

Cette rétrospective est conçue comme un voyage introspectif en trois temps, autour des trois questions métaphysiques majeures de l'œuvre de Bill Viola : Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? L'enjeu de l'artiste n'est pas de répondre à ces questions mais de nous y confronter. Il n'y a pas de réponses à la vie ou à la mort, on doit en faire l'expérience, les approcher et les étudier. C'est un itinéraire en forme d'odyssée artistique et technologique à travers l'histoire de la création d'un médium, aujourd'hui omniprésent dans l'art contemporain.

Les cinq décennies de l'œuvre de Bill Viola sont représentées, de 1977 à 2013 : tous ses genres et toutes ses séries emblématiques. On y voit l'artiste s'essayer à tous les formats, tous les dispositifs, toute la palette de l'art vidéo : le direct, l'autoportrait performatif, le film long métrage, le ralenti extrême, l'installation multi-écrans, les projections, les écrans plasma, les fresques d'images numériques, l'utilisation d'une caméra de surveillance infra-rouge, jusqu'à l'installation monumentale filmée dans des studios quasi hollywoodiens avec décors, figurants, chefs opérateurs et effets spéciaux !

Viola veut créer les conditions d'une immersion dans l'image, symbole exprimé par la métaphore récurrente du corps plongé dans l'eau qui voit le surgissement d'images fantomatiques ou hallucinatoires.

« Je suis né en même temps la vidéo. » Bill Viola.

Immersion

C'est un traumatisme d'enfant, maintes fois raconté par l'artiste, qui apparaît comme la scène fondatrice et capitale de son œuvre future. Bill Viola manqua de se noyer dans les profondeurs d'un lac… Cette scène nourrira plusieurs dispositifs dans lesquels apparaitront des visions submarines, subréelles où des corps seront immergés, des figures filmées dans leur reflet, des hommes traversant la surface lisse du monde pour plonger dans les abysses en combattant le déluge...

Lévitation et suspension

Nombreuses sont les lévitations dans le travail de Bill Viola. Des corps en suspens qui flottent dans les airs ou dans l'eau. La plus belle illustration de ce phénomène est la monumentale projection vidéo Tristan's ascension (The sound of a Mountain Under a Waterfall) avec le performeur John Hay (2005). Elle montre le corps d'un homme doucement enlevé par une pluie diluvienne. Ce tableau décrit l'ascension de l'âme humaine après la mort, « au moment où elle se réveille et se trouve emportée par une chute d'eau », explique Viola. La cascade s'écoule ici à l'envers. L'eau, qui commence comme une pluie avant de se transformer en cascade, finit par réveiller un homme allongé sur une dalle. Son corps inerte est soulevé peu à peu, puis s'élève jusqu'à disparaître. A la fin le débit ralentit et laisse seulement quelques gouttelettes sur la dalle. L'homme a été emporté.

« Si les portes de la perception étaient ouvertes, alors tout apparaîtrait à l'homme tel quel : Infini ». William Blake cité par Bill Viola en 1979.

Anamorphoses

L'œuvres de Bill Viola est remplie d'anamorphoses et de distorsions en tout genres. Il est en cela un vrai artiste baroque, jouant de tous les artifices technologiques pour toucher au sublime. La technique du ralenti offre la possibilité de tordre le réel, de le suspendre pour mieux en révéler son caractère illusoire.

Le meilleur exemple de cette théorie se trouve dans Surrender (2001), deux écrans muraux montrant en haut le buste d'un homme et en bas, à l'envers, le buste d'une femme. Les deux sont appuyés contre un plan d'eau dont on ne voit qu'une mince bande reflétant une parcelle de leur corps. Très lentement, sur les visages de la femme et de l'homme apparait une plainte, puis les corps se penchent et les têtes s'enfoncent dans l'eau. Les deux silhouettes s'étirent et se déforment dans un jeu maniériste doublé d'une vraie cruauté emphatique.

Peinture numérique

Bill Viola est un peintre qui a inventé une nouvelle palette de couleurs technologiques et numériques pour créer des tableaux en mouvements qui s'inscrivent dans une histoire de l'art singulière où l'on croise les plus grands maîtres de Goya à Giotto, en passant par Jérôme Bosch et Mantegna. Viola compose ses images avec une sensibilité magnifique qui touche au sublime par l'emploi du ralenti.

The Greeting (La visitation) de 1995 est le premier film de Bill Viola se référant à une peinture (celle de Pontormo peinte en 1528 pour l'église de Carmignano près de Florence). A partir de 1998, Viola va commencer à explorer le thème des passions. Il réalise alors une magnifique série de vidéo qui s'inspire d'œuvres anciennes auxquelles elles empruntent le format et les conditions d'exposition.

« Je suis intéressé par ce que les anciens maîtres n'ont pas peint. » Bill Viola.

Méditation

Bill Viola s'intéresse très tôt aux philosophies orientales et aux cérémonies traditionnelles et pour lui, la technologie n'exclut pas l'intériorité, au contraire ! On ne compte plus les nombreux voyages spirituels effectués avec sa compagne au Japon, en Indes, aux îles Fidji et Salomon, ou au Tibet. Viola est un mystique de toutes les cultures ! Pas étonnant que ses œuvres et l'esthétique de son travail ressemblent à de longues séances de méditation qui consistent à se fixer sur un temps présent, à concentrer son regard pour aller plus loin dans la perception d'un sujet. Que vois-je ? La caméra est pour l'artiste ce second œil pour nous « réapprendre à regarder », et approcher le monde au-delà ou en deçà des apparences.

« Le paysage est le lien entre notre moi extérieur et notre moi intérieur. » Bill Viola.

Conclusion

L'œuvre de Bill Viola est d'une richesse thématique inépuisable. Entre méditation existentielle et temporelle, elle développe également toute une mythologie des apparences en travaillant la surface et la profondeur, la face visible et le côté obscure. Elle convoque les mythes de Narcisse et d'Orphée dans sa quête d'un au-delà entre le royaume des vivants et des morts. A trop se miroiter dans les eaux « troubles », nous finissons par nous perdre pour mieux nous retrouver. Une traversée du miroir qu'illustre parfaitement la vidéo Visitation (2008).

« Nous atteignons la fin de l'ère de la vision optique. Aujourd'hui, ce que l'œil voit ne doit pas nécessairement être pris pour une chose réelle. La réalité est submergée par des informations incorporées en nous. C'est pourquoi ce qui est subjectif est en train de devenir la nouvelle objectivité. » Bill Viola.

Le travail de Bill Viola est d'une forme esthétique hypnotique qui cache un regard plus conceptuel sur le monde : ce que nous prenons pour la réalité n'est peut-être qu'une illusion. Ainsi pourrait se définir l'ensemble de son œuvre.

- L'exposition Bill Viola a eu lieu au Grand Palais de Paris du 5 mars au 21 juillet 2014.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.

LES CONTES DE LA NUIT

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Les contes de la nuit reprennent cinq courts-métrages d'une série de dix contes intitulés Dragons et Princesses (diffusée sur Canal+ à l'automne 2010). Le film est complété par un court inédit spécialement réalisé pour l'exploitation en salle. Loin d'être une simple compilation, Les contes de la nuit sont un vrai projet de cinéma, un spectacle cinématographique dans la tradition des projections des premiers temps.

Au total, six petits contes d'environ treize minutes bâtis sur un schéma récurrent :

Dans un vieux cinéma, trois personnages (deux adolescents et un vieux technicien) réinventent l'univers du conte en se déguisant, en se documentant et en bricolant des histoires bien à eux. Ils défendent ainsi un idéal de générosité et d'intégrité, combattent le calcul et le mensonge tout en dénoncent le fanatisme et les dictatures au travers de la transmission des valeurs par le biais de paraboles simples. Un jeu ludique avec le spectateur qui s'amuse, lui aussi, à faire semblant.

« Au cours des années, j'ai découvert une chose agréable : je suis un sorcier. J'ai deux pouvoirs : celui de produire de la beauté et celui de susciter des êtres et des faits qui n'existent pas et qui nous font voyager à travers différents univers, comme sur un tapis volant. J'en profite avec passion. J'ai trouvé le véhicule qui me permet de raconter mes histoires. Les deux enfants des Contes de la nuit font mon merveilleux métier, en compagnie d'un vieux technicien, ils inventent, se déguisent, et jouent l'histoire qui leur chante dans le pays qui les charme. J'ai un goût extrême pour les contes, pour l'agencement de petites mécaniques qui se mettent à tourner joliment. Ce sont des cadeaux que j'offre aux gens, car j'aime faire plaisir, épidermiquement, et je l'espère, profondément. » M. Ocelot

Une portée universelle et humaniste

Avec Les contes de la nuit, Michel Ocelot raconte des histoires bien à lui en réinterprétant des récits éternelles et riches comme les fables qui ont bercé notre enfance. On y retrouve toutes les valeurs intemporelles des grands contes. L'exigence de son cinéma d'auteur se combine parfaitement avec la portée universelle de son travail et touche beaucoup de monde, petits et grands.

Les contes sont tous écrits par Michel Ocelot. Ils sont inspirés par des histoires ou simplement des images de cultures aussi variées que l'Inde, l'Afrique, les Antilles, la Russie.

On sait que le réalisateur est un humaniste qui croit au pouvoir des contes et à la force du message, bien qu'il soit simpliste voir naïf. Qu'importe puisque la force de ses images vaut plus qu'un discours. La magnificence de ses histoires courtes emporte tout sur son passage.

« Toutes les filiations m'intéressent, tous les paysages, tous les arts, et bien sûr toutes les époques. J'aime l'histoire. J'ai choisi par exemple les Antilles à cause d'un conte traditionnel qui m'a plu. C'était aussi l'occasion de faire de jolis décors, avec les plantes tropicales que j'aime. J'ai également une histoire de fille sacrifiée inspirée de l'Afrique, mais que j'ai située dans l'Amérique aztèque. C'est une culture qui nous a offert une remarquable architecture, mais qui a aussi battu des records de cruauté. J'ai associé l'horreur imbécile de ces sacrifices à la beauté des chœurs que j'imaginais comme ceux de verdi. Allier des chants magnifiques et des choses épouvantables, le pire et le meilleur, était intéressant, et s'est déjà fait, en vrai... Mon succès fondateur avec l'histoire d'un bébé africain me pousse à revenir de temps à autre à ce continent noir, avec une petite chose comme ce Garçon tamtam. On trouve aussi notre civilisation avec deux contes situés au moyen Âge. Le loup-garou évoque la fin de cette période. Les costumes sont inspirés du XVème siècle à la cour de Bourgogne, avec ses coiffures magnifiques, dont celle de l'épouse de Jacques cœur. Avec La fille-biche et le fils de l'architecte, j'ai célébré notre culture gothique du XIIIème siècle à l'aide des dessins de Viollet-le-Duc. J'aime jongler avec les contes de partout, j'y suis à l'aise. » M. Ocelot

Le travail au noir

Avec Les contes de la nuit, Michel Ocelot prolonge ainsi l'exploration de son travail commencé avec ciné si en 1989 et ses premiers Contes de la nuit en 1992 (regroupés en long métrage Princes et Princesses en 2000). L'utilisation du théâtre d'ombre et des silhouettes découpées : un art ancestral et suggestif qui ne nous montre que la silhouette « noircie » des personnages.

Travailler avec le noir, caché mais suggérer, dévoiler les mécanismes tout en gardant du mystère ; tels sont les objectifs de Michel Ocelot. Le réalisateur aime montrer comment ses petits films fonctionnent. Cela fait également parti de la mise en abyme, un thème récurrent dans son œuvre. Montrer la technique, c'est jouer la transparence, c'est faire confiance à la seul force artistique de son travail et reléguer « les trucs » au rang d'accessoires. C'est comme en prestidigitation, une fois le truc révélé, les gens sont parfois déçus. Mais si le tour raconte véritablement quelque chose et a un sens réel, alors la technicité passera au second plan et le public appréciera la façon dont l'artiste se sert de la technique pour transposer sa sensibilité et ses émotions.

En un mot, soyons honnête et sincère avec les gens et ils nous le rendrons. La force des films de silhouettes est de faire confiance au spectateur qui a une part active dans le processus. Ce que le conteur dit, le spectateur le complète. Ce que la silhouette noire ne montre pas, le spectateur l'imagine. Toute l'inspiration de Michel Ocelot va dans ce sens quand il dévoile ses sources, en utilisant des recherches que d'autres ont faites avant lui.

« Il est vrai que raconter une histoire en silhouettes noires, est quelquefois un défi. On n'a pas l'aide de la couleur, de la délimitation de tel membre qui se trouve perdu dans le noir, on a un espace très limité, même avec le relief. C'est une sorte d'ascèse. Il y a quelque chose de l'art égyptien dans cette technique. En simplifiant à l'extrême, en ne retenant que la courbe la plus pure, les égyptiens ont saisi la beauté maximum. Le torse est plus beau et lisible de face, les jambes, les fesses et la tête, de profil. C'est dans cet esprit que j'aime la silhouette noire. Quoi qu'on fasse, c'est un signe très fort qui produit une impression extrême sur la rétine. Le rien et le clair. Le théâtre d'ombres est une nuit magique où tout peut arriver » M. Ocelot

Mise en abyme

L'enjeu du réalisateur est de recréer l'illusion du spectacle vivant en faisant de chaque conte, une mise en scène d'une représentation théâtrale (derrière un rideau rouge). Comme dans la tradition du théâtre baroque, l'intérieur du plan/scène offre la possibilité de hiérarchiser les divers éléments qui se superposent. Les différents contes sont regroupés à l'intérieur d'un récit-cadre qui met en scène un maître conteur (alter ego de Michel Ocelot) entouré de deux adolescents, une fille et un garçon.

Cette disposition gigogne de mise en abyme fait implicitement référence à la structure des plus célèbres recueils de contes comme Les Mille et une Nuits. Le caractère historique de l'ensemble donne les clés des principales inspirations du réalisateur au travers le déploiement de documentations. Un procédé qui permet une certaine transparence dans la réalisation de l'œuvre.

La 3D relief

Contre toute attente, l'artisan Michel Ocelot a choisit d'utiliser la technologie 3D ! Un mariage contre nature que personne ne lui a imposé, bien que les films soient plus vendeur sous cette étiquette. Extrêmement méfiant sur ce « jouet à double tranchant », il a fui son utilisation commerciale qui consiste à« gonfler » les différents éléments du film comme des ballons où, paradoxalement, plus rien ne « ressort ».

Michel Ocelot travaillait déjà en relief avant la 3D. Il explique lui-même qu'il faisait de la 3D à plat, un relief qui donne l'impression d'être au théâtre. Il imaginait ses scènes à la manière des théâtres de perspectives au XVIIIème siècle, où l'espace est décrit dans sa profondeur et l'image décomposée en plusieurs plans (jusqu'à 7) dans la profondeur de la boîte.

« Utiliser la mise en relief, c'était essayer un nouveau jouet. Paradoxalement, cette technique dernier cri me renvoie à l'image telle que je la faisais lorsque je n'avais pas d'argent. J'ai toujours fait des petites choses en relief, des découpages, des collages. Cette avancée technologique m'a permis de retrouver un certain enchantement de mes débuts qui avait disparu. Cet enchantement tenait aux papiers découpés. Quand je tournais ces modestes films, penché sous la caméra, une fois que j'avais éteint la lampe du dessus et allumé la lumière par dessous du contre-jour, je tombais tout simplement dans le conte de fées. Les petits pantins étaient indépendants du décor, et le décor était en plusieurs niveaux pour la commodité de la manipulation. Ces petites constructions, je les ai montées dans des expositions, dans des boîtiers de lumière. Cela avait un charme extraordinaire. Des gens qui avaient d'abord vu ces petits théâtres de lumière en vrai, m'ont parfois confié avoir été déçus par le film sur l'écran plat. Et j'observe que ce charme opère de nouveau avec cette nouvelle version en cinéma stéréoscopique, qu'il s'agisse de simples spectateurs ou de grands professionnels. J'ai refait ce que je voyais dans des caissons. Lorsque j'ai découvert les premières images en relief, j'ai poussé un cri d'émerveillement, comme un enfant ! Tant que ce côté magique subsiste, il est intéressant d'utiliser cette technique. » M. Ocelot

La mise en relief des contes de la nuit s'avère pertinente et justifiée. Elle permet d'offrir au public une dimension supplémentaire inhérente à l'univers d'Ocelot. La 3D donne à voir une vision encore inconnue à ce jour : le relief dans le noir. Ainsi, il est possible de superposer plusieurs silhouettes sans qu'elles semblent se confondre à notre regard. Ici, le relief clarifie une scène. Des gens les uns derrière les autres dans une foule ne se mélangent plus. Avec la dimension de profondeur, l'image est plus lisible. Les décors et les enluminures d'une beautéà tomber par terre s'en trouvent rehaussés. Le résultat est d'une subtilité rare puisque qu'il évite tout effet spectaculaire en jouant sur la superposition des éléments du décor avec les silhouettes. Les distances ont étéévaluées entre chaque élément sans rajouter de la « ronde-bosse ». L'habituelle impression de lourdeur fait place à la délicatesse et à la légèreté. C'est une utilisation raisonnée et sensée de la 3D loin des bandes de démonstration pour logiciel.

Au final le résultat est bluffant. Le procédé 3D valorise la technique et le sens graphique de l'entreprise. Le relief joue sur la distance entre les silhouettes découpées et le décor comme dans un vrai théâtre d'ombres. L'effet qui en résulte peut être assimiléà celui que procure un livre Pop-up (livre à mécanismes et techniques de pliages) où le lecteur-manipulateur est invitéà suivre le déroulement du récit et à mettre en marche les mécanismes qui en permettent le fonctionnement. L'animation se développe sur plusieurs plans superposés qui ne fonctionnent qu'avec la coopération du lecteur.

Monstres et merveilles

Comme à son habitude Michel Ocelot émerveille. Il flatte aussi bien l'œil que l'esprit du spectateur. Il ne sacrifie jamais la forme au fond. Mieux, la forme est dictée par l'histoire. Chaque séquence, chaque image sont ciselées avec une minutie maniaque dans le but d'aller à l'essentiel et de produire du sens. Le travail de recherche est aussi important que le résultat final. Il est intégré au processus de création dès le début et montré comme tel. Ocelot joue carte sur table avec le spectateur. Son honnêteté et sa transparence sont la clé de la réussite de ses courts-métrages qui captivent tant. La grande force de son cinéma est d'être multi générationnel et multi culturel. Il parle aux jeunes comme aux vieux, aux africains comme aux russes. En un mot : Universel.

« J'ai toutes sortes de choses à faire passer. J'aimerais donner de la dignité aux gens, de la décontraction et le goût de la vie. On me dit souvent : « C'est bien, vous prêchez la tolérance ». Pas du tout, je célèbre plutôt les plaisirs de la vie. Une bonne partie des différences qui peuvent nous inquiéter sont au contraire des qualités, des sources de plaisir. Je ne place pas mes contes dans des pays des quatre coins du monde pour faire international, mais pour montrer le bonheur de disposer tant de gens et d'univers différents. Et je me régale en allant d'une civilisation à une autre, comme un gourmand dans une confiserie. » M. Ocelot

LES CONTES

Le Loup-garou

L'histoire : Deux soeurs ennemies se battent les faveurs d'un prince. Ce dernier a passé les dernières années de sa vie à croupir au fond d'un cachot dans lequel il n'a pu survivre que grâce aux biens envoyés depuis l'extérieur. A sa sortie, il jure d'épouser celle qui l'a sauvé. Il est persuadé qu'il s'agit de l'aînée des deux qui confesse à qui veut l'entendre que c'est elle qui est à l'origine de tous les présents. Mariés, il avoue à sa nouvelle femme qu'il est victime d'une terrible malédiction : tous les soirs de pleine lune, la chaîne qu'il porte autour du cou brûle et le force à la retirer. C'est alors qu'il se transforme en un terrible loup-garou. La soeur aînée insiste pour assister à ce prodige et en profite pour jeter la chaîne au fond d'un puit impénétrable. La plus jeune des soeurs rencontre le loup-garou dans la forêt et, pensant parler à une bête, elle lui confesse son histoire. Elle réalise alors que le loup-garou est en réalité le prince et que sa soeur est responsable de quelque chose. A la vue du loup-garou, la soeur aînée commet une erreur en l'appelant par son prénom. Elle avoue même avoir jeté la chaîne au fond du plus profond des puits. La benjamine réussit à la récupérer. Le prince redevient prince et, malgré la jalousie maladive de sa soeur et la malédiction, elle décide de lui donner son amour.

Décors de pleine lune splendides pour cette histoire délicate « d'une fille qui murmurait à l'oreille d'un loup », qui reste fidèle à son amour malgré la malédiction. Le mythe de l'homme se transformant en animal sauvage est commun à plusieurs cultures depuis l'antiquité. Pour délivrer l'homme de ce sort, il existe des philtres magiques permettant au loup-garou de retrouver son aspect humain (dans les légendes scandinave, et d'Europe centrale du XVème siècle). Le loup-garou peut également être tué d'une balle en argent en plein coeur. Michel Ocelot revisite cette légende en conjurant la malédiction par une chaîne et renverse les rôles en attribuant la férocitéà la soeur aînée et une douceur fataliste au loup.

Ti Jean et la Belle-Sans-Connaître

L'histoire : Aux Antilles, écrasé sous le poids d'une chaleur accablante, un jeune homme fort désinvolte décide de se réfugier dans une grotte. Poussé par sa curiosité, il descend de plus en plus profond jusqu'à se rendre dans le royaume des morts. Là, il fait la rencontre d'un vieillard qui lui apprend l'existence de la fille du Roi, la Belle sans connaitre. Mais celui ci le met en garde : cette fille est gardée par trois monstres, une abeille, une mangouste et un iguane. Le jeune homme décide alors de tenter sa chance mais au lieu de tuer ces monstres en les empoisonnant, il leur offre des mets succulents. C'est sans difficulté qu'il passe l'abeille, la mangouste et l'iguane. Arrivé chez le Roi, celui ci le soumet à trois épreuves. La première consiste à retrouver les onze tortues d'or dispersées dans tout le pays en restant enfermé dans son cachot. Venant le remercier pour le repas qu'elle a reçu, la mangouste, à l'aube, lui apporte les onze tortues d'or. Le roi n'en croit pas ses yeux et décide de le soumettre à la deuxième épreuve : retrouver le diamant bleu de sa fille, égaré au milieu de l'océan en restant enfermé dans son cachot. C'est cette fois ci l'iguane qui, à l'aube, vient lui apporter l'objet précieux. Le roi est abasourdi et lance au jeune homme son ultime épreuve : retrouver la quelle de ses trois filles est la Belle sans connaître. C'est grâce à l'abeille que le jeune homme parvient à l'identifier sans mal. Le Roi du royaume des morts n'en revient pas et offre au jeune homme sa fille et la moitié de son royaume. Mais celui ci en a que faire d'une fille qu'il ne connait pas et d'un royaume dans lequel tout le monde est mort. Il lance au Roi heurté un "à plus la compagnie" !

L'histoire de Ti Jean et la Belle-Sans-Connaître est un régal de situations typiques inspiré d'un conte traditionnel antillais, permettant des décors rutilants. La beauté des décorations tropicales et la couleur locale des personnages (notamment les deux petites vieilles) donne à cette histoire une indolence incomparable qu'on retrouve jusqu'au personnage principal. La représentation de l'enfer, avec ses parois psychédéliques aux couleurs pétantes, ressemble à des tableaux de Vasarely. Ti Jean est un jeune garçon culotté, honnête et droit, qui choisit la voie du don au lieu de sacrifier « les trois monstres ». Sa bonté est récompensée contre toute attente. Les monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Le jeune homme s'offre même le luxe d'une pirouette finale qui donne à l'histoire une note toute relative.

L'Elue de la ville d'or

L'histoire : Dans une ville d'or, un étranger s'interroge sur la tristesse perpétuelle des habitants. Il décide de questionner une demoiselle sur les raisons de cette platitude. Celle ci lui explique alors que quatre fois dans l'année, "le bienfaiteur" offre à la ville de l'or en échange de la plus belle fille du village, offerte sur l'esplanade du sacrifice. Révoltéà cette idée, le jeune homme décide de s'opposer à ces rites. Le soir du sacrifice, il provoque le terrible monstre mais se fait gober par celui ci. Tuant la bête de l'intérieur, il sauve « la belle offrande » et attire sur lui la haine des habitants. En effet, la prophétie racontait que si le bienfaiteur était tué, la ville d'or tomberait en ruines. Par un discours sur l'importance du travail et de la vie, le jeune homme parvient finalement à mettre le peuple de son côté.

Sacrifice humain, rite et trahison sont les ingrédients de cette histoire tirée d'un conte traditionnel africain, qu'Ocelot a transposé chez les aztèques. Tout ce qui brille n'est pas or comme dit le proverbe. L'or ne tarde pas à se transformer en plomb et à« noircir » dans une belle séquence où« les ombres » reprennent leur pouvoir maléfique.

Le Garçon qui ne mentait jamais

L'histoire : Deux empereurs du Tibet se lancent un pari : celui de faire mentir un modeste jeune homme, possesseur du seul étalon doté de parole de la région. On raconte que ce garçon ne ment jamais. La fille de l'empereur se transforme en jeune fille de rien et simule une maladie. Le jeune homme, épris par sa beauté lui demande le remède qui pourrait la soigner. Elle lui confie que seul le coeur de son cheval qui parle pourrait la faire vivre. L'amour pour la belle est plus fort et il convainc son cheval de lui céder son coeur. Mais alors qu'il l'offre à sa bien aimée, celle ci s'enfuit sans même manger le coeur du cheval. Appelé par l'empereur, prêt à mentir, le jeune homme fini par tout avouer. C'est ainsi que par cette seule parole, le garçon prouve sa pureté. La princesse, la jeune fille de rien de laquelle le jeune homme est follement amoureux, touchée par cette franchise, se rend compte de la bassesse des autres hommes. Le jeune homme gagne la moitié d'un empire et l'amour de la princesse.

« L'amitié, l'amour et la mort sont des thèmes fondamentaux. La mort est très rarement représentée dans les dessins animés –à la rigueur, de loin pour les méchants, mais pas pour les gentils. Dans Le garçon qui ne mentait jamais, amener la mort était intéressant. L'ami se sacrifie. La notion de sacrifice est intéressante aussi, mais ici le sacrifice est excessif ! » M. Ocelot

Le conte le plus émouvant qui met en avant de magnifiques mandalas et tankas tibétains, qui donnent aux silhouettes une intensité et une aura unique. L'amour et la mort sont intimement liés dans ce récit qui n'hésite pas à montrer la cruauté et la vileté des hommes. Tout est une histoire de cœur. En offrant le cœur de son cheval à sa bien aimée, le jeune garçon, au cœur pur, conquit le coeur de la jeune fille.

Garçon Tamtam

L'histoire : En Afrique, dans un petit village en guerre et dont le roi est souffrant, un jeune homme ne peut s'empêcher de jouer du tam-tam. Tous les habitants n'ont qu'une phrase à la bouche : "Tu nous casses les oreilles !". Alors qu'il se promène dans la savane, le jeune homme sauve un vieillard d'une hyène affamée en frappant de ses mains les branches d'un arbre. Le vieillard, conquis par sa musique et persuadé de son talent décide de l'emmener dans sa case. Il lui révèle la présence de son "tam-tam magique" qui aurait la faculté de charmer quiconque l'entendrait. Après un entraînement acharné, le vieillard annonce au jeune homme que celui ci est prêt. Appeléà l'aide par la princesse pour sauver son père et se dressant contre les recommandations du chaman, il parvient grâce à la musique à le sortir de son comas lattent. Mais la guerre fait rage et encore une fois, le jeune homme parvient à repousser l'ennemi grâce au son de son tam-tam magique. Mais dérobé par le chaman, le tam-tam est détruit et plus rien ne semble pouvoir repousser les ennemis. La fille du roi se rend alors compte que ce n'est pas le tam-tam qui est magique, mais bel et bien les mains du jeune homme. Le village sauvé de la guerre, le jeune homme est acclamé comme un héros et fait danser tout le village au son de son tam-tam.

Michel Ocelot retrouve l'univers africain qu'il affectionne dans ce conte basé sur un principe qu'on retrouve un peu partout : un violon ou une flûte magique qui force les gens à danser. Dans le Garçon Tamtam c'est l'inverse, l'instrument n'est finalement pas magique, tout est dans l'artiste qui utilise l'instrument. Toute l'essence de l'Afrique est remarquablement restituée : silhouettes typiques, mouvements des corps en train de danser, gris-gris, sorciers, décors stylisé et apparition d'un petit enfant africain rappelant Kirikou.

La fille-biche et le fils de l'architecte

L'histoire : Au XIIIème siècle, Thibault est amoureux de la belle Maud. Mais la jeune femme est promise à un sorcier. Thibault, fils de l'architecte qui a conçu la cathédrale dans laquelle se déroule le mariage, réussit à enlever Maud et à s'enfuir. Mais le sorcier, furieux, transforme celle-ci en biche. Thibault part à la recherche de la fée des caresses pour sauver son aimée de l'envoûtement.

Michel Ocelot a totalement inventé cette histoire de transformation en fonction d'un tournage en relief. L'occident médiéval est remarquablement représenté. La cathédrale est une merveille. La recherche de la jeune femme donne l'occasion de découvrir la belle séquence de l'œuf, où la 3D explose en mille étoiles scintillantes qui restent en suspension le temps des retrouvailles des deux amoureux.

DRAGONS ET PRINCESSES

Voici les cinq autres contes qui figurent sur l'édition DVD.

La Maîtresse des Monstres

L'histoire : Dans une grotte sombre et humide, un groupe de mendiants se voit soumis à la tyrannie sans bornes de monstres. Les gestes du quotidien sont devenus une véritable épreuve. Se nourrissant uniquement de champignons crus, les mendiants doivent sans cesse attendre le repos du monstre pour se servir. Une jeune fille, mal aimée du clan, fait la rencontre d'un rat qu'elle sauve des griffes des ses congénères. Celui ci lui apprend qu'elle est en fait Maîtresse des Monstres et qu'un seul de ses regards est capable de faire rétrécir le plus énorme des monstres. Il va ainsi lui montrer le chemin de la sortie vers le vrai monde dans lequel, dit-on, un prince l'attendrait depuis toujours pour l'épouser. Elle franchit les épreuves sans trop de mal mais fait brûler sa chevelure. Vêtue d'herbes trouvées dans la grotte, sa sortie dans le grand monde se fait en grande pompe : trompettes, cerisiers et confettis l'attendent pour célébrer son mariage avec le prince.

Ce conte fait penser à l'allégorie de la caverne de Platon. Un groupe de personne prisonnier d'une grotte, aveuglé par des « projections monstrueuses ». Dans ce groupe, une jeune fille espiègle et fonceuse va défier la morale bien pensante et s'épanouir à l'extérieur après avoir réduit, à l'état de microbes, les différents monstres.

Le Pont du petit cordonnier

L'histoire : Un cordonnier, trop pauvre pour s'acheter un cuir de qualité rêve de pouvoir travailler un jour à la ville. Derrière sa pauvre boutique, il fait installer un banc dans son immense pommier, à l'abri des regards et des critiques des villageois. Alors qu'il s'écroule sur son travail, le cordonnier fait un rêve très étrange : une voix lui dit qu'un trésor est caché sous la septième statue du Pont Charles de Prague. Il décide de se fier à son instinct et ruine ses économies pour se rendre dans la capitale tchèque. Il ne trouve rien mais décide d'attendre un jour de plus. Le gardien du pont lui demande des explications et lui confesse qu'il a fait lui aussi un rêve étrange (il vit un pommier sous lequel se cacherait un trésor). De retour chez lui, le cordonnier trouve sa petite amie en train de creuser sous l'immense pommier. Ils y découvrent une trappe menant dans une pièce vide sous l'atelier. En touchant le seul pilier qui orne la pièce, la petite amie du cordonnier actionne un mécanisme révélant un immense trésor.

La véritable richesse se trouve en soi et non à l'autre bout du monde. Ce conte d'Europe centrale transpose un rêve sur un mode somnambulique. Les images fantasmées de la ville de Prague se transforment en morne réalité et l'humble maison du cordonnier devient un havre de richesses.

Le Mousse et sa chatte

L'histoire : Un jeune mousse est maltraité par tout un équipage de pirates. Sa seule amie est sa chatte, enceinte, dont la vie sur le bateau est aussi difficile que celle de son maître. Un jour, le navire accoste dans une magnifique ville orientale. Contre toute attente, le mousse et sa chatte se retrouvent au centre des attentions d'un sultan qui lui propose des richesses en contre partie de son animal. Le mousse verra-t-il enfin son rêve le plus cher se réaliser : vivre sur terre ?

L'Ecolier sorcier

L'histoire : En Perse, un jeune homme fait la rencontre d'un inquiétant sorcier. Après lui avoir montré quelques tours, ce dernier invite son nouvel apprenti dans un repaire mystérieux. Là, le sorcier lui enseigne l'art de la métamorphose et le jeune homme se révèle être très doué. Le soir venu, il fait connaissance avec la fille du sorcier, captive et semblant avoir été quittée par toute félicité. Lors d'un repas, attendrie par la naïveté de ce nouvel élève, elle lui apprend les plans maléfiques de son père : celui-ci enferme les jeunes sorciers les plus talentueux dans des cylindres en verre afin de leur extraire leur génie. Elle lui révèle aussi qu'il n'existe qu'une entrée et que pour sortir de ce repaire, il faut être renvoyé par le sorcier en personne. Sous les conseils de la jeune fille, l'impétueux sorcier emploie toute la mauvaise volonté du monde afin de tromper le magicien, qui le renvoie de son repère sur le champ. Alors qu'il est en route vers la ville, c'est au même endroit qu'il rencontre le sorcier en train de charmer un autre promis. Sans hésitation, il se transforme en terrible dragon et dévore le sorcier. Riche de par son talent mais dévoré par la culpabilité, le jeune homme se met en quête d'aller sauver la fille du sorcier. Sans mal, il pénètre dans le repaire et retrouve la jeune fille, euphorique. Mais seul le sorcier connaissait la formule secrète pour s'en évader.

L'Ecolier sorcier fait partie des meilleurs contes avec Ivan Tsarevitch. Les diverses transformations du jeune apprenti «à l'école du sorcier » sont un régal visuel remplit d'humour. Les fonds colorés de la grotte, représentant des tapis orientaux, sont étincelants et font ressortir le fabuleux bestiaire qui se joue devant nos yeux. Ce conte rappel certaines histoires des Mille et une nuits. Au final, le jeune homme novice et crédule devient « le bourreau » de son maître dans un dénouement moral.

Ivan Tsarevitch et la Princesse Changeante

L'histoire : Ivan Tsarevitch, le fils de l'empereur est prêt à tout pour venir en aide à son père agonisant, même à escalader le mur du palais du Tsar des Jardins afin de lui dérober des prunes d'or, seul remède à ses blessures. Mais alors qu'il touche la première prune d'or, le Tsar ordonne de lui faire couper la tête. Mais pour Ivan, il est prêt à faire une exception s'il parvient à lui apporter le vase qui multiplie. Ivan Tsarevitch se rend chez le Tsar des Céramiques afin de lui dérober son vase, mais alors qu'il fait tomber les étagères, le Tsar surgit et ordonne de lui faire couper la tête. Mais pour Ivan, il est également prêt à faire une exception s'il parvient à lui apporter l'étalon aux sabots d'or du Tsar des Pur-Sang. Ivan Tsarevitch, par une fenêtre s'introduit dans le palais du Tsar et tente en vain de voler le cheval. Condamnéà mort, le Tsar est prêt à faire une exception s'il lui apporte la Princesse Changeante qui, raconte-t-on, change d'apparence à chaque fois qu'on la touche. Se rendant au palais le la princesse, elle lui apprend que seul son véritable amour lui permettrait de lui faire garder sa forme normale. Lorsque Ivan touche la jeune fille, celle ci maintient sa beauté. Ils échafaudent ensemble un plan : grâce à la princesse qui peut prendre l'apparence qu'elle désire, Ivan Tsarevitch récupère le pur-sang aux sabots d'or, le vase qui multiplie et les prunes d'or. Se rendant au chevet de son père, c'est à sa plus grande surprise qu'à son réveil, ce dernier n'en croit pas ses yeux en voyant son fils auprès de la Princesse changeante.

Le plus beau conte de la série nous transporte au pays de la Russie éternelle inspiré de l'Oiseau de feu, du folklore russe, des images d'Ivan Bilibine et des laques de Palekh. Les silhouettes typiquement scandinaves, les palais somptueux et les nombreux rebondissements procurent un plaisir de chaque instant. Les diverses transformations de la princesses sont des moments drôles et spectaculaires, tour à tour Vieille femme, chenille et araignée.

A voir :
-Les contes de la nuit de Michel Ocelot en 2D et 3D relief. DVD disponible chez Studio Canal (décembre 2011).
-Dragons et princesses de Michel Ocelot. DVD disponible chez Studio Canal (décembre 2010).

A Lire :
-Les trésors cachés de Michel Ocelot.
-Princes et Princesses.
-Azur et Asmar.

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PARIS ET LES ESCAMOTEURS

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Temps de lecture : 10 min

Extrait du livre Un tour du Monde de la Magie et des illusionnistes, qui retrace, au travers de 747 notices, les magiciens, les lieux, le vocabulaire inhérent à la pratique de l'illusionnisme ; en retraçant les parcours souvent atypiques des artistes connus ou tombés dans l'oubli au gré des siècles.

Notice sur la ville de Paris

Un lieu privilégié au regard de la scène magique.

Paris : « (…) Paris, où se trouvent les escamoteurs les plus adroits du monde ». (Gabriel Jouard, in Des Monstruosités et bizarreries de la Nature, Paris, 1807).

Que prévoit la loi française, et quelles sont les prérogatives de la Préfecture de police en matière d'encadrement et de réglementation, s'agissant des artistes de rue, et plus spécifiquement des escamoteurs parisiens. Dès 1791, une ordonnance reprise et complétée en 1817 stipulait : « Tout individu qui voudra se livrer à l'exercice de la profession de Saltimbanque, bateleur, escamoteur, joueur d'orgue, musicien ambulant ou chanteur, devra en faire la demande au préfet, en joignant à sa pétition un certificat de bonne vie et de mœurs, délivré par le commissaire de police ou le maire de la commune où il sera domicilié». (Victor Alexis Désiré Dalloz, Armand Dalloz, Henri Thiercelin, Répertoire méthodique et alphabétique de législation, Vol. 44, Voie Publique, p. 166, 1863).

Puis la loi se fera plus précise : « (…) La classe entière des saltimbanques, ce qui comprend les baladins, bateleurs, escamoteurs, faiseurs de tours, joueurs d'orgues, musiciens ambulants a été aussi l'objet des dispositions réglementaires de la police de Paris. (Ordonnance de police du 14 décembre 1831).

« Art. 1. Toutes les permissions de saltimbanques (…) Escamoteurs, ambulants et faiseurs de tours sur la voie publique, qui ont été délivrées jusqu'à ce jour par la préfecture de police, sont révoquées et annulées sans exception, à cumuler du 1er janvier prochain.

Art. 2. Tout individu qui, passé cette époque, sera trouvé sur la voie publique exerçant l'un des dits métiers, sans pouvoir justifier d'une nouvelle permission délivrée par nous, sera conduit devant les officiers de police, pour être interrogé et poursuivi, s'il y a lieu, devant les tribunaux compétents ».

Lithographie de Pasquier de Morett (1812)

Un second paragraphe nous renseigne sur les lieux généralement tolérés : « Les individus se livrant à toutes les professions ci-dessus mentionnées ne pourront s'arrêter ni stationner dans la ville de Paris que sur les emplacements dont la désignation suit, savoir :
- Sur le boulevard de l'Hôpital.
-À la montagne Sainte-Geneviève, devant le marché des Carmes.
-À la place Saint-Sulpice ».

(In Jurisprudence générale : Répertoire méthodique et alphabétique de législation, par Victor Alexis Désiré Dalloz, pp. 508-512, Paris, 1848).

La géographie du Paris des illusionnistes

En recoupant des témoignages d'auteurs et des documents administratifs, il est donc possible de se faire une idée de l'offre magique parisienne entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Ces extraits montrent une magie accessible depuis de nombreux quartiers qui semble quasi-permanente. Peut-on imaginer des escamoteurs dans tous les arrondissements ? Probablement, à en juger par la confession d'un retraité, recueilli par le critique littéraire, érudit du « vieux Paris », Victor Fournel (1829-1894, in Ce qu'on voit dans les rues de Paris, p. 187, 1857) : « (…) Je me jetai sur une autre branche de la magie, science pour laquelle j'ai toujours eu beaucoup de penchant. J'achetai d'un confrère enrichi, qui rentrait dans la vie privée, un attirail complet d'escamoteur, qui ne me coûta pas cher, et, pendant trois ans, je plantai successivement ma tente sur toutes les places et dans tous les carrefours de Paris ».

Ce même récit met en lumière les gains des escamoteurs, provenant en partie de la vente de livrets, toujours en fin de programme, censés expliquer les tours. Ce maillage dans l'univers urbain semble placer adroitement le magicien aux points névralgiques : « (…) Qui se font bateleurs et acrobates, qui trafiquent de leur art comme les vendeurs du temple, ou en jouent comme l'escamoteur du carrefour ». (Armand de Pontmartin 1811-1890, Or et clinquant, p. 283, 1859).

lithographie de Morner.

La Place de la Bourse : « (…) Sur chaque place de Paris, l'escamotage est à la mode ; à la Bourse voyez Damis ». (E. Dupaty, dans son poème L'Escamotage, in L. Castel, Nouvelle anthologie, ou choix de chansons anciennes et modernes. Vol. 2, p. 315, Paris, 1828).

La Place Vendôme, citée par l'écrivain Jean-Pierre Arthur Bernard : « (…) Parmi les types, on trouve aussi les escamoteurs, les illusionnistes ». (In Les deux Paris, p.198, 2001). Cette évocation fait écho à la foire Saint Ovide qui se tenait place Louis XIV (future place Vendôme) à partir de 1764, puis place Louis XV (place de la Concorde) jusqu'en 1777.

Des baraques à vin se trouvaient Place de Grève mais aussi le long des quais du port du blé, de port Saint Paul : « (…) Ce port où le citadin voyait jadis aborder avec joie les dons de Cérès et toutes les denrées nécessaires à la vie d'un grand peuple est maintenant changé en un vaste cabaret ». (Louis-Sébastien Mercier, Paris pendant la Révolution : 1789-1798, ou le nouveau Paris, Vol. 2, p. 189, Paris, 1862).

La foire Saint Laurent débute en 1344 et se développe dans un périmètre délimité par l'enceinte de l'abbaye des frères de Saint-Lazare. Elle se déroulait au XVIIIe siècle, du 9 août au 29 septembre. La foire Saint-Laurent abandonnée, ce sont vers les boulevards du Nord à partir de 1775, que de nombreuses attractions foraines se regroupent : bateleurs, cafés, magiciens (in Paris pittoresque, Vol.1, p. 49, de Germain Sarrut, Paris, 1842). Le boulevard du Temple (futur boulevard du Crime) semble rassembler une grande partie de la profession : « (…) On y trouve encore les figures de Curtius, des phénomènes vivants, des escamoteurs, des géantes, des danseurs de corde ». (P. 103, in Les rues de Paris, 1844).

« (…) Sur le boulevard du Temple, le peuple est attiré chaque soir par les plaisanteries de Paillasse et les tours d'escamoteurs ». (François-Marie-Joseph Moronval in Le conducteur de l'étranger à Paris, p. 154, 1812).

« (…) On y voyait des escamoteurs, des joueurs de gobelets ; on y voyait des curiosités de toutes façons ; on y voyait la passion de Cléopâtre à côté de celle de Jésus-Christ ; on y voyait des nains, on y voyait des géants, on y voyait des hommes squelettes, des femmes qui pesaient huit cents livres » (C. Ladvocat, Paris ou Le livre des cent et un p.185, Stuttgart, 1832).

Non loin, toujours sur la rive droite, les quais de l'Arsenal (en bordure de la place de la Bastille) abritent des attractions : « (…) Çà et là aussi un escamoteur, le dernier des escamoteurs ! Partez, muscade ! Tout cela, à la fois paisible et fourmillant de gens, de garçons, de filles en bonnet ou têtes nues. C'est la promenade des faubouriens de Saint-Antoine, qui vont et viennent librement où s'élevait la prison que leurs grands pères ont détruite, et qui s'y installent par droit de conquête ». ( In Le guide de Paris par les principaux écrivains et artistes de la France, Paris, 1867).

Sur les Champs-Elysées vers 1820 : « (…) On rencontre des escamoteurs, des physiciens, des baladins et des charlatans de toute espèce ». (Girault de Saint-Fargeau, Les quarante-huit quartiers de Paris : biographie historique, p. 20, Paris, 1846). Observations corroborées dans l'ouvrage Paris et ses environs reproduits par le Daguerréotype, (p. 4, 1840).

Lithographie de Jean Henri Marlet (1818).

En descendant la plus célèbre avenue, on rencontre une autre enclave propice à l'expression des arts de la rue : « (…) Nous voulons parler de l'espace compris entre la place de la Concorde, le carré Marigny et les bords de la Seine. C'est là que donnent rendez-vous à la foule de promeneurs, et le saltimbanque qui a quitté les foires circonvoisines pour venir développer ses talents dans la capitale, et les phénomènes vivants qui viennent de faire l'admiration des différentes Cours de l'Europe, et les escamoteurs, physiciens » (Félix Mornand, La Vie de Paris, Paris, 1855). Ainsi la première concession sur l'actuel théâtre de Marigny (carré Marigny) fut accordée en 1835 à un physicien-prestidigitateur. En 1848 sur le même emplacement, une baraque dite Le Château d'enfer sous la direction du forain Lacaze programme des spectacles de « physique amusante, fantasmagorie et curiosité» qui deviendra en 1850 le pavillon Lacaze. (In Jules Martin, Nos artistes : Annuaire des théâtres et concerts, 1901-1902, Paris, 1901).

Les Tuileries et le Carrousel regroupaient avant le Second Empire des cabarets borgnes et des terrains vagues sur lesquels se dressaient des tréteaux d'escamoteurs (Léon de Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, Paris, 1905).

Au milieu du Palais Royal, haut lieu de la prostitution, où s'érigent « des centaines de maisons à quatre étages de tripots », un cirque abrite des tables de jeux clandestins. La police décide alors de s'attaquer aux responsables de l'insécurité et pourchasse une bande composée d'illustres figures de la vie parisienne, parmi lesquelles « l'habile escamoteur Benoît Sinet » (in Chronique de Paris, janvier 1792, repris par Edmond et Jules Goncourt, in Histoire de la société française pendant la Révolution, Paris, 1889).

Toujours le long des quais, l'installation des forains se dessine sur l'actuel emplacement des bouquinistes, avec comme point d'orgue, le Pont-Neuf et dans son prolongement, le quai des Grands Augustins (voir notices sur Miette Père et Fils), comme le décrit Gérard de Nerval (in La bohème galante, p. 117, 1855) : « (…) Et s'écoulait avec lenteur d'un bout à l'autre du pont, arrêté du moindre obstacle, comme des glaçons que l'eau charrie, formant de place en place mille tournants et mille remous autour de quelques escamoteurs, chanteurs ou marchands prônant leurs denrées ».

Ce même Gérard de Nerval livre des précisions sur l'emplacement d'un magicien : « (…) C'était au centre d'une de ces petites plates-formes en demi-lune, surmontées naguère encore de boutiques en pierre, et qui formaient alors des espaces vides au-dessus de chaque pile du pont, et en dehors de la chaussée. Un escamoteur s'y était établi ; il avait dressé une table ». (Ibid).

Ce pont paraît symboliser à lui seul la magie : « (…) L'auteur (Voltaire) du Dictionnaire philosophique n'était qu'un adroit charlatan, jouant à la sagesse comme un escamoteur du Pont-Neuf joue aux muscades ». (Georges Touchard-Lafosse 1780-1847, in Chroniques pittoresques et critiques de l'Oeil de Bœuf, p. 385, 1845).

Non loin, à la fin du XVIIIe siècle, le Café des Muses sur le quai Voltaire proposait des tours de magie à ses consommateurs à l'instar du Café Olivier (sans rapport avec l'escamoteur du 1er Empire) rue Neuve des Petits-Champs, qui deviendra, lors de l'ouverture de la place Vendôme, la rue des Capucines. (Source : Luc Bihl-Willette, Des tavernes aux bistrots : histoire des cafés, p. 286, 1997 et Charles Lefeuve, Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, 1875).

Dans le quartier Latin, le Waux-Hall situé dans l'enclos de la foire Saint Germain de l'architecte Lenoir ouvre le 3 avril 1770. « (…) On y voyait des escamoteurs, des danseurs de corde ». (Antony Béraud, P. Dufey, Dictionnaire historique de Paris, p. 662, Paris, 1828). L'endroit sera démoli en 1789.

Un second Waux-Hall d'hiver ouvre alors ses portes rue de Chartres (dans l'actuel XVIIIe arrondissement) servant aux réunions du Club des Étrangers jusqu'en 1791. Ce Waux-Hall devient le Panthéon avant d'être rebaptisé théâtre du Vaudeville.

La foire parisienne de Saint Germain débute en 1176, autour de l'abbaye de Saint Germain des Prés. Elle se tenait deux fois par an : de trois à cinq semaines à Pâques, puis du 3 février au dimanche des rameaux. Elle disparaît totalement en 1789. Cette foire fut le point central des représentations foraines : « (…) Les escamoteurs, les saltimbanques, les histrions de toute couleur et de tout étage y pullulaient ». (Horace Raisson 1798-1852, Histoire de la police de Paris, p. 70, Paris, 1844). À quelques centaines de mètres se déroula l'incendie du théâtre de l'Odéon, le 20 mars 1818, lors d'une représentation donnée par un « escamoteur inconnu » (p. 284, Ibid), dans une capitale gérée administrativement par le préfet Jules Anglès (1778-1828).

Bibliographie :
- J.B. Gouriet, Les Charlatans célèbres ou tableau historique des bateleurs, des baladins, des jongleurs, des bouffons, des opérateurs, des voltigeurs, des escamoteurs, des filous, des escrocs, des devins, des tireurs de carte, des diseurs de bonne aventure. Et généralement de tous les personnages qui se sont rendus célèbres dans les rues et sur les places publiques de Paris, depuis une haute antiquité jusqu'à nos jours (2e édition, Paris, Le Rouge, 1819).

A lire :
-Un tour du Monde de la Magie et des Illusionnistes de Richard Raczynski (Editions Dualpha, 2011).
-Deuxième tour du Monde de la Magie et des Illusionnistes de Richard Raczynski (Editions Dualpha, 2012).
-Troisième tour du Monde de la Magie et des Illusionnistes de Richard Raczynski (Editions Dualpha, 2013).
-L'escamoteur.
-Rêglementation sur les escamoteurs.
-Miette, l'escamoteur du Pont-Neuf.
-Hommages aux escamoteurs.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

DOBLE MANDOBLE

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Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?

Depuis tout petits mon frère et moi sommes fascinés par la magie. À la télé ou dans le café-concert qu'avaient nos parents nous ne rations jamais un magicien. A seulement 8 ans nous attendions jusqu'à 2h du matin pour voir le show du magicien en direct. A l'âge de 10 ans nous avons trouvé un livre de magie et nous avons commencéà apprendre des tours, et nous avons ensuite acheté d'autres livres dans un magasin de magie…

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?

Nos premiers pas se sont fait grâce aux livres. Nous avons passé 6 ans à lire et pratiquer avant de rencontrer d'autres magiciens qui nous ont aidés par la suite.

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l'inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?

Nous sommes très reconnaissants vis-à-vis de nos parents, ils nous ont toujours encouragé et aidé du mieux possible même s'ils n'étaient pas magiciens. Ils nous ont aussi donné la possibilité de faire des spectacles dans leur café-concert pour essayer des tours en public et nous roder. Nos magiciens-guides ont été Wily Monroe et Ezra Moreno, ils nous ont appris ce qui n'était pas écrit dans les livres et nous ont ouvert une vision plus large de la magie en se nourrissant d'autres arts comme le cirque, le mime, le théâtre ou la danse.

Dans ce métier il faut toujours se battre. Nous avons eu des moments difficiles mais rien qui nous a vraiment freinés. Mais si vous voulez qu'on cite la pire expérience de notre vie artistique c'était de jouer à Aix en Provence pour la FFAP en 2012.

Dans quelles conditions travaillez-vous ?

En général on fait notre spectacle d'une heure pour les salles entre septembre et juin dans la programmation saisonnière des centres culturelles, et de mai à septembre notre spectacle de rue dans les festivals de théâtre et de cirque. Nous faisons aussi un peu de galas…

Quelles sont les prestations de magiciens ou d'artistes qui vous ont marqué ?

Depuis notre enfance jusqu'à aujourd'hui nous sommes très admiratifs de Juan Tamariz. Le Cirque Plume nous a marqué quand nous avons commencéà apprendre le cirque.

Les autres artistes de référence pour nous sont : James Thierée avec son mélange de cirque, magie et théâtre gestuel, Philippe Genty dans le théâtre de l'objet, Jérôme Deschamps avec son humour absurde et Peeping Tom qui est notre compagnie de danse préférée.

Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?

Ce que les gens commencent à appeler la magie nouvelle.

Quelles sont vos influences artistiques ?

Nous avons fait une formation circassienne de 4 ans dans deux écoles de cirque. Pendant ce temps, nous avons vu beaucoup de cirque contemporain. Nous avons aussi crée des spectacles dans des compagnies de cirque. Ça nous a donné un style personnel quand nous nous sommes remis à faire de la magie. Désormais, nous ne créons plus pareil comme quand nous étions seulement magiciens.

Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?

De ne pas s'enfermer dans la technique de la magie. La technique est très importante, mais elle ne doit pas devenir une obsession. Sans une bonne présentation et une mise en scène adéquate, un tour n'est pas très intéressant en soi-même. Cela ne peut pas s'apprendre chez soi devant un miroir, il faut sortir et prendre des cours pendant des années, ce qui décourage parfois les magiciens…

Voir aussi d'autres spectacles, qui ne soient pas seulement de la magie est très nourrissant. Le cirque contemporain et le théâtre d'objet sont proches de l'illusionnisme avec des effets visuels exceptionnels même si on voie le « trucage ». C'est une autre sorte de magie et d'approche.

Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?

Si on la compare à d'autres arts on s'aperçoit que la magie, dans sa grande majorité, n'a pas beaucoup évolué. On peut dire que c'est de la magie d'il y a 30 ans avec des costumes modernes, des musiques plus actuelles, ou avec un I phone comme nouvel objet. L'esprit est toujours le même : un personnage qui est un magicien nous fait une succession de tours l'un après l'autre sans aucune cohérence dramaturgique. Bien sûr, il y a quelques illusionnistes qui sortent de ce cliché, mais pour l'instant ils ne sont pas nombreux.

Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?

Elle est très grande. Si l'on veut transmettre quelque chose à travers de la magie, c'est important d'avoir des connaissances de ce qui se passe ou s'est passé autour de soi. Avant de créer il faut d'abord être touché, non seulement par un univers imaginaire et d'illusions comme celui de la magie, ou par la réalité dans laquelle on vie. C'est très utile de voir comme d'autres artistes ont joué avec ces émotions, quelles sont leurs interprétations du monde et quels moyens ils ont utilisé pour s'exprimer. De plus, nous sommes persuadés que la culture développe l'esprit critique et la sensibilité artistique.

Vos hobbies en dehors de la magie ?

La lecture, le cinéma, les voyages et pour mon frère jumeau Luis le surf.

- Interview réalisée en juin 2015.

A voir :
-Le site de la compagnie Doble Mandoble.

Crédits photos : Antoinette Chaudron, Alex-Brenne. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

INSIDE

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L'exposition Inside propose au visiteur une expérience d'immersion, une traversée « risquée » de soi dont l'espace d'exposition est le sujet et la métaphore à l'image de l'installation monumentale de Sven Jonke constituée de scotch transparent. Cette odyssée, tant physique que mentale, invite à traverser un Palais de Tokyo métamorphosé par les artistes de façon à ce que, d'une installation à l'autre, d'un étage à l'autre, nous soyons à l'intérieur des œuvres. Celles-ci, dont certaines créées In Situ, nous conduisent au plus près de nous-même, de l'expérience de l'espace jusqu'à nos pensées et nos craintes les plus secrètes.

Ce très long parcours permet d'appréhender de manière inédite le bâtiment, transformé en un organisme physique et spirituel, selon l'archétype du voyage initiatique.

Inside convoque toutes les émotions qui font notre humanité : joie, inquiétude, effroi, horreur, désir… Une expérience profonde, troublante et imprévue.

Dans ce parcours immersif, la figure du double est omniprésente. Voici une sélection d'œuvres jouant sur le trompe-l'œil, les illusions d'optiques et la dualité.

Eva JOSPIN

Pour pénétrer dans l'exposition Inside, il faut d'abord oser entrer dans une forêt mystérieuse, créée par Eva Jospin (née en 1975, vit et travaille à Paris). La forêt, incarnation de la nature à l'état sauvage, est surtout dans les récits traditionnels l'espace de l'épreuve, funeste ou initiatique. Elle est aussi le lieu de la rencontre avec soi-même. Traverser la forêt, c'est initier la visite de l'exposition Inside qui est un voyage intérieur.

Eva Jospin travaille le carton pour concevoir volume et perspective, créant des bas-reliefs évocateurs. Un long travail de découpage, d'assemblage et de superposition, une certaine violence dans le geste, lui permettent de ciseler des forêts en trompe-l'œil, à la fois denses et délicates, mystérieuses et apaisantes. L'artiste réalise des œuvres ayant la capacité d'être dans le même temps frontales et immersives, parfaits supports de projection mentale, via un matériau familier et sans qualité esthétique intrinsèque.

Marcius GALAN

Diagonal Section (2014) est une œuvre illusionniste de Marcius Galan (né en 1972, vit et travaille à São Paulo), qui fait passer le visiteur « de l'autre côté du miroir », lui permettant d'effectuer un voyage initiatique. D'une grande sobriété, cette installation in situ montre un obstacle symbolique, a priori infranchissable, que seuls les plus courageux – ou les plus inconscients – réussiront à pénétrer. L'artiste propose un jeu sur la perception (physique ou mentale) de l'espace qui nous entoure. Il s'agit de mettre en échec nos sens : l'œuvre semble se dématérialiser sous nos yeux. Un art minimal et contextuel, d'une grande neutralité formelle, est au cœur de la pratique de Marcius Galan.

L'artiste crée un trouble tant physique que mental avec des œuvres à l'encontre des systèmes de représentation habituels : ce que nous voyons au premier abord n'est jamais ce qu'est effectivement l'œuvre. Ses interventions architecturales et ses sculptures remplacent la réalité par son double et nous renvoient aux représentations qui structurent notre rapport à l'espace.

Marc COUTURIER

Marc Couturier (né en 1946, vit et travaille à Paris) est invitéà poursuivre la série des dessins du Troisième jour en réalisant une intervention murale monumentale. Cette série se réfère au livre de la Genèse où, au troisième jour de la Création, les eaux se séparent de la terre sur laquelle sont créés la nature et les végétaux. Réalisé au graphite, le dessin est le fruit d'un geste spontané et continu, dialogue permanent entre la volonté et l'intuition de l'artiste. C'est d'ailleurs par une approche intuitive que le visiteur peut appréhender cette œuvre, où le paysage de cet élan originel de la création se révèle peu à peu dans un jeu optique entre le proche et le lointain.

Ce travail majestueux et délicat engage une contemplation et un lâcher-prise. C'est en chacun de nous et à distance de la réalité que la poésie existe alors. Marc Couturier glane et collecte objets et matériaux. Il en décèle le potentiel poétique qu'il révèle au monde par une attention et un point de vue particulier. Lignes et matières forment un corpus et s'associent aux sculptures monumentales comme les Lames, invitant à un rapport contemplatif à l'œuvre d'art.

Abraham POINCHEVAL

La sculpture habitable d'Abraham Poincheval (né en 1972, vit et travaille à Marseille) a été conçue pour que l'artiste puisse vivre en son sein de manière autonome, coupé du monde extérieur. Pendant les treize jours de sa performance au musée de la Chasse et de la Nature (Paris), tel Jonas dans le ventre de la baleine, l'artiste a habité la peau de cette sculpture d'ours à taille réelle, a fait corps avec la bête, se nourrissant comme elle. Cette expérience extrême de solitude, de retrait du monde et de double peau a été filmée et retransmise en vidéo.

Abraham Poincheval explore le monde en repoussant ses limites physiques et mentales. L'enfermement, l'absence de communication et la vie en autarcie sont des démarches qu'il multiplie, passant par exemple une semaine dans un trou creusé dans le sol d'une galerie et recouvert par une pierre d'une tonne. En 2013, il renoue avec l'isolement souterrain et analyse la perte totale des repères visuels et temporels en habitant, pendant cinq jours, une grotte privée de lumière.

Ryan GANDER

L'artiste nous présente une série de trois sculptures en marbre (matériau pérenne et noble) d'après des abris de fortune réalisés par sa petite fille. Il met en exergue l'idée de protection dans un jeu délicat en trompe-l'œil : de la fragile cabane d'enfant dont la protection symbolique est immense, à la cabane de marbre, certes solide, mais imperméable, avec ses drapés caractéristiques de la sculpture classique.

Ion GRIGORESCU

Dans Boxing, l'artiste combat son double à mains nues. Par un trucage simple, la double exposition du film, il met en images une lutte intérieure, la dualité de chacun et le dédoublement de la vie individuelle et publique. Il utilise dès les années 1970 son propre corps comme principal outil d'expérimentation. Réalisés dans la clandestinité, ses premiers films le mettent en scène, souvent nu, dans l'intimité de son espace domestique, loin de la surveillance policière du régime de Ceausescu.

A voir :
- Exposition Inside au Palais de Tokyo du 20 octobre 2014 au 11 janvier 2015.

Crédit photos : S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

LE DECAPITE PARLANT

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De nombreux magiciens ont présentés depuis des dizaines d'années le décapité parlant. Ayant découvert ce document dans un ouvrage autre que magique, je n'ai pas résistéà la tentation de vous en faire part.

Talrich, Adrien Delille, Duchesne.

Le décapité parlant de Charles Virmaitre

Extraits

Paris qui s'efface. Nouvelle librairie parisienne, Albert Savine éditeur. 18 rue Drouot, Paris 1887. Tous droits réservés.

En novembre 1866, la presse parisienne enregistrait comme une curiosité extraordinaire, exhibition dans la salle des conférences du boulevard des Capucines, par M. Talrich, d'une tête qui parlait après avoir été décapitée.

La scène se passait dans un caveau étroit situé dans le sous-sol. Ce caveau était éclairé par une lampe qui répandait une clarté douteuse. Dans un des angles du caveau on remarquait une gigantesque épée qui avait servi, disait le bonisseur, à couper la tête exhibée. Cette tête paraissait avoir appartenu à un homme d'une soixantaine d'années et reposait sur un guéridon à trois pieds, une serviette maculée de sang le couvrait. De chaque côté de la tête du décapitéétaient placés deux crânes. La tête répondait à toutes les questions qu'on voulait bien lui adresser à condition toutefois que ce fût en anglais.

Le mouvement des muscles de la face, des yeux, de la langue, était très naturel ; et pour cause. La tête prétendait être parfaitement à son aise. Une foule innombrable alla voir cette curiosité. Des paris très élevés s'engagèrent. Les uns prétendaient connaître le truc, des croyants affirmaient que c'était vraiment la tête d'un décapité. Ce truc que personne ne dévoila était la simplicité même, c'était M. Adrien Delille, le célèbre prestidigitateur qui l'avait inventé et le docteur Lynn ne faisait que de l'exploiter.

Affiche pour Adrien Deville (1833-1915). Il présentait une décapitation intitulée l'homme mutilé, ayant achetéà Jules Talrich le droit d'utiliser son Décapité parlant. (Coll. Hjalmar)

Le personnage qui jouait le rôle de la tête du décapitéétait confortablement assis dans un excellent fauteuil, car les glaces formant triangle, encadrées dans les pieds de la table, étaient assez écartées pour qu'il fut à l'aise. Malgré cela les séances étaient très courtes ; la tête sifflait et articulait un good nighténergique pour faire comprendre aux visiteurs qu'ils devaient se retirer.

Le truc fut découvert par M. Wilfrid de Fonvielle. Il jeta sur une des glaces une pièce de cinq francs qui naturellement ne franchit pas l'obstacle. L'inventeur du décapité parlant connaissait certainement le passage suivant de Don Quichotte, intitulé :

LA TETE ENCHANTÉE

... Le repas achevé, don Antonio prit notre héros par la main, et le conduisit dans une pièce où, pour tout meuble, se trouvait une table de jaspe soutenue par un pied de même matière. Sur cette table était un buste qui paraissait de bronze et représentait un empereur romain. Ils se promenèrent pendant quelque temps, de long en large, firent le tour de la table puis don Antonio s'arrêtant et dit à don Quichotte : Maintenant que je suis certain de n'être écouté par personne, je vais apprendre à votre grâce une des plus étonnantes aventures dont on ait jamais entendu parler, à condition toutefois que ce secret restera entre elle et moi.

Je le jure, seigneur, répondit notre héros ; celui à qui vous parlez a des yeux et des oreilles, mais point de langue ; votre grâce peut en toute assurance verser dans mon cœur ce qu'elle a dans le sien et rester persuadée qu'elle le jette dans les abîmes du silence.

Sur la foi de cette promesse, repartit don Antonio, je vais vous confier des choses qui vous raviront d'admiration, et je me soulagerai moi-même d'un fardeau qui me pèse, car je n'ai encore révéléà personne le secret que je vais vous dire. Cette tête que vous voyez, seigneur don Quichotte. Ajouta-t-il en la faisant tourner avec la main, a été fabriquée par un des plus grands enchanteurs qui aient jamais existé. C'était, je crois, un polonais, disciple du fameux Kot, dont on raconte tant de merveilles. Je reçus chez moi cet enchanteur, et pour la somme de mille écus il me fabriqua cette tête, qui a la propriété de répondre à toutes les questions qu'on lui adresse. Après avoir tracé des cercles, observé les astres, écrit des caractères cabalistiques, épié les conjonctions voulues, l'auteur mit la dernière main à son ouvrage, dont vous aurez la preuve demain, car le vendredi cette tête est muette et il serait inutile de lui rien demander aujourd'hui. D'ici là votre grâce peut songer aux questions qu'il vous conviendra de lui faire et l'expérience vous prouvera si je dis vrai.

Charles-Antoine Coypel (1694-1752). Histoire de Don Quichotte : Don Quichotte consulte la tête enchantée chez Don Antonio Doréno (détail).

Etonné de ce qu'il entendait, don Quichotte avait peine à croire que cette tête fût douée d'une telle vertu mais comme il devait bientôt savoir à quoi s'en tenir, il se contenta de faire de grands remerciements à son hôte pour lui avoir confié un secret de cette importance. Ils sortirent de la chambre, que don Antonio ferma à clé, et ils retournèrent dans le salon, où Sancho avait eu le temps de conter à la compagnie une partie des aventures de son maître.

Le lendemain don Antonio jugea à propos de faire l'expérience de la tête enchantée. Suivi de don Quichotte et de Sancho, il entra dans la chambre où se trouvait le phénomène. Là, ces messieurs lui adressèrent diverses questions, auxquelles la tête répondit d'une manière peu satisfaisante. Cid Hamed ben Angeli, afin de ne pas laisser soupçonner de la magie dans une chose aussi surprenante, expliqua le fait de la manière suivante :

Don Antonio, dit-il, afin de se divertir aux dépens des niais, fit faire cette tête à l'imitation d'une autre qu'il avait vue à Madrid. La table avec son pied d'où sortaient quatre griffes d'aigle, était de bois peint en jaspe. La tête, semblable à un buste d'empereur romain et couleur de bronze, était creuse comme la table sur laquelle on l'avait si bien enchâssée que tout paraissait d'une seule pièce. Le pied de la table était creux et communiquait par deux tuyaux à la bouche et à l'oreille de la tête. Ces tuyaux descendaient dans une chambre au-dessous où se tenait cachée la personne qui faisait les réponses. La voix partie de haut en bas et de bas en haut, passait si bien par ces tuyaux qu'on ne perdait pas une seule parole, de sorte qu'à moins de le savoir, il était impossible de pénétrer l'artifice.

Il existait jadis une société qui avait l'habitude de soumettre les néophytes à des épreuves qui devaient justifier de leur courage ; pour cela, on tapissait une chambre avec des draps noirs parsemés de grandes larmes blanches. Au milieu de cette chambre, il y avait un guéridon percé d'un trou au centre, trou dissimulé par une serviette. Le néophyte devait couper la tête d'un homme ; la chambre était faiblement éclairée ; on lui mettait une lourde épée en main et on lui désignait un individu assis près du guéridon. Tremblant, mais excité par la galerie, il déchargeait un furieux coup sur la nuque du patient. La tête tombait d'un côté et l'homme de l'autre. La tête était en carton et allait rouler par un truc sous le guéridon ; on faisait mine de la ramasser et de la mettre sur le guéridon préparé ; alors, Ô horreur ! la tête apparaissait sanglante sur la serviette, les cheveux hérissés, les yeux hagards, les dents serrées et, malgré cela, elle parlait. C'était aussi simple que le truc du décapité parlant il fut dévoilé de la manière suivante :

Un jour le personnage qui faisait la tête, ayant un peu trop remué, renversa une petite lampe à esprit de vin posée près de lui ; l'esprit de vin s'enflamma et lui brûla la barbe ; il se leva affolé le guéridon autour du cou et se sauva dans la rue, en criant : Au feu !

Le premier qui fit le truc de la décapitation sur la place publique, ce fut le dentiste Duchesne. Duchesne jouait aux Funambules, boulevard du Temple, vers 1838. Habitué au grand air, il était à l'étroit sur cette modeste scène. Un soir il fit la connaissance de Genisson, machiniste à la Gaîté. Ce dernier lui monta une baraque en bois, place de la Bastille, et sur un immense calicot il annonça la Décapitation. Tout Paris envahit la baraque et, comme toujours aux spectacles sanglants, les femmes étaient les plus acharnées.

Voici le truc imaginé par Genisson et pratiqué par Duchesne :

Pour cet effrayant tour d'escamotage, il se servait d'un cou de mouton qui, pendant que la tête disparaissait sous une trappe, devait appliqué au tronc, présenter l'aspect d'un cou fraîchement coupé. L'illusion était complète et la scène véritablement effrayante. Un jour, il arriva à Duchesne un accident bizarre : au moment où la tête allait tomber sous la lame du sabre et disparaître dans la trappe, il cherchait son cou de rechange et l'aperçut dans la gueule d'un énorme chien de Terre-Neuve qui bondissait au milieu des spectateurs pour gagner la rue. Les spectateurs partirent d'un immense éclat de rire ; mais aussitôt, furieux de voir que le truc était aussi simple, ils se mirent à injurier le malheureux artiste et voulurent lui faire un mauvais parti. Duchesne déserta la baraque et s'en alla en province. Nous le retrouverons plus loin. L'exhibition du Décapité parlant dura environ quatre mois.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

TRICHEURS

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Extraits du livre ...et le singe devint con du libre penseur Cavanna (1984). Texte à la gloire de la Triche et des Tricheurs. Il ne faut pas oublier que c'est grâce à eux que, pour s'en démarquer, la magie est devenue un art.

Neuvième leçon : L'homme goûte les émotions de l'aventure sans vraiment se fatiguer.

Les hommes connurent le jeu très tôt. Vous dire exactement à quelle époque, c'est autre chose. On peut seulement affirmer avec une certitude absolue :

1. Que l'homme sut jouer avant de savoir travailler.

2. Que l'homme sut tricher avant de savoir jouer.

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Le jeu de dé est très ancien, peut-être le plus ancien de tous. La preuve c'est que les dés sont carrés. Leur invention est donc antérieure à celle de la roue. Sinon, on aurait fait des dés ronds. Au lieu de ça, à cause de la tradition, encore aujourd'hui on continue à faire rouler des dés carrés, et on a beau les jeter fort, ils s'arrêtent presque tout de suite.

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Le premier tricheur scientifique fut Ramsès-la-ficelle, qui inventa les dés télécommandés.......

Gagnant à tous les coups, il joua avec le Pharaon, lui gagna l'Egypte et devint Pharaon à sa place. Il faillit gagner Rome à Jules César, mais Jules César, qui était très malin, l'obligea à jouer sur une table de marbre très propre au lieu de jouer par terre, dans la poussière, comme il faisait d'habitude, et l'on vit distinctement les ficelles qui étaient attachées aux dés et à ses doigts.

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Il n'y a pas que les dés dans la vie. Il y a aussi les cartes. Elles apparurent beaucoup plus tard, non pas, comme l'enseignent ceux qui parlent sans savoir, parce qu'il fallut attendre que fût inventé le carton, mais bien parce qu'il fallut attendre que fussent inventés les manches de veste.

Vous avez certainement déjà remarqué qu'on aurait pu faire des cartes à jouer un tout petit peu plus larges, ou plus longues, ou je ne sais pas, moi...Eh bien, comme par hasard, elles ont juste la bonne largeur pour tenir bien au chaud dans une manche de veste et pour venir se glisser gentiment sous votre main sans que rien ne dépasse.

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Nous méprisons les tricheurs. Les peuples de l'Antiquité, au contraire, les honoraient et les respectaient. C'est eux qui avait raison.

Celui qui ne triche pas est un résigné, un feignant et un lâche. Il subit son destin, courbe la tête sous les coups du sort et attend paresseusement que le hasard travaille pour lui. Mentalité d'esclave. S'il n'y avait eu que des peigne-culs de ce genre, l'humanité ne serait actuellement qu'un ramassis d'assujettis à la Sécurité Sociale.

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Les grands hommes dont notre civilisation est légitimement fière pourraient s'appeler plus justement les grands tricheurs.

- C'est parce qu'il tricha en prenant un raccourci que Christophe Colomb découvrit l'Amérique.
- David tricha : au lieu de lutter contre le géant Goliath loyalement, à mains nues, il avait caché une fronde dans son slip.
- Gutenberg tricha : au lieu d'écrire les livres à la main, il les imprima.
- Archimède tricha : au lieu d'aller au fond, comme le voulait la règle du jeu, il mit une planche sous lui et il flotta.
- Pasteur tricha : au lieu de se battre d'homme à homme avec les microbes, il les fit bouillir par surprise.
- De Gaulle tricha : il a dit « La France n'a pas perdue la guerre », ce qui était un gros mensonge, et finalement il devint Président.
- Napoléon aussi tricha : il attira les Anglais dans un pièce, à Waterloo, mais c'est lui qui tomba dedans. Ce qui montre bien que tout le monde ne peut pas être De Gaulle.

Nous acclamons celui qui refuse la défaite et nous mettons les tricheurs en prison. Ou bien nous sommes gâteux, ou bien nous sommes hypocrites. Ou bien les deux.

OUR MAGIC / Maskelyne-Devant

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Tel est le titre d'un important ouvrage qui vient de paraître à Londres. Il est signé de deux noms qui font autorité, non seulement en Angleterre, mais aussi dans l'universalité du monde magique. Ces auteurs sont : Nevil Maskelyne et David Devant, qui sont deux maîtres justement renommés.

Il n'est pas douteux que ce livre sera lu par la grande majorité de ceux qui s'intéressent à ce qu'on appelle : « La Magie »... faute, sans doute, d'un terme mieux approprié. On voit que les auteurs, en intitulant leur livre : « Notre Magie », n'entendent pas dire qu'il s'agit d'une magie qui leur serait personnelle, mais bien de la magie en général, de la magie actuelle et universelle, ainsi que le démontre savamment le texte de ce substantiel et excellent ouvrage.

Au cours de la lecture que j'ai faite de cet imposant volume de 500 pages, admirablement édité, j'ai eu le plaisir de constater que, dans ses grandes lignes, je suis assez en communion d'idées avec les sympathiques auteurs. Je leur ai vu émettre des conceptions dont je suis, moi même, hanté depuis longtemps déjà et au sujet desquelles j'ai, heureusement pour moi, et depuis assez longtemps aussi, planté de timides mais suffisants jalons, pour ne pas être taxé d'avoir des idées après coup lorsque, comme cela est fort possible, je les développerai quelque prochain jour. Certaines de ces idées pourront paraître hardies, aussi bien de ma part que de celle des auteurs de « Notre Magie ». Ils ne les ont d'ailleurs pas d'aujourd'hui non plus, puisque, dès les premiers mots de leur préface, ils disent :

« En écrivant ce livre, nous atteignons un but que nous poursuivions depuis longtemps ; c'est à dire : la production d'un ouvrage pouvant projeter une véritable lumière que celle ordinairement répandue dans les livres et traités... »

Le désir de tout auteur est toujours de faire mieux. Il est très naturel. Il est bien rare, surtout dans un ouvrage technique, qu'un auteur ne s'efforce pas à se montrer supérieur à ses devanciers, et vraiment, ici, le légitime désir des auteurs de « Notre Magie » paraît très justifié.

Dans son ensemble, ce livre merveilleux plaira, sans nul doute, à tous les esprits sérieux qui sauront se pénétrer de son importance. Si d'autres esprits, plus superficiels, se contentent de parcourir l'ouvrage d'un oeil insuffisamment attentif, ils auront tort, car ils se priveront ainsi de savourer, comme il convient, quantité de détails dont le fini, la justesse et la délicatesse sont à signaler, tout en n'étant peut-être pas toujours facilement assimilables à tous. Et encore, je fais sans doute, ici, une supposition gratuite. J'oublie que ce livre est, naturellement, surtout destinéàêtre lu par les compatriotes des auteurs qui, dans un autre passage de leur ouvrage, nous font savoir que, chez eux :« Le magicien moyen, professionnel, est un homme instruit, éduqué et socialement qualifié pour tenir son rang parmi les membres de toutes professions ».

Ils nous disent aussi, que l'ordinaire magicien connaît un peu de latin, voire même une pointe de grec et qu'il peut, à l'occasion, parler français sans faire frissonner ses auditeurs. Il faut avouer, et je m'en désespère, que, à quelques exceptions près, nous ne pouvons pas en dire autant. Ces exceptions, cependant, malgré leur peu de fréquence, sont réelles et heureuse ; c'est pourquoi je les signale, et aussi par bonté d'âme, afin de laisser, au plus grand nombre l'illusion de se figurer que, l'exception : c'est eux.

Et maintenant, dirais-je que le livre de MM. Maskelyne et Devant est, non pas incomplet, mais absolument sans défaut. Si je n'en trouvais pas au moins un, ce ne serait pas la peine de faire de la critique. Si j'ai l'audace d'en présenter un, ce n'est certes pas pour chagriner des auteurs auxquels je n'ai pas à en remontrer ni, par conséquent, pour paraître mieux avisé qu'eux. Oui, à mon sens du moins, le livre de MM. Maskelyne et Devant a un défaut. Il est trop bien fait. C'est un défaut que, je dois le dire, je n'ai pas encore trouvé dans d'autres livres de ce genre. Ce défaut, qui est si peu commun, sera plutôt considéré comme avantageux par des esprits plus ouverts ou plus indulgents. Il n'en sera certainement pas un pour tout le monde et très probablement pour personne ; ce dont je ne pourrai que me réjouir.

Il faut dire que ce livre est un ensemble de savants et sages préceptes qui se profusent dans l'ouvrage, et à la hauteur desquels il est possible que je ne sache pas toujours m'élever. Mais pour moi, et pour moi seul, je veux le croire, cette oeuvre m'apparaît comme trop quintessenciée, si je puis employer cette expression. Comme trop alambiquée, dirai je même. Toujours, bien entendu, à mon avis personnel, et sans préjudicier en rien d'autres avis. Je me suis, parfois, senti égaré dans cette totalité de détails minutieux, d'explications précises, de digressions éloquentes, d'exemples frappants, de comparaisons heureuses, d'observations judicieuses et de conseils dont l'excellence et la généreuse profusion me stupéfiaient, et qui, tous, sont marqués au coin de la plus évidente sagacité.

A titre d'exemple, il faut citer la suivante maxime qui porte le n° 22 dans le chapitre IV :

« Nul magicien ne doit jamais présenter en public, aucun acte dont l'exécution ne peut, ou n'a pu être adaptée à son tempérament ou à son habileté personnelle. »

Méditez ce conseil. En est-il de plus excellent ? Ce n'est certainement pas à cette partie de l'ouvrage, qu'on pourra reprocher d'être trop bien faite. Il y a, dans ce simple avis, tout un programme. Il synthétise les qualités que tous devraient avoir. S'il était suivi à la lettre, la prestidigitation serait soulagée des trop nombreuses nullités qui l'encombrent et finiront par la conduire, lentement et sûrement, à un dénouement fatal. Il faut encore citer ce qui suit. Je le fais d'autant plus volontiers que c'est bien en conformité avec l'idée de laquelle j'ai posé des jalons, il y a quatre ans, dans le n° 74 de Février 1908 de L'Illusionniste. Dans leur préface, page VI, nos auteurs disent ceci :

« Loin d'éprouver aucune répugnance à laisser connaître, au grand public, les secrets de notre art, nous voudrions ardemment faire son éducation en ces matières, afin de pouvoir répandre une compréhension exacte de cet art, parmi ses fidèles et ses admirateurs. »

Et ils ajoutent :

« Les trucs et ficelles sont comparativement de peu d'importance dans l'art de la magie. On démontrent tout au plus quelque habileté d invention, mais rien de plus. L'effet seul, produit grâce au concours de ces inventions, est de considération et de réelle importance ».

Ceci se passe de commentaires et je veux abréger. Cet ouvrage est un livre d'études à la fois très hautes, très diverses et très poussées. Tout y est passé au crible du plus minutieux examen et pesé au plus sensible des trébuchets. Les implacables auteurs nous enserrent dans tout, et ne nous font grâce de rien. A ce point que dans mon désir de m'identifier à eux et de m'assimiler leur texte, je me suis senti parfois (parfois seulement) comme enlisé dans leurs considérations et arguments, sans pouvoir toujours m'en dégager victorieusement. Ce livre est plus qu'un livre, c'est un monument. C'est une précieuse monographie, c'est à la fois la physiologie, la psychologie et la philosophie de la profession. Je n'ai plus qu'une seule critique à ajouter. C'est que : je voudrais l'avoir fait.

E. Raynaly

A lire :
-Our Magic de Nevil Maskelyne et David Devant. Editions E. P. Dutton & Company, 1911 (première édition).
-L'art dans la magie de Nevil Maskelyne et David Devant (version française). Editions Techniques du Spectacle, 1989.

Alexandre LAIGNEAU

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Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?

Après avoir reçu une boite de magie à noël, puis une seconde le noël suivant, j'ai commencéà aimer la magie, à faire des tours de magie devant mes parents, ma sœur, mes grands-parents... puis chaque année j'achetais des tours de magie sur le port de Cavalaire sur Mer, ou j'ai rencontré, alors que je n'avais que 7/8ans, Jean Baptiste Chevalier qui deviendra plus tard un ami magicien.

J'ai ensuite commencéà animer les anniversaires des amis, les mariages de ma famille puis mes profs à l'école qui n'en pouvaient plus de me voir avec des cartes entre les mains à chaque heure de classe...

J'ai par la suite découvert la Fédération Française des Artistes Prestidigitateurs, après avoir rencontréPeter Din qui en était le président et qui m'a énormément conseillé et aider pour passer le fameux examen d'entrée. J'ai intégré le club de Paris (CMP) puis, après quelques années, je suis partis au club de Seine et Marne pour des raisons personnelles.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?

J'ai par la suite décidé de créer mon propre numéro afin de commencer à me présenter sur scène dans des concours. Cela a mis près de 4 à 5ans avant que mon numéro voit vraiment le jour et avant qu'il soit présentable sur scène. Étant encore étudiant à l'époque je prenais tous les jours le RER : c'est ici que m'est venue l'idée de créer un numéro sur cet univers de la gare.

Après de nombreuses heures de répétitions et de travail, j'ai eu la chance de remporter de nombreux prix avec ce numéro ce qui m'a permis d'intégrer l'équipe de France de magie. Grâce à cette équipe mon numéro a continué de progresser d'évoluer, nous sommes vraiment bien encadré avec des metteurs en scène, des comédiens, des maquilleuses... vraiment tout ce qu'il faut pour travailler dans d'excellentes conditions. J'ai travaillé mon numéro avec de nombreuses personnes, je ne pourrais pas citer tout le monde de peur d'en oublier mais un grand merci àThierry Schanen, Peter Din, Fabrice Roubeyrie, et tous les amis magiciens qui m'ont donné de précieux conseils sur mon jeu d'acteur, mon décors, mes effets, etc.

Aujourd'hui j'ai terminé mon BTS en communication visuel et j'ai décidé de me lancer à fond dans ma passion, et d'en faire un métier. Je suis donc intermittent du spectacle, et travail en indépendant. C'est dans mon sous-sol que je bricole, fabrique, imagine de nouveaux tours, de nouveaux décors tous les jours, toutes les nuits surtout !

J'aime créer et bricoler mon propre matériel ; c'est peux être dûà ma formation en design graphique... c'est pour cela que je suis plus attiré par la scène que le close-up. Pourtant moi qui étais un petit garçon timide, quand je suis sur scène tout cela disparaît comme par magie...

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l'inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?

Pour pouvoir progresser il faut partager, partager avec ses amis, ses proches, avec des magiciens et des « moldus », afin d'avoir de la critique, plus il y en a mieux c'est ! Au moins je peux faire le tri sur les conseils que l'on me donne, mais si une idée ne me plais pas je l'écrit sur Google drive et la sauvegarde pour ne pas l'oublier, elle me servira peut être pour une autre fois...

Dans quelles conditions travaillez-vous ?

Je travaille beaucoup avec Quentin, un de mes meilleurs amis du lycée et musicien à ses heures perdues, c'est lui qui compose l'intégralité de mes bandes son afin que celle-ci collent parfaitement à l'univers souhaité, mais également avec Antoine, mon technicien lumière qui se déplace à chaque représentation pour voir ce qu'il y a à changer, comment améliorer un effet, ou le mettre plus en avant grâce aux lumières. Oui pour moi la magie ce n'est pas seulement le truc mais tout ce qu'il y a autour, son, lumière, comédie...

Quelles sont les prestations de magiciens ou d'artistes qui vous ont marqué ?

De nombreux magiciens m'ont marqué, Lance Burton ou David Copperfield forcément, mais également des personnes comme Pilou ou Norbert Ferré qui étaient de vrais modèles pour moi et qui aujourd'hui sont devenus de grands copains que j'admire toujours autant.

Quelles sont vos influences artistiques ?

Mes influences artistiques sont assez diverses. J'adore la musique, le théâtre et le graphisme ! Autant de sources d'inspirations que possible !

Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?

Si je dois donner un conseil à un magicien « débutant » c'est Fonce ! Éclate toi, partage avec ton public, retravaille, partage, re-retravaille et ne compte pas tes heures ! Et le jour où tu en fais ton métier garde les pieds sur terre et continue de foncer, de partager et de travailler ! Aussi, n'hésites pas à faire quelques concours pour te faire connaître, montrer ton travail mais garde en en réserve... écoute la critique, mais ne l'applique pas tout le temps.

Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?

Aujourd'hui la magie change, les artistes aussi, tellement de monde pensent connaître « le truc » mais pour moi la magie se théâtralise de plus en plus et j'espère que cela va continuer dans ce sens. On m'a toujours dit : si tu veux un beau numéro de magie, tu dois avoir au moins 80% de théâtre et de mise en scène, le reste c'est accessoire...

Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?

Il ne faut pas oublier le passé, l'histoire de la magie qui est très importante pour continuer de progresser. Je suis encore jeune et j'ai encore beaucoup à apprendre mais les vieux grimoires de magie sont souvent les meilleurs... alors cultivons nous, faisant de la magie un art et remplissons toutes les salles de spectacle, de magie, de belle magie !

Vos hobbies en dehors de la magie ?

En dehors de la magie ? Je dors quelques heures, je bois et je mange... Plus sérieusement je me passionne de plus en plus pour la régie de spectacle, car sans techniciens son et lumière il n'y a pas de spectacle ! Pour moi un artiste dois être polyvalent, il doit connaître un minimum de chose sur les lights, les musiques, les normes, les lois... Je suis à la base graphiste avant d'être magicien, c'est aussi l'un de mes passe-temps : je crée mes propres supports de communication, site web, carte de visite, affiche, etc... Mais également pour de nombreuses associations et amis du spectacle ou encore l'identité visuelle de l'équipe de France de magie.

- Interview réalisée en juin 2015.

A visiter :
-Le site d'Alexandre.

A voir :
-Ses vidéos.

Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant-droits, et dans ce cas seraient retirés.


FLORENCE vue par Brian DE PALMA ET Dario ARGENTO

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Comment filmer une ville, et comment le choix de Florence peut-il influencer le geste créateur ? Une ville peut se situer à l'origine d'un geste filmique, de trois façons. D'abord, elle peut se trouver à l'origine comme un lieu préexistant. La ville constitue un assemblage déterminé de rues et de maisons, que le cinéma enregistre, attentif à la manière dont s'agence un réel originaire. On retrouve dans ce culte pour l'image documentaire les théories baziniennes : il suffit de montrer l'architecture d'une ville et de ses immeubles pour capter le génie d'un lieu, la mémoire qu'elle renferme, sa grandeur et sa solitude. Ensuite, être sensible à une ville, c'est y capter des images originales : éviter les clichés qui s'interposent entre ce que le visiteur voit et ce qu'il ressent, et faire de la ville l'emblème d'un rapport au monde.

Enfin, l'origine renvoie également à un désir originel : la ville devient le motif d'élection d'une rêverie utérine ; filmer la ville, c'est aussi la fantasmer, comme cerveau ou comme mère. Ces trois rapports à l'origine (l'originaire, l'original et l'originel) permettent aussi de dessiner trois rapports à l'image (pour aller vite : le documentaire, l'ontologique et le psychique). Ceux-ci ne s'excluent pas forcément et peuvent même se combiner. Si les entrelacs de ces différents modes sont complexes, vouloir filmer Florence consolide considérablement l'écheveau car elle est sans aucun doute une ville des plus fascinantes, si ce n'est la plus fascinante. Comme l'a écrit Sartre, « elle possède la liquidité du fleuve, la douce ardeur fauve de l'or et s'abandonne avec décence ».

Florence

Les fascinations qu'elle suscite sont multiples : fascination historique car elle a bouleversé l'histoire de l'art comme celle de l'Italie et de l'Europe ; fascination esthétique, d'une part, en raison de la beauté de ses monuments : le Ponte Vecchio, le Palazzo Pitti, la Galerie des Offices - et, d'autre part, grâce à la force visionnaire des hommes qui y vécurent : Dante, Laurent de Médicis, Machiavel ; elle fascine enfin par l'intermédiaire des artistes qu'elle a fascinés (Mme de Staël, Stendhal, Musset, parmi d'autres). Davantage qu'une ville, elle est un mythe de la civilisation et de la culture occidentale : la ville auratique par excellence, à la fois temple esthétique et émanation temporelle. Si un cinéaste veut enregistrer des images de Florence, lesquelles conserver ? Peut-on en privilégier certaines au détriment de toutes les autres ? Mais à ne filmer que des images, à ne la filmer qu'en tant qu'image, filme-t-on encore Florence ? La relation entre le réel et l'image ne va pas de soi, et c'est ce qui constitue sans doute le cœur d'une esthétique florentine. C'est cette question que la réflexion maniériste travaille.

La problématique maniériste est essentielle pour comprendre Florence : le maniérisme est, à la fois, un moment de son histoire esthétique, via les écrits fondateurs de Vasari, et un schème de son architecture : je pense aux jardins de Boboli, applications maniéristes au paysage urbain, et mode d'être de l'image florentine. Anamorphoses, allongements, fragmentations célèbrent ainsi une syntaxe picturale de la torture et de l'éclatement. L'événement figuratif n'est dès lors plus l'objet représenté mais les distorsions apportées aux canons de la représentation. La figuration essaie de s'émanciper du réel pour devenir son propre objet. Le maniérisme est le moment d'une crise euphorique de l'image et du paraître, crise qui affecte autant des peintres comme Le Parmesan que des philosophes comme Machiavel. Origine de la pensée maniériste, ville des images maniéristes, ville maniériste : Florence se construit sur un paradoxe : elle est le lieu de la plus grande critique comme celui d'une fascination extrême. Est-il possible de fonder une image cinématographique sur ce paradoxe ? Est-il possible d'articuler une mise en crise et une fascination ? L'image comme étude critique permet- elle la restauration par d'autres moyens d'une image auratique ?

Brian De Palma et Dario Argento

Brian De Palma avec Obsession et Dario Argento dans Le Syndrome de Stendhal veulent tous deux refonder une image fascinante, mais par des moyens et des présupposés très différents. Quelles images retiennent-ils de Florence ? Des tableaux, par exemple, mais il y en a trop dans la Galerie des Offices, pour Argento, et cet excès est pathologique ; il n'y en a qu'un chez De Palma, dans la chapelle San Miniato, mais cette raréfaction produit un effet fantomatique. Des images de ponts aussi, de ces fameux ponts sur l'Amo et du Ponte Vecchio qu'on voit au générique d'Obsession sur des diapositives, ce qui surdétermine sa nature de cliché ; Ponte Vecchio qu'on voit de très loin chez Argento, ou de trop près, de si près qu'on ne le reconnaît pas, dès la première image postgénérique du Syndrome de Stendhal.

De Palma et Argento retravaillent ces images, le premier neutralise leur pouvoir de fascination, le second l'exalte. Les points communs sont superficiels, les différences fondamentales. Que reste-t-il de Florence pour De Palma ? Pas grand- chose : quelques surplombs touristiques, ou un escalier qui évoque davantage la maison de Psycho que les maisons de Botticelli. Pour Dario Argento, au contraire, rien n'a disparu et filmer la Galerie des Offices suffit pour entendre les battements de Florence. La Galerie est moins son trésor que son cœur. Toute la ville se concentre et se sublime en ce musée, qui est son centre et son âme, qui est Florence. Lorsque l'Américain procède à une soustraction figurative, l'italien crée une surcharge picturale. L'un s'inscrit résolument dans une perspective critique, l'autre dirige un théâtre des pulsions.

Obsession

La vision de Florence dans Obsession se fonde sur un paradoxe : en remontant à Florence aux sources d'un art et d'une pratique de l'image, Brian De Palma n'enregistre qu'un évidement. Bien loin d'exalter Florence, il ne décèle que des absences : absence d'Elizabeth Courtland, morte dans un accident de voiture ; absence de sidération et de fascination esthétique devant les œuvres d'art. De Palma dresse une image en creux, comme pour déposséder Florence de son identité en refusant de filmer son aura. Cette aura devient un vestige de la mémoire, un halo qui n'existe que dans l'imagination du spectateur et manque au réel florentin. Florence est ainsi le lieu d'un triple malentendu.

Premier malentendu : on la traverse sans la voir, et c'est la question de l'originaire et du réel comme référent. Florence n'est pas le lieu où l'œuvre d'art fascine, où elle semble naître pour la première fois devant le regard d'un visiteur. Ce n'est pas la ville d'une renaissance, mais celle d'une disparition généralisée. Les personnages y meurent, comme la mère adoptive de Sandra. La culture et le plaisir esthétique ne sont plus : les monuments ne sont pas interrogés ; aucun sens ne précipite. La ville, dont la tombe d'Elizabeth est une synecdoque, n'est qu'un immense mausolée, peuplé de figures défuntes, et ces figures sont autant les œuvres d'art que les personnages. Florence n'existe que sous la forme du cliché : comme ces diapositives qui ouvrent le film. Elles n'attestent pas d'une admiration esthétique, mais d'une présence touristique, renvoyant l'attrait esthétique de Florence à un argument d'agence de voyages. Ce n'est plus une merveille, mais un trophée qu'il faut exhiber. Florence est essentiellement un fond, un arrière-plan, comme les affiches de palmiers dans le bureau de Robert Loggia dans Scarface. Lorsque Michael photographie Sandra sur les marches de la chapelle San Miniato, il ne s'agit pas de glorifier une figure aimée en liant à son image un lieu de beauté, mais de prendre une image, de s'assurer de ce qu'elle soit bien cadrée, la nature ou le monument derrière elle n'étant qu'un paysage inerte. Un arrière-plan neutre. Les personnages sont incapables de voir ce qui les entoure. De Palma ne conservant à Florence que des figures sur un paysage absent, la ville est finalement totalement dépersonnalisée.

Deuxième malentendu : elle est la mémoire d'un cinéma qui ne l'a jamais filmée, et c'est la question de l'original et du cinéma comme référence. Elle catalyse les emblèmes cinématographiques de la modernité, mais des films cités aucun ne se situe à Florence. On retrouve des souvenirs italiens, la ville filmée telle une île déserte comme chez Antonioni, un personnage, Michael Courtland, frère du soldat américain qui séduit une italienne dans l'épisode romain de Paisa ; une réminiscence qui appartient à un espace européen, c'est Le Mépris auquel De Palma emprunte le fameux travelling gauche-droite droite-gauche sur deux personnages ; et enfin des fétiches américains, Florence reprend le San Francisco de Vertigo, bien sûr, mais aussi, via la présence de Cliff Robertson, et le thème de l'obsession comme crise du personnage et crise du genre, le New York de Underworld USA de Samuel Fuller.

Troisième malentendu : les personnages ne comprennent pas tout de suite quelle est la véritable nature de Florence, ce qui pose la question de l'originel. Est-ce simplement un lieu fantastique où les femmes rajeunissent (comme Courtland aurait aimé que rajeunissent les femmes des banquiers dans la scène de la boîte de nuit) ? Est-ce ici que l'étemel retour est possible et qu'Orphée rejoindra Eurydice ? En fait, si De Palma me semble fidèle à Florence, il refuse de la filmer comme un idéal de la contemplation. Il préfère consacrer l'esprit de Dante et de Machiavel. Si Dante est une référence explicite, il s'agit moins de celui du Paradis que de celui de L'Enfer : Geneviève Bujold le cite en parlant de l'aveuglement du sentiment amoureux. Il semble même inspirer la figure stylistique la plus remarquable du film : le cercle. Cercle sur le mausolée à Pontchartrain qui aspire le temps, cercle qui enferme Robertson et Bujold au dernier plan du film, cercle qui imprime son mouvement d'enfermement et d'oppression : tous ces cercles semblent être des effigies dantesques, ou des déformations infernales des spirales de Vertigo. Quant à Machiavel, il patronne le film, la vision du piège comme unique rapport à l'altérité et du leurre comme seule relation au monde ne dérogent pas à sa philosophie.

Si De Palma peut filmer Florence comme le lieu d'un malentendu, c'est parce que les images conservent une part de fausseté et d'inévidence. Le regard suppose un apprentissage, et l'image suppose un travail : plus précisément, chez De Palma, une image est une image menteuse, dont le rapport à l'objet représenté est toujours à construire et àélucider, ce que le dernier plan de Snake Eyes confirmera. D'où aussi l'importance de la trahison comme crise de l'évidence. Dans Obsession, l'image exprime en particulier une crise temporelle et figurative, une fracture essentielle : une schize.

Le film engendre un réseau d'oppositions : oppositions économiques, entre le Nouveau Sud et le Vieux Sud, métaphore sans doute de jeunes cinéastes partagés entre une destruction cynique du classicisme et une fascination malgré tout ; oppositions psychiatriques entre un temps suspendu et un temps cyclique, et c'est le problème de la névrose obsessionnelle. Mais plus qu'une structuration thématique, l'opposition constitue un mode d'être de l'image. Elle est interne à l'image : celle-ci n'est pas un dévoilement, mais un cache, qui regroupe plusieurs formes : le déjà-là (une image est là mais on ne la voit pas), le faux-semblant (la ressemblance entre Elizabeth et Sandra sert à berner Michael), la diversion (insister sur le rapport àVertigo pour pouvoir en contrebande travailler sur d'autres images). L'image est une architecture perverse, qui dissimule en montrant, et montre pour dévier la signification. Est-il possible dès lors de concevoir une vérité de l'image et de faire de l'image menteuse une image auratique ? Comment retrouver ce phénomène originaire de l'image qu'est l'aura ? Ce projet, essentiel chez De Palma, est au cœur des scènes situées dans la chapelle San Miniato.

La chapelle constitue un foyer critique dans lequel l'image s'affirme capable de neutraliser d'autres images ; le maniérisme y est envisagé comme une affirmation critique de l'image. Son mode prédominant est l'ironie : portant sur l'essence religieuse des icônes, elle s'acharne à déliter leur fascination auratique. Ce qui est éclatant lorsque Michael Courtland aperçoit Sandra, enveloppée par la lumière des bougies : tout dans le plan souligne la fausseté de cette apparition. Lorsque Michael croit voir une Madone, le spectateur ne voit qu'une simulatrice et un homme aveuglé : Cliff Robertson aux pieds de l'apparition, les yeux écarquillés, le regard dessaisi davantage par un montage Koulechov. Le spectateur peut voir alors une réécriture ironique de cette séquence de Vertigo où James Stewart est pris de vertige dans l'escalier de la chapelle. L'aura ne provient plus de l'objet mais souligne la facticité de l'image. Pourtant l'ironie n'est pas uniformément destructrice. C'est en déployant les puissances critiques de l'image que De Palma veut retrouver malgré tout, indirectement, mais en profondeur, des fonds fascinants. Le rapport à l'image est double, faisant du maniérisme une forme duale et schizophrène.

Davantage qu'une altération de l'image fondatrice dont les films d'Hitchcock seraient le paradigme, et Vertigo ici l'emblème, la critique est premièrement une modalité duale. Qu'est ce donc qu'une image duale ? Un modèle est offert par la première rencontre dans la chapelle entre Cliff Robertson et Geneviève Bujold, lorsque celle-ci détaille le dilemme du restaurateur. Deux tableaux partagent la même surface, sans pouvoir être vus ensemble et en même temps. Faut-il restaurer le tableau et perdre la peinture présente qu'elle cache ? Que faut-il risquer ? Il s'agit d'une aporie, qui fait de l'image un questionnement. Elle appelle une phénoménologie : comment faire pour que l'invisible devienne visible ? La vision d'une image suppose-t-elle le sacrifice d'une autre ? Elle appelle aussi une sémiologie : comment produire du sens et peut-on en perdre ? L'image fonctionne finalement comme un chiasme, instituant un jeu dialectique entre l'invisible et le visible, la production de sens et la perte de sens, entre le dehors (ce que le spectateur voit) et le dedans (ce que l'image recouvre), entre le mur (comme support solide de l'image) et le tissu (comme dilacération de l'image). Le signe existe aux bords de son effrangement, il est structure et déchirure.

Deuxième modalité du maniérisme depalmien : la schizophrénie, dont L'Esprit de Caïn sera le paroxysme. Quand Gilles Deleuze parle de maniérisme, il lui associe systématiquement le concept de schizophrénie. Il sépare en fait le maniérisme d'un unique rapport à l'image (il parle du maniérisme de Mallarmé, de Leibniz, etc.), c'est pour lui un rapport à l'idée. Il sépare aussi la schizophrénie d'un sens psychiatrique strict, en en faisant l'emblème d'un éclatement propre à toute pensée. Après avoir parlé de la schizophrénie, il définit le maniérisme comme « une hybris des principes, une hybris propre aux principes ». La pratique maniériste de De Palma consacre en effet une hybris, une démesure de l'image, qui se traduit par la multiplication d'impasses et de leurres pervers. Il faut scinder l'image pour voir en elle comment elle est riche d'autres images possibles (vues ou non, identifiées ou non). Toute image est entrelacs de plusieurs images, et s'impose comme lieu d'intermédiation référentiel (la jonction de Scarface et de L'enfer est à lui est une proposition critique) ou fantasmatique (le trajet du sang dans Carrie). L'image veut tout : elle veut tout dire (tout et son contraire : une même actrice joue la mère et la fille, un corps adulte joue le rôle d'un enfant), tout prendre (la bourse, la vie, la fille), tout mettre dans le plan (l'inceste, le désir, la culpabilité, la trahison, la satisfaction). Dans cette mégalomanie de l'image, on retrouve le principe de Scarface, on retrouve surtout le principe de l'usage du split screen. L'image possède une division intrinsèque, ontologique à exacerber.

Ainsi, du générique de début où l'on peut voir une circulation, un mouvement de connotation entre une chapelle San Miniato inquiétante, un Ponte Vecchio désincarné et une réminiscence de la maison de Psychose. On peut aussi et surtout voir l'exhaustion d'une ligne de montage, la glorification d'un ordre que l'image cinématographique permet, distinguant radicalement ce maniérisme de ses origines picturales. Le maniérisme depalmien est la mise en évidence de l'image comme montage, il fonde une fascination pour l'image comme montage. Toute image alors suppose son montage, toute image est déjà montage. La schizophrénie constitue dès lors une protection, une exaltation, non une destruction, ce que dit ce passage de Mille Plateaux : « La distance critique est un rapport qui découle des matières d'expression. Il s'agit de maintenir à distance les forces du chaos qui frappent à la porte. Maniérisme : à la fois demeure et manière, patrie et style. (...) Deux schizophrènes se parlent suivant des lois de frontière qui peuvent nous échapper. Il est important, quand le chaos menace, de tracer un territoire transportable ». C'est ainsi que, par exemple, le split screen, qui comprend l'essence du maniérisme depalmien, ne détruit certainement pas le montage, bien au contraire, il l'exalte, montrant dans le plan comment une image est par essence un entrelacs et comment le montage protège du chaos et des forces pulsionnelles. D'ailleurs le générique contient le seul split screen du film. Le maniérisme est une organisation, une protection contre le chaos et la pulsion pour De Palma ; pour Argento c'est l'expression d'un chaos intérieur et de la pulsion. L'image chez l'un est moment logique, chez l'autre cosa mentale.

Le Syndrome de Stendhal

Si le voyage à Florence avec Obsession coïncidait pour De Palma avec le début d'une nouvelle période artistique, celui que fait Argento avec Le Syndrome de Stendhal en 1996 est un retour. Retour aux villes italiennes qu'il n'avait plus filmées depuis 1975 avec le Turin de Profondo Rosso, si l'on oublie en 1982 la Rome postmodeme de Ténèbres. Retour en Italie, après plusieurs productions discutables (je pense àTrauma, àTwo Evil Eyes, et même àOpéra). Retour à l'origine, donc. Et, dans Le Syndrome de Stendhal qui est son manifeste esthétique, cette origine serait pour Argento celle de ses pulsions et de sa vocation. Ainsi, à un journaliste de Libération, il raconte que dans sa jeunesse il avait ressenti des malaises devant le Parthénon. « Mon père disait que c'était la nourriture grecque qui était trop lourde. Mais non, c'était le Parthénon ! ». Argento fait ici le portait de l'artiste comme victime du syndrome de Stendhal. Quel est ce syndrome ? C'est un concept clinique mis au point par une psychiatre et psychanalyste, Graziella Magherini. Elle travaille d'ailleurs à Florence, comme si Florence était bel et bien le lieu d'élection d'un tel syndrome. Il correspond à une émotion trop forte produite par l'œuvre d'art. Voici la description qu'elle donne :

« Le tableau exige du visiteur d'être vu non de l'extérieur, mais de l'intérieur. Soudain, l'individu ne connaît plus la frontière entre le licite de l'admiration passionnée et l'illicite du fanatisme agressif et vandale. Les sensations de plaisir et de douleur s'entremêlent, d'étranges curiosités le dévorent. Il veut savoir ce qu'il y a derrière, dedans, pas devant : au dedans du tableau, au dedans de lui-même. Joie et panique, les tableaux vont et viennent devant lui et autour de lui, en une constante invitation à les posséder. Ils respirent comme des êtres vivants. Il sent une grande capacité, une sensation de puissance et de richesse. »

Pour Dario Argento, l'idée du tableau vivant est l'origine d'une nouvelle conception de l'image cinématographique : celle-ci explicite et décrit les pouvoirs de l'image picturale. Dès lors, les rapports d'origine sont redéfinis. Comment ? En quoi ce maniérisme diffère-t-il de celui de De Palma ? Étudions la représentation du syndrome que donne Argento dès la première séquence du film.

Contrairement à De Palma qui isole puis évide chaque aspect de l'origine, Argento montre comment ils s'articulent et comment on passe de l'un à l'autre. Comment passer de l'originaire à l'original ? C'est le rôle de la Galerie des Offices : splendeur de Florence, elle collectionne toutes les images, quelles qu'elles soient. Si elle constitue un kaléidoscope quasi délirant, elle tente de guider le visiteur à travers un labyrinthe culturel. Comment passer de l'original à l'originel ? C'est le rôle du tableau. Celui- ci est, par essence, inquiétant. Argento avait mis en garde : « Les images peuvent se retourner contre nous. Van Gogh, ses images l'ont mutilé et puis tué. Botticelli, sa Vénus paraît gentille. Pourtant, il est mort fou ». Qu'est-ce qu'un tableau chez Argento ? Un objet fascinant et protéiforme. C'est d'abord un cadre qui, rappelant dans l'image les bords de l'écran cinématographique, hypnotise le regard. C'est aussi un miroir : la paroi de verre qui le protège permet de refléter l'image du spectateur : image d'Asia Argento, comme si déjà elle n'était plus chair, mais chose du tableau, comme si le tableau, qu'il soit d'Uccello ou de Botticelli, la vampirisait ; image du serial killer, dans la chambre d'hôtel, ce qui renforce l'analogie, car c'est le tableau qui est une force meurtrière, c'est le tableau le serial killer. C'est lui qui viole et qui tue : Argento se place dans la continuité du Lang architecte du Secret derrière la porte qui montrait des chambres meurtrières. Le tableau est bien un être vivant, une matière sensuelle : c'est le vent, des bruits, la gouache dans laquelle Anna Manni se roule. Anna l'entend, le sent, elle voudrait le toucher. Il est enfin et surtout un espace fantasmatique : aller dans le tableau motive une rêverie fœtale. Le mouvement est moins une plongée dans la matière qu'une invagination dans ce tableau qui est une mer : mère et mer.

« Mater materia » est le titre d'un article de Jean-Pierre Richard qui s'applique très bien à cette conception du tableau. Le tableau devient cet espace qui attire en lui tout le champ possible du filmique, faisant la conjonction entre le matériel, le maternel et le matriciel. Cette interprétation psychique est réclamée par la séquence ; mais l'espace du tableau (dans lequel Anna plonge, qu'elle traverse, ou qui voudrait la déchirer) est surtout un espace de figuration, voire de défiguration. Comme le dit Georges Didi-Huberman, en parlant du petit pan de mur jaune qu'a vu Proust dans la Vue de Delft de Vermeer : « Il est question de matière et de couche, d'une part : et là, nous sommes reconduits au lit de couleurs dont toute représentation de peinture tire son fond ; et d'autre part, de commotion et d'ébranlement mortel - quelque chose que l'on pourrait nommer un trauma, un choc, une volée de couleur ». Le Syndrome de Stendhal dit très nettement que le trauma est d'abord une origine esthétique : un événement créé par l'image et qui appelle d'autres images. C'est pourquoi le maniérisme d'Argento fait du trauma sa matière figurative première. Il permet de décomposer les causes du bouleversement esthétique et essaie d'y originer les images, toutes les images, images du sublime (c'est le visage d'Asia Argento), images grotesques (le corps d'Alfredo Grossi), images basses (la complaisance sanglante), images dégénérées (la pilule dans l'œsophage). Ce maniérisme crée autour du trauma trois moments figuratifs : le pan, l'escouade, la pulsion.

Qu'est-ce qu'un pan ? Une image qui désire le mouvement, une image picturale qui désire devenir cinématographique. Didi-Huberman différencie d'abord le pan du détail :

« Le chercheur de détails, c'est l'homme qui voit la moindre chose, et c'est l'homme des réponses ; il pense que les énigmes du visible ont une solution, qui peut tenir dans la moindre chose, un fil par exemple, ou un couteau, [...] il se prend pour Sherlock Holmes. Celui qu'affecte les pans, au contraire, est un homme qui regarde ; il n'attend pas, du visible, une solution logique (il ressent plutôt combien le visible dissout toute logique). [...] L'homme du détail écrit donc des romans à clefs, avec question posée au début et réponse donnée à la fin. Si on le laissait faire, l'homme du pan, lui, écrirait des listes sans fin, ni logique. Le pan ne met à jour que la figurabilité elle-même, c'est-à-dire un procès, un pas-encore, une incertitude, une existence quasi de la figure. »

Ce passage permet de comprendre comment a évolué le geste artistique de Dario Argento et dans quel sens Le Syndrome de Stendhal est un aboutissement. Dans L'oiseau au plumage de cristal, le tableau est un indice de l'enquête qui structure seulement un champ-contrechamp entre un regard et des fragments du tableau ; nullement repris par la narration, celui-ci est un détail de l'histoire. Profondo Rossoétablit une ambiguïté entre l'être humain et l'objet figuratif : l'humain se confond finalement avec la figure, rendant la notion de détail incertaine. Quel y est donc le détail : le visage placé dans le tableau ou le tableau placé dans le couloir ? Une étrange vicariance s'installe. Si Ténèbres est le tournant de cette conception du détail, Le Syndrome de Stendhal est pour l'instant le dernier stade de l'évolution des rapports entre tableau et image cinématographique : l'humain se fond dans la figure. Le tableau n'est plus un détail, mais un pan, mettant la pensée en danger, et c'est le spectateur qui est devenu détail. Le Syndrome de Stendhal consacre un maniérisme du pan, dès son générique qui est justement cette liste sans syntaxe dont parle le philosophe, une bande alogique et fascinante. Le pan est ainsi donc liéà l'origine : au trauma et à la pulsion. Le pan désire et réinvente le plan.

Ce qui induit un effet cinématographique essentiel : l'invention d'une nouvelle temporalité. Combien de temps Anna Manni reste-t-elle immergée dans le pan ? A quelle origine ou à quelle histoire appartient le poisson ? A un ordre du fantasme ou à un ordre du réel ? Davantage qu'une immersion dans un autre espace, il s'agit de la rencontre d'une autre chronologie. En entrant dans le tableau, Anna Manni se perd dans l'instant, s'arrachant à la servitude du réel et à l'esclavage du temps humain. Il ne s'agit plus d'un temps linéaire, mais d'un temps dont chaque unité se disjoint des autres, où chaque unité, comme une monade, installe sa propre mesure de temps, son parcours labyrinthique. Le seul cinéaste proche d'Argento n'est alors pas du tout De Palma, mais plutôt Raoul Ruiz, celui de L'Hypothèse du tableau volé ou de Combat d'amour en songe, qui fait la diversité des histoires et de l'éclatement des tableaux le principe d'une invention toujours renouvelée de la temporalité. Pour tous deux, la confusion entre image picturale et image cinématographique transforme le réel en un labyrinthe temporel. En fait, Argento retrouve ici par le tableau ce qu'il a cherché ailleurs, par exemple dans Phenomena, en figurant le sommeil et sa peur.

L'image cinématographique fait de la multiplicité des tableaux autant de fragments écraniques. Mais Argento ne filme pas tant un regard porté sur une multiplicité de tableaux, qu'une armada de tableaux qui agresse un individu isolé. Baudelaire, dans un passage du Peintre de la vie moderne, que Daniel Arasse cite d'ailleurs au tout début du Détail, parle d'un artiste « assailli par une émeute de détails qui tous demandent justice avec la furie d'une foule amoureuse d'égalité absolue ». Le tableau chez Argento est certes une volonté furieuse et il y a bien un désir du tableau pour la spectatrice (ici, Anna Manni). Mais plutôt qu'une émeute, il s'agit ici d'une escouade et ce nom d'escouade me semble définir très justement l'esthétique propre à Argento. C'est, en effet, le nom donnéà un regroupement d'insectes, ce qui m'évoque les lucioles dans Phenomena. C'est aussi le nom que donnent les médecins-légistes à l'ensemble des ecchymoses relevées sur un cadavre, ce qui rappelle l'univers morbide d'Argento. Et même, lorsqu'il filme une émeute, comme dans Le Cinque Giomate, il la filme justement comme une escouade, en montrant comment les individus s'agrègent avec ordre les uns aux autres, formant progressivement une foule. L'escouade constitue chez Argento le mode principal de l'agression, de l'insoumission au réel. C'est un régime de signes qui cherche à briser le continuum cinématographique, l'homogénéité des images comme la continuité temporelle, constituant la pierre de touche de son maniérisme.

L'escouade manifeste la violence intrinsèque de l'image. Celle-ci n'est plus une pure surface, neutre et inefficace. Elle possède une force et une intensité propres. C'est, selon l'expression de Jean-François Lyotard, « un corps volumineux » : une masse organique et organisée, vivante et désirante, pluridimensionnelle. L'image a une profondeur et un fonds insoupçonnés. Comment explorer ses limites et ses bords ? C'est sans doute le travail du maniérisme argentien : mettre l'image à l'épreuve et aller jusqu'à ses limites. Aussi est-il nécessaire de figurer ce poisson anthropomorphe : il montre qu'investir l'espace de l'image, c'est forcément remonter à une origine mythique. Il permet de montrer surtout que les bords de l'image sont fantasmatiques : c'est-à-dire qu'une représentation de l'origine est toujours représentation d'un fantasme primitif. Deuxième conséquence, un fétichisme certain pour la bouche : bouche du poisson, bouche d'Alfredo Grossi qui fait bouger entre ses lèvres un rasoir, lèvres d'Asia Argento fendues dans la séquence liminaire, puis tailladées par le meurtrier. Il s'agit d'abord de filmer un vagin, de faire de la bouche une aimantation et une origine du plan, et de donner à celui-ci un sexe. Il existerait donc chez Argento une sexualité des images. Mais plus qu'une figuration fantasmatique, il me semble que, par cette bouche, Argento désigne surtout les lèvres de l'image. Le maniérisme consisterait dès lors en un gigantesque dispositif pulsionnel destinéà faire bouger les lèvres de l'image : la faire parler, la faire saigner, la faire jouir.

Conclusion

En conclusion, cette lecture se proposait de donner une interprétation des origines d'une antipathie, un peu comme l'avait fait Philippe Berthier en littérature à propos de Chateaubriand et Stendhal, puisqu'il est connu que De Palma et Argento se détestent, ou au mieux s'ignorent. On peut même considérer Le Syndrome de Stendhal comme une réponse dix-huit ans après àObsession. Les différences de leurs maniérismes reviennent finalement à une différence de conception et de figuration de l'origine. Image palimpseste versus image seuil, rapport critique contre mouvement pulsionnel, une rétention du chaos opposéà un abandon au chaos ; ces trois conflits recouvrent trois modèles de l'origine : modèle documentaire, modèle ontologique, modèle psychique. Au bout du compte, ces deux maniérismes opposés posent la même question. Qu'est-ce qu'implique une figuration cinématographique de l'origine ? Elle implique sans nul doute une figuration du psychisme et de l'intériorité. L'image émane alors d'un fonds hallucinatoire, d'un domaine d'indistinction et de doute, où le spectateur ne sait plus ce qui devant lui est subjectif et ce qui ne l'est pas, ce qui est pulsionnel et ce qui ne l'est pas. Paradoxalement, c'est en voulant représenter la régression et l'origine que l'image déploie toutes ses potentialités, unissant le désirable au repoussant, le grotesque au sublime. Il y aurait une autre différence dans leur maniérisme, si l'on tient à tout prix à conserver cette notion, dont la clé est donnée par une remarque de Serge Daney :

« On entre dans le maniérisme quand on prélève (de l'intérieur) et on en sort quand on anime (de l'extérieur). Le maniérisme est un jeu parce que très proche du plaisir de l'enfant qui joue àéventrer ses poupées ou démantibuler ses jouets. Le maniérisme est donc vouéà une certaine déception (ne pas savoir refaire ce qui est cassé). C'est le moment où, d'un aquarium-bouillon de culture et catalogue d'effets déjà produits, on tire quelques poissons et qu'on fait durer le temps de les voir faire quelques mouvements hors de leur lieu naturel. »

Cette condamnation virulente résume parfaitement le maniérisme selon Daney, qui avait déjà qualifié la scénographie d'Infemo de «Grand Nada». En rapprochant le plaisir de faire un plan d'un plaisir de l'éventrement, elle va très bien aux films de Dario Argento (je pense à cette scène d'Opéra, où l'assassin égorge la victime pour retrouver l'indice qu'elle a avalé). Elle décrit même les conditions de développement du maniérisme : la fabrique de l'image comme jeu malsain ; la mémoire comme principe d'excavation ou d'exhumation d'une image. Enfin, elle préfigure étrangement l'ouverture du Syndrome avec son poisson et ses cadres en verre qui retiennent les tableaux comme la vitre de l'aquarium protège les animaux. Mais ce « plan-aquarium », récemment théorisé par Alain Bergala, définit imparfaitement nos deux maniérismes. Si le geste cinématographique s'affranchit certes des contingences du réel, vampirisé par un culte de la référence, pour De Palma, l'image évince bien le réel, sans pour autant créer de déception, car De Palma ne refait rien. Il montre que l'image ne peut, ne veut qu'être défaite, être déconstruite aussi bien que vaincue. Pour Argento, la contestation de Daney est différente. Le maniérisme est moins l'assomption d'un espace (l'aquarium) que celle d'une matière (l'eau, la couleur). Il n'y a pas mouvement (du dedans au dehors). Il s'agit de toucher, de travailler, d'informer cette matière de l'image dont l'un des noms possibles serait « pulsion ».

- Texte extrait : De l'origine du maniérisme au maniérisme de l'origine. Filmer Florence : Obsession de Brian De Palma et Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento de Jean-Marie SAMOCKI.

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Shigeo FUKUDA

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Shigeo Fukuda (1932-2009) est un grand artiste japonais aux talents multiples, à la fois plasticien, dessinateur, illustrateur, graphiste, sculpteur, designer d'objets et scénographe. Diplômé de l'Université des Beaux-arts et de la Musique de Tokyo, section design en 1956, il est un incontestable amoureux des images. Il fait appel à l'illusion d'optique et aux anamorphoses pour construire ses œuvres. C'est l'un des premiers graphistes japonais dont l'œuvre concilie les traditions de la culture nipponne à l'esprit et l'éclectisme occidental. Il joue avec notre perception comme un illusionniste à travers une communication visuelle à destination d'un public cosmopolite.

Fukuda est un magicien farceur, un joueur espiègle qui crée des images et des objets qui questionnent notre intelligence et notre imagination. Par ses jeux virtuoses de formes et de contre formes, il a su créer des situations impossibles et des réalités retrouvées. Chez lui, une image peut en cacher une autre. La dualité est le fondement de ses travaux.

Fukuda convoque le réel et le met instantanément en doute. Quand nous regardons pour la première fois une de ses affiches, nous reconnaissons rapidement une image familière qu'il transcrit de manière simple et directe pour que sa perception soit immédiate. Rassuré par cette image, nous sommes vite pris dans un piège visuel. Notre regard se trouble et notre cerveau découvre une deuxième image cachée, un deuxième sens à prendre en compte qui complexifie le caractère « simpliste » de la première lecture.

« Une belle image vient de l'humain. C'est de la société que viennent mes idées, pas de moi. J'essaie de trouver des sujets qui parlent à tout le monde. Mon travail est basic et produit du plaisir et de la joie. Il faut faire rire et sourire avec une affiche, même si le sujet est grave, il faut trouver un angle gai et amusant. » Shigeo Fukuda.

L'affichiste

Shigeo Fukuda a créé un étonnant système visuel et formel reconnaissable entre tous. Il a développé une conception de l'affiche et du logo basée sur la simplicité, le satyrisme, l'humour et la double lecture. Il est le créateur d'une ligne claire d'une précision incroyable qui va toujours à l'essentiel. Tout au long de sa carrière, il a créé plus de 1 300 affiches, récusant les nouvelles techniques et réalisant toutes ses maquettes graphiques à la main.

Admirateur de Maurits Cornelis Escher (1898-1972), il chercha sans cesse de nouveaux jeux d'illusions visuelles. Comme le dessinateur et graveur hollandais avant lui, il expérimenta le travail avec la perspective, l'espace positif et négatif, le noir et le blanc, le contraste, l'interaction visuelle et géométrique entre les éléments sur la page, la profondeur et la surface, ainsi que les différents plans de lecture. Tout cela doit produire une désorientation chez le « regardeur » . Contrairement à Escher, ses créations n'utilisent pas les « pavages », mais un minimum de lignes, qui sont de temps en temps ponctuées de remplissages. Avec le trompe-l'œil, il introduit un nouvel ingrédient indispensable : l'humour. La palette de couleurs volontairement limitée et la ligne réductrice restent le cœur du travail de Fukuda.

Une des images les plus populaires de l'artiste est l'affiche pour la paix Victory (1969). Un projectile est sur le point de rentrer dans le fut du canon au lieu d'en être violemment expulsé. Le point culminant de l'action souligne l'ironie de la catastrophe. L'humour noir fricote avec l'absurde pour rendre encore plus poignante la tragédie.

Dans Images of illusion (1984), Fukuda nous force à penser l'espace autrement par un jeu renversant de formes géométriques et de silhouettes assises. Il aime également revisiter les grands classiques de l'art et les détourner à sa manière : par exemple avec les différents portraits tramés de Mona Lisa : Mona Lisa's hundred smiles (1970).

Fukuda mettra son système visuel en abyme avec la série des « portraits inventés », où deux visions nous sont proposées dans la même œuvre selon que l'on soit proche ou éloigné. La Joconde de Leonardo Da Vinci est reconnaissable entre mille mais est pourtant constituée d'une multitude de signes (3485 drapeaux et timbres) sans relation avec l'œuvre de référence. Quand àFlore, La naissance du printemps (1992) inspiré de Sandro Botticelli, il est composé de milliers d'affiches de Fukuda ; ici la boucle est bouclée dans un geste maniériste absolu.

« Le design graphique n'est pas un business, c'est de la culture. En tant que graphiste, je dois connaître la pensée des autres ; c'est comme un médecin : il faut que je prenne le pouls des gens ! » Shigeo Fukuda.

Le sculpteur

En plus du graphiste de renommée internationale, Fukuda s'est essayéà la sculpture illusionniste dans des œuvres qui se veulent ludiques et légères. Comme pour son travail en deux dimensions, il part d'objets familiers pour les transfigurer en objets (extra)ordinaires. Des objets du quotidien devenus subtilement improbables et chargés d'une autre signification.

Toys and Things Japanese (1965) est la première des « sculptures d'ombre » : Fukuda crée un objet tridimensionnel dans lequel l'ombre, à partir d'une source de lumière issue d'un point bien défini, n'a aucun rapport avec l'objet réel représenté. Un jeu d'ombres, de distorsions et de perspectives dépravées. Avec cette série, l'artiste interroge la matérialité de notre monde, où les ombres virtuelles reflètent de la réalité. L'ossature d'une ombre aurait-elle d'avantage de sens que le corps de l'objet projeté ?

Lunch with a Helmut On (1987) est une autre sculpture éclairée à partir d'un point bien précis qui reconstitue une moto en ombre projetée sur le sol. L'objet physique est entièrement construit à partir de 848 pièces de coutellerie (cuillères, fourchettes et couteaux) soudées ensemble et suspendues dans les airs. Dans One cannot cut the sea (1988), 2000 ciseaux soudés reconstituent un bateau en ombre portée.

Beaucoup d'artistes reprendront le « truc » des « sculptures d'ombre » avec plus ou moins de succès ou de plagiat. Parmi eux, nous pouvons citer Le duo londonien Tim Noble et Sue Webster qui ont réalisé leurs autoportraits en détritus avec une touche d'ironie bien venue !

Objets impossibles

Fukuda a retranscrit dans l'espace certaines figures impossibles comme Disappearing Column représentant un trident impossible. Quant àDisappearing Pillar (1985), c'est une sculpture en bois, représentant le paradoxe classique en 2 D, qui figure 3 colonnes cylindriques en haut et deux colonnes rectangulaires en bas. Bien sûr, il est seulement possible de voir cette configuration impossible que sous un certain angle. Voir cette sculpture à partir de n'importe quel autre angle détruit instantanément l'illusion.

En grand connaisseur d'Escher, Fukuda a reconstitué en 3D certaines lithographies du maître qui tordaient l'espace et la perspective pour créer des objets impossibles. Ses maquettes les plus spectaculaires (1m50 d'envergure) reconstituent le fameux Belvédère (1982) et la Cascade d'Escher (1985). Des constructions physiques d'immeubles impossibles. La cascade fonctionne en plus avec de l'eau qui coule, et qui semble figurer un cycle perpétuel.

Transformations

En 1973, Fukuda s'essaye aux œuvres à transformation avec Love Story, puis Cat/Mouse, et Man/Woman (1974). Encore (1976) marque le début d'une série consacrée aux anamorphoses de musiciens prient à différents moments d'un concert. Ici, d'un point de vue, la sculpture représente un pianiste, mais tournée de 90 degrés, le pianiste se transforme progressivement en violoniste.

Underground Piano (1984) est une expérience spatiale singulière inspirée de l'art abstrait et cubiste. Une structure composée de fragments et d'éléments disparates qui se reforment, dans un miroir et selon un point de vue précis, en piano à queue en parfait état.

Le grand plasticien allemand Markus Raetz reprendra ce principe «à transformations » dans nombreuses de ses sculptures dont Miroir (1986), Métamorphose II (1992), Oui-Non (2001) et bien d'autres…

Anamorphoses

En parfait illusionniste, Fukuda maîtrise l'anamorphose comme personne et lui donne un caractère poétique inédit, opposéà la froideur mathématique de la majorité des représentations de ces jeux maniéristes. Il utilisera surtout ce principe en rendant hommage à des œuvres phares de l'histoire de l'art comme La Vénus de Milo : Venus in a Mirror (1984), mais aussi aux grands artistes comme Van Gogh : Gogh's Sunflowers (1988) ou Giuseppe Arcimboldo : Fresh Guy, Arcimboldo (1988), une image anamorphique déformée de Vertumne, qui restitue l'original lorsqu'elle est vue dans un miroir.

Fukuda atteindra un nouveau palier en faisant entrer l'anamorphose dans l'espace public en travaillant sur le mur du Gymnase de l'école Taishido à Tokyo, et surtout avec le monument du musée japonais du Dr Tanakadate, constitué de 10 colonnes de 8 mètres espacées chacune de 3 mètres, sur lesquelles est inscrit l'alphabet japonais de manière répétitive : a, i, u, e, o… ka, ki, ku, ke, ko… sa, shi, su, se, so, etc. Dans une certaine perspective, les colonnes, côtes à côtes, produisent le portrait géant du docteur Tanakadate ! L'affichiste « de bureau » aura définitivement investi le monde extérieur comme un architecte avec une portée universelle.

De nos jours, l'anamorphose a trouvé un nouvel élan créatif et conceptuel auprès d'artistes contemporains comme Georges Rousse avec la photographie, Felice Varini avec la peinture et Bernard Pras avec l'installation-sculpture.

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DES DROITS EN MAGIE

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Le 29 octobre 2009, la FFAP nous conviait à assister à la conférence de Maître Pierre Fleury – Le Gros intitulée La Magie protégée par le droit de la propriété intellectuelle.

Après une rapide et courte introduction de Peter Din nous expliquant qu'il y avait urgence à légiférer le plus tôt possible pour protéger réellement les créations magiques afin que le magicien professionnel puisse continuer à vivre de son métier (nous en sommes actuellement à un magicien professionnel pour deux cents magiciens amateurs et occasionnels), Maître Fleury – Le Gros, pour ne pas faillir à la tradition des conférences magiques, nous a proposé un DVD vierge accompagné d'un gimmick qu'il nomme craie-ion permettant de prendre des notes et éventuellement de les effacer pour la modique somme de 89 euros pièce et 200 euros les deux.

Il s'est ensuite lancéà corps perdu dans son exposé agrémenté de projections réalisées grâce à PowerPoint qui en a refroidi plus d'un lorsqu'il a rappelé les droits et les devoirs des utilisateurs de magie vis-à-vis des créateurs.

Maintenant, vous allez sans doute être déçu mais je ne vais pas entrer dans les détails car si je le faisais, je me retrouverai dans la même situation que beaucoup de magiciens estiment normale, c'est-à-dire utiliser à mon profit et sans vergogne le travail d'autrui.

En effet, dans notre souci de trop bien faire, il nous est arrivé une fois de reproduire mot pour mot une partie de conférence que l'auteur voulait garder pour lui lors de sa tournée. Et c'est ce qui arriverait si je reproduisais cette excellente conférence. Je vais donc simplement résumer une partie de la situation tout en vous mettant en garde sur le fait que le droit est avant tout une affaire de professionnels et que vous risqueriez de tomber de haut si vous vous mêliez d'interpréter la loi à votre façon.

Si actuellement la loi n'est pas encore respectée, les règles sont pourtant fort simples.

De même que tout artiste, comédien ou chanteur, amateur ou professionnel, est astreint à verser des droits d'auteur (à la SACD ou la SACEM) dès lors qu'il se produit publiquement, tout magicien devrait faire de même tant qu'il reproduit simplement toute œuvre reconnue originale, dès lors que le tour ou la routine a été publiée ou vendue.

Le seul cas où cette règle ne s'applique pas, c'est lorsque la prestation a lieu dans ce que l'on appelle « le cercle de famille ». Le fait de nommer « cercle de famille » une assemblée de cinquante mille personnes sous prétexte que c'est une « réunion privée » se tenant vingt pieds sous terre, dans un bunker désaffecté, n'est pas accepté. De même n'est pas reconnu exempt de droit d'auteur toute personne se produisant (apparemment) gratuitement ou pour une bonne cause.

Mais le fait d'être le premier à publier ou vendre une routine ou un tour ne signifie pas que l'effet produit appartient uniquement à son créateur.

Prenons l'exemple de la Traversée du ventilateur. Reconnu publiquement car publié dans la revue The Magic Wand, Vol. 14, no. 127 d'octobre – novembre 1925, cet effet original de Stanley Norton est pourtant présenté par d'autres magiciens sans qu'ils aient besoin de verser quoi que ce soit au premier créateur. Pourquoi ? Tout simplement pour la même raison qu'une même pièce de théâtre peut être mise en scène et interprétée par plusieurs troupes car tout peut être différent ; la mise en scène, les décors, les costumes, les éclairages, l'interprétation des comédiens. Cela signifie que si vous modifiez de façon originale le mécanisme de l'effet et que vous le présentiez également de façon originale (costume, texte, lumière, chorégraphie, etc.), vous avez le droit de le faire (*). Dès lors que vous ne faites que de la copie et que les points de similitude sont remarqués par un observateur lambda, vous ne faites que plagier et vous êtes doublement en tort. D'une part parce que vous vous attribuez le bien d'autrui et d'autre part parce que vous agissez sans autorisation.

(*) C'est pourquoi le Piano volant de Dany Lary a été reconnu différent de celui de Dominique Webb.

Ce qui nous amène au problème de l'autorisation qui en a surpris plus d'un.

Pour que tout soit fait légalement, il faudrait spécifier lors d'une vente ou d'une publication si le tour est autorisé ou non. S'il n'est pas autorisé (ou partiellement autorisé lorsqu'il y a contrat d'exclusivité) par son créateur, comme par exemple Origami de Jim Steinmeyer, même si on vous vend une copie minable, donc non autorisée, vous ne pouvez le présenter. S'il est autorisé, cela doit être mentionné mais un accord doit quand même être fait entre le créateur et l'utilisateur sous forme de contrat de représentation afin que le dit utilisateur puisse utiliser le tour. Attention, ce contrat de représentation est susceptible de modification au cas où le magicien deviendrait célèbre grâce à ce tour (par exemple le Flying de John Gaughan immortalisé par David Copperfield). Le créateur est alors en droit de demander quelque chose même si, au départ, il avait gracieusement accordé l'autorisation.

Comme vous le voyez, nous sommes actuellement loin de tout cela et chacun, impunément, fait son marché et récolte le fruit du travail des autres.

Maître Fleury–Le Gros a abordé beaucoup d'autres aspects concernant les droits et je ne peux que vous conseiller de l'inviter dans votre amicale pour en savoir plus.

PS : Quel dommage qu'Henri Decremps n'ait pas fait comme Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, le fondateur de l'actuelle Société des auteurs et compositeurs dramatiques en 1777, reconnue d'utilité publique en 1791. Si en plus d'avoir défendu une magie de qualitéà l'aide de quatre livres seulement (de 1784 à 1787) et d'avoir défini les règles inhérentes à cet art, il avait eu le temps de faire protéger légalement ses créateurs, nous n'en serions pas là aujourd'hui et nos interprètes respecteraient nos créateurs.

Avant de vous quitter, voici une anecdote assez cocasse qui montre bien qu'il faut faire très attention en matière de création. Elle est extraite de la revue M-U-M, Vol. 48, no.1 de juin 1958, à la rubrique Random Reflections de Sam Aaronson.

« Nous sommes redevables à Ed Whitford de cette anecdote, transmise directement par Silent Mora (Louis McCord). Au début des années 20, quand Mora présentait le tour de La Femme sciée en deux au Théâtre Priscilla à Cleveland, le directeur du théâtre, Mike Carrig, reçut une sommation de Horace Goldin (1) et de l'N.V.A., ordonnant à Silent Mora de « cesser et de s'abstenir » de présenter cette populaire illusion. Carrig demanda à Mora de consulter le général Harboard, qui tenait un cabinet d'avocat. A la demande de celui-ci, Mora expliqua en détail, en décrivant exactement ce qui se passait, ce que le public voyait et, à la fin de son exposé, le général Harboard fit la remarque suivante : « Ce tour n'est ni de vous ni de M. Goldin car j'ai vu la même chose effectuée aux Folies Bergère à Paris en 1878, par les frères Hanlon, alors que je faisais mes études à Paris. »»

(1) Le plus drôle de l'histoire, c'est qu'il y avait litige entre Horace Goldin et P.T. Selbit pour la création de cette illusion alors que chacun avait le droit de la présenter puisque la méthode était différente.

A lire :
- Une partie de la conférence de Philippe Saint-Laurent sur les brevets en magie.

HOMMAGES AUX ESCAMOTEURS 4

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Extrait de Satire de Mœurs par Louis Allard. C. Vanier, Libraire éditeur, 19 rue Lamartine (Paris, 1865).

Ta... ta... rata... ta, ratata, ta, ratata.

C'est le piston criard d'un épais saltimbanque qui cherche à réunir le public qui lui manque. Quatre minces liteaux assemblés deux à deux par des bouts de ficelle, forment sa table qui chancelle.

Les restes, faufilés de quelques vieux rideaux. L'enveloppent dessus brillent plusieurs plateaux où gisent pêle-mêle des boules, des poignards, des plaques, des anneaux. Parmi tous ces outils la lumière ruisselle sur trois longs gobelets dont chacun d'eux recèle la muscade qui doit amuser les badauds.

Plus loin sur le parquet, le pavé, c'est-à-dire, un sac laisse échapper une foule d'objets dont l'aspect seul fait rire ou provoque chez vous de plus tristes effets. Car on voit à côté d'un pantin qui grimace ou d'un burlesque animal, tout gonflé par le trois-six du bocal, un difforme fétus qui vous montre sa face !

Mais l'orchestre fêlé n'attire pas grand monde, on dirait au contraire qu'il fait fuir. Le bouffon courageux et zélé Chante. Pour être vrai, disons : se met à braire. Le banquiste est au coin chez le marchand de vin. Il attend son public pour faire le devin. Oui, belle dame, soyez sûre que si vous demandez votre bonne aventure, il vous dira la vérité. Cependant, aux couplets du paillasse en gaîté, Surtout à sa voix rauque comme celle d'un phoque, un essaim de voyoux ont commencé le rond.

Sur la place, un gamin a de droit une loge. Loin de moi le penser de vous faire un affront, parisiens. Ce nom vaut lui seul un éloge. Mais pour vous arrêter, bonnes gens de Paris, il faut bien souvent que d'un chien les hauts cris. Et grâce à ce défaut, chaque enfant de bohème vous caresse et vous aime.

Et si j'avais le temps d'énumérer ici le nombre de leurs jeux mis à votre merci. Vous seriez assurés, amitié peu commune, qu'il veut à vos dépens se faire une fortune. Mais vous, naïvement crésus, réjouis, enchantés de son baroque drame, vous le verriez, de faim, rendre jusqu'à son âme, sans trouver autre chose à donner qu'un refus.

A force de bêtise, enfin notre paillasse autour de lui parvient à voir la populace. Le banquiste aussitôt se précipite sur la place. Entre d'autorité dans le rond qui l'enlace. Mais prenant un bâton muni d'un fort grelot, il commence au galop un moulinet rapide. Et comme, on le comprend, personne n'est avide de connaître les sons que peut avoir donnés le grelot au moment qu'il vous frappe le nez, sans opposition tout le monde recule.

« Ah ! Vous vous y prenez de la bonne façon », dit le valet bouffon. « On réussit toujours quand on parlé raison, Entends-tu ? Mais, bourgeois, souffrez que j'articule un seul mot... Ce mossieur a tout droit d'être fier de son nez si pourtant il voyageait dans l'air, sa face, maintenant, serait fort ridicule ! »

Qui ne se ferait pas, malhonnête, un scrupule de renverser un si bel ornement ? Mais eussé-je commis ce crime innocemment pour le coller, trempé dans la fécule. J'aurais offert à monsieur, poliment, un nez comme le mien de carton seulement.

Et la foule de rire. Tenez, messieurs, voici le moment de vous dire le motif pour lequel je suis là devant vous. Nul ne peut, j'en suis sûr, malgré l'aspect de tous ces différents objets dont se sert mon commerce, nommer, sans se tromper, le métier que j'exerce.

J'entends qu'on dit ici : c'est un escamoteur. Un monsieur soutient là que je suis décroteur, puisque je vends, dit-il, de Jacquand le cirage. Vous prétendez là-bas que je fais le tirage des cartes... Plaît-il ?... Quoi ?... Permettez. Ah ! J'entends. Je vends la mort-aux-rats quand il fait mauvais temps. Eh bien ! Vous êtes tous, même jusqu'au paillasse, dans le faux jusqu'au bec. Je viens sur cette place, sans esprit d'intérêt pour vous apprendre enfin, gratis, de votre sort quelle sera la fin.

Que tous ceux qui voudront, libres surtout de crainte, connaître l'avenir, viennent dans cette enceinte. Il n'en coûtera rien, au contraire, en cadeau, avant de commencer j'offre un petit tableau. C'est mon portrait. En avant la musique. Et le piston braillard entonne sa réplique tandis que dans le cercle entrent sans hésiter deux gamins, plusieurs rustres dont les yeux et les traits brillant comme des lustres, font honte aux habitants qu'ils viennent visiter.

Enhardis par l'exemple, entrent quelques personnes. D'autres suivent sans peine. On se décide alors. On court, on vient en masse, on se presse en colonnes. La salle est comble, enfin tout le monde est dehors ! Attention !... La voix du maigre saltimbanque devient forte et sévère. On dirait que son corps trouve pour les poumons le souffle qui leur manque.

Attention ! Et procédons par ordre : à toi, l'ambition et l'espoir, ô gamin ! De la nation franque. Voyons, regarde-moi. Ce sera dans tes yeux que je lirai ton sort. Es-tu bien curieux de le connaître ? Bien... Prends d'abord cette estampe. Tu crèveras au bagne ; allons, forçat, décampe !

A toi, l'ami de ce mauvais sujet, écoute bien , ton corps sera l'objet d'une étude profonde. Or, voici ton histoire : tu commets une erreur, Vénus te verse à boire. Tu vis ainsi, traînant, souffrant un cruel mal. Enfin, n'en pouvant plus, tu viens à l'hôpital. D'un traitement affreux, là ta douleur s'augmente, car il faut que sur toi l'étude expérimente. Tu deviens à trente ans ridé comme un vieillard. Tes yeux sont injectés d'un acide brouillard. Dans des douleurs sans nom tu prends le viatique. Mais malgré les efforts de toute la clinique, un matin, n'étant plus au nombre des mortels, on jette ton cadavre aux tranchants des scalpels !

Et toi, jeune homme ardent, veux-tu savoir encore ce que le sort fatal réserve à ton aurore. Jaloux, vindicatif, tu seras entraînéà tuer ton semblable et par suite enchaînéà côté du bourreau, dans la rouge charrette. Sur l'échafaud sanglant tu porteras ta tête ! Tout le monde tressaille et le bouffon s'étonne d'un semblable début. Mais, poursuivant son mystérieux but, le devin hausse encore sa voix qui vibre et tonne. Jeunes filles, venez, voici votre destin. Dans vos doigts paresseux le travail, un matin, s'arrête et la misère, effroyable furie, chez vous entre et vous pousse avec effronterie sur le trottoir. Et là vous offrez, aux passants, avec des mots impurs, des gestes agaçants.

Pour un morceau de pain, ô besoin suborneur ! Une part de santé, de jeunesse, d'honneur. Une part de ces dons qui nimbent votre tête. Pudeur et chasteté que nul prix ne rachète. Que vous restera-t-il de vos faits odieux ? Le corps, à vingt-cinq ans, flétri, contagieux. Où croîtront par milliers d'immondes maladies. Et lorsque, par la mort vous serez refroidies, vos cadavres, servant à l'étude de l'art, hideuse sépulture, iront peupler Clamart ! Un sourire, incrédule effleure votre bouche, enfants. Je poursuis donc, votre beauté me touche. Ah ! comment détourner votre affreux avenir ? Les carabins, pourtant, en foule vont venir. Les voilà se pressant autour de cette table où votre corps exhale un gaz insupportable. Chacun d'eux en choisit pour prendre sa leçon, un lambeau repoussant, un putride tronçon. Le scalpel à la main, l'un ouvre en deux le ventre. Celui-ci, dans le cœur, pénètre jusqu'au centre. Celui-là fend le crâne et, sur le froid carreau, tombent en gémissant les tissus du cerveau.

L'organisme est taillé des pieds jusqu'à la tête. Rien ne peut l'effrayer. Oh non, rien ne l'arrête. Le désir de savoir suit avec passion du mécanisme humain l'investigation. De telle sorte enfin que le pauvre cadavre, affreux et triste aspect qui dégoûte et qui navre, de toutes les beautés qui firent son pouvoir, n'offre plus qu'un débris étrange, horrible à voir !

Ah ! Ce garçon, messieurs, comprend bien son époque. Il n'est que chiffonnier, s'habillant d'une loque. Armé d'un long crochet, sa lanterne à la main, il extrait la fortune aux fumiers du chemin. Mais bientôt il pourra, grâce à ce dur travail, faire en grand son trafic en boutique. Avec bail, vendre bien un tas d'os, des chiffons, de l'ordure. Payer le moins possible, et puis, voici l'usure sordide, froide et mise à l'abri du parquet qui gonfle impunément son fortuné paquet.

Devant l'adroit filou chacun devra se taire. Le voilà devenu riche et propriétaire. Construisant des cités, des habitations. Il impose ses lois aux populations qui s'y logent, et puis, spéculant sur sa proie, il met à l'épuiser une rapace joie. Chaque terme il exige un surcroît de loyer. On a beau supplier, résister, aboyer, rien, il faut assouvir sa faim périodique. Car lui, pompe aspirante, ou mieux presse hydraulique, ne voulant qu'une chose, augmenter son argent. Sans se préoccuper s'il fait un indigent, Chose grave et funeste ! Il pressure de sorte Que chaque locataire est bientôt à la porte, jeté sans nul égard sur quelque froid chemin. Rincé, pauvre, aplati comme un vieux parchemin.

C'est ainsi qu'employant ce fait tortionnaire, l'homme-métal devient dix fois millionnaire, et que, par l'agio, poussé jusqu'au pavoi de la haute finance il est proclamé roi ! Dès lors, chemins de fer, entreprises hardies, banque, combinaisons, habilement ourdies, tout marche sous son nom et prospère si bien, que son large crédit dévient européen.

Les fonds, de toutes parts, arrivent dans sa caisse. Elle en regorge au point qu'il y produit la baisse ! Le déficit augmente et, sinistre honteux, sa banqueroute a fait des peuples malheureux.

Pendant que le devin s'exprime ainsi, la foule silencieusement de tous côtés s'écoule. Bourgeois, que faites-vous ? Bourgeois, dit le bouffon, mais au lieu d'annoncer à chacun bonne chance, comme j'ai toujours vu que nos confrères font afin qu'autour de nous s'augmente l'affluence. Pour mieux faire abouler les gros sous, c'est trop fort.

Vous prédisez à tous l'infamie ou la mort. Le public, dégoûté, s'éloigne. Allons, silence, Bouffon ! Je le veux bien, comptez votre rapport. Je n'ai rien demandé, comment veux-tu... D'accord. C'est ainsi qu'on s'y prend je vous approuve, et cette rubrique est excellente et fait toujours recette. Mais si c'est pour de bon, comment payer ce soir le souper ? Faudra-t-il n'en n'avoir que l'espoir ? Stupide carnassier ! Va donc t'asseoir. Mais déjà rassemblée autour de nos banquistes, une nouvelle foule impatiente attend le spectacle gratis des nomades artistes, dont pourtant elle sait le programme constant. Les voilà revenus, ces flots de populaire. Tu peux, à ces crétins, demander ton salaire, Bouffon, dit le jongleur. Par tes grossiers lazzis. Epanouis leur cœur, leur rate, leurs soucis. Pour moi, je vois en eux de nouvelles victimes, des bandits commettant ou méditant des crimes. Un troupeau dangereux, un ramas d'ignorants. Pas un être choisi dans ces compacts rangs, pas un coeur dévoué qui veuille et qui comprenne. Non, rien que du fumier, de là matière humaine.

Ah ! Devant la grandeur des prostitutions où gargouillent sans frein ces populations. Devant l'égout infect plein d'un fangeux mystère. Le vénéneux taudis que l'on nomme ta terre, il vient au fond du fortement attriste, des pensés revêtus de probabilité. Pour que l'homme ait toujours pris une fausse route. Pour que la terre perte un tel monstre, sans doute, ils sont aux yeux de Dieu, qui trouve ailleurs sont but, d'un être mal venu te dégoûtant rebut.

Eh quoi ! Vous souffrez tous qu'on vous jette au visage cette insulte grossière et cet affront sanglant ! S'écrie un auditeur. Je suis peu violent, mais, certes, pour payer un si rare talent, je vais lui rendre seul outrage pour outrage !

L'exemple est tout : Chacun s'avance alors menaçant et terrible. Pour châtier le devin qui, debout provoquant de dédain, les regarde impassible. Mais, ô spectacle horrible ! A peine un premier coup touche l'escamoteur, que celui-ci s'agite et que sous une trappe, invisible pour tous, son vêtement s'échappe. Laissant à découvert aux yeux du spectateur Un livide squelette. Qui, promenant, ses os, devant chacun s'arrête. Qui que tu sois, dit-il, ton sort est bien certain. Tu seras comme moi, ni plus ni moins, demain, si ce n'est aujourd'hui. Pour vous, que l'épouvante fait fuir de toute part ma séance émouvante, l'avenir est le même. Il sera ce qu'il fut .

Pour tout peuple écoulé qui, comme vous, vécut un tas prodigieux d'événements énormes. Comiques et sanglants, superbes et difformes, Cohue ardente, aveugle et mesquine à la fois. Courant, comme toujours après le roi des rois. Après le Dieu des dieux, (que puis-je dire encore ?). Après le seul pouvoir, qu'à plat ventre on adore et pour l'humanité, c'est honteux, affligeant ! Que ce grand Roi, ce Dieu, ce Pouvoir, soit l'ARGENT ! ! !

HARMINGTON

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Ce n'est ni le talent ni la célébrité qui règlent l'ordre dans lequel nous publions ici la biographie des prestidigitateurs ; sans quoi il y a longtemps que serait venu, le tour d'Harmington qui fut pendant 5 ans le pensionnaire du théâtre Robert-Houdin. Tous ceux qui eurent l'occasion de le voir se souviennent de la gaité franche et communicative qui animait ses séances, si bien qu'il n'était pas rare de voir les spectateurs en rire encore sur le boulevard. Possédant une nature exubérante de méridional, sa verve, mise en valeur par le comique froid de Marius, contribuait beaucoup a son succès.

Qui de nous ne se souvient du tour du Dessèchement cabalistique transformé par ces deux artistes en une farce épique. On se tordait tellement que les charges les plus audacieuses, les changements les plus risqués passaient inaperçus.

Charles Fauque alias Harmington en 1889 (Photo : Metropolitan museum of art).

Ses dialogues avec Marius sont encore présents à mon esprit, à un certain moment l'artiste mécontent de son servant lui disait :

-« Allez au Diable. »
- Marius : « Je ne sais pas où c'est. »
- Harmington : « Je vais vous le dire... Vous sortez de scène, vous tournez à droite, vous descendez trois marches, vous en remontez huit, vous prenez le couloir, passez la sixième porte, en face montez l'ascenseur et traversez le souterrain ; vous rencontrez une mare vous la franchissez à la nage et vous trouvez derrière une porte sur laquelle vous lirez Belzebut. »
- Marius : « La Belle Zébut ? »
- Harmington : « Oui, c'est la allez-y . . »

Harmington et son assistant Jules David alias Marius (à gauche) en 1888 pour une expérience type cabine spirite.

On n'en finirait pas s'il fallait relater toutes les blagues dans lesquelles il excellait. Le théâtre Robert-Houdin a donné pendant le séjour d'Harmington des pièces magiques et comiques qu'il aurait été difficile de réaliser avec un autre artiste. Lorsqu'il quitta cette établissement, il entreprit de grandes tournées, accompagné partout du plus constant succès. Agrééà la présidence, fêté chez l'empereur du Brésil, comblé d'éloges chez le roi de Serbie, il peut montrer une énorme quantité de lettres et certificats élogieux attestant ses triomphes passés et qui nous font bien augurer de ceux que l'avenir lui réserve encore.

J.C

Document : Collection Christian Fechner / Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.

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